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1. Problématique

1.4 Enseignement de l’orthographe lexicale

Nous abordons, dans cette section, la question de l’enseignement de l’orthographe lexicale du point de vue des pratiques pédagogiques actuellement répandues. Cet examen nous permettra d’estimer dans quelle mesure elles tiennent compte de la variété des connaissances et des procédures nécessaires au développement de la compétence orthographique. Il permettra également de mettre en relation les résultats de recherches précités et l’enseignement de l’orthographe. Dans un premier temps, nous présentons des données de recherche liées aux pratiques d’enseignement de l’orthographe lexicale testées en salle de classe et, dans un deuxième temps, des résultats concernant les pratiques déclarées par les enseignants. Nous ne prétendons pas faire une recension de toutes les études ayant abordé ces questions. Nous reprenons plutôt deux études qui nous semblent particulièrement pertinentes pour justifier l’intérêt de ce projet de recherche.

Un enseignement de qualité en 1re année est la meilleure forme de prévention des difficultés à l’écrit (Giasson, 2011). Mais, qu’est-ce qu’un enseignement de qualité ? À ce sujet, une revue de la littérature portant sur les interventions pédagogiques efficaces et sur la réussite scolaire en milieu défavorisé stipule que c’est l’enseignant, par ses pratiques d’enseignement, qui aide le plus l’élève à apprendre (Gauthier et Dembélé, 2004). Nous consacrons donc cette section aux pratiques d’enseignement de l’orthographe en salle de classe. Pour ce faire, deux études seront présentées de façon à démontrer la pertinence de questionner les pratiques d’enseignement tant du point de vue des approches éducatives et des connaissances enseignées que de celui des dispositifs, c’est-à-dire des contextes de mise en œuvre de l’enseignement. L’une présente les pratiques empiriquement testées en

salle de classe (Simonsen et Gunter, 2001). La deuxième relève les pratiques déclarées d’enseignants sur le développement orthographique des élèves de maternelle (Charron, 2006). Avant de débuter, précisons qu’une section du cadre théorique sera consacrée à l’enseignement de l’orthographe.

Les chercheurs Simonsen et Gunter (2001) ont procédé à une méta-analyse de recherches rapportant les meilleures pratiques d’enseignement de l’orthographe qui ont été empiriquement expérimentées en salle de classe. La majorité des 609 articles analysés se rapportaient à des études menées en contexte de lecture. Seules 18 études ciblant les pratiques d’enseignement de l’orthographe lexicale ont été retenues. Plus spécifiquement, elles portaient sur les programmes d’études et les approches pédagogiques visant l’appropriation par les élèves de connaissances orthographiques. Les chercheurs se sont attardés à relever, d’une part, l’efficacité des approches qu’ils considèrent comme un ensemble complet permettant le développement de la compétence orthographique (approches phonémique, lexicale et morphologique) et, d’autre part, à interroger deux programmes d’enseignement de l’orthographe mis en œuvre dans les salles de classe (Spelling Mastery et Spelling through morphographs). Ces programmes ont obtenu des résultats particulièrement probants sur le développement de l’orthographe. Ils ont permis de mettre en lumière l’efficacité de certaines pratiques, telles que l’enseignement explicite de connaissances et de stratégies, l’enseignement équilibré des contenus favorisant un retour fréquent sur les apprentissages et l’enseignement correctif.

Du côté des approches testées, ces dernières concernent les approches phonémique, globale (lexicale) et morphologique. L’approche phonémique repose sur le constat que les enfants ont moins de difficulté à orthographier les mots présentant une relation régulière entre les phonogrammes et les phonèmes. Elle favorise, en début d’apprentissage, l’utilisation des correspondances graphophonémiques pour produire les mots nouveaux. De son côté, l’approche globale repose sur le constat que tous les mots ne peuvent être transcrits en recourant aux correspondances phonogrammiques. Elle consiste à faire mémoriser les mots par cœur. Cette approche peut se concrétiser en un apprentissage explicite (de façon guidée) ou implicite (par exposition à l’écrit). Enfin,

l’approche morphologique s’appuie sur un enseignement explicite des morphèmes de pair avec les règles orthographiques associées à la combinaison de morphèmes au sein des mots multimorphémiques. Par exemple, l’élève apprend que la combinaison du morphème sonore « ing » au mot « hope » nécessite de laisser tomber le /e/ pour donner « hoping » (Simonsen et Gunter, 2001). Les auteurs ont rapporté que ces trois types d’approches avaient des effets positifs sur les apprentissages des élèves sous certaines conditions. Ces conditions ont été mises à l’essai au sein des programmes d’enseignement, ce que nous présentons maintenant.

