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3.2) Effets de la perte de poids préconceptionnelle maternelle sur la santé de la descendance

Des travaux et méta-analyses récentes ont mis en évidence le rôle des trajectoires pondérales préconceptionnelles au cours du développement et leur impact sur la santé des descendants (Diouf et al. 2011; Tuersunjiang et al. 2013; Weisman et al. 2011; Zambrano et al. 2010; Rattanatray et al. 2010; Price et al. 2018; Davis 2015; Adane et al. 2018). De manière intéressante, un faible gain de poids ou une perte de poids au cours de la grossesse diminue le risque de macrosomie (Bogaerts et al. 2015; Davis 2015). Une étude réalisée sur près de 1800 femmes, dans la cohorte française EDEN, s’est intéressée aux conséquences des trajectoires pondérales maternelles préconceptionnelles sur le poids de naissance des enfants. Les auteurs ont comparé le poids des femmes à 20 ans et juste avant la grossesse. La perte de poids préconceptionnelle est associée à un risque de petit poids des enfants à la naissance chez les femmes sans surpoids (IMC ≤ 25). En revanche, chez les femmes en surpoids ou obèses (IMC ≥ 25) au début de leur grossesse, aucun effet du changement de poids préconceptionnel n’a été démontré sur le poids de naissance de leurs enfants (Diouf et al. 2011). Les trajectoires pondérales entre deux grossesses peuvent influencer la croissance fœtale à la seconde grossesse. Une perte d’au moins un point d’IMC diminue le risque de macrosomie à la seconde grossesse (Villamor et Cnattingius 2006).

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Dans les études mentionnées plus haut, les mécanismes sous-jacents aux effets des trajectoires pondérales maternelles préconceptionnelles sur la croissance fœtale ne sont pas connus. En effet, les causes exactes de la perte de poids des participantes (changement d’alimentation, activité physique régulière, maladies) ne sont pas documentées. Par la suite, je vous présenterai une revue des études qui se sont focalisées sur des interventions au niveau chirurgical, de l’activité physique ou nutritionnel chez des sujets obèses, chez l’homme puis dans des modèles animaux.

3.2.1) Chirurgie bariatrique

En cas d’obésité sévère (IMC>35) et morbide (IMC>40) et lorsque les interventions au niveau du mode de vie n’ont pas eu de succès, la chirurgie bariatrique reste la seule option. Ce type d’opération restreint la capacité gastrique (chirurgie restrictive) ou bien l’absorption intestinale des aliments (chirurgie malabsorptive), ce qui diminue l’apport calorique. Les patients restent en surpoids, mais perdent tout de même environ 30% de leur poids de façon durable, ce qui réduit significativement la morbidité et les risques associés à l’obésité (Kjaer et Nilas 2013).

Selon trois revues systématiques récentes de la littérature, les risques de complications métaboliques (hypertension gestationnelle, diabète gestationnel, pré-éclampsie) sont moindres chez les patientes ayant eu recours à la chirurgie bariatrique (Kjaer et Nilas 2013; Kwong, Tomlinson, et Feig 2018; Al-Nimr et al. 2019). Ces revues aboutissent à des conclusions assez similaires quant aux effets de la perte de poids par intervention chirurgicale sur les descendants. Les mesures de poids et de taille à la naissance, corrigées par l’âge gestationnel, révèlent une diminution du poids de naissance, ainsi que des risques de macrosomie fœtale et post-natale. Les effets diffèrent légèrement selon l’opération chirurgicale effectuée, ils sont meilleurs en cas de chirurgie malabsorptive de type by-pass (Kwong, Tomlinson, et Feig 2018). Donc, dans l’ensemble, les interventions chirurgicales préconceptionnelles sont associées à une diminution de la proportion de nouveau-nés présentant un poids de naissance élevé. Ces revues ont aussi mis en lumière un risque accru de RCIU, ainsi que d’accouchements précoces. Elles s’accordent sur le fait que des études sur des populations plus larges ou en ajustant les IMC maternels sont nécessaires pour une évaluation du rapport bénéfice/risque de la chirurgie bariatrique pour la descendance (Kjaer et Nilas 2013; Kwong, Tomlinson, et Feig 2018; Al-Nimr et al. 2019).

