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Le choix du conjoint : rôle décisif des parents

CHAPITRE II : CHOIX DU CONJOINT ET ACCORDAILLES

1. Le choix du conjoint : rôle décisif des parents

Chez les Aksimen, la mère joue un rôle actif dans la recherche d'une épouse pour son fils1. Dès que ce dernier est pubère, elle commence à explorer les partis possibles. Mais sa capacité à faire ce choix dépend étroitement de sa liberté de circulation. Si elle est cloîtrée, son rayon de sélection est réduit à la parenté et au proche voisinage. Quand elle ne trouve pas de bru à son goût dans son entourage, elle ne peut battre campagne et aller la chercher dans d'autres villages. Elle peut à la rigueur faire part de son projet à des parentes ou amies vivant dans des villages limitrophes. Par contre, le père a toute latitude pour circuler dans les souks, d'un village à l'autre, voire d'une tribu à l'autre. Dans ses nombreux déplacements, il aura souvent l'occasion de traiter avec des pères de filles pubères.

1. L’étude des stratégies matrimoniales n’entrant pas dans la problématique de ce travail, je n’ai pas examiné la

fréquence du mariage endogame chez les Aksimen. Cette omission est également due à l’indisponibilité de données statistiques. Dans le discours des informateurs, le mariage strictement endogame, c’est-à-dire le mariage avec la cousine parallèle patrilinéaire, la bint el am, n’est présenté ni comme une règle, ni comme une

préférence. Le mariage est possible avec toutes les catégories de cousines, à un degré rapproché comme à un degré lointain. Le mariage avec la bint el am est « un coup parmi d’autres » (C. LACOSTE-DUJARDIN, 1981

(a), p. 235). Il semble faire l’objet d’une préférence et d’une pratique marquée surtout chez les familles maraboutiques et chez les grandes familles. Voir C. LEFÉBURE, 1981, « Le choix du conjoint dans une communauté berbérophone du Maroc présaharien (éléments pour une étude) » in : COLLECTIF, Production,

Les critères de sélection sont sexuellement différenciés. Si, pour le père comme pour la mère, la réputation et le statut de la famille de la fille sont de première importance, les mobiles qui guident leurs choix sont néanmoins différents. La femme accorde beaucoup d'importance aux qualités physiques et morales de sa future bru. Les filles étant voilées dès les premiers signes de puberté et les sexes séparés dès la petite enfance, la mère se substitue en quelque sorte à son fils pour lui trouver une épouse répondant au « canon » de beauté local 1. À l'encontre de son mari et de son fils, elle sera en contact quasi permanent avec sa bru. Pour cela, elle choisira une fille très jeune et inexpérimentée qu'il lui sera facile de modeler, une fille à la personnalité timide et effacée plutôt qu'une fille au caractère trop affirmé.

Si elle privilégie la relation endogame2, la mère circonscrit sa recherche aux cercles de la parenté proche et de la parenté relationnelle. Sa préférence ira à la fille du frère ou de la sœur. Les liens affectifs les unissant sont supposés aplanir les rivalités inhérentes à la relation belle-mère/bru. De ses nièces, la belle-mère s'attend à recevoir des attentions filiales, et non seulement le respect et l'obéissance dus à la mère de l’époux. Si ces premières tentatives échouent ou si elle privilégie la relation exogame, son champ d'investigation s'élargit aux autres familles du village dans un premier temps, puis à celles des villages limitrophes traditionnellement alliés. Quand l'alliance dépasse le cadre du village résidentiel, elle est rarement le fait de la mère. Au fur et à mesure que le cercle de sa recherche s'élargit, le nombre d'agents y participant s'accroît. Tou(te)s les parent(e)s du jeune homme se sentent directement concerné(e)s par son établissement.

1. Les attributs de la femme idéale sont ainsi décrits par Oudaden, un orchestre local : « Que dis-tu de moi/ Ô cousin Mohammed ?/Ma taille [est fine] comme le roseau/Ma jambe [est galbée comme] le pain de sucre/Mon bras [est galbé comme] le pain de thé/Mes cheveux tombent jusqu'à terre/Mes yeux [sont larges] comme des verres/Ma bouche [est petite] comme un sou ». Messaouda (une tawaya) : « Même si elle [la mère] lui choisit une ogresse, il [le fils] est obligé de l’accepter ».

