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III- La pauvreté et la déprivation sociale

1. Définitions de la pauvreté

Les approches étudiant la pauvreté se focalisent sur les groupes d’individus « défavorisés ». Ces individus ne se distinguent pas du reste de la population de par leur « identité » propre, mais simplement parce que, du point de vue de leur niveau de vie, ils sont plus mal lotis que le reste de la population.

D’ailleurs, une définition européenne a été adoptée au Conseil européen de décembre 1984. Ainsi sont considérées comme pauvres «les personnes dont les ressources (matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l’État membre où elles vivent». Bien que cette définition ne soit guère directement opérationnelle, on notera qu’il y est fait référence à une pluralité de ressources (et non au seul revenu monétaire), qui ne permettent pas d’atteindre un minimum en termes de conditions de vie définies au niveau de chaque État.

Un examen approfondi des travaux des économistes et des sociologues pour mesurer la pauvreté conduit à retenir plusieurs approches1 :

– une pauvreté « monétaire » caractérisée par une insuffisance de revenus, approche privilégiée dans la plupart des travaux et notamment dans les comparaisons internationales; – une pauvreté « d’existence » caractérisée par l’absence de biens d’usage ordinaire ou de consommations de base ;

1

Glaude .M, (1998), « La pauvreté, sa mesure et son évolution », in Conseil d'Analyse Économique,

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– une pauvreté « subjective » reposant sur la propre perception qu’ont les ménages de l’aisance dans laquelle ils vivent ou de l’écart entre leur revenu et le minimum nécessaire ;

– on peut enfin compter les pauvres comme ceux qui perçoivent une aide dont un des objectifs est de lutter contre la pauvreté, c’est l’approche « administrative ».

Ainsi, un individu est considéré comme pauvre s'il fait partie du groupe des individus qui, dans une société et à un instant donnés, disposent d'un bien-être inférieur à un certain seuil critique. Ce seuil est le niveau de bien-être minimal qu'il est nécessaire de détenir, dans ce contexte social particulier, pour jouir d'une vie décente. Dans ce cadre, le niveau de pauvreté d'un individu identifié comme pauvre est une fonction de l'écart entre son bien- être et le seuil critique. Cette approche de la différenciation sociale met donc bien l'accent sur le groupe des individus défavorisés (parfois abusivement qualifiés "d'exclus"), car dès lors que leur niveau de vie dépasse le seuil critique, les individus sortent de la pauvreté et de sa mesure. Une définition fondatrice de la notion de pauvreté est donnée par Townsend : « On dit qu'au sein de la population des individus, des familles et des groupes sont en situation de pauvreté quand ils manquent des ressources nécessaires pour obtenir le type de régime alimentaire, pour participer aux activités et bénéficier des conditions de vie et des aménités qui sont habituels, ou du moins largement encouragés et approuvés, dans la société à laquelle ils appartiennent. Leurs ressources sont tellement inférieures à celles de l'individu ou de la famille moyens qu'ils se trouvent, de facto, exclus des schémas de vie, coutumes et activités ordinaires 1».

Sur la base de cette définition générale, deux conceptions concurrentes de la pauvreté s'opposent. Elles se distinguent par la façon dont on détermine le seuil critique qui permet de tracer la ligne entre pauvres et non-pauvres. Si l'on privilégie une approche "absolue" de la pauvreté, le seuil de pauvreté ne dépend pas de la distribution des niveaux de bien-être dans la société. Il est mesuré en termes des besoins minimaux qu'un individu doit satisfaire pour survivre du point de vue de la biologie (approche par les besoins physiologiques) ou pour mener une vie "décente" dans la société dans laquelle il est inséré (approche par les

1 Townsend P., (1979), Poverty in the United Kingdom: A Survey of Household Resources and Standards of

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besoins sociaux). Cette approche pose le problème de l'instance qui doit légitimement fixer ce seuil ainsi que des critères qu'elle doit retenir pour ce faire1.

La conception "relative" de la pauvreté a progressivement pris une place de plus en plus importante dans la littérature, dans le sillage des travaux de Townsend (1962)2 et de Sen (1976)3. Si l'on retient une approche "relative" de la pauvreté, le seuil critique n'est pas établi en se fondant sur des éléments extérieurs à la base d'informationde la pauvreté elle- même : le seuil critique ne dépend que de la distribution statistique de la base d'information du bien-être individuel4. Par consensus, on considère qu'un individu est pauvre si son niveau de bien-être est inférieur à la demi-médiane des niveaux de bien-être de la population dans laquelle il est inséré5.

Une telle approche peut paraître discutable dès lors que la distribution du bien-être est très régulière (comme c'est le cas pour le revenu). Cependant, l'adopter permet d'évacuer la question de l'arbitraire du choix d'un seuil critique "absolu". Il reste que le groupe des "pauvres" ainsi identifiés devrait peut-être en toute rigueur être plutôt qualifié de "défavorisé".

