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La dynamique des réseaux migratoires roumains sur le territoire espagnol

régime communiste

1.3. Une décennie de migration roumaine en Espagne

1.3.5. La dynamique des réseaux migratoires roumains sur le territoire espagnol

Les études faites dans le pays d’origine comme dans le pays d’accueil sur la migration roumaine en Espagne ont dévoilé un point commun. C’est le fait que ce type de mobilité est apparu et s’est développé grâce à la dynamique des réseaux migratoires : « la migration transnationale circulatoire est un phénomène des réseaux »125.

Ces réseaux se sont formés au niveau des individus et évoluent au niveau des communautés tant du côté du pays d’origine que de celui de destination. Ils sont construits sur la base d’un élément commun qui joue un rôle fondamental, par exemple, l’appartenance à un certain culte à laquelle s’ajoutent les relations familiales. L’origine des premières trajectoires migratoires en Espagne est liée à l’arrivée des Roumains adventistes qui avaient des contacts avec les Espagnols de même confession126, comme c’est le cas, au début de la migration roumaine à Castellón. Selon un entretien avec une dame roumaine, pionnière dans cette migration à Castellón de la Plana, il apparaît qu’au début, les Espagnols pensent que « les immigrants roumains ne travaillent pas le samedi et ne

mangent pas de viande de porc »127, caractéristiques du culte adventiste.

La solidarité des fidèles des cultes néo-protestants comme les adventistes, les pentecôtistes, les baptistes a constitué la base de la construction de ces réseaux de population roumaine. Selon des études128 faites dans la région de Madrid on observe une présence roumaine avec une majorité de fidèles adventistes à Coslada et Torrejon de Ardoz. Les pentecôtistes, les baptistes, les adventistes prédominent aussi à Arganda del Rey et les orthodoxes à Alcala de Henares.

On note une forte liaison entre ces petites villes espagnoles et les régions roumaines de départ de cette population. Au début l’influence religieuse est importante avec des connexions territoriales au sud de la Roumanie et plus précisément dans le département Teleorman pour les adventistes, l’ouest et nord-ouest pour les autres cultes néo-protestants.

125SANDU,Dumitru. « Migratia transnationala a romanilor din perspectiva unui recensamant comunitar ».

Sociologie Romaneasca. 2000, Vol. 3, n°4, p.5-52 (citation p.32)

126VIRUELA MARTINEZ, Rafael. « La nueva corriente inmigratoria de Europa del Este ». Cuadernos de

Geografia. 2002, Vol. 72, p.231-258 (citation p.243)

127Entretien réalisé en 2004 avec la présidente de l’Association des Immigrants des Pays de l’Est, Castellón

de la Plana

128SANDU, Dumitru (Coord.). Comunitati romanesti in Spania [En ligne]. Fundatia Soros. Romania :

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Les adventistes du sud de la Roumanie ont formé le groupe pionnier dans l’initiative de ces mobilités vers l’Espagne, notamment à Madrid129et à Castellón130.

L’église adventiste roumaine par ses normes dogmatiques a joué un rôle fondamental dans la création et l’augmentation de ces réseaux. Le support relationnel entre les personnes du même culte et le support financier (les fidèles donnaient 10% de leurs revenus à l’église pour les besoins)131 ont déterminé une extension des réseaux même chez beaucoup d’orthodoxes qui se sont convertis. A l’échelle spatiale, il y a des relations particulièrement les mariages (permis seulement entre adventistes) qui ont constitué des noyaux dans l’ensemble de plusieurs villages : Crângeni, Rădoieşti, Călmăţuiu, Balta Sărată, Peretu etc.

129SERBAN, Monica et GRIGORAS, Vlad. « Dogenii din Teleorman in tara si in strainatate. Un studiu

asupra migratiei circulatorii in Spania ». Sociologie Romaneasca. 2000, n°2, p.30-54

130PAJARES ALONSO, Miguel. « Comunidades inmigradas de la Europa del Este: El caso del colectivo

rumano en Espana ». Revista Cidob d'Afers Internacionals. Diciembre 2008, Vol. 84, p.65-79 (citation p.71)

131RADU, Cosmin. « De la Crangeni-Teleorman spre Spania: antreprenoriat, adventism si migratie

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Carte 10. Localisation des villages roumains dont on trouve des adventistes qui ont émigré en Espagne

Les métiers connus par les adventistes (plus flexibles en accord avec leurs normes religieuses) en majorité dans le secteur des constructions répondaient à la demande de main d’ouvre en Espagne. Tous ces éléments ont conduit à l’élaboration d’un champ circulatoire entre les deux pays à travers des réseaux familiaux, amicaux et religieux.

