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Encadré : Les prélèvements d’eau, pour l’alimentation des villes, sur les territoires ruraux

(Ville de Paris)

La moitié de l’eau consommée à Paris provient d’eaux souterraines captées entre 100 et 150 km de la capitale, hors de la région Île-de-France pour certaines d’entre elles. Cette situation, héritée du XIXe siècle sous sa forme actuelle, n’est pas une spécificité parisienne, mais trouve ici un caractère exemplaire de par le nombre de ressources exploitées, l’ampleur du réseau d’aqueducs et la diversité des situations locales. La relation entre une ville centre prélevant une ressource sur des territoires ruraux périphériques sur lesquels elle n’a pas d’autorité ne se passe pas toujours sans conflit, d’autant qu’au-delà du simple prélèvement de la ressource, la protection des périmètres de captage impose des contraintes à ces territoires.

Le développement de la Ville de Paris a conduit très tôt à aller chercher de l’eau hors de son territoire, les Gallo-Romains allant prélever de l’eau à environ 16 km sur les territoires actuels de Rungis, Cachan et Wissous. Le schéma d’approvisionnement actuel a été mis en place à partir du XIXe siècle à l’instigation du Baron Haussmann, sous la maîtrise technique d’Eugène Belgrand. La Ville était auparavant alimentée à partir de la Seine et du canal de l’Ourcq, eaux de piètre qualité et ne permettant pas, faute de pression, d’atteindre les étages les plus élevés des immeubles parisiens. Trois contraintes ont ainsi été posées à l’origine du schéma d’alimentation de la capitale : disposer d’une ressource suffisamment abondante, de bonne qualité, à la fois en termes sanitaires et de température, et permettant une alimentation gravitaire limitant le recours aux pompes.

Eugène Belgrand a réalisé un inventaire des sources exploitables sur l’ensemble du bassin de la Seine. A proximité de Paris les eaux présentaient des teneurs en sulfates importantes dues à la présence de gypse ou étaient trop peu abondantes pour être exploitées.

Finalement, ce sont cinq secteurs de sources qui ont été acquis entre les années 1860 et 1920 : les sources de la Dhuis, des sources dans la vallée de la Vanne, les sources de la Vigne et du Breuil dans la vallée de l’Avre, des sources dans les vallées du Loing et du Lunain et les sources de la Voulzie, du Durteint et du Dragon. Pour ce dernier secteur la loi a imposé des restitutions à la rivière d’un débit égal à celui dérivé sur Paris, pour limiter l’impact de ces prélèvements sur les eaux de surface alimentées à l’origine par ces sources. Par la suite, des années 30 aux années 70, des captages complémentaires ont été réalisés en nappe alluviale : Vals d’Yonne (1936), Vals de Seine (1955), Vert-en-Drouais et Montreuil (1970).

Prélever une ressource sur un territoire pour en alimenter un autre, d’autant plus lorsque ce dernier est éloigné et puissant politiquement, n’est pas sans poser de problèmes. Les besoins d’une ville centre dépassent les ressources disponibles localement, phénomène accentué par le fait que le nombre de consommateurs dépasse celui de la population résidente. Cette situation est encore accentuée dans le cas de la Ville de Paris avec plus de 3 millions de consommateurs quotidiens pour une population de 2,2 millions d’habitants. Les problèmes sont essentiellement de deux types, le premier relève

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pratiquement de la symbolique et concerne le prélèvement proprement dit. La Ville est alors accusée de « voler » l’eau. Le second découle des contraintes posées par les mesures de protection des captages qui peuvent restreindre les possibilités de mise en valeur pour les riverains propriétaires et exploitants.

La question du « vol d’eau » relève surtout du symbolique lié en grande partie à la nature de l’eau, la question n’étant pas évoquée avec la même acuité pour d’autres ressources. Les prélèvements ont été encadrés dès l’origine par des procédures réglementaires (lois, déclaration d’utilité publique, achat des terrains) et la jurisprudence de la Cour de Cassation rappelle tout au long du XIXe siècle, avant que l’article L210-2 du code de l’environnement ne le formalise, le caractère de domanialité publique de l’eau destinée à la consommation humaine, impliquant que l’eau n’appartient pas à la collectivité où elle est prélevée.

