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L'acquisition non marchande

Le don

Certains enfants acquièrent très jeunes leur première télévision, dès l'âge de 2-3 ans leur chambre est équipée. Lorsque Sonia et son mari rachètent une télévision de taille plus importante pour l’installer dans leur salon, ils décident de mettre l'ancienne dans leur chambre. Quand à nouveau, ils rachètent une télévision, ils font tourner l'installation des précédentes : la neuve trône dans le salon, celle du salon passe dans leur chambre, enfin celle de leur chambre dans la chambre de leur fils. C'est ainsi que grâce à l'achat successif de deux postes de télévision, leur fils âgé de 2 ans s'est vu installer une télévision dans sa chambre. L'enfant n'investit pas l'objet, l'acte des parents s'avère être plus un dépôt qu'un véritable don. Les objets en état de marche sont conservés et placés dans la chambre de l'enfant.

Anna raconte que c’est sur un coup de tête que son mari a acheté la télé 16/9ème dont il avait envie. Leur ancien téléviseur, en état de marche, a été déposé dans la chambre de leurs enfants âgés de 3 et 5 ans. Placé en hauteur, loin de leur portée, il est disposé dans leur chambre mais reste sous contrôle parental. La hauteur du meuble sur lequel a été placé le téléviseur permet aux parents d’en gérer l’accès.

Derrière l'acquisition émergent deux notions : l'accès et l'appropriation. Bien que possédant une télévision dans leur chambre dès leur plus jeune âge, ces enfants ne la maîtrisent pas encore. Les parents l'allument et choisissent les programmes consommés. L'acquisition se fait au fil du temps, lorsque les enfants grandissent.

Depuis l'installation de la télévision dans la chambre de son fils, Sonia a mis au monde un second enfant. Habitant dans un trois pièces, le petit dernier partage la

chambre de son frère aîné, cet enfant a donc depuis sa naissance la télévision dans sa chambre.

L'acquisition d'un nouveau poste au sein du foyer bénéficie aux enfants, ces derniers récupèrent l'ancien poste toujours en état de marche.

Quand elles l’ont eu, elle fonctionnait bien c’est après qu’elle s’est dégradée et qu’on en a racheté une. On leur a changé leur télé quand on a installés canal+ pour qu’elles puissent suivre canal indépendamment de nous. (Jeannine, 45 ans).

Nous retrouvons ici, comme précédemment, cette notion d'indépendance. Des enfants tout jeunes (2 ans pour le fils de Sonia) voient leur chambre s'équiper d'un téléviseur.

Cette recherche d'indépendance ne suffit pas en elle-même à expliquer l'ensemble du phénomène, car malgré des réticences exprimées envers la télévision et ses programmes, l'ancienne sera conservée, lors de l'arrivée du nouveau poste.

La valeur de la télévision est une chose étrange : neuve elle répond à une certaine cote, mais d'occasion elle se dévalorise très vite, alors que paradoxalement son état de fonctionnement lui confère au sein du foyer toujours la même valeur fonctionnelle. Ces deux notions de valeur financière et valeur fonctionnelle s'interfèrent : alors que financièrement l'objet est dévalué, sa valeur fonctionnelle peut ne pas avoir bougé. La difficulté de se débarrasser d'un objet est alors d'autant plus importante que l'objet a toujours une valeur. Anna n'avait aucune envie que ses enfants aient une télévision dans leur chambre mais elle n'a pu envisager de se débarrasser de cet objet en état de marche.

Après quelques temps, Sonia et Anna s'avèrent être assez satisfaites de cette solution. Elles gèrent la consommation de leurs enfants dans leur chambre, donc indépendamment de celle des autres membres de la famille.

Chez le jeune enfant le don revêt un caractère particulier, l'enfant n'est pas en position de refuser ou d'accepter ce qui se passe autour de lui. Les télévisions sont installées à son insu, à un endroit, sur un meuble choisi par ses parents. Une des caractéristiques du don est qu'il puise son essence dans la transmission d'un individu à un autre, d'un groupe à un autre. Le don sous-entend l'existence d'un émetteur (un individu ou un groupe) et d'un récepteur (un individu, un groupe). Or l'âge des enfants ne leur confère

pas de véritable statut de récepteurs, ils n'ont pas l'autonomie suffisante pour interférer au sein de la situation.

