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Fiscalité, biens collectifs locaux et ségrégation sociale de l’espace

Les formes et les déterminants de la ségrégation sociale : le rôle du transport

Section 2. Les déterminants de la ségrégation sociale et le rôle du transport urbain

II- Extensions au modèle de base

2. Les modèles avec temps du transport, la structure de la famille et l’espace hétérogène

2.3 Les modèles avec hétérogénéité de l’espace

2.3.1 Fiscalité, biens collectifs locaux et ségrégation sociale de l’espace

La présence d’une fiscalité locale et des biens publics locaux à différentes échelles contribue à l’hétérogénéité de l’espace. Les hypothèses d’uniformité des impôts locaux et d’absence de biens collectifs locaux, présentes dans le modèle standard, sont donc levées.

Les biens publics locaux vont se différencier des biens publics purs (Samuelson, 1954)2 qui sont définis par un principe de non rivalité et de non exclusion. En effet, la plupart des services publics souffrent de congestion. Ainsi, l’ancrage spatial des biens publics locaux implique un coût de transport lié à leur utilisation. Donc, une concurrence pour l’usage du sol qui les entoure, ce qui amène à les considérer comme des biens publics impurs.

La fourniture de ce type de biens aux ménages dans la collectivité où ils habitent est une source d’utilité au même titre que les biens privés qu’ils consomment. Par conséquence, la quantité ou le type de biens collectifs fournis par la collectivité ou le montant des impôts locaux deviennent des critères supplémentaires dans le choix de la localisation résidentielle.

Ainsi, C. M. Tiebout (1956)3 propose une analyse permettant de prendre en compte l’effort des différentes communes pour financer un certain nombre de biens publics locaux, dans le choix de localisation résidentielle des ménages. Ces derniers vont choisir de se

1 Hochman O. et Ofek H., (1977), « The Value of Time in Consumption and Residential Location in a Urban

Setting », American Economic Review, vol. 67, pp. 996-1003.

2 Samuelson P.A., (1954), « The pure theory of public expenditures », Review of Economics and Statistics,

vol. 30, n°4, pp. 36-44.

3 Tiebout C.M., (1956), « A Pure Theory of Local Expenditures », Journal of Political Economy, vol. 64, pp.

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localiser dans la collectivité qui leur procure l’utilité la plus importante, en fonction du niveau auquel sont fournis les biens et services publics locaux qui les intéressent et de leur prix fiscal. Une parfaite information sur la fiscalité et l’offre de biens publics locaux au sein de chaque commune est, toutefois, requise ainsi qu’une parfaite mobilité des ménages. De là, Tiebout met en évidence un « vote avec les pieds » des ménages quittant une collectivité qui ne répondrait pas à leurs attentes en matière de fourniture de biens collectifs locaux. En cela, la mobilité géographique des ménages constitue un mode de révélation de leurs préférences (Derycke et Gilbert, 1988)1. Les ménages vont alors se regrouper dans des collectivités locales homogènes en fonction de leurs préférences pour les biens publics, de leur consentement à payer le prix fiscal et de leurs revenus. Par exemple, une collectivité caractérisée par de larges dépenses sociales en faveur des populations en difficulté et un important parc de logements sociaux peut être délaissée par les populations riches pour ne pas financer une politique dont ils ne sont pas bénéficiaires2.

D’ailleurs, nous pouvons analyser le modèle de Tiebout comme une application de la théorie des clubs initiée par Buchanan (1965)3. Un club est considéré comme un regroupement volontaire d’individus payant un droit d’entrée et bénéficiant d’un bien collectif impur dont l’usage est exclusivement réservé aux membres du club. Le bien du club présente deux caractéristiques. La première, c’est que le club est soumis à un phénomène de congestion dans la mesure où la qualité de sa fourniture diminue avec le nombre de membres. La deuxième, c’est que le club fait l’objet d’une exclusion par les prix puisqu’un droit d’entrée est exigé. De plus, un membre peut s’exclure lui-même en quittant le club, ce qui rejoint le concept de vote avec les pieds de Tiebout. Deux collectivités locales (des municipalités par exemple) peuvent être assimilées à des clubs (« club spatial » ou « club local ») où le droit d’entrée correspond aux impôts locaux.

