• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : CADRE ET AGENTS DES RITES TRADITIONNELS

4. Les agents rituels

Les agents masculins des rites de mariage sont les « agnats » du marié (islan), ses « compagnons » (ifrXan), le « frère de la mariée » (g mas n tslit), le « garçon non orphelin » (afruX itafn ibb as d innas) et le « domestique noir » (ismg). Les agents féminins sont les parentes des deux mariés (timzwura) et la « domestique noire » (tawaya).

Le terme islan est le pluriel de isli qui signifie « le fiancé » ou « le marié »1. islan désigne soit des hommes mariés et d’âge mûr, soit les jeunes amis du marié. La délégation des mariés d’âge mûr se compose essentiellement des consanguins patrilinéaires du marié (Figure 8, p. 79). Pour cela, je traduis ce terme par « agnats », bien que des parents maternels, voire des amis et des voisins, puissent également faire partie de la délégation. Il faut que le cortège des islan soit important, car leur nombre manifeste l’importance du lignage du marié. Ce dernier et particulièrement son père tirent un grand bénéfice symbolique du soutien que leur apportent leurs parents lors de ces cérémonies. La richesse d’un lignage se compte aussi bien en hommes qu’en arpents de terres possédées. Quand le mariage a lieu entre des co-villageois, seuls les parents du marié constituent la délégation masculine. Par contre, si la mariée appartient à un groupe rival (village limitrophe ou autre fraction), tous les hommes du village du marié se joignent à la délégation des « agnats ». Leur participation est une manifestation de solidarité.

Selon les séquences rituelles, la suite du marié se compose uniquement de trois célibataires ou accueille même des jeunes gens mariés. Les trois célibataires sont désignés par le terme ifrXan, qui signifie « garçons » et connote leur état civil. Le terme islan désigne une suite regroupant un nombre plus important de jeunes gens, mariés et célibataires. Ce dernier terme est attribué à ces jeunes gens surtout lorsqu’ils parodient les actions des hommes d’âge mûr. En parlant de la suite du marié, je traduis

donc le terme islan par « compagnons », suivi entre parenthèses de ifrXan s’il s’agit uniquement des célibataires.

Le jeune « frère de la mariée » (g mas n tslit) n’assume ses rôles rituels que si ses deux parents sont vivants, sinon il est remplacé par un consanguin impubère, choisi de préférence dans la lignée patrilinéaire. Le titre rituel de ce petit garçon, afruX itafn

ibb as d innas, signifie littéralement un « garçon qui a son père et sa mère » (Figure 9,

p. 80). Cet agent remplit des fonctions qui lui sont spécifiques. Mais il peut également remplir certains rôles du marié, si ce dernier est orphelin de père et/ou de mère.

Les principaux agents féminins sont des parentes mariées des deux jeunes gens. À chacune de ces femmes est attribué le titre tamzwarut (plur. timzwura). Ce terme dérive du verbe zwur qui signifie « précéder » et « devancer ». Le pluriel masculin,

imzwura, désigne les « vieux », les « anciens », les « aïeux ». En parlant de son

premier enfant, une mère (ou un père) le désignera comme étant son amzwaru ou sa

tamzwarut. On peut donc traduire le mot tamzwarut par « aînée », dans le sens où la

femme à laquelle il s’applique a précédé la mariée dans la vie, ou du moins dans l’initiation à la sexualité, puisqu’une tante peut très bien être la cadette de sa nièce. Mais, dans les rites de mariage, le terme tamzwarut ne désigne pas uniquement la femme âgée ou la femme mariée. Dans l’Anti-Atlas et à Achtouken, il arrive que les jeunes vierges remplissent certains rôles rituels. Le titre timzwura leur est alors également attribué. La traduction « aînée » est donc inadéquate lorsqu’il s’agit d’une jeune fille. Aussi, je traduis tamzwarut par « aînée » quand l’agent ainsi désigné est une femme mariée, et par « précédente » quand il s’agit d’une jeune vierge. En général, les compagnes de la mariée sont désignées par le terme tifrXin (filles) qui connote leur célibat.

