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Coût généralisé du transport, diversité des moyens de transport et accessibilité

Les formes et les déterminants de la ségrégation sociale : le rôle du transport

Section 2. Les déterminants de la ségrégation sociale et le rôle du transport urbain

II- Extensions au modèle de base

2. Les modèles avec temps du transport, la structure de la famille et l’espace hétérogène

2.1 Coût généralisé du transport, diversité des moyens de transport et accessibilité

Le modèle de base, dans sa version simple, présente une limite puisqu’il omet la dimension temporelle des coûts de transport supportés par les ménages. Or, le temps consacré au déplacement peut représenter un coût non négligeable, susceptible d’interférer dans le choix résidentiel d’un ménage. De plus, on peut supposer que le temps passé dans les transports est différemment valorisé par l’individu selon son revenu. Si on considère qu’une unité de temps de loisir est d’autant plus valorisée que le revenu est élevé, alors le ménage à haut revenu supportera un coût d’opportunité du temps passé dans les transports plus élevé.

2.1.1 L’influence du mode de transport et de l’accessibilité sur le coût de transport

Le modèle de base du choix résidentiel suppose un moyen de transport unique auquel tous les ménages ont accès quel que soit leur niveau de revenu. Or, cette hypothèse ne reflète pas la réalité puisque déférents moyens de transport peuvent être utilisés pour parcourir la distance domicile – travail (bus, marche à pied, deux – roux motorisé ou non, voiture, train, métro, tramway,…). Par conséquent, le coût de transport (monétaire et temporel) varie selon le moyen de transport utilisé. De plus, les individus n’ont pas un

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accès identique à chacun de ces moyens de locomotion. Le taux de motorisation des ménages pauvres est plus faible que celui observé auprès des ménages riches (Orfeuil, 2004)1. Les ménages aisés rejoignent d’avantage leur lieu de travail en voiture que les ménages modestes. Les transports en commun ou les deux – roux sont davantage utilisés par ces derniers, comme modes alternatifs à la voiture.

De même, les développements et les innovations, qu’a connus le domaine des transports depuis la fin du XIX siècle, avaient une influence sur les choix de localisation résidentielle des ménages (Le Roy et Sonstelie, 1983)2. En effet, l’existence de deux modes de transport alternatifs (la voiture et la marche à pied) caractérisés par des coûts financiers et temporels différents implique une ségrégation sociale de l’espace. La voiture étant un mode de transport rapide mais cher, elle est davantage utilisée par les ménages riches. D’une part, leur revenu leur permet d’acquérir et d’entretenir une voiture. D’autre part, l’usage de l’automobile permet de raccourcir le temps de transport comparativement à la marche à pied, ce qui valorise davantage un ménage aisé3.

Selon Le Roy et Sonstelie (1983)4, l’usage de la voiture, privilège des riches pendant les années 1950, expliquerait alors leur migration résidentielle vers la banlieue américaine. Avec la démocratisation de l’automobile, les populations les moins aisées ont pu à leur tour migrer vers la périphérie de la ville. Le schéma résidentiel se modifie donc au gré de l’évolution du cycle de vie des technologies de transport.

Le choix de la localisation est aussi influencé par l’accessibilité au centre (aux emplois, aux infrastructures de transport…), définie comme la facilité avec laquelle les individus rejoignent le lieu de travail5. Ainsi, un lieu de résidence situé en périphérie est rendu plus attractif par la proximité d’infrastructures autoroutières ou du moins de voies rapides, de gares ou de station de bus. Le temps de transport est alors réduit. A l’inverse, le risque de congestion des transports constitue une externalité urbaine négative dont les ménages vont tenir compte pour déterminer leur localisation résidentielle. Goffette-Nagot,

1 Orfeuil . J-P, (2004), Op.cit.

2 Leroy, S.F. et Sonstelie, J. (1983), « Paradise Lost and Regained : Transportation Innovation, Income, and

Residential Location », Journal Of Urban Economics, n° 13, pp. 67-89.

3

Comparativement aux ménages pauvres, le temps que passent les ménages à hauts revenus dans les transports implique un coût d’opportunité plus élevé.

