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Le focus group, un outil pour une démarche participative ?

2.2. LA CONCEPTION (ET L’EVALUATION) PARTICIPATIVE

2.2.4. Le focus group et la conception participative

2.2.4.2. Le focus group, un outil pour une démarche participative ?

L’effet synergique des interactions du focus group permet d’obtenir une compréhension fine des opinions, des attitudes et des motivations à partir des récits des usages et expériences vécues des utilisateurs. Le focus group est donc généralement employé au début du processus de conception (a) pour connaître les besoins et caractéristiques d’utilisateurs représentatifs, (b) pour obtenir une première sélection de différents concepts de départ et (c) pour apprécier le niveau d’acceptabilité d’un concept (Baccino et al., 2005; Maguire, 2003; Nielsen, 1993; Rubin, 1994; Van Vianen et al., 1996). Il peut aussi servir à apprécier le niveau d’acceptabilité d’un produit déjà implanté sur le marché (phase de « feed-back », ex. Bastien & Scapin, 2004).

Le focus group pourrait être rapproché des différents workshops cités précédemment, dans la mesure où il rassemble des utilisateurs pour juger une situation ou un produit. Même si certains (Baccino et al., 2005; Rubin, 1994; Van Vianen et al., 1996) font une distinction entre les techniques de la conception participative et le focus group (surtout dans le domaine de la conception de produits informatiques et grand public), une explication plus intéressante nous semble possible, en considérant les divers domaines d’application de l’ergonomie

(situations de travail, du quotidien et même de relation de service). Il n’y aurait, en fait, pas de terminologie claire pour désigner le focus group (Langford & McDonagh, 2003a). Certains exemples, dans la littérature de ces différents domaines d’application, intitulent la méthode « groupes de discussions », « groupes de travail », design decisions groups (DDG) ou encore user workshops, alors qu’ils incorporent des aspects de cette technique. Cela est dû au fait que la notoriété du terme focus group s’est étendue depuis plus récemment et au fait que le concept de départ a été adapté et renommé par les ergonomes. De même que plusieurs auteurs (Bruseberg & McDonagh-Philip, 2001; Langford & McDonagh, 2003a), nous prenons le parti d’intituler focus group toute méthode incluant un niveau conséquent de discussions de groupe sans exclure d’autres activités collectives.

Dans ce qui suit, nous exposons les emplois du focus group dans deux domaines d’application de l’ergonomie qui présentent de nombreux points communs avec la conception participative, sans relever nécessairement d’une démarche au plus fort degré participatif.

Dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail

Le focus group est une méthodologie établie dans le domaine de la recherche sur la santé et la sécurité au travail. Par exemple, des focus groups ont été menés pour étudier les effets

méconnus de la prise de psychotropes19 sur les performances au travail20 en termes de vigilance, mémoire et donc sécurité (Haslam, 2003). Cette étude a abouti à une série de recommandations qui concernent, d’une part, la prévention de l’anxiété et de la dépression au travail et, d’autre part, la prise en charge sanitaire des personnes qui souffrent de ces troubles. Des raisons qui expliquent les accidents dans l’industrie du bâtiment ont également pu être fournies grâce à une étude par focus groups (Haslam, 2003).

Dans la conception de produits/systèmes

• La génération de nouveaux concepts :

Les DDG (Langford & McDonagh, 2003b; Langford et al., 2003), qui pourraient être nommés focus groups, constituent une méthode flexible qui permet de générer des concepts de produits/systèmes. Ils sont constitués d’un assemblement d’activités de discussion et de créativité en groupe pour analyser des problèmes en vue de concevoir (et implicitement d’évaluer) une solution plus ou moins aboutie.

Il peut s’agir, par exemple, de visionner la projection d’un film d’une activité donnée afin d’en tirer une analyse collective. Des exercices de word map (élicitation de mots portant sur un thème donné qui sont ensuite reliés les uns aux autres par association logique21), de round-robin questionnaire (où les participants complètent à tour de rôle un premier énoncé non achevé22) ou de dessin (pour générer et partager des idées) permettent aussi de stimuler les idées, l’analyse critique et la recherche d’améliorations. Par ailleurs, des maquettes 2D ou 3D (plans de bâtiments, kits d’éléments-velchro associables, carton, terre glaise, etc.) assorties d’éventuels jeux de rôle peuvent aider les participants à travailler l’agencement d’un espace et son équipement, l’information affichée sur un écran ou un panneau, les dispositifs d’actionnement, le confort d’un poste de travail ou encore la forme d’un objet. Enfin, la « prise en main » de produits, éventuellement essayés dans un environnement simulé en grandeur nature, peut aider à l’évaluation de concepts existants et à la spécification de nouveaux (Langford et al., 2003)23.