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Les orthodoxes, population majoritaire en Roumanie, ont suivi vers l’Espagne les routes déjà ouvertes par les adventistes. Les migrants roumains orthodoxes connaissent une répartition dispersée dans toutes les villes de la région de Madrid. Ils se distribuent sur le territoire espagnol tout entier à la base de simples relations familiales et amicales expliquent ces migrations. La circulation des informations sur les stratégies pour sortir de la Roumanie et arriver en Espagne, les possibilités de trouver un logement et un emploi, sont des éléments clés pour la dynamique de ces réseaux. Une fois installés sur le territoire espagnol, les Roumains provenant d’un village particulier font circuler des informations très utiles pour favoriser les nouvelles sorties de leurs co-villageois augmentant ainsi le groupe des nouveaux arrivants.

Des phrases comme: «ici habitaient mes parents, j’étais resté tout seul en Roumanie »132ou « je suis venu chez ma sœur », « j’avais ici de la famille » « je suis venu chez des amis de mon village » se retrouvent dans la majorité des conversations avec les Roumains installés

à Castellón de la Plana.

Les premiers ressortissants ont accumulé un capital de mobilité, un savoir-faire du processus migratoire. Ils ont engrangé des ressources matérielles qu’ils ont envoyées dans leurs familles pour les aider à les rejoindre dans une meilleure vie. Ensuite les réseaux se sont élargis aux voisins, villageois en général et enfin au niveau de toute une communauté comme dans le village roumain de Scrioastea. C’est une commune qui fait partie du département de Teleorman, située dans une zone très pauvre et dans laquelle « plus de trente familles circulaient entre le village et l’Espagne »133. Ici le processus migratoire était vu à l’échelle de la commune et soutenu par les représentants de celle-ci. Ils connaissaient les bénéfices matériels que ces départs à l’étranger apportaient et ils pensèrent même à organiser des cours d’espagnol pour les futurs migrants.

Les profils des migrants entraînés dans ces réseaux, avec ou sans caractère religieux, sont majoritairement des hommes d’âge mûr ou des hommes jeunes ayant un niveau d’études moyen et qui seront rejoints ensuite par leurs femmes dans le cas des familles. La participation des femmes dans ces réseaux est conditionnée par la présence en Espagne d’un membre de leur famille proche (mari, frère, père, cousin) qui peut les accueillir et les intégrer dans le marché du travail.

132Entretiens réalisés au cours d’une observation continue 2004-2010 à Castellón de la Plana.

133SANDU, Dumitru. « Les enjeux des réseaux migratoires dans l'espace social de la transition. Le cas

roumain ». Maison des Sciences de l'Homme, 2001.20 p (citation p.14). Disponible sur : < http://dumitru.sandu.googlepages.com/Migration_comme_phenomene_de_reseau_.pdf > (consulté le 20 Avril, 2010)

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À Almeria (El Ejido) où le parcours migratoire était « plus ouvert que celui orienté vers Coslada »134sans référence religieuse, « un nombre important de Roumains et Roumaines »135 travaillent comme saisonniers dans les serres de fruits et légumes.

Quand les migrants roumains n’ont pas de métier (contrairement aux adventistes), le choix de la région d’accueil est conditionné au type d’emploi qu’ils trouvent et qu’ils peuvent développer, le plus souvent dans l’agriculture.

La proportion de femmes qui se rendent en Espagne pour rejoindre les hommes donne un caractère particulier à cette migration qui est différente de celle des autres collectifs d’immigrants dans ce pays : « las asimetrías más acusadas se dan entre los inmigrantes procedentes de África, donde el número de hombres duplica con creces al de mujeres; y, en sentido contrario, entre los de América Latina, donde las mujeres predominan en una proporción de 1,7 a 1»136 (« les asymétries les plus grandes sont entre

les immigrants venus d’Afrique dont le nombre d’hommes est le double de celui des

femmes, et les immigrant d’Amérique Latine, où contrairement les femmes prédominent en

proportion de 1,7 pour 1»).

Dans le cas de la population roumaine, ce regroupement familial, réalisé par les diverses stratégies d’immigration et pas nécessairement par la voie administrative, est caractéristique de la migration roumaine en Espagne. Cette particularité produit une tendance à l’équilibre. Pour mieux se rendre compte de la situation on peut observer les cartes suivantes qui présentent les rapports entre les nombre d’hommes et de femmes d’origine roumaine entre 2004 et 2008 à l’échelle des municipios, selon les données de l’Institut National de Statistique de l’Espagne.

Le choix des années 2004 et 2008 est réalisé en fonction de la complexité des données à une échelle très fine. Cette analyse peut donner une vision très détaillée de la réalité migratoire roumaine dispersée dans toute l’Espagne.

Au premier abord, on observe une croissance de la population roumaine féminine entre 2004 et 2008 qui tend vers l’équilibre entre nombre d’hommes et nombre de femmes. Le point commun pour les deux années est la répartition assez similaire de la concentration roumaine, selon les données du Ministère du Travail et de l’Immigration.

