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Les fêtes, un moment tour à tour déclencheur et occasion d'acquisition

A travers les entretiens, un certain nombre de téléviseurs arrivant dans les foyers sous forme de cadeau sont recensés. Le contexte de l’offre permet de légitimer l’acquisition. Les études sur la télévision se consacrent essentiellement aux programmes.

Bien que l'intérêt qui lui est porté ici ne concerne que l'objet en lui-même, c'est-à-dire son enveloppe et non ce qu'il diffuse, l'impact de la représentation des programmes, ce qui en véhicule intervient dans les réflexions autour de l'acquisition et de la transmission de l'objet.

Nombre d'études, que ce soient celles de Jean-Maxence Granier12, de Vincent Amiel13 ou de Brigitte le Grignou14 s'accordent à reconnaître le "déficit de légitimité" dont souffre la télévision. Lors des enquêtes, les discours sur la télévision s'avèrent être en décalage avec les pratiques, ils sont en quelques sortes formatés, influencés par les représentations sociales de la bonne consommation télévisuelle. Ces discours concernant les programmes viennent influencer les acquisitions. Avoir plusieurs postes de télévision, c'est quelque part avouer à soi-même et aux autres que chez soi on regarde la télévision, voire que l'on regarde plus la télévision que dans un foyer mono équipé. Accorder le droit à ses enfants d'avoir une télévision dans leur chambre, c'est prendre le risque d'être jugé, de faillir à l'image de la bonne éducation parentale. Les peurs sont diverses ; justifiées ou non, elles existent. Les fêtes s'avèrent être une façon de légitimer un présent qui l'est peu par ailleurs.

La télé mes parents nous l'on offert à mon frère et moi pour un Noël, soit disant parce que notre console de jeux risquait d'abîmer celle du salon. Au départ elle était dans ma chambre, ma mère venait la regarder puis nous a demandé si elle pouvait l’emprunter et l’a gardée. Après ma mère squattait la petite télé dans sa chambre (Olivier, 33 ans)

Le nouveau poste arrive alors sous la forme d'un présent. La période des fêtes légitime alors le cadeau, l'usage précoce provoqué par les consoles de jeux est utilisé comme prétexte.

12 GRANIER J.-M,2003, "la télévision comme je la regarde" : les études qualitatives et le discours du téléspectateur ordinaire, Esprit n°293.

13 AMIEL V., Les écrans multiples, Une esthétique de la situation, Esprit n° 293, 2003

14 LE GRIGNOU Brigitte, Du coté du public, Usages et réceptions de la télévision, Economica, Paris 2003.

L’entrée d’un poste supplémentaire dans un foyer peut amener les membres du foyer à se questionner sur l’utilité et la nécessite de ce poste supplémentaire, son impact sur leurs habitudes, la modification de leurs comportements, de leurs usages, si cet achat est nécessaire ou de l'ordre du confort. Dans l'anthropologie de l'électricité, Dominique Desjeux et ses collaborateurs observent ce même besoin de justifications.15 "S'il n'est pas provoqué par une raison de force majeure, l'achat pour soi des petits objets électriques ne paraît légitime que si l'individu trouve par des ruses le moyen de le rendre acceptable à ses yeux, notamment en suivant des codes sociaux qui le déchargent d'une culpabilité éventuelle." Le cadeau, acte de générosité, apparaît dès lors comme l'alibi idéal. Le cadeau déculpabilise, l'achat n'est pas pour soi mais pour autrui, il n'y a plus de mauvaise conscience. Cependant, les bénéfices de cette acquisition retombant sur tout le foyer, l'achat reste intéressé. L'acquisition d'un téléviseur pour les enfants permet de les éloigner du poste principal qui, ainsi libéré, est récupéré par les adultes.

Le cadeau peut aussi venir de l’extérieur du foyer, situation que l’on retrouve dans les familles divorcées.

Mon fils a une télé, c’était un cadeau de son père pour son anniversaire (Télé installée chez la mère). (Amélie, 42 ans)

Amélie avoue qu’elle était loin d’être ravie de cette arrivée, de peur que son fils regarde la télévision toute la journée. L’expérience s’étant bien passée, sa fille se verra elle aussi offrir une télévision par sa tante (avec accord préalable de la mère). Son fils ayant reçu une télévision de son père, il lui semblait impossible de refuser que l'on en offre une à sa fille.

N'ayant pas été consultée par son ex-mari concernant l'offre d'une télévision pour son fils aîné, elle se retrouve aujourd'hui dans la situation de pouvoir choisir, la tante de sa fille lui ayant demandé sa permission. Cependant, alors qu'elle estime que sa fille est encore un peu jeune et qu'elle a peu envie de voir entrer ce nouveau téléviseur, elle se sent dans l'impossibilité de lui en refuser l'accès, estimant que son refus serait une injustice envers elle vis-à-vis de son frère. Bien qu'ayant le choix de le refuser chez elle, elle se sent contrainte de dire oui par souci d'équité entre ses enfants. Une fois le premier poste entré,

15 DESJEUX D., BERTHIER C., JARRAFOUX S., ORHANT I., TAPONNIER S., 1996, Anthropologie de l'électricité. Les objets électriques dans la vie quotidienne en France, Paris, L'Harmattan.

le refus du second s'avère difficile. C’est au sein des couples que l’on observe des discordances. Les parents ont des avis divergents quant à l’arrivée d’une télévision dans la chambre d’un enfant. Le problème du contrôle parental est mis en évidence, les parents craignent de perdre une partie de leur autorité. Ils sont inquiets à l'idée de ne plus maîtriser le choix des émissions regardées, ni le temps passé devant l’écran. L’arrivée d’une télévision dans une chambre d’enfant fait retentir les cloches de l’indépendance pour les jeunes et raisonne comme un affaiblissement de l'autorité parentale.

L'attrait suscité par la télévision fait peur. Ainsi, l'attraction qu'elle exerce sur les enfants fait craindre le pire à leurs parents. Si ces derniers n'ont plus le contrôle, ils pensent laisser libre-champ à tous les débordements. Cette peur contrôle un certain nombre de leurs décisions et peut leur faire refuser l'accès à un poste de télévision. Des peurs récurrentes accompagnent chaque évolution technologique. Serge Tisseron relate dans son livre Enfants sous influence : " (…) à cette époque, la crainte que les images suscitent des comportements immoraux concernait les spectateurs adultes alors qu'aujourd'hui, elle s'attache à des enfants de plus en plus jeunes.16" La nouveauté crée un sentiment de peur.

Certes, la télévision n'est plus une nouvelle technologie, mais l'acquisition d'un nouveau poste va entraîner de nouveaux comportements : plus de liberté pour les uns, et moins de contrôle pour les autres. Ce n'est pas la télévision qui effraie, mais l'usage qui va être fait des programmes, l'excès de consommation et le contenu de celle-ci.

Halima refusera que sa mère offre une télévision à son fils de trois ans. Elle le trouve trop jeune. Un compromis s’élabore entre la mère et la fille : la grand-mère offrira un magnétoscope, Halima et son mari n’en ayant pas. Le cadeau étant destiné au petit-fils, c’est lui qui en aura un usage prioritaire, mais toute la famille pourra en bénéficier. La télévision n’est pas un présent qui se fait de façon anodine. D’une façon ou d’une autre, les parents contrôlent l’arrivée de ces téléviseurs, c’est avec leur approbation que la télévision entre dans le foyer.

16 TISSERON S., 2002, Enfants sous influence, Les écrans rendent-ils les jeunes violents? , Paris, Armand Collin