• Aucun résultat trouvé

Les facteurs macroscopiques responsables des mutations de la messagerie

Chapitre 2. Le segment de la distribution de colis en ville : des familles d’acteurs en recomposition rapide

2.1 La distribution de colis, un segment autonome d’une messagerie en recomposition

2.1.1 Les facteurs macroscopiques responsables des mutations de la messagerie

L’écosystème dans lequel est insérée la messagerie de colis subit de profonds et rapides changements qui obligent cette dernière à se recomposer.

La « nouvelle révolution commerciale » et la figure du destinataire

Parmi les nombreux facteurs d’ordre macroscopique, la « nouvelle révolution commerciale » amorcée durant les années 1980 en France, qui traduit l’adaptation des pratiques de consommation des français à un « capitalisme immatériel » et à une société post-moderne (Moati P., 2011), a fait émerger depuis une dizaine d’années de nouveaux modes d’achat des consommateurs. Ceux-ci bouleversent la distribution urbaine en faisant peser des enjeux organisationnels et logistiques sur la livraison des colis en zone urbaine. Les tendances transversales de la révolution commerciale peuvent être résumées par la figure centrale du client, un besoin accru de personnalisation, le

45 triomphe d’une économie servicielle ou le règne du temps et de l’espace du loisir sur ceux de la corvée au cœur d’une mobilité urbaine multiformes (PIPAME, 2009a ; Moati P., 2009, 2011 ; Gasnier A., 2007). Elles sont en outre marquées par une désaffection des consommateurs pour la grande distribution malgré les stratégies de « réenchantement » et de personnalisation mises en place par les distributeurs (Moati P., 2009). S’exerce alors un double mouvement au profit, à la fois, des commerces de proximité et de l’achat en ligne.

L’utilisation renforcée des NTIC à toutes les étapes du processus d’achat, « électronisation » des fonctions commerciales (Rallet A., 2001) et l’avènement d’un nouveau canal de vente de détail par Internet appelé e-commerce ont également renouvelé le commerce traditionnel et réinventé la vente à distance. La percée de l’achat mobile (via le smartphone) ou encore l’utilisation d’autres périphériques, comme la télévision connectée, se présentent comme de nouvelles tendances que les enseignes et les professionnels de la logistique doivent surveiller de près. De plus, à la croisée du commerce physique et du commerce virtuel, se dessinent les comportements multicanal et cross- canal du consommateur. Il s’agit de l’utilisation des différents canaux de distribution en synergie pour toutes les étapes du processus d’achat – information, commande, livraison, retrait, SAV, etc. – (Poirel C., Bonet Fernandez D., 2008). Ce phénomène d’ « hybridation » des différents canaux de distribution et d’achat constitue un enjeu majeur pour les années à venir (Rallet A., 2005) qui va venir déborder l’acte d’achat pour interroger également la livraison. En effet, ce phénomène se traduit par une multiplication des points de stockage et d’achat (du plus classique : l’entrepôt, le magasin, la boîte à lettres, le relais ; au plus nouveau : le comptoir de retrait click and collect, la consigne, etc.) qui exigent une gestion intelligente des flux de livraison entre ces espaces, et vers le destinataire. La livraison devient protéiforme.

Dans le même temps, le besoin de proximité et de praticité des consommateurs, dans un contexte de pressions environnementale et énergétique, fait naître des stratégies de retour vers le centre-ville de la part des enseignes de la grande distribution (PIPAME, 2009a ; Moati P., Jauneau P., Lourdel V., 2010) ou encore des nouveaux concepts de livraison tels les points-relais et les consignes automatiques.

Ces nouveaux modes d’achat s’accompagnent d’une demande logistique renouvelée et qui se complexifie. Les maîtres mots sont désormais rapidité, facilité et fiabilité de la livraison ou encore proximité, qu’elle soit spatiale ou temporelle. La commande sur Internet désynchronise ou propose une nouvelle synchronisation de la chaîne logistique – commande, préparation de commande, livraison – dans laquelle le délai de livraison tend à être toujours plus court. La livraison doit être aisée et sans rupture sur le modèle de l’expérience d’achat sans couture proposée par Internet, du click initial de la souris au règlement de la commande. Les nouveaux modes d’achat se traduisent par

Chapitre 2 Le segment de la distribution de colis en ville : un jeu d’acteurs en recomposition rapide

46 une fragmentation des envois, une augmentation du nombre de colis expédiés et des fréquences qui font pression sur les organisations logistiques, de la chaîne de tri au véhicule de livraison.

Recevoir un colis est devenu en quelques années un non-évènement et bien plus une commodité dans la pratique d’achat des particuliers. Autrefois tirée par le B2B, la livraison des colis ne peut plus ignorer le destinataire-particulier. Et, fait nouveau et notable, ce destinataire influence également beaucoup la livraison, voire impose son choix.

Certaines évolutions du secteur du colis sont dictées par la convergence (similarité) grandissante des besoins et exigences logistiques des particuliers et des professionnels vis-à-vis de la vitesse de livraison, de la qualité de service et de la fiabilité (Ducret R., 2013). Les acteurs rencontrés ont illustré et expliqué ce phénomène. Ainsi, un dirigeant de Coliposte33 explique que les flux bien différenciés de B2B et B2C sont en train d’évoluer vers une certaine similarité qui place en bonne position un acteur présent sur les deux activités. Globalement, le niveau d’exigence de la demande augmente. Les prestataires de la distribution pouvaient proposer il y a encore quelques années des services différenciés en fonction du destinataire dans le cadre d’une division traditionnelle de la messagerie (de l’express garanti et suivi pour les professionnels et du colis ordinaire en 48h ou 72h pour les ménages). Mais les consommateurs sont devenus aussi exigeants que les entreprises, notamment en ce qui concerne la vitesse et la précision de la livraison, le délai se réduit et la fiabilité est surveillée de près, rapprochant les attendus de ceux des entreprises. Ainsi, les différences entre messageries express et ordinaire sont progressivement gommées. Les acteurs du colis se doivent alors de proposer des organisations logistiques et des services pour livrer avec succès leurs deux types de clients avec le même niveau de qualité.

