• Aucun résultat trouvé

Le développement de terminaux dédiés confronté aux caractéristiques portuaires

LES FACTEURS FAVORISANT LA TERRITORIALISATION DE CERTAINES COMPAGNIES MARITIMES

1. Des territoires en mutation et différemment perméables à l’ancrage des armements armements

1.1. Le développement de terminaux dédiés confronté aux caractéristiques portuaires

Nous avons souligné dans le chapitre 4 la difficulté pour les compagnies maritimes à s’ancrer dans les ports. En quoi l’évolution institutionnelle a-t-elle ouvert le champ des possibles ? La levée de ces barrières institutionnelles n’a-t-elle pas au final contribué à mettre en exergue les différences organisationnelles et géoéconomiques des ports de la rangée Nord Europe ?

1.1.1. Evolution institutionnelle dans les ports

Le contexte institutionnel des ports de la rangée Nord Europe évolue au cours des années 1990 (EC, 1997). Plus qu’une volonté gouvernementale de privatiser les ports comme ce fut le cas en Angleterre sous l’ère Thatcher au début des années 1980, c’est l’évolution des caractéristiques de l’industrie maritime (voir chapitre 2) qui impulse l’entrée des acteurs internationaux dans les ports de la rangée Nord Europe. Autrement dit, l’évolution institutionnelle qui prend forme dans les ports de la rangée Nord Europe a pour vocation à accompagner une mutation imposée par les investissements nécessaires à la mise en œuvre et à l’exploitation de terminaux portuaires pouvant accueillir les plus grands navires et manutentionner des volumes sans cesse croissants. Les institutions publiques et autorités portuaires craignent d’être marginalisées si elles ne favorisent pas l’entrée d’acteurs à même de supporter ces investissements. C’est dans ces conditions qu’éclatent les structures historiques de gestion/exploitation basées sur des ententes négociées entre acteurs locaux de manutention et pouvoirs régaliens (Alix, 2006).

Même si les réformes engendrent des différences dans les types de gouvernance portuaire d’un pays à l’autre (Wiegmans et al., 2002), et même d’un port à l’autre au sein d’un même pays, le modèle du port-foncier, usuellement nommé landlord port, tend à se répandre dans les différents ports constituant notre terrain d’étude (Bowden et De Jong, 2003). Ce modèle octroie aux opérateurs privés le soin d’investir dans les infrastructures de surface des terminaux (pavage et bâtiment), dans les superstructures et d’employer les portiqueurs.

Dans les ports dits hanséatiques, c'est-à-dire ceux du Benelux et d’Allemagne, les opérateurs de manutention locaux n’ont pas attendu ce que l’on appelle communément la libéralisation portuaire pour prendre en charge le financement et l’exploitation des superstructures

portuaires. Comme le précise Notteboom et Winkelmans (2001b), le modèle du landlord port

existe déjà dans ces ports dès le début des années 1990, donc avant le début de notre période d’étude (1994-2009).Le changement qui s’opère dans les ports est en fait simplement lié à la possibilité donnée à certains groupes internationaux d’exploiter des terminaux autrefois réservés aux opérateurs locaux. Dans ce contexte, le destin des opérateurs locaux prend différentes formes. A Rotterdam, ECT est racheté par le Hongkongais Hutchinson, le singapourien PSA fait de même avec l’opérateur traditionnel anversois HesseNordNatie (HNN). D’autres opérateurs locaux se regroupent pour se renforcer. Les opérateurs brêmois BLG et hambourgeois Eurokaï fusionnent et forment Eurogate qui figure aujourd’hui parmi les cinq grands opérateurs de terminaux du monde. HHLA, société de droit privé mais détenue par la ville d’Hambourg, parvient quant à elle à maintenir sa mainmise sur les terminaux du port d’Hambourg. Elle ne sera pas rachetée par un opérateur international et ne fusionnera pas non plus avec d’autres opérateurs.