2. « Loin d’obéir à une norme qui désignerait, dans l’ensemble de la parenté officielle, tel ou tel conjoint obligé,

la conclusion des mariages dépend directement de l’état des relations de parenté pratiques, relations par les hommes utilisables par les hommes, relations par les femmes utilisables par les femmes, et de l’état des rapports de force à l’intérieur de la « maison », c’est-à-dire entre les lignées unies par le mariage conclu à la génération précédente, qui inclinent et autorisent à cultiver l’un ou l’autre champ de relations ». P. BOURDIEU, 1980, Le

Quand le père est le principal agent du choix de la bru, c'est d'abord en tant que fille d'un tel qu'il la choisit, et non pour ses qualités personnelles. Des qualités dont il ne peut d'ailleurs juger à moins qu'elle ne soit une proche parente. Contrairement à la mère qui obéit dans ses choix endogames à des mobiles d'ordre affectif et domestique, le père a plutôt des mobiles d'ordre économique et politique. Son principal critère de sélection de la fille du frère est la préservation de l'indivision du patrimoine lignager1. Par ailleurs, les choix exogames de l'homme ont souvent pour objet l'établissement ou la consolidation d'une relation de patronage ou de clientélisme.

On a tendance à croire que les femmes font les mariages et que les hommes les entérinent. Ceci est vrai dans le cadre de l’endogamie et/ou de l’homochtonie. Mais, dans le cas d’un « mariage extra-ordinaire »2, lorsque l’alliance dépasse le cadre de la parenté et du proche voisinage, ce sont les hommes qui prennent en charge tout le processus matrimonial. Dans le cadre d’un « mariage ordinaire »3, même si la mère joue un rôle primordial dans la sélection de la bru, son choix reste soumis à l'approbation du père qui détient l'autorité absolue en ce domaine4. Et, même si elle est l’agent de la première démarche, la vraie parole (awal) revient en dernier ressort au père du jeune homme. Car les femmes n’ont ni le pouvoir de négocier les termes économiques d’un contrat, ni celui de conclure le mariage de leurs enfants5.

1. Voir infra comment les filles étaient lésées de leur part d’héritage, pp. 156-162.

2. BOURDIEU P. définit ainsi « le mariage unissant les grands de deux tribus ou de deux clans différents », en opposition au « mariage ordinaire » qui est conclu « dans la parenté pratique, c’est-à-dire dans le champ des relations sans cesse utilisées et ainsi réactivées pour de nouvelles utilisations ». « Conclus entre familles unies par des échanges fréquents et anciens, ces mariages ordinaires sont ceux dont on n’a rien à dire, comme de tout ce qui a toujours été ainsi de tout temps, ceux qui n’ont pas d’autre fonction, hors la reproduction biologique, que la reproduction des relations sociales qui les rendent possibles. Ces mariages qui sont généralement célébrés sans cérémonie, sont aux mariages extra-ordinaires, conclus par les hommes entre villages ou tribus différents ou, plus simplement, hors de la parenté usuelle, et toujours scellés de ce fait par des cérémonies solennelles, ce que les échanges de la vie ordinaire sont aux échanges extra-ordinaires des occasions extra-ordinaires qui incombent à la parenté de représentation ». 1980, pp. 299-301 et sq.

3 . Ibid. 4

. « It is the males who negotiate and finalize the payment of the sdaq (bridewealth) and whose word is binding in marriage arrangements and contracts. Although women try their best to manipulate men to their own advantage, the final decisions almost always reflect the desires and needs of the males ». A. RASSAM, 1980, p. 173. 5. « La structure du système des catégories de pensée collective pose, à titre d’axiome, que la concurrence pour le

pouvoir officiel ne peut s’inscrire qu’entre les hommes tandis que les femmes peuvent entrer dans la concurrence pour un pouvoir par définition voué à rester officieux ou même clandestin et occulte [...] lors même qu’elles détiennent le pouvoir réel, et c’est souvent le cas, en matière de mariage au moins, les femmes ne peuvent l’exercer complètement qu’à condition d’en laisser aux hommes toutes les apparences, c’est-à-dire la manifestation officielle et de se contenter du pouvoir officieux de l’éminence grise, pouvoir dominé qui s’oppose au pouvoir officiel, en ce qu’il ne peut s’exercer que par procuration, sous couvert d’une autorité officielle, aussi

Conscientes des limites et du caractère officieux de leur pouvoir dans le domaine, les mères de garçons occultent complètement leurs propres rôles de sélection et de consultation en disant : « Ce sont les hommes qui demandent » (irgazn a y-siggiln).