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Caractéristiques des firmes et potentiels de territorialisation

2. Les années 1980-1994 : tentative de territorialisation des armements

2.4. Caractéristiques des firmes et potentiels de territorialisation

L’évolution des caractéristiques de l’industrie maritime ne suffisent pas à faire émerger des comportements de territorialisation durable. Les raisons sont-elles à trouver du côté des des caractéristiques des compagnies maritimes qui tentent de s’immiscer sur terre ?

2.4.1. La territorialisation des membres des consortiums confrontée à la rigidité des « cartels »

Au moment où la problématique terrestre surgit, les trois armements historiquement dépendants de leur Etat-nation – la CGM, Hapag Lloyd et P&O – auraient pu trouver dans leur port et arrière-pays d’origine de quoi prolonger leur dépendance économico-politique par la construction de ressources spécifiques à base territoriale. La réalité n’est pas celle-là. Ces firmes se sont trouvées confrontées à l’ambivalence de leur statut : elles sont comme nous venons de le dire les bras armés de territoires prêts à favoriser leur développement, mais dans le même temps, dépendantes de firmes étrangères du fait de leur implication dans de multiples consortiums comme en rend compte le Tableau 15.

Tableau 15: La CGM, Hapag Lloyd et P&O sont impliqués dans de nombreux consortiums

CGM Hapag Lloyd P&O

ACL (Europe/Amérique du Nord), X

OCL (Europe/Australie) X

ANZECS (Australie/Nouvelle Zelande/Europe) X X X (via OCL)

TRIO (Europe/Extrême-Orient) X X (via OCL)

Scandutch (Europe/Extrême-Orient) X

Caribbean Overseas Lines (Europe/Caraïbes) X X

South Africa Europe Container Service X X (via OCL)

EMEC (Europe/Moyen-Orient) X

Capricorne (Europe/Océan Indien) X X

British East Africa Container Service X X (via OCL)

Cobra (Europe/Sous continent Indien) X X (via OCL)

Eurocaribe (Europe/Caraïbes) X X

Licorne (Europe/Sous continent Indien) X

Eurosal (Europe/Amérique du Sud) X

Eurandino (Europe/Amérique du Sud) X

Note : seules les participations dans des consortiums développant des liaisons avec la rangée Nord Europe ont été répertoriées

Le fonctionnement des consortiums contraint considérablement les armements souhaitant intervenir dans la mise en œuvre des maillons terrestres. Les membres de ces consortiums ne peuvent pas réellement se différencier par la stratégie qu’ils développent sur terre. Chaque armement s’avère être « agent général » du consortium pour l’arrière-pays qui correspond à son territoire d’appartenance historique. Mais ce territoire varie d’un consortium à l’autre : la CGM n’est agent général de Scandutch que pour la France et la Grande-Bretagne ; pour ACL elle est agent général pour la France, la Suisse et la péninsule ibérique. De plus, la CGM n’exerce pas cette responsabilité pour ses seuls volumes. « Lorsqu’elle exerce cette activité d’agent sur un territoire limité, la CGM vend un service porte à porte qui n’est pas le sien mais celui du consortium » (Frémont, 1996, p.389). Elle ne peut donc pas se distinguer par la qualité des services qu’elle propose. Même si les marges de manœuvre des armements varient d’un consortium à l’autre (Douet, 1984), les membres de ces structures s’avèrent limités pour créer des ressources spécifiques, en particulier sur les maillons terrestres.

De plus, alors que l’intervention dans la mise en œuvre des maillons terrestres est une solution, entre autres, pour rationaliser la logistique du conteneur, les consortiums à recrutement commun empêchent les armements d’optimiser la logistique de leurs conteneurs puisque le parc de conteneurs est la propriété du consortium (Douet, 1985). Les armements étant membres de différents consortiums, la mutualisation des boîtes sur différentes lignes est impossible. A titre d’exemple, un conteneur en provenance de l’Extrême-Orient ne peut repartir d’Europe sur une liaison transatlantique…

Les rigidités créées par les consortiums viennent s’ajouter à celles des conférences maritimes. Non seulement les armements qui en sont membres ne sont pas libres dans la tarification des services maritimes (cas de toutes les firmes appartenant à une conférence), mais ils ne peuvent rationaliser la logistique de leurs conteneurs pour se différencier des autres armements.