Concernant les programmes testés en salle de classe, Spelling Mastery et Spelling Through Morphographs, le premier, consiste en un enseignement explicite de stratégies permettant l’apprentissage de mots fréquents, mais irréguliers. Par exemple, le recours à la procédure phonologique ne peut être appliqué pour les mots « though » et « through ». Les auteurs relèvent qu’en ayant recours à un enseignement explicite des stratégies de mémorisation des mots (par le biais de l'étude des mots, de mots cachés/copiés, de la comparaison de stratégies pour mémoriser les mots), les élèves retiennent mieux l’orthographe des mots. Le deuxième programme, Spelling Through Morphographs, s’appuie sur le principe selon lequel les mots sont majoritairement composés de plusieurs éléments de sens (préfixes, suffixes et base) et qu’il est profitable d’apprendre à orthographier ces éléments, puisqu’ils peuvent être recombinés par la suite au sein d’autres mots connus ou non par le scripteur. Ce programme, qui repose sur l’enseignement de connaissances morphologiques, permet aux élèves de développer un bagage de connaissances et de stratégies sur lequel s’appuyer au moment d’orthographier les mots.

Enfin, les chercheurs dégagent de leur méta-analyse que l’enseignement de l’orthographe lexicale par l’entremise des approches phonémique, globale ainsi que lexicale, et de l’enseignement explicite, équilibré, favorisant un retour fréquent sur les apprentissages et l’enseignement correctif, a des effets significatifs sur les apprentissages en orthographe. Une seule exception est notée par les auteurs. Lorsqu’une approche globale est utilisée, un enseignement explicite doit avoir lieu pour que les effets soient effectivement positifs.

Il est recommandé, selon la conclusion du travail des chercheurs, que toute planification de l’enseignement de l’orthographe devrait tenir compte de ces principes.

Plus près de nous, au Québec, Charron (2006) s’est intéressée à une démarche didactique permettant le développement orthographique chez les enfants d’âge préscolaire. Le but principal de la recherche était de documenter les pratiques déclarées associées à l’utilisation de l’approche des orthographes approchées et de mesurer l’impact de ces pratiques sur le développement du principe alphabétique chez les apprentis scripteurs. Le principe alphabétique se rapporte essentiellement à une prise de conscience que les phonèmes à l’oral sont marqués à l’écrit par des phonogrammes. Nous présentons en détail, dans le cadre théorique, les principes et les étapes du dispositif des Orthographes approchées. Pour le moment, nous retenons les principales conclusions des résultats de Charron qui montrent, à la maternelle, un effet positif des pratiques des Orthographes approchées quant au principe phonogrammique (principe selon lequel les phonogrammes correspondent, dans 80 % des cas en français, à des phonèmes, Catach, 2008). Cette étude est importante, car elle montre que même les élèves très jeunes peuvent être sensibilisés aux propriétés des mots, phonologiques dans ce cas-ci. À notre connaissance, aucune étude, québécoise ou non, n’a tenté d’étudier les modalités d’enseignement visant l’appropriation de toutes les propriétés (phonologiques, morphologiques et visuelles) des mots. Il semble donc pertinent de poursuivre la recherche en ce sens.

On retiendra de cette section que diverses pratiques pédagogiques sont mises en place pour favoriser l’apprentissage de l’orthographe. Notamment, les approches visant à la sensibilisation des élèves aux procédures de mise en correspondance des phonèmes aux phonogrammes ainsi que celles liées à la prise en compte de la structure morphologique semblent mener à des apprentissages. Ce qui manque, cependant, pour mieux comprendre comment les élèves développent une bonne compétence orthographique se rapporte aux dispositifs d’enseignement visant les propriétés visuelles des mots. Aucune étude connue n’a spécifiquement abordé cette question. Considérant que la majorité des erreurs orthographiques concernent ces propriétés, il appert important de s’y attarder.