Le cadeau

Le cadeau est une des formes du don, il suit une configuration identique. Le cadeau est la passation d'un objet d'un donneur (individuel ou collectif) à un récepteur (individuel ou collectif). Certaines périodes de l'année, certains évènements sont en France une occasion traditionnelle d'échange. Noël, les anniversaires sont des fêtes où il est coutume d'offrir un présent. A plusieurs reprises précédemment, l'acquisition de la télévision s'est effectuée par ce biais, chez les adultes mais aussi chez les jeunes. La dernière catégorie, celle des enfants, ne se démarque pas des deux précédentes, le cadeau est toujours l'un des moyens d'acquisition par lequel un enfant peut avoir accès à sa propre télévision.

Le présent peut venir d'un membre du foyer ou d'un membre extérieur. Chez Karine, ce sont les parents qui sont à l'origine de l'achat et de l'offre de la télévision. Karine et son frère possédaient une console de jeux vidéo, leurs parents leur ont offert pour des raisons fonctionnelles leur propre télévision. Ainsi les enfants jouent dans leur chambre, la télévision du salon reste disponible pour les programmes télévisés.

Lorsque le cadeau vient de l'extérieur, son entrée dans le foyer s'avère plus délicate. La télévision n'est pas un objet anodin, chaque individu développe sa propre relation à l'objet, il gère et régule sa consommation selon ses intérêts, ses envies, son emploi du temps. La télévision est un objet soumis à la controverse. 94% des foyers français en possèdent au moins une, elle est suivie en moyenne 3H3622 par jour. En soi, posséder une télévision n'a rien d'extraordinaire, la regarder ne l'est pas non plus. Cependant l'acte de regarder la télévision est lui soumis à des controverses. Il subit diverses attaques concernant la qualité des programmes, ou le temps passé devant la télévision. La télévision est critiquée de toutes parts, par des scientifiques, des intellectuels. Certains la décrivent comme une source d'abêtissement, d'anti-culture, d'autres la rendent responsable d'une croissance de la

22 Source : Médiamétrie/Médiamat (du 29/12/03 au 02/01/05)

violence chez les jeunes, ou encore du développement de l'obésité chez l'enfant. Quel que soit le fondement de ces théories, elles développent un sentiment de culpabilité et de honte.

Malgré la démocratisation de l'accès à la télévision, la regarder reste un acte soumis au jugement, à une certaine pression sociale. Celle-ci est d'autant plus forte lorsqu'il s'agit d'enfants, les parents sont responsables de leur éducation et culpabilisent autour d'un échec possible, trop de télévision ou certains programmes pourraient interférer avec une notion de "bonne éducation" que la société a inculqué aux parents.

L'association télévision-enfant peut mener à certaines polémiques, le sujet est délicat. Si l'on peut observer dans certaines familles une télévision dans une chambre d'enfant, dans d'autres la chambre d'enfant fera l'objet d'un interdit et aucun téléviseur n'y pénétrera.

Les parents occupent une place prépondérante dans l'acquisition d'une télévision par un enfant. Quel que soit le processus, don ou cadeau, le parent prend part à cette acquisition. Le fils d'Halima était âgé de 2 ans, lorsque sa grand mère proposa de lui offrir une télévision. Halima s'est opposée à cette proposition, en expliquant qu'elle estimait son fils trop jeune pour une telle acquisition. Quelques années auparavant, alors qu'elle gardait des enfants, elle avait été offusquée par le comportement de certains enfants possédant une télévision dans leur chambre. Ces enfants s'enfermaient dans leur chambre et regardaient toutes sortes d'émissions qui n'auraient pas été autorisées par leurs parents.

Elle refuse que son fils âgé de 2 ans puisse reproduire de tels comportements en grandissant. En refusant la télévision proposée, elle essaye de prévenir tous débordements possibles.

Une partie des présents venant de l'extérieur passe par le consentement des parents, la télévision fait l'objet d'une autorisation préalable.

Lorsque les parents sont séparés, l'un des deux peut se retrouver devant le fait accompli.

Rappelons le cas précédemment évoqué d'Amélie qui s'est vue imposer une nouvelle télévision dans son foyer, son ex-mari ayant offert à son fils une télévision pour son anniversaire. Lors de l'entretien, Amélie exprime son désaccord avec la nature du présent, elle estime son fils encore un peu jeune pour posséder une télévision dans sa chambre.

Face au cadeau du père, elle s'est sentie obligée d'accepter la situation. Quelques temps après ce présent, une des tantes de ses enfants proposa alors d'offrir à son deuxième enfant, sa fille, une télévision pour son anniversaire. Le présent est soumis à l'accréditation de la

mère, cependant face à sa fille et devant un souci d'égalité, elle ne se sent pas le droit de lui refuser ce cadeau puisque son frère en possède désormais une. L'entrée d'une première télévision a ouvert la porte à d'autres.