Au-delà de ces arguments juridiques, des arguments techniques viennent tempérer l’influence réelle de ces prélèvements vers Paris.

- En premier lieu, le prélèvement des sources est issu d’émergences naturelles et n’impacte pas la nappe, leur débit de production étant fonction du niveau piézométrique. En revanche, les eaux prélevées ne contribuant plus à l’alimentation des cours d’eau, l’impact sur les eaux de surface peut être avéré et de ce fait le prélèvement est encadré. En cas de situation de sécheresse, le préfet coordonnateur de bassin prend un arrêté cadre décliné localement par des arrêtés préfectoraux pouvant imposer des mesures de restitution aux cours d’eau en cas de franchissement de seuils.

- Par ailleurs, des droits d’eau définis depuis l’origine des captages existent afin de délivrer de l’eau aux collectivités locales, utilisés aujourd’hui encore par la ville de Sens et l’agglomération de Nemours ainsi que par trois communes rurales de la région de Provins.

La question des zones de protection des captages soulève d’autres natures de difficultés.

Les périmètres de protection au titre du code de la santé publique visent historiquement à se prémunir des pollutions ponctuelles et sont de ce fait situés à proximité immédiate des ressources, sur des terrains plus ou moins étendus selon la nature des aquifères et des terrains. Les contraintes sont très fortes sur les périmètres de protection immédiate, terrains dont la Ville a la pleine propriété. Sur les périmètres de protection rapprochée, des contraintes peuvent s’appliquer sur des terrains n’appartenant pas à la Ville : lorsque la nécessité de protection impose des mesures qui vont au-delà du cadre réglementaire strict, des mesures financières compensatoires sont versées lorsque le préjudice est avéré.

Les protections au titre du code de l’environnement concernent des surfaces plus importantes, à l’échelle de l’aire d’alimentation du captage et visent à éviter les pollutions diffuses, qui potentiellement peuvent être générées par l’ensemble des acteurs de ce territoire.

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Ces actions de protection de la ressource constituant un axe fort de la politique de l’eau de la Ville de Paris, sa régie Eau de Paris a défini en 2011 à sa demande une stratégie ambitieuse d’amélioration et de préservation de la qualité des eaux, dans laquelle le développement de synergies avec les territoires est essentiel. En effet, les actions engagées pour la protection des ressources qui alimentent Paris permettent également de protéger les nombreuses ressources locales influencées par le même territoire d’alimentation, et cette situation est envisagée par certaines collectivités comme un atout plutôt que comme une contrainte. Ainsi, plusieurs syndicats d’eau se sont associés à Eau de Paris pour conduire ensemble les études puis l’animation du territoire visant à améliorer la qualité des eaux. Elles bénéficient ainsi des moyens mis en œuvre sous l’impulsion de la collectivité parisienne. En ce qui concerne les acteurs agricoles, les mesures d’accompagnement à destination des agriculteurs (appui technique, mesures agro environnementales…) sont mises en œuvre sur la base du volontariat, et à ce titre constituent une opportunité pour évoluer en technicité, vers une agriculture plus durable.

En effet, sans enjeu « eau » identifié et sans porteur de projet engagé, les agriculteurs n’ont accès ni à cet appui technique, ni à ces financements.

Inversement, si la ville centre peut générer des contraintes sur les territoires de prélèvement, ces derniers peuvent avoir un impact qui est à la charge de la collectivité parisienne. Ainsi, la dégradation de la qualité de l’eau qui peut affecter certaines ressources conduit à renforcer les traitements ce qui se traduit par un coût supplémentaire assumé par le consommateur d’eau.

La relation entre centre urbain et territoire rural pour l’alimentation en eau ne se résume ainsi pas à une opposition binaire, à une vision « prédatrice » de la ville. Non seulement le buveur d’eau à Paris peut dans le cadre de ses déplacements professionnels ou touristiques provenir des régions de prélèvement, mais des contraintes existent de part et d’autres. Elles sont de natures différentes et difficiles à comparer, mais elles ne sont pas unilatérales. Ainsi, seule une approche territorialisée fine tenant compte des besoins et des attentes de chacun peut être à même de surmonter les obstacles, pour développer des projets qui bénéficient aux uns comme aux autres.

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