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Une comparaison a été réalisée chez des enfants de 2,5 à 25 ans, nés avant ou après une opération de chirurgie bariatrique. La perte de poids maternel due à la chirurgie a permis de diminuer le nombre de macrosomes ainsi que le poids des descendants à la naissance. De plus, la comparaison entre des enfants nés après chirurgie et leurs frères et sœurs nés avant, révèle une diminution de la prévalence de l’obésité sévère (11% vs 35% respectivement) ainsi qu’une amélioration du profil métabolique (profil lipidique sanguin, sensibilité à l’insuline, pression artérielle) (Smith et al. 2009). Une étude plus récente n’a cependant pas été en mesure de montrer une amélioration des paramètres phénotypiques des descendants nés après chirurgie bariatrique restrictive comparé à leurs frères et sœurs nés auparavant. Selon les auteurs, cela pourrait être dû au type de chirurgie réalisé chez les mères, les interventions influant directement sur la régulation métabolique maternelle auraient un effet plus prononcé sur l’évolution du poids de la descendance (Willmer et al. 2013). Une étude antérieure montre une normalisation de l’IMC des descendants de mères ayant eu recours à une intervention de type by-pass. Cette normalisation laisse les auteurs supposer l’implication de mécanismes épigénétiques sous-jacents (Kral et al. 2006). Enfin, une altération du méthylome des cellules sanguines est observée chez les descendants de mères ayant eu recours à une chirurgie bariatrique malabsorptive, bien que les mécanismes précis de ce phénomène ne soient pas encore élucidés (Guenard et al. 2013).

D’après ces résultats, la chirurgie bariatrique réalisée en période préconceptionnelle, chez des femmes présentant une obésité sévère à morbide, aurait un effet plutôt bénéfique sur la descendance à l’issue de la grossesse et à long terme.

3.2.2) Exercice physique

L’exercice physique est l’une des stratégies non-invasives permettant de lutter contre l’obésité, en intervenant au niveau du mode de vie. Elle consiste en la pratique régulière d’activités physiques associées à un mode de vie actif. Une revue récente de la littérature a été réalisée sur l’effet de l’activité physique maternelle avant et/ou pendant la grossesse sur la santé des descendants (Tibana et al. 2017). Dans cette revue, 11 études réalisées chez le rat, la souris ou le porc ont été identifiées, avec des modalités d’activité physique différentes. Parmi elles, 3 ont été réalisées en association avec un régime maternel HFD de manière à causer une obésité, chez la souris ou le rat. Ces études montrent chacune une amélioration dans les paramètres métaboliques des descendants mâles et femelles, tels que la pression sanguine,

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la tendance à l’hyperglycémie, l’obésité et les dyslipidémies. De manière intéressante, dans une de ces études, l’activité physique maternelle préconceptionnelle était associée à une diminution de l’hyperméthylation du promoteur du gène Pgc1α et une augmentation de son expression au niveau musculaire (Laker et al. 2014). PGC1α est un coactivateur important de plusieurs gènes impliqués dans le métabolisme lipidique, glucidique et mitochondrial (Tiraby et Langin 2005).

Une perte de poids préconceptionnelle chez la souris peut être obtenue en les élevant dans un environnement favorable à l’activité physique, ou « enrichi » avec des jouets, des échelles, des roues, etc. et ce, dans des cages plus grandes. En condition de régime contrôle, des souris soumises à cet environnement, pendant les 4 semaines précédant la conception, ont perdu 17% de leur poids et amélioré leur profil métabolique comparées aux souris élevées dans des cages standards (Wei et al. 2015). Dans cette étude, l’exercice en période préconceptionnelle à un effet considérable sur le phénotype des descendants mâles et femelles à l’âge adulte : leur poids corporel, la prise alimentaire, l’adiposité, l’intolérance au glucose, l’insulinémie, la leptinémie, la cholestérolémie et la triglycéridémie sont diminués. De plus, une réduction d’expression de gènes de la voie de synthèse du cholestérol et de la lipogenèse, ainsi qu’une augmentation d’expression de gènes de la voie de la β-oxydation des lipides, ont été observées dans le foie de ces descendants. Ces modifications d’expression de gènes ont abouti à une diminution de l’accumulation hépatique de TG et de cholestérol. Des résultats similaires ont été obtenus en raccourcissant la durée d’exercice à 2 semaines. Cependant, la cholestérolémie, la triglycéridémie ou l’expression de certains gènes n’atteignent plus les même niveaux que ceux observés après 4 semaines dans un environnement « enrichi » (Wei et al. 2015). La durée, mais aussi le type d’activité physique peut donc avoir une importance dans les effets bénéfiques observés chez la descendance. De manière intéressante, le profil métabolique de la descendance peut aussi être amélioré, au stade fœtal et à l’âge adulte, par de l’exercice ou une intervention nutritionnelle chez les pères obèses (Tibana et al. 2017; McPherson et al. 2013; McPherson et Lane 2015).