4 Le Roy et Sonstelie, (1983), Ibid.

5

Koenig G., (1974), Théorie économique de l'accessibilité urbaine, Revue économique, Volume 25, Numéro

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Thomas et Zenou (1998)1 invoquent cette externalité négative comme explication de la différence de localisation des populations riches entre Bruxelles et Paris. Selon ces auteurs, le fait que Paris rencontre plus de problèmes de congestion des transports que Bruxelles explique que les populations riches habitent au centre de Paris alors qu’à Bruxelles, elles résident en périphérie. Autrement dit, parce que leurs temps de transport sont allongés, les parisiens valorisent plus la proximité par rapport au centre que les bruxellois. L’importance de la notion de l’accessibilité implique le fait que l’éloignement d’un lieu par rapport au bassin d’emplois soit mesuré en termes physiques et temporels.

2.1.2 La modélisation du coût généralisé du transport

L’influence du coût temporel du transport sur la répartition spatiale des classes de revenus est notamment étudiée dans les modèles de Beckmann (1973)2 et Henderson (1985)3. Un modèle avec des coûts généralisés du transport a été proposé par Fujita (1989)4.

Pour introduire le coût associé au temps consacré au transport, deux modifications sont apportées au modèle simple. Le revenu du ménage est une fonction du temps de travail tel que : Y = w tw = w (ŧ - tl – bx) avec w : le salaire par unité de temps, ŧ : le temps

total disponible par période de temps (par exemple : par jour), tl : le temps de loisir, et pour

le déplacement : bx, où b est une constante qui représente le temps de déplacement par unité de distance. Le ménage va chercher à maximiser une utilité U (z,s,tl), ou z et s sont

les mêmes variables comme avant. On suppose que le coût de transport est linéaire T(x) = ax, où a est une constante qui représente le coût monétaire de transport par unité de distance. Ainsi, le choix résidentiel du ménage peut être représenté comme suit :

maxS,ˆ,‡,bÈ,bÉce, g, # g. %: e + :. g = + ŧ − tË− bx − ax et ŧ = Í+ # + j, (2.46) Le coût total du transport est tel que TT(x) = ax + w.(bx) , avec a est une constante

positive. w.(bx) et ax représentent respectivement les fractions temporelle et monétaire du coût du transport. La contrainte budgétaire peut, donc, s’écrire aussi sous la forme suivante :

1 Goffette-Nagot, F., Thomas, I. et Zenou, Y. (1998), « Localisation résidentielle et revenu des ménages :

Paris-Bruxelles », in Localisation des activités économiques : efficacité versus équité, Actes du 13e congrès des économistes belges de langue française, Charleroi, CIFOP, pp. 175-206.

2 Beckman M.J., (1973), « Equilibrium models of residential land use », Regional and Urban Economics,

n° 3, pp. 361-368.

3 Henderson J.V., (1985), Op.cit. 4

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+ŧ − tËT¿x = Rx. s + z

Etant donnée, cette nouvelle formulation du coût de transport, une augmentation du salaire a deux effets contradictoires. Le premier est plus le salaire des ménages augmente, plus ils sont attirés par les logements de la périphérie car les coûts de transport pèsent relativement moins lourds (effet mis en évidence dans le modèle standard). Le deuxième effet est plus le salaire des ménages est élevé, plus le coût d’opportunité du temps de transport augmente. Les perspectives d’économie sur le coût total du transport incitent, alors, les populations riches à se localiser près du centre ville, d’autant plus s’il y a congestion entre lieu de résidence et lieu d’emploi.

A cause de ces deux effets contradictoires, la localisation des riches par rapport aux pauvres est indéterminée à priori. Le choix entre la périphérie et le centre – ville dépendra alors de la comparaison entre l’élasticité – revenu de la demande de logement et l’élasticité – revenu du coût marginal du transport.

En résumé, une augmentation du revenu conduit le ménage à préférer le centre de la ville si l’élasticité – revenu du coût marginal du transport généralisé est supérieure à l’élasticité – revenu de la demande de logement (la surface d’habitation).

