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Diversité culturelle et mémoires de l’immigration

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 99-102)

Il apparaît dès lors que les enjeux de ces pratiques culturelles et artistiques ne sont pas qu’es- thétiques et sont liés directement et/ou indirectement à des problématiques historiques, sociales et politiques.

Décontextualiser ces pratiques culturelles et artistiques de l’histoire (de l’immigration et de l’histoire coloniale), de leur territoire (la banlieue), du statut social de leurs acteurs (immigrés et enfants d’immigrés), du triptyque assimilation-intégration-assignation identitaire, serait vain. Pourtant, malgré les projets d’envergure dans ce domaine depuis une quinzaine d’années et l’avancée incontestable de la réflexion à ce sujet, le prétendu modèle intégrationniste (et

l’idéologie qui le sous-tend) demeure la seule grille de lecture de pratiques culturelles et artis- tiques singulières et durablement enracinées dans la réalité quotidienne des quartiers popu- laires à forte densité de population de « descendants de migrants ».

Or, il apparaît clairement que le parcours des parents (exil, rupture avec le pays d’origine, exploitation, discrimination…) a indubitablement à voir avec la démarche artistique de ces nouveaux danseurs/chorégraphes, acteurs reconnus ou non du renouvellement de la danse contemporaine.

De Passions d’exil de Magic Electro à Il faut qu’on se parle de la compagnie Hors Série, en passant par la plupart des créations d’Accrorap et Exodust de la compagnie Melting Spot, sans oublier À nos morts de la compagnie Mémoires Vives (compagnie issu des Sons d’la rue, qui rend hommage, à travers son spectacle, aux tirailleurs maghrébins, africains, asiatiques, et ce bien avant la sortie du film Indigènes), ne tergiversons pas : il s’agit bien d’un art au ser- vice d’une histoire confisquée.

Difficile de renoncer à jauger ces démarches sans leurs apports objectifs au champ culturel et artistique français, tout aussi difficile de ne pas percevoir dans leurs créations les sédiments symboliques et imaginaires du parcours migratoire de leurs parents (voire de leurs grands- parents).

Un travail exhaustif sur le versant culturel et artistique des mémoires de l’immigration, à la veille de la mise en place de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, contribuera, je l’espère, à rendre lisible, intelligible cet apport décisif à la culture française et aux pratiques artistiques qui en découlent.

Cette mémoire de l’activité culturelle et du geste ou de la parole artistiques inscrite dans une généalogie migratoire est devenue indispensable dans une société qui reconnaît difficilement mais enfin sa diversité culturelle.

Les pratiques artistiques issues de l’immigration participent à corroborer une inclinaison par- ticulière de la société française : les conditions d’une mise en perspective mémorielle de ces pratiques culturelles et artistiques issues de l’immigration semblent être réunies à l’aune de descendants de migrants devenus trop visibles (médiatiquement, électoralement) pour être ignorés même si le mépris (notamment par certains corps de l’État) est loin de se tarir. À partir d’actions emblématiques menées ici et là, il est possible de dessiner les contours du développement indispensable (et de la seule volonté politique et institutionnelle qui l’étaye) d’une mémoire culturelle et artistique de ceux qui peuplent majoritairement, par ailleurs, (et malheureusement) les territoires d’exclusion.

« Là où l’Art n’existe pas, nous sommes en territoire d’exclusion. » Beaucoup ont la profonde conviction que cet art existe mais qu’il est resté trop longtemps sous le boisseau d’une relé- gation sociale et urbaine.

Conclusion

Cette réflexion ne pouvait pas se conclure sans se référer à la figure tutélaire de l’histoire et de la sociologie des migrations en France, à savoir Abdelmalek Sayad (ami et collaborateur de Pierre Bourdieu, mort un an avant ce dernier).

Un de ses concepts, en particulier, retient toute notre attention, celui d’« objet triplement illégi- time » qu’est l’histoire des migrations nées de la colonisation : « Originaires du Sud (et à ce titre souvent perçues “sans histoire” par les anciens colonisateurs) ; sujets de l’Empire (on disait “indigènes”, c’est-à-dire sans les droits du citoyen) ; ouvriers non qualifiés (quand ce n’est pas chômeurs) : ces “gens de peu” présentent un profil sociohistorique trois fois méprisé…, aussi pour les immigrés et leurs enfants en quête d’identité, il ne reste que la mémoire. »

La mémoire apparaît donc comme une stratégie de survie du symbolique et de l’imaginaire inhérents aux populations concernées et, par corollaire, devient la matière créative de ces (jeunes) artistes et intellectuels issus de l’immigration, du militantisme à l’esthétique, et inversement.

Je propose une ouverture à notre problématique : considérer aujourd’hui qu’il y a une mémoire des pratiques artistiques issues de l’immigration appuyée et soutenue par des faits historiques, permettrait de jeter des passerelles significatives avec la création francophone en général qui décentrerait l’ancien rapport avec la métropole par une approche « archipélique » de l’art et de la culture, telle que la conçoivent Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant, apô- tres de la créolité.

L’appropriation de cette histoire se doit de revendiquer en même temps son refus de toute authenticité au sens d’une pureté des origines, de toute mythification ou mystification de ces dernières.

En affichant son scepticisme, voire son désintérêt, à l’égard de tout universalisme sans plura- lité des formes et des contenus, elle pourrait d’autant mieux revendiquer la contribution essen- tielle des créations issues de l’immigration, et plus généralement de la francophonie (filiation historique et culturelle de la colonisation) dans le champ culturel et artistique français. La mémoire des pratiques artistiques issues de l’immigration et du développement culturel qui peut l’accompagner reste à construire non seulement à des fins exclusivement mémoriel- les, mais aussi, et peut-être surtout, pour accompagner la reconnaissance en cours de la diversité culturelle de la société française.

N’oublions pas que la transmission s’est toujours effectuée et continue de s’effectuer à partir de la rencontre entre mémoire et imaginaire, du conte à la musique, en passant par la danse, dont le lecteur aura compris qu’elle m’interpelle particulièrement, convaincu que les corps finissent toujours par parler même lorsque le silence se veut salvateur.

À l’heure de la mondialisation et du danger de l’uniformisation culturelle et artistique, il nous semble que résident là des opportunités, des alternatives crédibles à l’ethnocentrisme et au mono-culturalisme dominant.

L’art, en tant que déconstruction des représentations, resterait ainsi ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un acte de résistance.

« Mes racines sont ailleurs,

mais ma vie est ici »,

Dans le document Éducation et citoyenneté (Page 99-102)