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Entretien avec Annick Perrin* Qu’est-ce qu’un atelier de philosophie à l’école primaire ?

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 36-38)

Il existe une grande diversité de pratiques et de courants dont les orientations peuvent être divergentes quant aux finalités prioritaires d’une pratique du philosopher à l’école primaire. Toutes ces pratiques visent le travail de la pensée et de la citoyenneté, mais toutes n’établis- sent pas la même hiérarchie dans les objectifs. Selon la finalité première attribuée à l’atelier, le rôle du maître, du point de vue du degré de guidage de la pensée des enfants, ne sera pas le même.

C’est ainsi que les ateliers dont la raison d’être est de faire vivre aux élèves l’expérience qu’ils sont capables de penser par eux-mêmes impliquent une non-intervention de l’enseignant sur le fond. C’est le courant inauguré par Jacques Lévine (ateliers AGSAS). À l’opposé, l’atelier qui se donne comme objectif premier de faire progresser les capacités argumentatives supposent un guidage très serré de l’enseignant, comme celui que pratique Anne Lalanne par exemple. Entre ces deux extrêmes, il existe une voie médiane représentée par Michel Tozzi, François Galichet, Alain Delsol, entre autres. Michel Tozzi, qui a conçu pour les classes terminales une didactique du philosopher en trois points (problématiser, argumenter, conceptualiser) tra- vaille avec cette visée avec les enfants, tout en prenant en compte qu’à l’école primaire il ne peut s’agir que d’une mise en marche de la pensée vers de tels objectifs. Il intervient donc dans la discussion enfantine mais uniquement sur la forme (reformulation, mise en lien de dif- férentes idées émises, microsynthèses etc.) et en laissant très libre la pensée des enfants sur le fond.

La réflexion abstraite à caractère philosophique suppose une posture spécifique par rapport à la pensée de type universel. Les enfants ont d’abord besoin d’explorer ce qu’ils pensent sur le monde, avant de se livrer à un travail d’argumentation. Cette phase exploratoire peut se met- tre en place dès la grande section de maternelle avec des ateliers très libres. Par la suite, au cycle 3 surtout, ils ont eux-mêmes envie d’aller plus loin et l’on peut à la fois avoir plus d’exi- gences du point de vue de la précision de la pensée, de l’argumentation, et d’autre part nour- rir la réflexion par des lectures.

L’animation d’une discussion reste toutefois un art difficile car l’enseignant doit être très pré- sent sur la forme et discret sur le fond.

Y a-t-il des pratiques d’écriture liées aux ateliers ?

Tout dépend de la démarche adoptée. L’atelier philo est d’abord une pratique orale. L’écriture joue toutefois un rôle important, bien que non systématique. Il s’agit toujours d’un écrit per- sonnel qui n’a pas à être évalué scolairement.

Cet écrit n’a de sens que mis au service de la pensée dont il favorise l’élaboration. Il peut inter- venir en amont de l’atelier (« qu’est-ce que vous pensez de cela ? ») pour que les élèves puis- sent poser leurs idées, se les formuler à eux-mêmes, avant de rentrer dans l’oral collectif qui, pour certains enfants, va beaucoup trop vite. Il peut aussi intervenir en aval de l’atelier (« et maintenant qu’on a échangé nos idées, que pensez-vous de… ? »). Dans ce dernier cas, il est soutenu par la dynamique de la discussion qui vient d’avoir lieu, qu’il permet à chaque parti- cipant de prolonger, en en faisant la synthèse. Les écrits sont, de plus, utiles à l’enseignant pour préparer les débats suivants. Ils révèlent l’hétérogénéité de la classe.

Quels sont les thèmes abordés ?

Il faut distinguer les « thèmes » et les « problématiques ».

Quels que soient les thèmes (l’intelligence, le langage, le bonheur, l’amitié, la justice, le cou- rage, l’espoir, le rêve…), leur choix n’a de sens que lié à de vrais enjeux dans la vie des êtres humains. D’une façon générale, les thématiques portent sur la relation à l’autre, la relation à l’adversité, les valeurs morales, sociales, etc. Toutes ces questions à teneur anthropologique passionnent les enfants qui y rapportent indirectement leur expérience de « petit homme ». Notons qu’il est toujours fécond de proposer à la réflexion des élèves, quand c’est possible en fonction du sujet, un couple de notions contraires du type « le bonheur/le malheur », « être juste/être injuste ».

Avec des enfants de cycle 3, on abordera, non seulement des « thèmes » mais des « problé- matiques », c’est-à-dire des questions qui resserrent le champ de la réflexion sur un problème précis, du type : « qu’est-ce qui est juste ? », « pourquoi parle-t-on ? », « jusqu’à quel point les hommes sont-ils égaux ? », etc.

Ces ateliers philosophiques ont-ils des visées d’éducation à la citoyenneté ?

On ne pense pas tout seul. L’atelier philo, toutes tendances confondues, permet d’en faire l’ex- périence. La confrontation intellectuelle à l’autre et l’étayage apporté par le groupe pour cons- truire sa propre pensée constituent une forme de mise en acte des valeurs de la démocratie. Mais il existe une autre dimension qui fait que ces débats sont un outil de citoyenneté formi- dable. Les ateliers sont des espaces où l’on voit souvent se métamorphoser les élèves en dif- ficulté. La qualité de leurs prises de parole dans ces moments-là permet à leurs camarades, mais aussi à l’enseignant, de changer de regard sur leurs compétences. Il y a là un appui qui permet aux élèves en difficulté de progresser dans la structuration de leur pensée et de recon- quérir leur estime de soi.

Existe-il des formations pour les enseignants ?

La philosophie n’étant pas au programme de l’école primaire, il n’y a pas de formation insti- tutionnalisée aux ateliers philo dans les IUFM. Seuls s’en occupent les professeurs qui esti- ment qu’il y a là un enjeu important pour les élèves et qu’il ne faut pas laisser se développer des pratiques « sauvages » comme on le voit faire actuellement dans les classes.

Deux ouvrages peuvent aider des collègues qui souhaiteraient se lancer dans ces pratiques : l’un sur la didactique du débat : Apprendre à débattre de Jean-Charles Pettier (Hachette édu- cation), qui propose des situations de débat autour de grands thèmes ; l’autre de François Galichet : Pratiquer la philosophie à l’école (Nathan) Ce dernier travail présente l’intérêt d’ar- ticuler des propositions de thèmes et des démarches de discussion avec des lectures en réseau, qui peuvent nourrir la réflexion des jeunes élèves de l’école primaire.

Pour aller plus loin

Un site concernant toutes les pratiques philosophiques nouvelles avec, entre autres, les tex- tes de Michel Tozzi :

pratiquesphilo.free.fr

Les cahiers pédagogiques, « La philo en discussion », no432 :

www.cahiers-pedagogiques.com/mots_compl.php3?id_mot=95

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 36-38)