Dès lors que l'on se place dans un cadre où la base d'information du bien-être est multidimensionnelle, nous préférons substituer le terme de "privation" à celui de "pauvreté" afin d'éviter ses connotations monétaires. En cela, nous reprenons le vocabulaire utilisé dans la littérature où l'appréciation du bien-être individuel s'effectue à l'aide de l'approche par les capabilités d'A. Sen.

1

Pour une discussion de ces difficultés voir Fleurbaey M. et al, (1997), « Mesurer la pauvreté ? » Economie

et statistique, n° (308-309-310), pp: 23-33.

2

Townsend .P, (1962), « The meaning of poverty », The British Journal of Sociology, Vol.13, n° 3, pp: 210- 227.

3

Sen A. K., (1976), « Poverty : an ordinal approach to measurement », Econometrica, n° 44, pp.219-231

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Il faut insister sur le fait qu'ici le caractère relatif ou absolu de la pauvreté dépend du caractère relatif ou non du seuil qui fixe, au sein de la distribution des niveaux de vie, la frontière entre les individus considérés comme pauvres et ceux qui ne le sont pas. Cela dit, que ce seuil soit absolu, c'est-à-dire fondé sur une base extérieure à la distribution des niveaux de vie ne garantit en aucun cas qu'il ne soit pas relatif à la société dans laquelle évoluent les individus. Cela est évident dès lors que l'on privilégie une approche par les besoins sociaux, mais cela vaut également pour les approches par les besoins physiologiques. En effet, même si l'on souhaite s'en tenir à une simple conception "vitaliste" de la pauvreté, toute tentative d'apprécier la satisfaction des besoins physiologiques des individus devra prendre en compte la diversité des ressources disponibles, diversité qui varie selon l'époque et la culture. Si on donne au mot "relative" un sens différent de celui qui est le sien en économie de la pauvreté, et que par "relatif" on entend "contingent à un contexte social donné", il ne peut y avoir de toute façon, en toute rigueur, que des approches "relatives" de la pauvreté.

5 Dans un même ordre d'idées, on peut également fixer a priori le % d'individus que l'on considèrera comme

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2. Définition de la déprivation sociale

Par contraste, la notion récente de déprivation sociale prolonge le concept de pauvreté relative1. Selon la définition initiale de la déprivation sociale, l'intensité de la déprivation d'un individu est, en effet, évaluée comme une fonction de l'écart entre son niveau de bien-être et l'ensemble des niveaux de bien-être des individus plus favorisés. Bossert, d'Ambrosio et Peragine (2007)2 ont récemment discuté et complété cette première définition. Ils ont donné des bases axiomatiques à la mesure de la déprivation. Selon ces auteurs, la déprivation sociale, phénomène multidimensionnel et dynamique, dépend de deux éléments : l'intensité de l'aliénation et le manque d'identification. La mesure de l'aliénation d'un individu est une fonction de l'écart entre son niveau de vie et celui des individus mieux lotis que lui. En cela, elle correspond à la mesure standard de la déprivation. De plus, ces auteurs estiment que le niveau de déprivation sociale d'un individu doit également dépendre de sa capacité à s'identifier aux autres membres de la société. Ils proposent de mesurer ce niveau d'indentification à l'aide d'une fonction croissante du nombre d'individus dont le niveau de vie est au plus aussi bon que celui de l'individu considéré : plus le nombre de moins bien lotis que lui est élevé, plus un individu aura le sentiment d'occuper une position valorisée par la société quel que soit l'écart cumulé avec ceux qui sont mieux lotis que lui.

Une telle formalisation met, donc, en doublement l'accent sur les perceptions de l'individu, ce qui la distingue à nos yeux très nettement de la notion de pauvreté. De plus, cette caractéristique la rapproche de la notion d'exclusion sociale, même si elle n'en assume toutefois pas la dimension d'agence. Ainsi, Bossert, d'Ambrosio et Peragine (2007) établissent un lien étroit entre déprivation et exclusion sociale :

« L'exclusion sociale d'un individu se manifeste par son manque d'accès aux fonctionnements relatifs et persistants par rapport aux autres membres de la société, et nous le modélisons comme une situation de déprivation durable » 3.

Finalement, nous avons défini les deux notions de la pauvreté et la déprivation sociale. Cette dernière n’est qu’un prolongement de la notion de la pauvreté relative. Il

1 Fleurbaey M. et al, (1997), Op.cit.

2 Bossert W., D’ambrosio C. et Peragine V., (2007), « Deprivation and social Exclusion », Econometrica,

Vol. 74, pp. 777-803. 3

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convient maintenant d’examiner la relation qui peut exister entre la pauvreté et les transports urbains.