Au Havre le modèle du landlord port tarde à s’imposer. Jusqu’au début des années 2000, l’autorité portuaire sous tutelle de l’Etat investit dans les superstructures, emploie le personnel portiqueur – les dockers sont employés par les opérateurs privés depuis la réforme de 1992 – et celui de maintenance des superstructures. Cela allège les investissements que les opérateurs locaux doivent supporter mais n’encourage pas les opérateurs internationaux à investir. Ces derniers aspirent généralement à disposer de leur outillage et de leur personnel87. Depuis la promulgation du décret du 19 juillet 2000 approuvant la convention type d’exploitant de terminal dans les ports autonomes, l’autorité portuaire havraise laisse les opérateurs de terminaux réaliser les achats de portiques. En revanche, le statut des portiqueurs et du personnel de maintenance n’est pas définitivement réglé même si la réforme portuaire engagée en 2008 devrait permettre d’aligner le statut du port du Havre sur celui des grands ports européens.

1.1.2. Des évolutions institutionnelles aux multiples répercussions organisationnelles

Malgré ces évolutions institutionnelles qui tendent globalement à alléger les compétences dévolues aux autorités portuaires (Heaver et al., 2000), ces dernières gardent la main sur une

87 Le feuilleton qui a animé la mise en service du nouveau terminal dédié de Maersk – le Terminal de la Porte Océane – en est une illustration. En effet, cette mise en service était conditionnée par le transfert des portiqueurs du port à l’opérateur de manutention en charge du terminal.

mission essentielle pour la pérennité et la compétitivité du port : l’attribution des concessions des terminaux portuaires (Notteboom, 2007b). Chaque place portuaire révèle ses préférences, elles-mêmes influencées et guidées par les rapports de force qui émanent de l’évolution institutionnelle à l’œuvre pour arbitrer entre les opérateurs de terminaux locaux qui subsistent, les opérateurs de terminaux internationaux qui tentent de s’immiscer et les compagnies maritimes. En même temps que le marché s’ouvre d’un point de vue institutionnel, certaines barrières organisationnelles dont les compagnies maritimes sont directement tributaires se lèvent ou à l’inverse se renforcent. Certaines autorités portuaires – au Havre par exemple – démontrent leur volonté d’accorder des terminaux dédiés aux armements, d’autres à l’inverse – en particulier à Hambourg – privilégient le développement de terminaux multi-clients. Au Havre, la récente politique du port en termes d’attribution des concessions des terminaux à conteneurs repose sur la constitution de joint-ventures associant un opérateur de manutention local et une compagnie maritime (Frémont et Gouvernal, 2008). En conséquence, les armements ont massivement investi les terminaux portuaires havrais, de sorte qu’aujourd’hui, Maersk, MSC et la CMA CGM disposent tous trois de terminaux dédiés dans le port, cas de figure unique sur la rangée Nord Europe. Pour l’autorité portuaire havraise, fidéliser quelques grands armements lui garantit des volumes pour les années à venir.

Contrairement à la situation havraise où les opérateurs locaux ont préservé leurs positions en s’associant aux compagnies maritimes, à Hambourg, l’opérateur HHLA s’est attaché à renforcer sa position en se diversifiant verticalement. Comme nous l’a confié un responsable du groupe hambourgeois, « the enlargement of scopes of HHLA in the hinterland networks is triggered by the necessity of being big enough in order to avoid of being purchased by international operators like PSA, Hutchinson, etc.»88. Certes HHLA ne possède pas le monopole des installations de manutention puisque Eurokaï jusqu’en 2000, puis Eurogate à partir de 2000, disposent du Eurogate Container Terminal Hamburg (CTH) sur lequel près de 30% des volumes conteneurisés du port sont manutentionnés. Toutefois, HHLA dispose d’une véritable mainmise sur les autres terminaux du port. Or, l’obtention d’un terminal dédié à Hambourg est quasiment impossible car HHLA n’y est pas favorable : “HHLA has also never made any secret of the fact that it is not yet interested in establishing any dedicated terminals in its facilities in Hamburg”89. Les 25% du terminal Altenwerder accordés par HHLA à Hapag

88 Propos tenus en juin 2007 par Thomas Lütje, marketing and sales manager chez HHLA.

Lloyd ne sont qu’une exception motivée par un intérêt conjoncturel comme le souligne un responsable de HHLA : « We have to recognise that our Burchardkai terminal is nearing capacity. We hope that Hapag Lloyd and its partners in the Grand Alliance will now be further encouraged to change to Altenwerder”90.