La solution consiste alors à mener une stratégie commune entre armements du consortium. Confrontés à la nécessité de consulter l’ensemble des membres, ces « cartels » sont souvent « lents dans la prise de décision dans une période où les changements appelleraient des réactions rapides tant pour lutter contre les « outsiders », que pour maîtriser les reculs, conjoncturels durant lesquels elles sont particulièrement fragiles » (Bauchet, 1982, p.239).

Pour les armements souhaitant réellement jouer la carte de la différenciation sur terre, l’ultime solution consiste à sortir du consortium. Cette action est d’autant plus risquée qu’un armement ayant toujours partagé ses navires ne dispose pas de la flotte nécessaire pour exploiter seul les mêmes lignes régulières. De plus, au moment où cette décision se prend, l’armement en question dispose probablement d’une capacité financière affaiblie du fait des déboires subis avant de décider de sortir du cartel...

Au final, pour pouvoir suivre le mouvement à la baisse des taux de fret, les armements traditionnels embourbés au sein des consortiums de plus en plus remis en question se trouvent contraints, au cours des années 1980, d’essayer de « sauver les meubles ». Ils focalisent par conséquent leurs efforts sur la rationalisation des activités maritimes en tentant de minimiser les coûts en mer pour faire face à la concurrence et n’interviennent qu’épisodiquement au sein des ports et arrière-pays sur lesquels ils conservent un avantage historique.

2.4.2. La territorialisation des « indépendants » confrontée aux contraintes territoriales

Contrairement au marché américain sur lequel les règles institutionnelles ont été assouplies, où les conditions organisationnelles – facilité d’obtention de terminaux portuaires dédiés sur la côte ouest, trains longs et sur deux hauteurs, amélioration de la productivité du système ferroviaire depuis la réforme de 1980 – combinées aux attributs géoéconomiques – longues distances, gros volumes, taux de carrier haulage conséquent, complémentarité dans l’orientation des flux entre ceux de conteneurs maritimes et ceux continentaux – ouvrent de nouvelles perspectives aux compagnies maritimes, en Europe, sans même explorer le contexte géoéconomique, il s’avère que les conditions institutionnelles et organisationnelles ne favorisent pas la territorialisation des compagnies maritimes indépendantes.

Par rapport à la période précédente, peu d’évolutions susceptibles de favoriser la territorialisation des armements sont à signaler. Intercontainer demeure incontournable. Sur le Rhin, P&O fait l’acquisition en 1989 de Rhenania Container sans que cela ne préfigure d’une réelle logique d’ancrage de l’armement britannique en Europe du Nord. D’ailleurs, le transport fluvial en Europe qui demeure limité à la desserte des ports d’Anvers et de Rotterdam jusqu’en 1994 se trouve de plus en plus structuré par les compagnies fluviales rhénanes (Notteboom et Konings, 2004). Les transporteurs locaux qui combinent les volumes des différents clients armements et transitaires gardent le contrôle du transport routier,

d’autant plus que leurs partenaires historiques, les transitaires, voient leur représentativité se renforcer avec l’émergence des questions d’intégration de l’activité de transport dans l’organisation plus large des supply-chain.

Enfin, si le tournant des années 1980 marque le lancement d’un vaste processus de libéralisation des terminaux portuaires dans le monde, les terminaux de la façade Nord Europe échappent à cette lame de fond jusqu’à la fin des années 1990 (Parola et Musso, 2007). Les seuls mouvements d’intervention des armements au sein des terminaux prenant forme au cours des années 1980-1994, à savoir l’intervention de Hapag Lloyd dans Eurokaï et de la CGM dans la GMP, et qui s’inscrivent dans la logique de « va et vient » présentée dans la Figure 13, ne sont nullement liés à un quelconque processus de libéralisation mais sont simplement rendus possible par l’histoire nationale de ces armements à Hambourg et au Havre.

Figure 13: Le « va et vient » des armements entre localisation et territorialisation de 1980 à 1994

« VA ET VIENT » ENTRE LOCALISATION ET

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