Ainsi, de la contrainte temporelle, on déduit tw = ŧ – tl – bx. On définit le revenu

salarial potentiel Iw(x) ≡ w (ŧ – bx) et le revenu net potentiel I(x) ≡ Iw(x) – ax. On fait

l’hypothèse que le coût du loisir est égal au taux de salaire (son coût d’opportunité). Maintenant, le programme de maximisation (2.46) devient :

maxS,ˆ,‡,bÈ,ce, g, # g. %: e + :. g + +# = 

La rente d’enchères va être définie comme :

r, ‹ = max‡,b È Ž

 − Ïg, #, ‹ − +#

g Ð

où Ïg, #, ‹ est la solution de l’équation cg, #, e = ‹.

Ces conditions indiquent que le choix optimal nécessite un taux marginal de substitution entre chaque paire de biens égal au ratio des prix correspondants (rappelons que le prix du z est unitaire).

On définit, ainsi, l’élasticité revenu potentiel net de la demande de sol η et l’élasticité croisée de la demande de sol au prix du loisir ε comme suit :

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Ñ = ugu .g i = ugu+ .g+

Deux conclusions sont tirées de ces élasticités en fonction des coûts monétaires de transport :

La première, si ces coûts sont positifs (a>0) alors :

- Si η + ε ≥ 1, la localisation d’équilibre du ménage est plus éloignée du centre pour des salaires plus élevés ;

- Si 0 ≤ η + ε ≤ 1, dans un premier temps l’augmentation des salaires détermine une localisation vers la périphérie, mais après un certain seuil pour le taux de salaire, toute augmentation des salaires va conduire les ménages à se localiser plus prés du centre.

Selon cette conclusion, on va trouver au centre de la ville les ménages avec des revenus bas et en même temps les ménages avec des revenus élevés, et vers la périphérie les ménages avec des salaires moyens. Ce schéma est souvent retrouvé en Amérique du Nord. Comme le montre Wheaton (1977)1 dans son étude sur certaines villes des États – Unis que η + ε est considérablement moins que l’unité.

De même, Cavailhès (2005), en observant l’espace urbain français (hors agglomération parisienne et quelques grandes aires urbaines françaises) trouve que « la localisation en centre ville des ouvriers est plus attachée à l’accessibilité qu’à la surface de leur logement, et à l’inverse, la préférence pour la périphérie des cadres plus soucieux de disposer de place »2.

La deuxième, si les coûts monétaires de transport sont nuls (a = 0) alors :

- Si η + ε > 1, les ménages avec des revenus salariaux élevés vont se localiser vers la périphérie de la ville ;

- Si η + ε < 1, plus les revenus salariaux sont élevés, plus les ménages vont habiter vers le centre de la ville ;

- Si η + ε = 1, le taux de salaire n’affecte pas la localisation.

1 Wheaton W.C., (1977), « Income and Urban Residence: an Analysis of Consumer Demand for Location »,

American Economic review, Vol. 67, n°4, pp. 620-631.

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En Europe et aux Etas – Unis, cette conclusion est inapplicable, parce que les coûts monétaires de transport ne sont pas négligeables. Toutefois, au Japon, ces coûts sont souvent payés par les employeurs (a = 0) et, donc, cette conclusion nous aide à expliquer la tendance générale dans la plupart des villes japonaises à une concentration des ménages plus riches vers le centre (η + ε < 1 est habituellement vérifiée) (Fujita, 1989)1.

Finalement, il nous apparaît que la diversité des modes de transport et l’accessibilité au centre (emplois, infrastructures de transport…) ont une influence sur le coût généralisé du transport en termes monétaires et temporels. Le niveau de ce coût généralisé de transport impacte le choix résidentiel des ménages. En effet, un coût de transport important pèse sur le revenu des ménages ; ceci va les pousser à arranger leur choix résidentiel en fonction de leurs revenus nets.

En conséquence, les politiques de transports urbains, qui favorisent l’un des modes de transport (par exemple le transport en commun ou la voiture particulière) ou qui améliorent l’accessibilité d’un lieu centrique ou périphérique par la construction d’une nouvelle infrastructure ou l’augmentation de la capacité de celle existante, contribuent à former des structures sociales stratifiées dans l’espace urbain en fonction du revenu.

2.2 Les modèles avec différenciation des revenus et composition des