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Les espaces parcourus par les Roumains arrivant à Castellón de la Plana

Typologie des situations à Castellón de la Plana

2.2.1. Les espaces parcourus par les Roumains arrivant à Castellón de la Plana

La notion « d’espace parcouru » fut utilisée originellement pour les familles tsiganes qui installent leurs caravanes dans les différentes régions urbaines ou rurales françaises et yconstruisent leur propre espace de vie. « L’espace parcouru est ainsi le siège de multiples lieux de séjour plus ou moins durables qui sont autant de pôles de vie de la famille.

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Chaque pôle de vie constitue une forme d’insertion spécifique (par la durée du séjour, le lieu d’implantation du groupe, la forme du groupe, ses activités du moment…) dans la géographie locale»213. Mais nous pouvons penser à une autre forme de déplacement de populations, celle de la migration roumaine à Castellón en essayant d’identifier les modes d’habitation construits dans les nouveaux territoires. Selon la diversité des situations familiales rencontrées, on peut penser à la construction de vrais pôles de vie insérés dans la société réceptrice.

La question du temps est essentielle dans l’analyse de cette notion. Dans le contexte des espaces parcourus par les Roumains, leur construction implique des périodes majeures à plusieurs échelles. Individuellement, la construction du parcours s’échelonne en fonction des stratégies de migrations adaptées aux politiques européennes ou étatiques. Après l’arrivée du premier migrant, la famille se regroupe géographiquement graduellement grâce aux réseaux. A une échelle territoriale plus grande il y a une interaction de ce projet migratoire avec la société d’accueil qui marque l’espace de sa propre organisation et souvent de fait, impose la diffusion des familles migrantes. Enfin, à l’échelle collective des groupes migrants, l’organisation de la société roumaine déjà installée impose ses logiques spatiales : associations, négoces, administrations roumaines déléguées dans le territoire.

En fonction de la situation familiale nous identifions donc à travers des entretiens une grande variété d’espaces parcourus pour arriver à Castellón de la Plana. Nous avons défini des catégories pour mettre en évidence la diversité des conditions familiales des personnes qui se sont installées dans ce territoire.

213 HUMEAU, Jean Baptiste. TSIGANES EN FRANCE - De l'assignation au droit d'habiter. L'Harmattan.

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Figure 7. Typologieen fonction du statut civil des 20 ménages roumains interrogés

L’originalité de la notion d’espace parcouru laisse la place à « des formes de symbiose »214 entre les populations tsiganes et les sociétés d’installation : «L'espace parcouru peut donc se définir comme le domaine géographique offrant les possibilités suffisantes à l'épanouissement de cette forme d'économie de subsistance.

214HUMEAU, Jean Baptiste. TSIGANES EN FRANCE - De l'assignation au droit d'habiter. L'Harmattan.

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Il s'agit donc d'un espace dont les dimensions résultent de la combinaison de paramètres à la fois naturels (ressources locales), économiques (activités économiques des sociétés locales) et sociaux (régulation entre les groupes familiaux tsiganes au regard des ressources virtuelles). L'espace parcouru d'une famille ou d'un groupe familial constitue donc son territoire de vie, fondé sur un équilibre temporaire entre les capacités du groupe et les ressources virtuelles »215.

La transposition du concept à la situation des familles roumaines permet de mettre en évidence des éléments relationnels avec la société d’accueil en fonction de chaque modèle d’espaces parcourus. A partir des entretiens avec différents types de ménages rencontrés à Castellón de la Plana nous découvrons des paramètres déterminants à la base de ces espaces de vie. Evidemment, nous analysons seulement les cas les plus caractéristiques sachant qu’il y en a d’autres avec des paramètres parfois variables. La typologie des familles roumaines arrivées et installées à Castellón de la Plana est très diversifiée: cas de conjoints ici et les enfants en Roumanie, conjoints sans enfants, conjoints et les enfants avec eux, divorcés seuls ou impliqués dans un nouveau couple etc. Nous pouvons analyser les différents types de foyers, rencontrés pour les entretiens et ainsi, nous approcher davantage de la réalité de l’installation des populations roumaines dans la capitale de la province de Castellón.

La figure 8 présente le parcours d’un ménage installé à Castellón de la Plana à l’aide de la famille présente dans ce territoire.

