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CHAPITRE II : CHOIX DU CONJOINT ET ACCORDAILLES

3. La demande en mariage

3.1. Rencontre des mères

L’acte de faire une demande en mariage est dénommé asiggl1. Accompagnée de quelques parentes, la mère du jeune homme se rend au domicile des parents de la jeune fille. Au moment d'entrer, elle prononce la parole d'usage : « Les invité(e)s de Dieu » (ingbiwn n rbi)2. Ce à quoi la maîtresse de maison répond : « Soyez les bienvenues à ce que Dieu donnera » (brkamt s inna d yiwi rbi)3. La formule des « solliciteuses » (timsigglin) expriment d'emblée et implicitement le but de leur visite. La formule de politesse de l’hôtesse sous-entend que l'issue de leur démarche ne dépend pas d'elle, mais de la volonté divine. Elle prononce cette phrase en prenant leur cadeau qui consiste en deux pains de sucre placés dans un panier. Ce sucre est soigneusement conservé, tant que l'accord n'a pas été conclu.

Après le partage d'un repas ou d'une simple collation, la mère du jeune homme se rapproche de son hôtesse pour lui adresser de manière explicite sa requête. Même si elle n'apprécie pas le jeune homme et/ou sa famille, la mère de la jeune fille n'exprime jamais son refus directement4. Quelle que soit sa position, sa réponse est : « Elle est à vous. Nous vous la donnons, si Dieu vous l'a donnée ». Elle ne peut se prononcer à la place de son époux qui détient le pouvoir décisionnel de refuser ou d'agréer une demande. Conformément au hadith qui dit que « la femme ne peut marier la femme » et qu’elle « ne peut se marier elle-même », la mère n’est pas habilitée à conclure le mariage de sa fille5. Seul le père (ou tout autre substitut masculin) peut remplir la

1. asiggl : ce terme est dérivé du verbe siggl qui recouvre les sens suivants : « chercher » (un conjoint) et « faire une demande en mariage ». asiggl prend plusieurs sens. Il désigne, selon les contextes, la recherche d'un

conjoint, la demande en mariage, la célébration des accordailles et le lot de cadeaux remis à cette occasion aux parents de la fiancée.

2. « ingbiwn n rbi » : littéralement « invitées (croyantes en/ envoyées par) de Dieu ». Par cette formule est

demandée l’hospitalité que Dieu (par la bouche de son Émissaire) a recommandé entre croyants. Le Prophète a, en effet, recommandé d’accorder le gîte et le couvert au moins trois jours. D’où la fameuse formule, « l’invité du Prophète trois jours », qui est prononcée par l’hôte souffrant d’un abus d’hospitalité.

3. C’est-à-dire « Soyez les bienvenues (pour partager) ce que Dieu donnera ».

4. Dans le Sous, le refus de l’alliance ne constitue pas une atteinte à l’honneur des demandeurs, comme dans le Nord du pays.

5

. Voir O. PESLE, 1946, La femme musulmane dans le droit, la religion et les moeurs, Rabat : La Porte, p. 109 ; et L. MILLIOT, 1953, pp. 297-298. Ce principe patriarcal souffre une entorse dans le Moyen Atlas, notamment

fonction de tuteur matrimonial (wâli)1. Pour le mariage du fils, la mère joue un rôle actif dans la recherche de la bru et peut influencer le père en faveur de son choix. Par contre, en ce qui concerne le mariage de la fille, elle n'a aucun pouvoir décisionnel ; et elle limite volontairement son rôle consultatif. En effet, de peur d’avoir à subir les reproches de l’époux en cas d’échec de l’union, les femmes se gardent bien de se prononcer trop ouvertement en faveur d'un parti.

3.2. Rencontre des pères

Un certain laps de temps s'écoule avant que n'ait lieu la rencontre officielle des pères. Pendant cette période, le père de la jeune fille fait une enquête poussée sur le prétendant et sa famille. Il tient à s'assurer des bonnes mœurs du jeune homme2, de sa capacité à endosser les responsabilités d'un foyer, de la réputation et du statut de sa famille. Si les renseignements recueillis ne le satisfont pas, il exprime son refus par le renvoi des deux pains de sucre. La restitution du sucre de l'asiggl est une coutume spécifique aux tribus du Sous. Tandis que dans le Nord du pays, les parents de la jeune fille le consomment même s'ils refusent l'alliance (D. M. HART, 1976, p. 130). Dans le Sous, l’offre de sucre à l'occasion d'une demande d'alliance matrimoniale a une finalité différente de celle qui a lieu en d’autres occasions, cérémonielles et ordinaires. Le sucre de l'asiggl n'est gardé et consommé que si les sollicités consentent à donner leur fille. Il sert à tester leur appréciation de la demande3. En d’autres occasions, l’offre de

chez la tribu Zayan, où la femme peut, en certaines circonstances, devenir chef de tente, et jouir des mêmes droits qu’un homme. « Le père, ou à défaut le chef de tente, a le droit de marier à qui il l’entend la jeune fille sur laquelle il exerce son autorité. Si du fait de la mort du père de la jeune fille, et en l’absence de parents mâles, la direction de la tente a été prise par une femme (mère, soeur, tante, etc.), celle-ci a, pour le mariage, et en ce qui concerne le choix du mari de la jeune fille, les mêmes droits que le père ». R. ASPINION, 1937, p. 111.

