• Aucun résultat trouvé

De la prise en compte des caractéristiques spatiales des territoires urbains pour définir des organisations logistiques urbaines adéquates

Conclusion intermédiaire –Partie 1 – et transition

Chapitre 4. Mettre au jour et comprendre l’influence du territoire sur la livraison urbaine pour améliorer la distribution en ville

4.2 De la prise en compte des caractéristiques spatiales des territoires urbains pour définir des organisations logistiques urbaines adéquates

Convaincue de l’influence des caractéristiques spatiales du territoire urbain sur l’organisation de sa distribution et ayant constaté le faible développement de la recherche sur cet axe, notre thèse souhaite replacer le territoire au centre d’une compréhension du fret urbain et valoriser les liens qui unissent logistique urbaine et espace géographique pour favoriser des organisations logistiques et des réglementations plus efficientes, adaptées et acceptées.

Chapitre 4. Mettre au jour et comprendre l’influence du territoire sur la livraison urbaine pour améliorer la distribution en ville

136

4.2.1 Mobiliser la géographie : ville, territoire et espace géographique urbain, quelques

définitions

Nous souhaitons mettre en exergue la façon dont la ville influence l’organisation du fret urbain et la distribution de colis ou comment deux entités spatiales interagissent et se modèlent en réponse. Pour cela, nous avons fait appel à la géographie, discipline des sciences humaines et sociales, dont l’objet d’étude est l’espace, dans ses rapports avec la société et qui se présente comme l’étude « de l’organisation et du fonctionnement du ou des territoires », des « modalités territoriales de fonctionnement d’une société » (Scheibling J., 1998, 146, 142) et de ses « jeux spatialisés » (Moine A., 2006, 122). Il existe une géographie des transports, qui s’intéresse aux déplacements d’hommes et de marchandises dans leurs relations avec l’organisation de l’espace, dans laquelle nous espérons pouvoir puiser des ressources pour mener à bien cette étude des relations entre le transport de marchandises en ville et son environnement urbain (Taaffe, E. J., Gauthier, H.L., and O’Kelly, M.E., 1996 ; Bavoux J-J., Beaucire F., Chapelon L., Zembri P., 2005; Rodrigue J.P., Comtois C., Slack B., 2006, etc.).

Les concepts de ville et urbain sont questionnés par la géographie depuis des décennies : la thèse n’a pas pour objectif d’entrer dans ce débat (Pumain D., Paquot T., Kleinschmager R., 2006 ; Choay F., Merlin P., 2009 ; Hertzog A., 2010, etc.). Nous entendons par urbain le continuum allant du « milieu urbain », de la ville centre dense et de ses banlieues et faubourgs proches au « milieu périurbain » constitué des périphéries et franges périurbaines nées de l’étalement urbain et de la périurbanisation (Damette F., Scheibling J., 2011). Nous traitons de manière résiduelle de l’espace rural. Quoique l’urbain « outrepasse » la ville, nous avons déjà utilisé dans ce manuscrit, et continuerons à utiliser, ville et territoire urbain de manière indifférenciée et pour couvrir une même réalité qui transgresse les frontières administratives et oblige à penser les enjeux urbains à une échelle plus petite69.

Pour nous aider à étudier les liens complexes entre une activité qui s’appuie sur l’espace – la distribution – et son support ou espace géographique – la ville –, nous mobilisons la notion de territoire du géographe.

69 Comme le géographe nous parlerons de petite échelle pour une vision large du territoire et de grande échelle

137 Un territoire est un espace géographique sur lequel se déploie une organisation spatiale et des constructions territoriales, issues des actions de la société pour s’y développer, qui témoignent du fonctionnement de la société et de son rapport à l’espace. Un territoire est un tout complexe car il est doté de différentes dimensions, naturelles et anthropiques : des caractéristiques physiques, une forme, une localisation, des contraintes, des atouts, des constructions spatiales (réseaux de transport ou de villes, frontières, etc.), un profil fonctionnel (fonctions et activités économiques). Il est également pourvu d’une « organisation du pouvoir » qui traduit le cadre dans lequel la société s’est approprié l’espace et de représentations de la société sur son territoire qui participent à l’organisation spatiale. Enfin, il est dynamique : son étude ne peut faire l’économie d’une approche historique (Scheibling J., 1998).

