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Entretien avec Christine Passerieu

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 44-46)

En quoi l’école maternelle est-elle un espace d’apprentissage et de socialisation scolaire ?

L’école maternelle est le premier lieu institutionnel où la relation aux autres est médiatisée par un objet extérieur, particulier, le savoir. C’est le premier lieu où l’enfant va avoir à se dépren- dre du même, du familier pour rencontrer une nouvelle approche du monde, se construire un nouveau rapport au monde.

À l’École, dès la maternelle, le collectif de la classe ne se constitue par sur des bases affecti- ves, comme dans la famille, mais sur un projet d’apprentissage qui est défini hors de l’his- toire individuelle de chacun. Les activités scolaires visent à la construction de chacun à travers de nouvelles relations interpersonnelles et à l’instauration de nouveaux savoirs.

Ces spécificités de l’institution scolaire permettent la mise à distance de l’histoire singulière de l’enfant et favorisent son émancipation symbolique qui s’avère nécessaire au développe- ment de chacun. Les élèves apprennent donc, et ce dès la maternelle, à construire des modè- les de représentation du monde en prenant de la distance avec l’ici et maintenant de leur vécu et à centrer leur intérêt sur le véritable objet de l’activité scolaire. (Par exemple à la maison, en famille, on apprend à faire du vélo. À l’École, on apprend aussi à s’interroger sur comment on s’y est pris pour y parvenir, comment il fonctionne, ce qui permet d’en faire.) Ainsi, les élè- ves vont apprendre à différer, à poser des questions qu’ils ne se posent pas forcément tout seuls, à décontextualiser progressivement les savoirs.

Ce type d’apprentissage ne met-il pas certains enfants en difficulté ?

Pour les enfants qui sont immédiatement en connivence culturelle avec l’École, parce que issus de milieux socioculturels dont les codes, les modes de faire, les pratiques langagières sont les mêmes que ceux de l’École le passage de l’enfant à l’élève est quasi immédiat. Mais tous les enfants n’arrivent pas à l’école dans les mêmes conditions, avec les mêmes informations, les mêmes connaissances, le même langage, les mêmes référents culturels. Pour les élèves de milieux populaires, l’entrée à la maternelle constitue une rupture avec les modes de socialisation familiale. Ils devront comprendre, le plus souvent de façon implicite, la fonction de l’École, ses attentes, le sens des activités qui y sont menées, c’est-à-dire en quoi elles les concernent et la spécificité des modes scolaires d’apprentissage. Ils devront appren- dre de nouveaux modes de relations aux autres enfants et entrer dans un monde régi par de nouvelles normes.

Les formes scolaires imposent leurs contraintes qui sont socialement codifiées et que les élè- ves doivent assimiler pour entrer dans les apprentissages.

Tout cela n’est pas immédiat, spontané, pour de nombreux élèves, et ils vont devoir entrer dans une logique, un cadre de fonctionnement qui n’est pas socialement le leur.

La perception qu’ont certains élèves de ces normes ne peut que nous interroger. Pour exem- ples, j’ai mené des entretiens avec des élèves de grande section de la Goutte d’Or dans le XVIIIe arrondissement. Certains élèves y expliquent que pour apprendre « il faut être sage »

ou « lever la main » ; d’autres pensent que pour apprendre « il faut coller des gommettes », « pas déborder le coloriage », ou que pour apprendre à lire « il faut savoir tourner les pages ». Ces élèves ne comprennent pas ce qu’il y a à faire à l’École et pourquoi ils ont à le faire. Ils essaient de « faire l’élève », c’est-à-dire qu’ils s’attachent à des comporte- ments « supposés requis » et/ou supposés conformes.

En maternelle, les élèves issus de milieux populaires font massivement référence au compor- temental (« faire plaisir à la maîtresse »), alors que des enfants issus de milieux culturellement favorisés parlent de « grandir », de « savoir faire des choses tout seul ». Les seconds s’ins- crivent dans un avenir, plus ou moins lointain certes, mais qui fait sens, là où pour les pre- miers être élève c’est être conforme, obéir car ce qu’ils ont perçu de l’École c’est sa fonction normalisante.

Ces normes scolaires ont-elles du sens par rapport aux savoirs ?

L’apprentissage de la norme est une nécessité comme dans tout milieu social, mais à l’École cette norme n’a de valeur qu’à la condition qu’elle ouvre à la rencontre avec de nouveaux savoirs en provoquant chez les élèves le désir de se les approprier. C’est-à-dire que les contraintes de l’apprentissage, les efforts que cela requiert paraissent nécessaires à chacun, parce qu’il prend conscience qu’il se passe là quelque chose qui transforme son existence, son rapport au monde.

L’écriture de son prénom est difficile, cela exige de la concentration, des recommencements nombreux. Mais cela est rendu possible par la conscience qu’écrire seul c’est devenir auto- nome, s’émanciper des adultes qu’ils soient parents ou enseignants. Mais c’est aussi avoir compris ce qu’est l’écrit, les pouvoirs qu’il donne lorsqu’on en maîtrise l’usage ; l’écrit permet d’avancer dans sa réflexion grâce aux traces, aux prises de notes, il permet de s’aventurer sur des territoires inconnus où l’imaginaire est à l’œuvre, d’agir sur les autres car, par exemple, mon histoire les touche.

Dès la grande section, le travail sur l’origine de l’écriture, du dessin sur la grotte à notre sys- tème alphabétique, provoque beaucoup de questions, d’étonnement chez les jeunes enfants mais aussi de jubilation, de curiosité. Parce que les élèves entendent que cette histoire parle d’eux : les hommes n’ont pas toujours écrit, ils ont dessiné, comme eux…

C’est au cœur même de l’activité et dans les modalités de rencontre avec les objets de savoir que les élèves vont, pour eux-mêmes, donner du sens à l’acte d’apprendre. Et là, il ne s’agit pas d’une normalisation des attitudes, des comportements, qui serait « docilisante », mais d’une normativité qui passe par l’appropriation d’un objet tiers, qui transforme le regard sur le monde parce qu’entrer dans l’écrit a un sens. La norme est alors comprise comme une nécessité que l’on éprouve.

Pour en aller plus loin

PASSERIEUX C., LIBRATTI M., Les chemins des savoirs en maternelle, Chronique sociale, Lyon,

2000.

Socialiser et éduquer à la citoyenneté

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 44-46)