Du point de vue du ménage, un arbitrage s’effectue entre la consommation de bien collectif et celle de logement. Si l’utilité est supérieure dans la collectivité voisine, le ménage se déplacera même s’il doit sacrifier des unités de surface pour bénéficier d’une unité supplémentaire de bien collectif. Ainsi, le programme de maximisation de l’utilité sous contrainte dans une collectivité i s’écrit :

1

Derycke Ph. et G. Gilbert, (1988), Economie Publique Locale, Economica, Paris.

2 Monmousseau F., (2009), Ségrégation sociale et intervention publique : analyse économique d’une

politique d’incitation à la production de logements sociaux, Thèse en Sciences Economiques, Université

Paris I -Pantheon Sorbonne.

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maxg, e,  g. % > = e + :. g + Ó D* (2.49) Avec s la surface de logement, z le bien privé composite, G le bien collectif, R(x) la rente d’enchère ou le prix unitaire du logement et Ó D* la contribution fiscale du ménage en proportion du coût du bien collectif CG G (0 < α < 1).

Si l’utilité est additivement séparable telle que U(s, z, G) = V(z) + W(s,G), alors l’utilité peut être représentée dans l’espace (s,G) (Derycke et Gilbert, 1988)1. La fonction représentant la contrainte budgétaire individuelle a pour équation :

 = > − e: − : . ÓD7

Ainsi, si nous prenons deux collectivités 1 et 2, dont la contribution fiscale d’un agent représentatif dans la collectivité 2 est supposée plus faible que dans la collectivité 1 (Figure n° 2.14). Et lorsque le ménage habite dans la collectivité 2, la droite représentant sa contrainte budgétaire est moins pentue. A l’équilibre, l’utilité est plus élevée dans la collectivité 2, car le gain en matière de consommation du bien collectif est supérieur à la perte en matière de logement.

Figure n° 2.14 : fiscalité locale et « vote avec les pieds » S Jˆ ‚S U1 S1 U2 S2 G1 G2 G

Le graphique ci-dessus (n°2.14) est comparable aux graphiques traditionnels représentant une variation du prix d’un des deux biens. Si l’on raisonne sur une seule collectivité, la baisse des impôts implique le pivotement vers la droite de la droite de

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budget autour de son ordonnée à l’origine. La consommation de logement baisse au profit de la demande de biens collectifs locaux si l’effet de substitution l’emporte sur l’effet- revenu. Raisonner avec deux collectivités est équivalent excepté que la moindre consommation de logement et la plus grande consommation de biens collectifs locaux s’effectuent dans la seconde collectivité. Et, comme ce couple de consommation implique une utilité plus élevée dans la collectivité 2, les habitants de la collectivité 1 sont incités à migrer.

Les modèles de localisation résidentielle tels que nous les avons décrits précédemment doivent, donc, prendre en compte ce type de phénomène conduisant à trier la population en fonction de leurs préférences des biens publics locaux. Par exemple, on trouve que les ménages, ayant des enfants, vont chercher à se localiser dans des communes qui consacrent plus de dépenses à l’éducation (Persky, 1990)1. Dans le même sens, Beckerich (2001)2 montre que les équipements de transport de l’espace public urbain (stationnement bilatéral autorisé dans la rue, proximité d’une station de métro) facilitent les déplacements domicile – travail des actifs. En conséquence, les ménages vont chercher à se localiser prés de ces équipements ce qui augmentent la valeur des biens immobiliers collectifs situés proches de ces infrastructures. De ce fait, les ménages disposant d’un pouvoir d’enchère élevé auront la chance de se localiser près de ces équipements.