Pour appréhender cette complexité, le territoire peut être conceptualisé à travers la notion de système. Le système est « un tout composé de sous-systèmes, d’éléments, et surtout de relations multiples, notamment des boucles de rétroaction positives ou négatives, qui évoluent dans le temps» (Moine A., 2006, 120). Il évolue dans un environnement, cadre et partenaire (Beaujeu-Garnier J., 2006). Il est composé de trois sous-systèmes principaux, et qui renvoient à la définition précédente du territoire (Moine A., 2006) (figure 15):

 le sous-système de l’espace géographique/sous-système spatial utilisé, aménagé et géré par l’homme, où sont visibles les dynamiques territoriales du fonctionnement de la société et où se jouent des interactions entre les différents sous-systèmes qui le composent : le sous- système de l’espace naturel ou physique, le sous-système anthropisé (les constructions spatiales, les activités humaines et fonctions) et le sous-système de l’espace social (relations sociales spatialisées) ;

 le sous-système des acteurs qui agissent sur le territoire et le modèlent, médiatisé par une organisation du pouvoir et une régulation sociale ;

 le sous-système des représentations, « des filtres qui influencent les acteurs » (Moine A., 2006, 121).

Chapitre 4. Mettre au jour et comprendre l’influence du territoire sur la livraison urbaine pour améliorer la distribution en ville 138 Sous-système desreprésentations Sous -système

des acteurs Sous-système

spatial Etat entreprises collectivités territoriales société

civile espacenaturel institutions espace social espace anthropisé Influences extérieures Influences extérieures Influences extérieures Influences extérieures

R. Ducret. 2014. d’après Moine, 2006 Interactions

Figure 15- Organisation d’un système

La ville, en tant que territoire, est un système (Beaujeu-Garnier J., 2006). La figure 16 représente quelques éléments du système urbain. Le schéma est orienté d’un point de vue logistique et insiste sur les éléments du système urbain qui entrent en résonnance avec le fret urbain. La systémique a déjà été utilisée par des chercheurs en logistique urbaine pour expliquer que le TMV est issu de l’interaction de plusieurs éléments du système urbain (Routhier JL., 2002 ; Delaître L., 2008)

139 Figure 16- Le système urbain

Le sous-système de l’espace géographique urbain ou sous-système spatial peut être en partie appréhendé par le biais de réflexions sur la forme urbaine et la morphologie urbaine, concepts qui se prêtent à des analyses des flux et déplacements, comme nous l’avons vu avec les personnes (4.1.1).

Il n’y a pas de définition consensuelle de la forme urbaine (Le Néchet F., 2010), concept polysémique (Choay F., Merlin P., 2009). Elle peut être définie de façon large comme la structure

Chapitre 4. Mettre au jour et comprendre l’influence du territoire sur la livraison urbaine pour améliorer la distribution en ville

140 spatiale des activités humaines. Elle intéresse à la fois au bâti et à l’organisation spatiale, dans une approche multiscalaire (Le Néchet F., 2010).

« La morphologie urbaine est l’étude de la forme physique de la ville, de la constitution progressive de son tissu urbain et des rapports réciproques des éléments de ce tissu qui définissent des combinaisons particulières, des figures urbaines » (Allain R., 2004, 5). Nées de l’homme, les formes sont en même temps des contraintes auxquelles les pratiques doivent s’adapter. Le système morphologique d’une ville est fait de trois composantes : (1) les éléments (le site de la ville qui reprend des éléments physiques en combinant topographie, hydrographie et végétation, le plan à différentes échelles, le maillage des voies à différentes échelles, le parcellaire ou découpage en lots, le bâti ou encore l’utilisation du sol), (2) l’organisation des éléments entre eux (aussi appelée structure) et enfin, (3) les logiques et moyens qui participent à la construction de la forme urbaine (Allain R., 2004).

Ces notions empruntent aux urbanistes, aux géographes, aux historiens et aux architectes. Elles permettent de proposer une approche « interne » de la ville ou de ses contours, de saisir la ville dans le détail de ses formes, à toutes les échelles et selon différents critères (figure 17).

R. Ducret, 2014. D’après Stead, Marshall, 2001; Ewing, Cervero, 2001. - situation de la ville/ de l’aire urbaine

(réseau de villes) - site

- forme du développement urbain (étalement urbain, forme linéaire, auréolaire, etc.)

- plan de l’aire urbaine (monocentrique, multipolaire)

- infrastructures de transport (plan, accessibilité, connexité, etc.) - taille de la ville/ de l’aire urbaine - uilisation du sol (répartition de la population, des activités) - plan de la ville (zones, quartiers)

- maille, environnement bati (type de bâti, type d’habitat, aménagements urbains, etc.)