134POTOT, Swanie. Vivre à l'est, travailler à l'ouest: les routes roumaines de l'Europe. L'Harmattan. Paris :

L'Harmattan, 2007.226 p (citation p.92)

135POTOT, Swanie. « La place des femmes dans les réseaux migrants roumains », Revue européenne des

migrations internationales, vol. 21 - n°1 | 2005, [En ligne], mis en ligne le 08 septembre 2008. URL : http://remi.revues.org/index2335.html. Consulté le 20 avril 2010

136ARANGO, Joaquin. « La fisionomia de la inmigracion en Espana ». Red Internacional de Migracion y

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Cette situation est présente dans la capitale et son corridor méridional et sur la côte méditerranéenne avec les provinces: Castellón, Zaragoza, Barcelona, Valencia, Almeria. Les différences apparaissent entre les deux années par la tendance à l’équilibre des pôles en 2008 alors que la prédominance masculine s’affirmait en 2004 ainsi à Zaragoza et dans le corridor de Madrid.

Une explication à la concentration masculine dans ces régions en 2004 est donnée par les opportunités d’emploi dans le secteur de la construction, ce qui renforce le nombre des réseaux de travailleurs roumains. Dans le cas du corridor de Madrid, le développement des infrastructures de transports qui assurent la liaison entre les petites villes méridionales et la capitale, favorise l’emploi. Ces facilités de déplacement peuvent expliquer la grande concentration de population roumaine féminine dans la ville de Madrid. Évidemment, ces personnes travaillent dans les secteurs de services : domestiques et personnel d’hôtellerie et habitent parfois dans les villes d’alentour : « les femmes trouvent plus facilement du travail

que les hommes »137. Ces situations amplifient les regroupements des familles roumaines entre 2004 et 2008.

L’événement international très important (ExpoZaragoza) organisé en 2008 à Zaragoza explique aussi la présence de la population roumaine féminine et masculine dans cette ville et province. Cette disposition est dûeà la grande demande de main d’œuvre dans les secteurs de construction et des services qui a impliqué une réorientation des réseaux roumains dans cette région.

L’année 2008 connaît une intensification de migration féminine d’origine roumaine à Huelva, une région agricole prédominante pour la culture des fraises qui nécessite abondante main d’œuvre féminine. Les accords bilatéraux signés entre l’Espagne et la Roumanie ont eu une grande importance pour les travailleuses roumaines qui arrivaient ainsi avec un contrat de travail. L’apogée des arrivées avec un contrat de travail signé en Roumanie a été atteint en 2007 avec 61,26% de travailleurs roumains, en majorité des femmes pour 63,64%138 des emplois offerts.

On observe 803 municipios (en 2004) et 1457 (en 2008) comptant une égale proportion d’hommes et de femmes ce qui soutient l’hypothèse des réseaux familiaux.

137Entretien réalisé en 2005 avec un travailleur roumain, 51ans, installé à Castellón de la Plana

138GORDO MARQUEZ, Mercedes. « La contratación en origen de rumanos para actividades agrícolas de

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Carte 12. Les rapports H /F d’origine roumaine en Espagne en 2008

Actuellement, dix ans de migration roumaine en Espagne sont écoulés. La situation économique, dans le contexte de la crise du secteur immobilier et implicitement de la construction, affecte beaucoup ce type de mobilité.

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Le nouveau contexte européen induit des conséquences très importantes pour les Roumains dans l’évolution de leur présence sur le territoire espagnol. Dans ce contexte, l’analyse de l’année 2008 est une référence dans l’apogée de la migration en Espagne. Le développement des réseaux migratoires de types familiaux (ayant au début une base religieuse) constitue le moyen primordial dans la construction des nouvelles territorialités entre les deux pays.

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Conclusion

La migration roumaine en Espagne est une conséquence des conditions économiques très difficiles du pays d’origine et d’un contexte favorable pour couvrir l’offre d’emploi existante en Espagne. L’économie roumaine caractérisée par un déclin de l’industrie, des nombreux licenciements et une aggravation de la pauvreté, détermine l’amplification des déplacements de population vers d’autres pays européens. La situation restrictive des politiques migratoires en Europe, vers la fin des années quatre-vingt dix, réoriente le flux des mobilités roumaines vers le territoire espagnol. Dans un premier temps, la création des réseaux migratoires par l’appartenance religieuse a constitué la voie principale de la migration roumaine en Espagne. Ensuite ces liens ont évolué avec la multiplication d’autres réseaux de type familial et amical. Ils ont favorisé le développement d’une présence roumaine importante dans ce pays. La proportion équilibrée entre les femmes et les hommes d’origine roumaine sur le territoire espagnol s’explique par la dimension familiale de la migration. Il s’agit principalement d’une migration en famille alors que d’autres migrations sont entièrement féminines ou entièrement masculines. Les stratégies de migration, l’existence des réseaux et l’accumulation d’un capital de mobilité constituent les éléments principaux pour continuer la recherche sur l’importance de la présence roumaine à Castellón.

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