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Entretien avec Olivier Legroux*

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 102-105)

Comment est né le projet « Mes racines sont ailleurs, mais ma vie est ici » ?

Ce projet prend sens en référence à l’histoire de Villeurbanne. À l’origine, des hameaux qui devinrent une ville avec la Révolution Industrielle. Et un lieu de convergence de populations : à la fin du XIXe siècle, les Italiens apportèrent la main-d’œuvre dont la France manquait. C’est

en leur honneur qu’on baptisa la rue des Bienvenus. Quelques années plus tard, au gré des vicissitudes de l’histoire, Espagnols, Arméniens, Portugais, Algériens, Marocains, Tunisiens et Européens de l’Est trouvèrent terre d’accueil à Villeurbanne. L’identité de la ville s’est ainsi construite autour de différences, mais aussi d’un projet social ambitieux : en 1934 un nouveau centre-ville vit le jour, 1 500 logements sociaux tout confort, avec théâtre, piscine, palais du travail, locaux associatifs… Si cette utopie réaliste vit toujours en 2007 et constitue un modèle d’architecture, d’autres quartiers de Villeurbanne n’ont pas échappé aux affres de l’urbanisa- tion des années 1960.

Comment s’approprier cette histoire complexe ? Comment amener les habitants, aux histoi- res très diverses, à « vivre » pleinement leur ville ? Ernest Renan concevait la nation comme une suite d’expériences historiques et de souvenirs partagés, qui constituent la « respiration commune » qui lie les habitants. Cette approche peut-elle s’appliquer à l’histoire d’une ville ? C’est autour de ces questions cruciales qu’a émergé l’idée d’explorer ce sentiment d’apparte- nance avec les jeunes Villeurbannais. Ainsi depuis près de trois ans, le concours presse du service Jeunesse de Villeurbanne (Rhône) encourage chaque année les jeunes à décrypter leur environnement, à connaître ce qu’il fut et, pourquoi pas, à imaginer ce qu’il pourrait devenir.

Qui sont les jeunes concernés ? Et comment mettez-vous en place la démarche ?

En 2006, six classes de collégiens et de lycéens ont travaillé avec leurs enseignants et les ani- mateurs du pôle citoyenneté de la mairie à l’occasion des soixante-dix ans du Front populaire. Trois thèmes étaient abordés, aboutissant à la réalisation d’un journal de seize pages : les loi- sirs et le temps libre, le travail et la reconnaissance sociale des travailleurs, le patrimoine industriel.

Afin de permettre aux jeunes de s’approprier leur environnement, le service municipal jeu- nesse les forme aux techniques de reportage (interviews, prises de notes, enregistrements) et d’expression en favorisant leur esprit critique. Les collégiens et lycéens ont ainsi rencontré des témoins du Front populaire en maisons de retraite, recueilli leurs témoignages, recherché les noms de rue liés à cette époque, découvert des bâtiments industriels de la ville et dévoilé le tout dans leur journal, qu’ils ont ensuite diffusé à la criée. En pleine contestation du CPE, le thème du travail et de la reconnaissance sociale avait pris une résonance particulière pour ces jeunes rédacteurs.

Après s’être tournée vers la mémoire de la ville, l’édition 2007 s’intéresse à ce qu’elle pourrait devenir et s’étend à dix établissements. Collégiens et

* Directeur du service Jeunesse de Villeurbanne

lycéens sont invités à imaginer leur ville de demain dans toutes ses dimensions : sociale, urba- nistique, sportive… Pour partager leur « rêve de ville », ils vont cette fois s’exprimer à travers deux supports : leur journal et une création plastique (maquettes en bois, métal, modelages…).

Quelles seront les suites ?

Cette édition 2007 s’intéresse également au fonctionnement présent d’une ville. Pour imagi- ner ce que pourrait être la ville de demain, les jeunes découvrent au préalable son organisa- tion et sa vie démocratique. Dix jeux de piste ont été organisés en mairie qui ont permis aux jeunes de rencontrer leurs élus, les techniciens, de découvrir le mode de fonctionnement d’un conseil municipal, bref, de comprendre l’organisation d’une Ville et de ses services.

Forts de cette expérience, les rédacteurs approfondissent et travaillent leur « rêve de ville » en revenant interviewer des personnes-ressources en déplacements urbains, petite enfance, urbanisme, culture…

Et parmi les rêves des collégiens et lycéens villeurbannais, incités à imaginer leur ville du futur, on peut trouver un immeuble en forme de dauphin, composé de logements mixtes, un métro aérien interbanlieue, des terrains multisports pivotants, une cité des sciences…

Quel lien faites-vous entre ces deux projets et l’éducation à la citoyenneté ?

Ces actions rencontrent un grand succès auprès des jeunes, qui, témoignent-ils, se sentent citoyens et plus seulement élèves. Organiser des comités de rédaction, sortir de l’établisse- ment scolaire, rencontrer des élus, enquêter, prendre voix, comprendre le réel les a enthou- siasmés. L’implication active des différents services municipaux a joué également un rôle déterminant pour les jeux de piste.

Par ailleurs, les débats et les négociations au sein des classes pour choisir un projet commun sont un véritable exercice de vie démocratique. Les premières ébauches de « rêves collectifs » ont été très riches et très révélatrices : des classes entières ont imaginé des projets enthou- siasmants, tandis que d’autres ne rêvaient que de… casiers dans leurs lycées et de bus qui arrivent à l’heure. La confusion entre imagination et doléance résignée témoigne ici de réali- tés et de préoccupations fort différentes selon les quartiers.

Seul bémol : les lycéens qui n’habitent pas à Villeurbanne mais y sont scolarisés pouvaient se sentir moins concernés par le projet.

Confrontés aux injonctions publicitaires quotidiennes et narcissiques à « être soi », à « deve- nir ce que l’on est », les collégiens et lycéens villeurbannais ont l’occasion d’entrer dans une démarche collective et de mieux s’approprier leur environnement. Ils découvrent l’histoire de leur ville, la confrontent aux mémoires des vieux, à leur mémoire familiale, se rendent dans la maison commune, comprennent la représentation politique et imaginent ce qui pourrait chan- ger. C’est au fil des relations humaines, au fil de l’histoire de leur ville, que se forge une par- tie de leur identité. Ce n’est peut-être pas la plus belle ville du monde, mais c’est la mienne !

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 102-105)