- maillage de détail (structure des rues, profil de voies, plan du réseau)

Petite échelle

Grande échelle

141 L’approche par la forme est indissociable d’une approche par les fonctions urbaines, économiques notamment. Car, dans un système, fonctions et formes se répondent et s’influencent mutuellement, sans déterminisme (Allain R., 2004). Industrie, services, commerces, transport sont des fonctions urbaines, tout comme le fret urbain et la distribution urbaine de colis. Ce sont des activités économiques qui se nourrissent et sont au croisement de l’espace naturel, des constructions humaines sur le substrat physique (les infrastructures de transport, le réseau logistique, l’urbanisme commercial, le type d’habitat, etc.), de la réglementaire urbaine et des jeux des acteurs (institutionnels, consommateurs-citoyens, professionnels du transport et de la logistique et autres parties prenantes de la ville et de ses activités). Au croisement de ces influences s’épanouissent les organisations logistiques et techniques de la distribution urbaine de colis et des stratégies d’entreprises à plusieurs échelles que nous avons mises au jour dans la Partie 1.

Considérer une ville comme un territoire urbain et un système nous permet de mieux rendre intelligible la complexité des relations entre les différentes fonctions qui se déploient dans l’urbain, et ses sous-systèmes. L’espace géographique de la ville, ses formes et ses aménagements produisent des effets sur les organisations d’acteurs et les organisations spatiales des fonctions urbaines, et réciproquement (Moine A., 2006 ; Scheibling J., 1998). Les acteurs, guidés par des représentations de la ville, agissent sur l’organisation spatiale du territoire urbain et indirectement sur l’organisation des fonctions urbaines. Ainsi, nous pouvons dire que la ville dans toutes ses dimensions (espace naturel, formes construites, acteurs et représentations) influence les organisations spatiales des acteurs de la distribution urbaine de colis.

L’analyse systémique permet en outre de penser les enjeux du fret urbain dans leur écosystème, de décloisonner pour envisager l’ensemble des conséquences et tous les effets annexes d’une mesure ou d’une organisation, d’insérer la logistique urbaine dans une nécessaire gestion globale de l’urbain (Wieser P., 2013).

L’utilisation des concepts et du vocabulaire de la géographie permet également de parler aux aménageurs et urbanistes et ainsi de les sensibiliser aux enjeux logistiques urbains. Enfin, c’est une façon concrète d’ouvrir la logistique urbaine à une discipline, la géographie, jusque-là restée en retrait dans le traitement de ces enjeux.

Chapitre 4. Mettre au jour et comprendre l’influence du territoire sur la livraison urbaine pour améliorer la distribution en ville

142

4.2.2 Faire émerger la connaissance empirique du territoire : entretiens dans dix-neuf

territoires urbains français

Par une enquête qualitative menée auprès d’un panel de vingt-quatre professionnels de la distribution, trente-et-un acteurs politiques locaux et neuf agences d’urbanisme dans dix-neuf villes françaises et associée à un travail de terrain dans ces mêmes villes, nous nous sommes donnés les moyens de vérifier, infirmer ou confirmer, de façon scientifique mais empirique, l’hypothèse de départ, à savoir que la ville influence l’organisation du fret urbain. Il s’agit d’en donner des exemples concrets et des éléments d’explication théoriques généralisables.

L’hypothèse principale –l’espace géographique urbain et le jeu des acteurs du territoire modèlent directement et indirectement les organisations logistiques – se décline en plusieurs éléments que nous souhaitons vérifier et détailler :

 la forme de la ville à petite échelle et son développement urbain ont des conséquences sur la distribution urbaine;

 le réseau d’infrastructure de transport, à toutes les échelles, conditionnent en partie la distribution ;

 le maillage de détail des villes à grande échelle et les aménagements urbains influencent la distribution urbaine ;

 les différents usages du sol entre fonction d’habitat et fonctions économiques ;

 le jeu des acteurs, notamment publics, et leurs représentations de la ville agissent directement et indirectement sur la distribution urbaine ;

 et enfin les profils fonctionnels différenciés des villes (les activités économiques et administratives ou encore culturelles) influencent les organisations logistiques ponctuellement ou plus durablement.

Nous avons étudié différents éléments des systèmes urbains en détail (le sous-système spatial et le sous-système d’acteurs) avec pour objectifs de déceler dans quelle mesure ils agissent sur la distribution, selon quels leviers et pour quels effets ainsi que la façon dont les acteurs professionnels y adaptent leur organisation logistique.

143 Trois éléments doivent être pris en compte pour réaliser un diagnostic territorial70 : l’espace naturel (ses contraintes et atouts et son influence sur l’organisation de l’espace géographique et les relations entre acteurs), l’organisation de l’espace géographique anthropisé (répartition des objets, forces et faiblesses de l’organisation, influence du contexte naturel, etc.) et l’organisation et les jeux des acteurs sur le territoire (Moine A., 2006). Nous nous sommes inspirés de cette démarche pour mener un diagnostic territorial du fret en ville.