1. « Le wâli du mariage est l'agnat par lui-même selon l'ordre prévu par l'héritage, à condition d'être un parent au degré prohibé, et à condition aussi que ce wâli soit sain d'esprit, pubère [...] et majeur [...]. Le wâli du mineur est le père de celui-ci ou celui qui le remplace. Le juge est le wâli de quiconque n'a pas de wâli ». M. BORRMANS, 1977, Statut personnel et famille au Maghreb de 1940 à nos jours, Paris/La Haye : Mouton, pp. 201, 202. Pour les modifications apportées au chapitre de la tutelle matrimoniale en 1993, voir MAROC (a), 1996, Moudawana. Code de Statut Personnel et des Successions, éd. synoptique franco-arabe établie par F. P. Blanc et R. Zeidguy, Rabat : Sochepress-Université, pp. 47-51.

2. Le tabagisme constituait un motif suffisant de refus. 3

. « Accepter un présent de la part de celui qui vous prie de lui accorder quelque chose, c’est signe de bonne disposition à l’égard du demandeur, c’est presque la marque d’un engagement à lui accorder ce qu’il demande ».

pains de sucre, dénommée laqdam1, permet de maintenir et réguler l’échange de visites entre les familles.

Les solliciteurs peuvent également retarder l'officialisation de leur demande. Ainsi, ils peuvent juger si l'union projetée s'annonce de bon ou de mauvais augure. Si durant cette période il arrivait quelque malheur au prétendant et/ou à sa famille, ce coup du sort est interprété comme un mauvais présage. Par ailleurs, il peut arriver que des personnes connaissant bien la famille de la jeune fille viennent, pour une raison ou une autre, déconseiller à celle du jeune homme de mener à terme le projet d'union.

La rencontre des pères a généralement lieu à la mosquée, au souk, ou dans tout autre espace public. L'homme réitère de manière officielle la requête déjà formulée par sa femme. Les deux pères négocient alors les termes de l'accord. Il est d’usage que le père du prétendant offre à celui de la jeune fille un ensemble de biens de consommation à titre d’aide ou de compensation pour les frais de noces. Le terme dfuqui désigne cette compensation subsidiaire dérive de l’arabe daf qui signifie « versement » ou « paiement ». Il est en usage dans toutes les tribus berbérophones et arabophones du Sous2. Le père de la jeune fille peut émettre des exigences particulières quant à la valeur du dfu. Mais, en général, ses composants sont fixés par la coutume de chaque groupe villageois ou citadin. Par ailleurs, dans le Sous, il est très mal vu que le père de la jeune fille réclame des biens pour lui-même.

Dans toutes les localités du Sous, où le droit coutumier (azzrf ou lorf ) coexiste avec le droit musulman (šra), le prix de la compensation matrimoniale (amrwas3ou

sadaq4) de la femme est fixé par la coutume locale. Aussi, la valeur de cette

E. RANC, 1987, Le sens contre la puissance. Logiques de pouvoir et dynamique sociale : Le mariage Malinke,

Thèse de 3ème cycle, E.H.E.S.S., p. 235.

1. laqdam : ce terme dérive de l’arabe al aqdam qui signifie « pieds ». En tašlhit, laqdam désigne à la fois l'action de rendre visite à quelqu'un, et l'offre de sucre faite à cette occasion. Ce don en appelle un autre de nature - ou du moins de valeur - équivalente. La personne qui a reçu un laqdam (une visite et un don) se doit de rendre et la visite et le don. Tant que le « contre-don » n'est pas fait, l'initiateur ne « remettra pas les pieds » chez son hôte. L'expression « itfar iyi laqdam » signifie à la fois « je lui dois une visite » et « je lui dois un don ».

2. Voir infra p. 119 et sq.

3. amrwas : dénominatif berbère de la compensation matrimoniale (sadaq) que le Coran prescrit au prétendant de verser à sa future. Nous verrons plus loin qu’en pays chleuh les modalités de versement de cette compensation sont différentes de celles prescrites par le droit musulman. Voir infra p 132 et sq.

4. sadaq : la compensation que le Coran prescrit au prétendant de verser à sa future avant la consommation du mariage. Je traduis ce terme par « compensation matrimoniale », plutôt que par « dot » ou « douaire » comme il est d’usage dans la littérature sur le mariage musulman, car aucun de ces deux derniers termes ne rend vraiment

compensation n’est discutée que dans les régions où seul le droit coranique est appliqué, notamment dans les villes d’Agadir et Taroudant, chez les Ihahan et chez les tribus arabophones de Houara et Oulad Jerrar1. Ainsi, il y a deux générations, l’amrwas des femmes Aksimen était fixé à 10 réaux (ryal)2

.

Au terme de l’entretien des pères, une date est fixée pour la célébration des accordailles au domicile des parents de la jeune fille. Cette cérémonie a généralement lieu une semaine après leurs négociations. À présent, les deux hommes sont liés par leur mutuelle promesse d’alliance.