19 Médicaments qui agissent sur le psychisme et donc sur les émotions et le comportement.

20 En particulier concernant les professions les plus exposées en cas de difficultés de santé mentale (activité de soin, éducation, industries minières et manufacturières).

21 Cette technique est proche de la technique d’élicitation associative abordée au paragraphe 2.6.2.2.

22 De même, cette technique est très proche de la technique du brainwriting, abordée dans la description de la technique d’élicitation associative au paragraphe 2.6.2.2.

23 Chacun de ces exercices sont aussi décrits en détail (indépendamment des DDG) dans Langford et McDonagh (2003b).

Une autre méthode de focus group permet la génération de concepts de produits (Cooper & Baber, 2003) : les participants y sont invités à imaginer des scénarios de leurs usages d’un produit du quotidien (ex. portefeuille) pour se projeter ensuite dans l’évaluation d’un prototype d’un produit du futur (ex. portefeuille électronique). Ils sont amenés à imaginer comment les caractéristiques du prototype pourraient accentuer les avantages et diminuer les inconvénients identifiés dans les scénarios de leur quotidien. Cette technique, très proche des scenario-based techniques de la conception participative, permet de dépasser les difficultés qu’ont les utilisateurs à imaginer concrètement leur activité avec un produit encore inexistant (Cooper & Baber, 2003).

• L’évaluation de prototypes et la génération de critères d’acceptabilité :

Toujours dans le domaine de la conception, le focus group peut aussi être un outil d’évaluation de prototypes (en le combinant à d’autres méthodes) et de génération de critères d’acceptabilité.

En effet, il offre l’avantage de faire participer les utilisateurs pour qu’ils partagent et explicitent leurs expériences après des sessions individuelles de test d’un prototype (Atyeo et al., 1996; Caplan, 1990; Macaulay, 1996; Maguire, 2003; O'Donnell et al., 1991; Sullivan, 1991). Il a été démontré que le focus group est un instrument de mesure valide : les tâches difficiles identifiées lors de tests utilisateurs, sont significativement davantage discutées que les tâches moins difficiles (O'Donnell et al., 1991). Les interactions de groupe s’avèrent être un véritable moteur pour faire émerger ce que les utilisateurs ont à l’esprit au moment de l’utilisation du prototype. Ainsi, en plus d’une évaluation quantitative, les raisons explicatives aux problèmes rencontrés et d’éventuelles solutions qui y remédieraient peuvent être obtenues (O'Donnell et al., 1991).

Une activité d’élaboration de critères d’acceptabilité peut aussi être menée en focus group. Cette technique peut être appliquée pour l’évaluation de plusieurs concepts (Caplan, 1990) et permettre de choisir entre différentes directions de conception (Langford & McDonagh, 2003b). Nous verrons au paragraphe 2.6.2.2. que des techniques similaires sont déjà utilisées depuis les années 1950 dans l’évaluation sensorielle de produits de consommation (alimentaires, cosmétiques).

Après avoir détaillé la plupart des méthodes de conception collective et/ou participative, nous explorons d’autres techniques utilisées en ergonomie pour la conception de produits/systèmes. Nous distinguons un ensemble de techniques faisant intervenir

l’utilisateur, d’une part, et des techniques d’évaluation sans l’utilisateur (ex. modèles formels, inspections d’interface par des experts ; paragraphe 2.5.), d’autre part. Les techniques faisant intervenir l’utilisateur peuvent être basées soit sur le recueil de données expérimentales (ex. tests utilisateurs ; paragraphe 2.3.), soit sur le recueil de données verbales (ex. protocoles verbaux ; paragraphe 2.4.)24, soit sur le recueil de données subjectives (ex. évaluation subjective sensorielle, paragraphe 2.6. ; enquête par questionnaire sur l’utilisabilité et la satisfaction ; paragraphe 2.7.). Le paragraphe 2.6. porte aussi sur l’évaluation subjective sensorielle de produits de consommation, même si nous débordons là le champ de l’ergonomie. L’ensemble de toutes ces techniques porte sur le recueil d’informations concernant l’interaction de l’utilisateur/consommateur présent ou non avec le produit afin de les implémenter dans la conception.

Dans ce qui suit, nous abordons l’évaluation avec l’utilisateur, basée sur le recueil de données expérimentales.

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