« Je suis arrivé à Madrid en 2002 après la suppression du visa. J’ai travaillé un peu dans

les vendanges et ensuite je suis retourné en Roumanie. En 2004 je suis revenu en Espagne, cette fois-ci à Castellón de la Plana chez mes oncles. En 2006 j’ai fait venir mon amie de Roumanie et nous avons habité dans la maison de mes oncles pendant deux ans et même après le mariage. Car en 2007 nous nous sommes mariés en Roumanie. Nous avons eu beaucoup de chance. Quand j’étais seul je ne payais pas. Quand mon amie est arrivée nous payions seulement 100€/ mois et la nourriture. A partir de 2008, comme nous avons gagné de l’argent nous avons loué un logement pour nous deux. Nous travaillons tous les deux »216.

215HUMEAU, Jean Baptiste. TSIGANES EN FRANCE - De l'assignation au droit d'habiter. L'Harmattan.

Paris, 1995.410 p (citation p.220)

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Figure 8. Espaces parcourus et espaces de vied’un ménage sans enfant

La figure 9 illustre l’exemple d’une personne célibataire qui arrive à Castellón de la Plana mais dont le séjour connaît beaucoup de variations et qui décide finalement de retourner au pays d’origine sans avoir fondé un ménage comme dans le cas précédent (figure 8).

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Figure 9. Célibataire avec une trajectoire migratoire fluctuante

Dans cet exemple nous rencontrons le cas typique d’une personne qui a tâtonné sur le marché du travail européen. Cet homme est parti après la suppression du visa et est arrivé à Roquetas del Mar chez des amis. Là il a travaillé dans les serres maraîchères. Après deux ans, profitant d’une opportunité de travail, il décide d’aller à Castellón chez son oncle. A cette période, la Province de Castellón connaissait une grande expansion dans le secteur de la construction.

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« J’ai habité chez mon oncle pendant une année avec six autres personnes dans le même appartement. J’ai travaillé dans le secteur de la construction, sans papiers, car mon permis de travail appartenait à la Province d’Andalousie et n’était pas valable ici. Après, je suis allé en Allemagne chez mon frère pour y chercher du travail. Comme je ne connaissais pas la langue je suis resté le temps légal de trois mois, et après je suis rentré en Roumanie. Je me suis occupé de rénover ma maison avec l’argent que j’avais gagné en Espagne et j’ai commencé à étudier l’allemand. J’avais épuisé toute mon épargne alors. J’ai voulu essayer de nouveau en Espagne car je connaissais déjà la langue, j’avais des papiers et j’avais quelqu’un aussi pour me loger. J’ai appelé un autre oncle installé à Valencia et je suis allé chez lui. J’ai travaillé dans plusieurs domaines de services : restauration, magasin de meubles, charcuterie. La crise est venue, je n’ai plus de travail et je pense retourner en Roumanie»217. Un mois après l’entretien cette personne m’a donné

de ses nouvelles de Roumanie.

Dans un autre cas nous avons rencontré un jeune homme qui a eu aussi un itinéraire très variable pendant une période de six ans. Comme ses parents habitaient à Castellón de la Plana il passait toutes les vacances d’été avec sa famille de 2002 à 2008.

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Figure 10. Personne divorcée entre circulation saisonnière et installation à Castellón

L’année 2002 marque la possibilité de venir à Castellón grâce à la suppression des visas Schengen ce qui facilite la libre circulation touristique. L’année 2008 est la période où il décide de se marier avec une jeune fille d’un village voisin. Pourquoi a-t-il cessé d’aller à Castellón ?

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« Depuis 2008 jusqu’à 2009 je suis resté en Roumanie avec la famille de ma femme. Elle

ne voulait pas se séparer de sa famille et venir en Espagne, malgré l’aide de mes parents. Les problèmes se sont accumulés, surtout d’ordre financier. A la fin de l’année 2009 nous avons divorcé et moi je suis retourné chez mes parents à Castellón de la Plana »218.

A première vue nous pouvons nous rendre compte de l’importance des liens familiaux qui persistent, ancrés dans la mentalité des personnes du même territoire. Pour chacune d’entre elles la famille d’origine a plus d’importance que la nouvelle famille qu’elles viennent de construire. Donc, chacun suit son propre chemin à côté de ses parents. Ensuite, nous présentons l’exemple d’une personne cette fois célibataire qui arrive à Castellón de la Plana et qui fonde sur place un nouveau foyer. Nous avons comme point commun aux exemples précédents la présence des proches représentant le support qui permet la nouvelle construction d’un pôle de vie. La figure suivante montre cet exemple assez courant d’un jeune homme qui vient chez son oncle à Castellón de la Plana pour préparer son avenir. Ses proches l’aident beaucoup surtout pour son logement. Il rencontre une amie roumaine et avec elle il organise son propre ménage. Ce cas est significatif car cette personne a connu une grande évolution au sein de ses proches et a pu suivre une bonne trajectoire de vie.