Les services rituels des « aînées » sont gracieux. Elles sont choisies de préférence dans la proche parenté (grand-mères, tantes, sœurs) (Figure 7, p. 79). On a rarement recours à l’aide des parentes lointaines. Encore plus rare est le recours aux services d’amies ou de domestiques pour cause de brouille totale avec les femmes de la famille. Mais il ne suffit pas d’être une proche consanguine de l’un ou l’autre des mariées pour

prétendre à la position d’aînesse. Les femmes qui jouent le rôle d’« aînée » sont souvent, si ce n’est toujours, des femmes qui occupent une très haute position dans leur famille et dans leur communauté. Ce statut peut leur être en partie conféré par la position de leurs époux, mais il tient avant tout à leur réussite personnelle en tant qu’épouses et mères. En effet, pour être choisies, les parentes des mariés doivent répondre à des critères bien précis. Premièrement, leur ménage doit être monogame. Deuxièmement, ni elles ni leur époux ne doivent avoir connu un veuvage ou un divorce. Pour les deux époux, ce mariage doit être le premier et l’unique. Troisièmement, elles doivent être mères d’une progéniture nombreuse et de préférence masculine. Quatrièmement, leur ménage doit être heureux et prospère. Une femme qui a la réputation d’être battue par son époux n’est pas éligible à la fonction d’« aînée » même si elle remplit les trois premières conditions.

Le terme générique désignant les « aînées » est donc timzwura. Mais, selon la nature des actes qu’elles accomplissent et la position séquentielle de ces actes, d’autres dénominatifs peuvent être employés. Ainsi, les parentes du marié qui portent le baluchon nuptial sont appelées id-muwkris1. Les « aînées » des deux familles peuvent également être désignées par le terme tingafin (sing. tangaft). L’ensemble des chants nuptiaux est dénommé tangift; et, toute séquence rituelle accompagnée de ces chants est également ainsi dénommée2. Ces deux noms, tangift et tangaft, dérivent du verbe

sngf qui qualifie l’action de ritualiser le passage d’un individu à l’état de marié par un

certain nombre d’actes répétitifs, verbaux et non verbaux. Le terme tangaft peut donc être traduit par « chanteuse » et « agent rituel ». Tandis que tangift peut être entendu aussi bien au sens de « chant » qu’au sens de « rite ».

Traditionnellement, les termes ismg et tawaya désignaient respectivement l’homme et la femme esclaves et originaires d’Afrique noire. Dans les lignages où subsistent des descendants des esclaves affranchis, les corvées rituelles de l’ismg et de la tawaya sont confiées de préférence à ces domestiques noirs. Si les familles des mariés ne disposent pas de domestiques de couleur, ces corvées sont prises en charge

1

. Voir infra p. 128 et sq.

par des domestiques blancs. Mais l’homme qui assume les tâches de l’ismg ne se voit jamais appliqué ce titre. Tandis que la domestique blanche est appelée tawaya même si elle a un teint de lys. Pour cela, je traduis les titres ismg et tawaya par « domestique », bien que leurs acceptions initiales soient respectivement « nègre » et « négresse », dans les sens d’esclave et de personne de couleur noire1

.

Conclusion

Dans la période traditionnelle, la tribu Aksimen se caractérise donc, comme les autres tribus de plaine, par une forte tradition de ségrégation des sexes aussi bien dans la vie quotidienne qu’en situation cérémonielle. Tandis que les tribus de montagne (Anti-Atlas) connaissent un degré de ségrégation relativement plus modéré. Ici, la coutume autorise un minimum d’échange entre les filles et les garçons célibataires. De même, elle permet le partage de l’espace des festivités par les danseurs des deux sexes. C’est donc sur le territoire des Aksimen, une des tribus chleuhes les plus ségrégationnistes, que sont observés des changements cérémoniels qui, comme nous le verrons plus loin, induisent une violation de la tradition de ségrégation cérémonielle des classes de sexe et d’état civil.

La structure des rôles rituels commune à toutes les tribus du Sous dénote une hiérarchie sociale selon l’âge, le sexe, le statut, voire selon la couleur de la peau. Dans le cours de la description des cérémonies, nous verrons quelles fonctions échoient à chacun de ces agents rituels.