Dans les ports d’Anvers et Rotterdam, l’entrée des opérateurs internationaux PSA, DP World ou Hutchinson n’a pas empêché l’attribution de terminaux dédiés aux armements. En effet, les autorités portuaires des ports d’Anvers et Rotterdam étant moins opposées à l’intervention des armements qu’à Hambourg, ces ports constituent aujourd’hui les points d’ancrage principaux de Maersk et MSC. Enfin, dans les ports périphériques comme Zeebrugge ou Amsterdam, l’intervention des armements est souhaitée par l’autorité portuaire car elle offre une garantie au port en termes de volumes.

1.1.3. Les caractéristiques géoéconomiques sont-elles déterminantes ?

Par caractéristiques géoéconomiques, nous entendons prendre en considération les attributs géographiques et économiques des ports (localisation par rapport aux routes maritimes, accessibilité, productivité de la main d’œuvre) et de leur arrière-pays (profondeur, densité, part de carrier haulage, etc.).

Pour les interlocuteurs rencontrés, le coût du passage portuaire et les volumes générés par le port sont des éléments participant sensiblement au choix des armements de s’ancrer ou non dans un port.

Les armements sont sensibles au coût total du passage portuaire. A cet égard les ports de fond d’estuaire seraient, d’après nos interlocuteurs, moins propices au développement de terminaux dédiés que les ports de haute mer. Les raisons invoquées sont simples : une compagnie maritime développe généralement un terminal dédié de manière à sécuriser et optimiser le temps d’escale de ses plus grands navires, ceux dont l’immobilisation du capital est la plus forte. Or, le tirant d’eau des ports d’estuaire n’offre pas toujours, malgré de nombreux travaux de dragage, les garanties suffisantes pour faire escaler les plus grands navires. De plus, si tant est que ces grands navires ne sont pas pénalisés par le tirant d’eau, l’accès aux terminaux peut

sensiblement renchérir les coûts du passage portuaire. L’étude sur les coûts de passage portuaire réalisée par Bergano (2002) révèle que si les ports d’estuaire comme Anvers s’attachent à ce que les frais de signalement, VTS, pilotage, remorquage, lamanage, droits de port et manutention soient relativement faibles, le coût du passage portuaire s’avère affecté par les coûts imputés à l’immobilisation du navire (Figure 27).

Figure 25: les coûts du navire liés à l'accès peuvent fortement renchérir les coûts de passage portuaire dans les ports d'estuaire

Source : Bergano (2002)

La Figure 27 montre que les seuls coûts du navire tendent à différencier sensiblement le coût de passage portuaire entre Rotterdam (Maasvlakte) ouvert sur la mer et Anvers (Delwaide) situé sur la rive droite de l’Escaut derrière les écluses. Le fait que les ports de fond d’estuaire ont l’avantage d’être plus proches des principales aires de production/distribution n’est en revanche pas pris en considération. Cet avantage dépend du taux de transbordement sur le terminal. L’exemple du MSC Home Terminal à Anvers montre que si inconvénient il y a à développer un terminal dédié dans un port d’estuaire, rien n’est pour autant rédhibitoire. La capacité du port et de son arrière-pays à attirer d’importants volumes constitue un second élément souvent mentionné. Les grandes portes mettant l’Europe en relation avec le monde semblent les plus à même d’attirer les investissements des compagnies maritimes. Les premiers terminaux dédiés des armements ont été établis dans des ports centraux de la rangée

Nord Europe (Rotterdam, Anvers, Bremerhaven, Le Havre). Toutefois comme le met en évidence le Tableau 22, la plupart des terminaux dédiés constitués depuis 2006 prennent forme au sein de ports périphériques comme Zeebrugge ou Amsterdam.

Tableau 22: Chronologie des prises de participation des compagnies maritimes dans les terminaux portuaires

Terminal dédié Année de mise en service de la rangée Nord Europe Rang du port au sein

North Sea Terminal (Bremerhaven) 1999 4

Terminal de l'Ocean (Le Havre) 2000 5

APM Delta Terminal (Rotterdam) 2001 1

MSC Home Terminal (Anvers) 2003 3

MSC Gate (Bremerhaven) 2004 4

Terminal de France (Le Havre) 2006 5

OCHZ Terminal (Zeebrugge) 2006 6

APMTZeebrugge (Zeebrugge) 2006 6

Ceres Paragon Terminal (Amsterdam) 2006 10

Terminal Porte Océane (Le Havre) 2007 5

Légende:

Terminal dédié dans un « port central » de la rangée

Terminal dédié dans un « port périphérique » de la rangée

Source : élaboration propre

Si la position périphérique de ports comme Zeebrugge ou Amsterdam n’est pas rédhibitoire pour le développement de terminaux dédiés, la dynamique temporelle de la territorialisation des armements tend à prouver que les meilleurs emplacements se trouvent dans les ports centraux.