De plus, si les acteurs de l’express ont été longtemps associés presque uniquement aux entreprises, ils doivent actuellement compter avec un nombre croissant de consommateurs individuels à livrer. Les clients traditionnels des expressistes du colis ont commencé à développer leur activité sur Internet à destination, non plus seulement des entreprises, mais également des particuliers et ce, en complément de leurs activités traditionnelles. Cet élargissement des aires de marché (Savy M., 2008) se traduit par une augmentation des flux B2C sur des chaînes quasi exclusivement B2B. Ainsi, Chronopost en 2012 faisait état d’une croissance de 10% en volume, très majoritairement due aux flux B2C, quand DHL expliquait que la répartition classique de ses activités (90% B2B et 10% B2C) était en train d’évoluer en défaveur du B2B et de monter à 20% pour le B2C. L’exemple d’Exapaq est identique : entre 2010 et 2012, les flux B2C seraient passés de 5 à 10%34. Or,

33 Source : entretien Coliposte, juin 2012

47 livrer le consommateur final est bien plus difficile que livrer une entreprise ou un professionnel. Les échecs de livraison sont plus nombreux et obligent à une mise en instance35 ou une seconde livraison coûteuses, les zones résidentielles sont plus contraintes que les zones industrielles du point de vue de la livraison, les chargements ne sont pas toujours optimisés, etc. Les prestataires de la distribution doivent donc adapter leurs organisations logistiques pour réussir les deux types de livraison.

Autres facteurs d’explication

Un autre élément de compréhension des mutations de la messagerie réside dans la croissance du e-commerce transfrontalier (FTI Consulting, 2011 ; ACSEL, 2012). Pour les acteurs de la distribution de colis, ce relais de croissance est également un défi. La livraison est identifiée comme le goulet d’étranglement du e-commerce cross-border. Les prix, la qualité de service, le suivi et l’information au destinataire ainsi que la gestion des retours doivent être également améliorés. L’objectif est de proposer une livraison sans couture qui prenne en compte les différentes réglementations des pays traversés et harmonise technologies et techniques. En outre, le potentiel économique de ce marché unifié n’a pas échappé à la Commission européenne qui a lancé en 2012 une consultation pour évaluer l’opportunité d’une régulation européenne de la livraison des colis, bientôt suivie dune feuille de route en novembre 201336. La Commission européenne a pour objectif d’améliorer la fiabilité et la qualité de la livraison aux particuliers et d’agir sur le prix et l’information, de proposer des solutions de livraison du dernier kilomètre standardisées, de promouvoir l’interopérabilité des outils entre les différents acteurs du marché, de standardiser le contenant colis, etc. (Commission Européenne, 2012 ; WIK-Consult, 2014). Les conséquences pourraient être nombreuses pour les messagers.

Des facteurs d’ordre démographique et social jouent également un rôle moteur dans l’évolution de la messagerie de colis en renforçant la demande de livraison (OCDE, 2003). Les structures familiales françaises évoluent (nombre et structure de ménages). Nous observons un phénomène d’atomisation de la famille nucléaire dont le modèle dominant est remis en cause par celui des familles monoparentales ou recomposées en augmentation. Globalement la société française est marquée par une décohabitation des individus qui ne vivent plus longtemps sous le même toit. Ces phénomènes affectent les pratiques de consommation entraînant notamment une

35 La mise en instance d’un colis correspond à une situation où le destinataire étant absent ou le colis ne

pouvant être mis dans la boîte, celui-ci est déposé dans un lieu où le destinataire est invité à venir le retirer dans un délai convenu.

36 Roadmap disponible à l’adresse suivante : <http://ec.europa.eu/smart-

Chapitre 2 Le segment de la distribution de colis en ville : un jeu d’acteurs en recomposition rapide

48 augmentation des achats par Internet et le recours à la livraison à domicile. Il s’accompagne d’une féminisation du travail et d’une diminution du nombre de personnes au foyer qui peut également être un enjeu pour la livraison (Guggemos F., Vidalenc J., 2013). Même si la structure de la population reste relativement stable grâce à un taux de fécondité assez élevé, la population française, comme celle de nombreux pays développés, est marquée par les phénomènes démographiques de vieillissement et d’allongement de la durée de vie qui entraînent une hausse des effectifs des 65-74 ans (Robert-Bobée I., 2006). Ce phénomène s’accompagne d’une augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, potentiellement à mobilité réduite, et d’un mouvement de maintien à domicile de ces dernières. Ces évolutions entraînent le développement de services afférents où le e- commerce des « silver surfers37 » devient un enjeu majeur et l’érection d’une société du « care» (soin) où la livraison pourrait tenir une place grandissante.

Enfin, l’augmentation constante de la mobilité humaine est un autre défi posé à la livraison urbaine. La société française est très mobile, qu’il s’agisse d’une mobilité résidentielle et surtout quotidienne (domicile-travail) ou encore d’une mobilité pour motif de loisir. La double mobilité des hommes et des biens fait émerger de nouveaux enjeux pour permettre à la livraison d’aboutir auprès du destinataire.

Outline

Documents relatifs