« Mon oncle m’a beaucoup aidé, il m’a envoyé la lettre d’invitation et l’argent pour l’autobus. J’ai habité chez lui pendant deux ans. Je lui ai obéi comme à mes parents car je n’aime pas aller dormir dans les plantations d’orangers. Je sens un changement très grand dans ma mentalité et quand je voyage dans mon pays je ne peux plus penser comme mes compatriotes »219.

218 Entretien avec un jeune homme divorcé avec une trajectoire entre circulation et installation, figure 10 219 Entretien avec une personne célibataire qui a fondé un nouveau couple, figure 11

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Figure 11. Célibataire en couple à Castellón de la Plana

Comme nous l’avons remarqué il y a une majorité de jeunes hommes qui se sont installés pour un court ou pour un long séjour à Castellón de la Plana, mais il est intéressant de voir aussi un exemple de parcours féminin. Quelles particularités peut-on y trouver ?

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Dans la figure 12 nous étudierons le contexte social et spatial de la création d’un ménage mixte : roumain-espagnol.

Figure 12.Espaces parcourus d’un ménage mixte roumain-espagnol

Selon son témoignage, elle est venue en voiture avec sa tante en 2004 pendant les vacances d’été pour chercher un petit travail. « J’ai été hébergée chez elle environ deux mois, après

je suis allée chez une autre tante à Vall d’Uixo, une commune de la même province de Castellón. Ici j’ai trouvé un emploi dans une pizzeria et j’ai donc décidé de rester pour y travailler.

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En 2005 j’ai connu un Espagnol et une année plus tard nous avons décidé de nous marier. Nous avons célébré le mariage en Roumanie et après nous sommes rentrés à Castellón de la Plana où nous nous sommes installés ».

C’est un exemple qui caractérise en général des personnes jeunes qui, arrivant à Castellón de la Plana, ont décidé d’y organiser leur vie familiale. Mais il n’y a pas que des personnes jeunes et célibataires qui peuvent donner une nouvelle orientation à leur vie. Nous avons rencontré beaucoup de cas de personnes divorcées qui ont décidé de refaire leur vie. L’exemple choisi illustre, cette fois-ci, une femme divorcée (en Roumanie) avec des enfants majeurs qui sont restés dans le pays d’origine pour finir leurs études universitaires. Comme on l’observe dans la figure 13 cette dame est arrivée à Castellón de la Plana, chez une tante en 2002 grâce à la libre circulation. La motivation de cette migrante est d’assurer un bon avenir à ses trois enfants qui étudient en Roumanie. Au début, elle s’est débrouillée grâce à l’aide de ses proches et de ses amis. Ensuite, elle a connu un homme dans la même situation qu’elle et tous deux ont décidé d’habiter ensemble. « J’ai connu un homme roumain divorcé qui était tout seul ici et comme nous

nous entendions bien alors nous avons décidé de louer un appartement ensemble. Notre relation a duré six ans et s’est terminée parce qu’il est retourné en Roumanie pour des motifs économiques. Il travaillait dans le secteur de la construction et à cause de la crise immobilière il est resté sans travail. Avec mon seul salaire nous ne pouvions par survivre tous les deux et entretenir aussi mes fils. Quelques mois après son départ j’ai rencontré un homme espagnol, divorcé aussi, avec qui je m’entends très bien. Alors, j’ai déménagé chez lui et nous sommes très bien. Je ne pouvais pas vivre toute seule, j’ai besoin de compagnie mais aussi de quelqu’un pour partager les frais de consommation »220.

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Figure 13. Personne divorcée en Roumanie et impliquée dans un nouveau couple à Castellón de la Plana

Ce qui est frappant c’est la facilité de rencontre entre ces personnes. Selon son témoignage : « pour mon premier conjoint, c’est une amie qui me l’a présenté et dans le

deuxième cas, c’est grâce à une autre amie aussi ». Les relations faibles jouent un rôle très

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