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Espaces des rituels féminins et masculins

CHAPITRE I : CADRE ET AGENTS DES RITES TRADITIONNELS

2. Espaces des rituels féminins et masculins

En zone urbaine (Agadir, Inezgane, Tiznit) où la claustration féminine est de rigueur, les lieux des rituels et des festivités des deux sexes sont rigoureusement distincts. Pratiquement toutes les activités rituelles des femmes ont lieu dans l’espace domestique. Dans les deux maisons cérémonielles, les hommes sont confinés dans la chambre d’hôte masculine (tadwayrit)2. Cette pièce est le cadre de la conclusion juridique du mariage. C’est également là que sont servis les banquets masculins. Pendant les cérémonies féminines, voire pour toute la durée des noces, l’intérieur de la maison est interdit aux hommes. Seuls le marié, sa suite et ses proches parents y sont admis pour l’accomplissement de certains rites3. Les festivités masculines (danses et fantasia) ont lieu sur la place publique ou devant le domicile du marié. Pour les femmes, la rue n’est qu’un lieu de passage. Il leur est interdit d’y stationner, pendant les festivités comme dans la vie quotidienne. Perchées sur les terrasses ou dissimulées derrière des persiennes, elles observent le spectacle de loin. De plus, les festivités masculines ne commencent pas avant la tombée de la nuit. À cette heure, la circulation

1

. Voir infra pp. 90 et 106. 2

. tadwayrit : emprunt arabe, dérivé de ddwira. Salle de réception réservée aux invités masculins. Elle a deux portes, dont l'une donne directement sur la rue, pour éviter que les étrangers pénètrent dans l'espace intime réservé aux femmes de la maisonnée. Dans l’Anti-Atlas, cette chambre d’hôte est désigné par le terme tamsrit, qui est également un emprunt arabe. ADAM A ., qui a fait une description détaillée de cette pièce, observe qu’il est « significatif que les Chleuhs aient choisi pour désigner leur ‘salon’ un mot arabe s’appliquant à une pièce qui se caractérise par son isolement et son indépendance ». 1950, pp. 302-304.

féminine est quasiment nulle. Car les femmes quittent toujours la maison cérémonielle assez tôt pour atteindre leur domicile avant le crépuscule.

Dans les zones rurales où sévit une ségrégation rigide (Aksimen et Achtouken), les lieux des rituels et des festivités des deux sexes sont aussi distincts qu’en zone urbaine. Mais les rituels féminins ne sont pas tous restreints à l’espace domestique. Ainsi, certains rites sont accomplis sur le domaine agricole1. Chez les Achtouken, seuls les serveurs sont autorisés à circuler parmi les femmes, à l’intérieur des maisons. Ces serveurs sont des parents, des amis du maître de maison ou des domestiques engagés pour la circonstance. Lors de leur passage au milieu des tablées, les femmes et les jeunes filles se voilent la quasi-totalité du visage. Si elles ont connu le serveur enfant ou s’il a l’âge de leur propre progéniture, les femmes adultes ne prennent pas la peine de se voiler. Par contre, les jeunes filles cachent leur visage, même si les serveurs sont beaucoup plus jeunes qu’elles. Car ces derniers essayent toujours de les surprendre. Par la suite, ils monnayent la description de leurs charmes auprès des autres hommes. Comme dans les groupes urbains, les femmes ne participent pas aux festivités masculines. Mais elles peuvent y assister en spectatrices. Elles se rendent en groupe sur la place du village (asays) et s’installent à l’écart, agglutinées en essaim contre un mur. Par contre, dans les tribus de montagne (Aït Lakhsas, Ammeln, Ineda Ouzal), le code de ségrégation souffre quelques entorses lors des célébrations. Le lieu des festivités est partagé par les deux sexes qui dansent alternativement ou face à face, sur l’aire à battre (anrar) ou sur la place du village. Par exemple, dans la vallée d’Ammeln où les femmes et les filles pubères sont strictement voilées, seules les filles à marier sont autorisées à danser en présence des hommes2. De jeunes musiciens jouent près des danseuses qui se tiennent en file face à l’assistance. Mais « il n’y a aucun dialogue

entre garçons et filles, ni aucun contact. On leur demande seulement si elles sont

1. Par exemple le rite du premier puisage dans le Sihl et chez les Achtouken.

2. « Lors de la visite de Mohammed V, on avait demandé (ce qui d’ailleurs ne se fait jamais) aux femmes mariées de danser ahwaš pour le Roi. Quand les maris, qui travaillaient dans le Nord, apprirent que leurs femmes avaient dansé pour le Roi, ils divorcèrent tous ». P. COATALEN, 1972, p. 92. Sans doute, ces époux ont-ils soupçonnés les agents du Makhzen d’avoir abusé de leurs femmes en leur absence, comme ce fut le cas dans la région de l’Unayn. Voir N. E. ARRIF, 1987, « Condition de la femme rurale : cas de l’Unayn » in : COLLECTIF, Portraits de femmes, Casablanca : Le Fennec, p. 169.

fatiguées ou si elles ont soif. Le seul contact c’est la réponse poétique que les filles font au chanteur ou encore c’est de danser au son des [tambours] ». (P. COATALEN, 1972, pp. 130-132). Leur tête et leurs épaules sont recouvertes d’un drap qui cache totalement leur visage1. Juste après le rituel de défloration, la mariée quitte la chambre nuptiale pour rejoindre les danseuses. Elle arbore son haïk souillé du sang de l’hymen ; et elle participe pour la dernière fois de sa vie à la danse des filles célibataires. Bien que le code de ségrégation souffre cette entorse dans l’espace communautaire, les hommes de la maisonnée n’ont accès à l’espace domestique que pour l’accomplissement de certains rites. La maison reste le domaine exclusif des femmes. De même, aucune femme n’a accès au salon masculin (tadwayrit), lors des cérémonies masculines.