Dans notre étude, le site et la situation de la ville, la forme de la ville, les phases de son urbanisation et son plan à différentes échelles, la localisation des activités, la morphologie urbaine, le maillage des voies, le réseau de transport, le type d’habitat, les aménagements urbains et le degré de prise en charge politique de la logistique urbaine ou encore le profil fonctionnel et les spécialisations économiques de la ville ont fait l’objet d’une analyse au prisme des organisations logistiques de la distribution urbaine.

Cette étude est le second apport théorique de la thèse au champ disciplinaire de la logistique urbaine.

Les dix-neuf villes choisies pour l’étude (pour dix-sept aires urbaines71) présentent des profils différenciés en matière d’organisation spatiale, de morphologie urbaine et en fonction de leur spécialisation fonctionnelle [Annexe 3]. La liste des villes étudiées est la suivante : Strasbourg, Montpellier, Lyon, Toulouse, Orléans, Besançon, Limoges, Angers, Marseille (aire urbaine de Marseille-Aix en Provence), Douai (aire urbaine de Douai-Lens), Toulon, Bayonne, Avignon, Aix en Provence (aire urbaine de Marseille-Aix en Provence), Calais, Lens (aire urbaine de Douai-Lens), Mâcon, Tours, Montbéliard.

Les soixante-quatre entretiens réalisés en 2013 s’appuient sur un panel représentatif et relativement équilibré entre trois types d’acteurs du fret urbain et de la gestion urbaine. Ils nous permettent de nous appuyer sur des données nombreuses et de qualité.

Les entretiens menés en 2012 pour comprendre le secteur de la distribution urbaine de colis [Annexe 2] ont complété sur certains points les soixante-quatre entretiens axés sur le lien territoire et TMV. Ainsi quatre-vingt-treize entretiens nourrissent notre étude.

70 Le diagnostic du territoire repose sur « une approche spatiale et organisationnelle du territoire étudié » et

« vise à répondre à des objectifs précis, (…) prendre en compte l’ensemble des contraintes qui s’appliquent au territoire (…) rendre compte d’un fonctionnement socio-éco spatialisé (…) à différentes échelles » (Moine A., 2006, 128)

71 Selon la définition de l’INSEE, une aire urbaine donne une image de l’influence d’une ville. Elle est composée

d’un pôle urbain et d’une couronne urbaine. Un pôle urbain est une unité urbaine d’au moins 1 500 emplois. La couronne correspond aux communes ou unités urbaines, dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans les communes attirées par celui-ci (Insee, 2011e).

Chapitre 4. Mettre au jour et comprendre l’influence du territoire sur la livraison urbaine pour améliorer la distribution en ville

144 Les acteurs rencontrés sont des professionnels du transport, des acteurs publics locaux et des experts du territoire (agences d’urbanisme) mais également des acteurs de la distribution de colis, des associations de professionnels du transport ainsi que des experts du transport au niveau national (études, stratégie, prospective). Le dialogue développé avec les professionnels de la distribution urbaine d’une part et les collectivités territoriales d’autre part est un des points fort de la thèse.

Pour ne pas surcharger le corps du manuscrit, nous avons placé en annexe la méthode de l’étude : le panel des acteurs rencontrés et le choix des villes « auditées », le questionnaire élaboré ainsi que la grille d’analyse et la méthode de terrain [Annexe 3]. Seuls les résultats feront l’objet des deux parties suivantes.

L’observation des organisations logistiques de la distribution urbaine donne au territoire urbain, dans sa dimension spatiale et actorielle, un pouvoir d’influence sur la logistique. Pour autant, la recherche, qu’il s’agisse du champ de la logistique urbaine ou des sciences de l’espace, n’a pas approfondi cette assertion, contrairement aux travaux pléthoriques mené sur les liens entre forme urbaine, morphologie urbaine et transport de personnes.

Toutefois, nous sommes convaincus qu’une meilleure connaissance des logiques du TMV et de la distribution urbaine de colis au travers des organisations spatiales urbaines peut apporter aux organisations logistiques et aux réglementations du fret urbain en favorisant l’adaptation à un environnement bien compris, dans une optique de durabilité et d’efficience. Le rapprochement de la géographie et de la logistique urbaine devrait permettre d’étudier le lien TMV-territoire et de prouver les avantages de sa prise en compte.

La suite de cette seconde partie se propose de vérifier l’influence des différentes composantes spatiale, organisationnelle et actorielle du système urbain sur la distribution urbaine et d’apporter un socle théorique qualitatif. Nous allons interroger les leviers des interactions territoire-TMV et leurs effets sur l’organisation de la distribution. Des exemples concrets observés dans les villes étudiées vont étayer l’analyse.

145

Outline

Documents relatifs