1.1.4. Bilan sur la perméabilité des ports au développement de terminaux dédiés

Le Tableau 23 résume les principaux enseignements des entretiens menés. Si le développement de terminaux dédiés est possible dès 1994, et même avant dans un certain nombre de ports, c’était sans prise de participation financière. En effet, la tradition voulait que les armements ne soient pas impliqués dans le capital des terminaux. A partir de la fin des années 1990, au gré des évolutions institutionnelles et organisationnelles, les ports s’ouvrent différemment à la territorialisation des compagnies maritimes.

Tableau 23: Evolution de la perméabilité des ports au développement de terminaux dédiés de la part des armements

Années Ports Caractéristiques

1994 1999 2004 Outillage et personnel fournis

par le port (Tool Port)

Réforme progressive mais portiqueurs encore employés par le port (passage du Tool Port au Land lord Port)

institutionnelles

capital terminaux non ouvert aux acteurs internationaux

Capital terminaux non ouvert aux opérateurs de terminaux internationaux mais qui s'ouvre aux armements

organisationnelles avec opérateurs locaux Possible coopération Volonté de l'autorité portuaire d'associer opérateurs locaux et armements pour terminaux dédiés

Port de haute mer, passage portuaire assez cher Le Havre

géoéconomiques

900 000 TEU 1 378 000 TEU 2 150 000 TEU

Landlord Port

institutionnelles capital terminaux non ouvert aux acteurs internationaux

Capital terminaux ouvert (PSA, APMT)

organisationnelles Mainmise opérateurs locaux HesseNatie et KatoenNatie

Retrait opérateurs locaux. Autorité portuaire souhaite acteurs

internationaux; saturation port d'Anvers Port de haute mer, passage portuaire bon marché

Zeebrugge

géoéconomiques

609 000 TEU 850 000 TEU 1 197 000 TEU

Landlord Port

institutionnelles Capital terminaux non ouvert

aux acteurs internationaux Marché ouvert (PSA, DP World)

organisationnelles Possibilité de terminaux dédiés en partenariat avec les Naties Autorité portuaire permet entrée de MSC

Port de haute mer, passage portuaire bon marché Anvers

géoéconomiques

2 200 000 TEU 3 614 000 TEU 6 064 000 TEU

Landlord Port

institutionnelles Capital terminaux non ouvert aux acteurs internationaux

Ouverture du capital terminaux (Hutchinson, APMT)

organisationnelles Possibilité de terminaux dédiés en partenariat avec ECT Entrée possible d'acteurs internationaux dont Maersk via APMT

Port de haute mer, passage portuaire relativement cher Rotterdam

géoéconomiques

4 540 000 TEU 6 343 000 TEU 8 281 000 TEU

Landlord Port institutionnelles

Tout opérateur bienvenu

organisationnelles Pas d'opérateur spécialisé dans traitement conteneurs Pas d'opérateur en place mais saturation port Rotterdam Amsterdam

géoéconomiques Activité conteneurs minime

Landlord Port

institutionnelles capital terminaux non ouvert aux acteurs internationaux

Capital ouvert aux acteurs émanant des opérateurs locaux (Eurogate) et aux armements partenaires

organisationnelles Partenariat possible avec BLG capital des terminaux mais sous forme de JV avec Eurogate Intervention des armements possible dans

Port de haute mer, passage portuaire relativement cher Bremerhaven

géoéconomiques

1 502 000 TEU 2 201 000 TEU 3 469 000 TEU

Landlord Port

institutionnelles capital terminaux non ouvert aux acteurs internationaux

Capital ouvert aux acteurs émanant des opérateurs locaux (HHLA et Eurogate)

organisationnelles Volonté de HHLA d'éviter terminaux dédiés Port d'estuaire, passage portuaire relativement cher Hambourg

géoéconomiques

2 726 000 TEU 3 738 000 TEU 7 003 000 TEU

Documents relatifs