L’ensemble de ces résultats nous prouve que l’activité physique en période préconceptionnelle, associée à une perte de poids, a un effet bénéfique non-négligeable sur la santé de la descendance à court et long terme. La pratique d’une activité sportive est donc souhaitable pour les femmes obèses, le plus tôt possible en amont de la conception, afin d’optimiser les chances d’inversion de la programmation développementale de la descendance par l’obésité maternelle.

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3.3.3) Intervention nutritionnelle

- Chez l’être humain

Une revue systématique de la littérature entre les années 2000 et 2012 récapitule les études portant sur la perte de poids maternelle préconceptionnelle par intervention nutritionnelle, chez des patientes obèses ou en surpoids (Forsum et al. 2013). La perte de poids préconceptionnelle a eu des effets positifs sur la mère : amélioration de la fertilité, réduction du risque de pré-éclampsie ou de diabète gestationnel. Néanmoins, selon cette revue, aucune étude interventionnelle chez des patientes obèses ne rapporte les effets sur la descendance, à long terme, d’une perte de poids maternelle préconceptionnelle. Il est par conséquent nécessaire de tester les effets d’une intervention nutritionnelle maternelle, chez la descendance à court et long terme (P. Catalano et deMouzon 2015; Forsum et al. 2013; Matusiak et al. 2014). Depuis cette revue, 2 articles présentant leur protocole d’étude à ce propos ont été publiés (LeBlanc et al. 2016; Price et al. 2018). Dans l’étude « Prepare » les participantes devront limiter leurs apports caloriques en étant suivies par un coach nutritionnel, tout en étant encouragée à pratiquer une activité sportive (LeBlanc et al. 2016). Dans l’étude prévue par Price et associés, les participantes seront assignées à une intervention nutritionnelle hypocalorique modérée ou bien importante (Price et al. 2018). Dans ces deux études, l’effet de la perte de poids maternelle préconceptionnelle sur la descendance sera évalué à la naissance uniquement sur des paramètres anthropométriques (taille et poids de naissance). Leurs résultats apporteront un éclairage nouveau à cette problématique, bien qu’une évaluation des paramètres métaboliques des descendants ainsi qu’un suivi à long terme soit encore à réaliser.

- Chez l’animal

Différents modèles animaux ont été utilisés afin d’étudier si les effets délétères de l’obésité maternelle préconceptionnelle sur le phénotype à long terme des descendants peuvent être corrigés par une intervention nutritionnelle préconceptionnelle.

Chez le mouton, un modèle d’intervention nutritionnelle préconceptionnelle a été réalisé. Les animaux ont été suralimentés (130% de l’apport recommandé) pendant les 4 mois précédent la gestation, initiée par insémination artificielle. Le groupe perte de poids a été généré par un retour à 100% de la quantité de nourriture recommandée pour les brebis, 4 semaines avant et après l’insémination. Les embryons ont ensuite été transférés à des brebis receveuses, non-obèses, maintenues sous régime 100% (S. Zhang et al. 2011). La perte de

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poids a permis l’amélioration des paramètres métaboliques maternels, en particulier une diminution de la masse grasse. Chez la descendance, l’intervention nutritionnelle préconceptionnelle évite le développement d’une obésité au cours de la période post-natale, associée à une augmentation de la réponse au stress, du poids des glandes surrénales et à une diminution d’expression surrénalienne de l’insulin-like growth factor 2 (Igf2). Ce gène est soumis à empreinte parentale, c’est-à-dire qu’il a une expression monoallélique, à partir de l’allèle paternel. Cette expression monoallélique est contrôlée par la présence d’un centre d’empreinte, qui est une région méthylée uniquement sur l’allèle paternel. De manière intéressante, la diminution de la méthylation de l’ADN constatée dans cette région entraîne la répression transcriptionnelle d’Igf2 (S. Zhang et al. 2011). La période périconceptionnelle est donc une période importante dans la programmation métabolique de l’organisme et la mise en place de l’axe corticotrope (ou HPA pour hypothalamo-pituitary-adrenal), dont fait partie l’hypothalamus. De plus, tous les effets de l’obésité maternelle préconceptionnelle ne sont pas atténués par l’intervention nutritionnelle dans ce modèle et la restriction calorique maternelle peut avoir eu chez la descendance un impact négatif sur le long terme.

Chez le macaque, des femelles soumises à un régime HFD pendant 4 ans puis placées sous régime contrôle pendant 1 à 3 mois avant la gestation ne perdent pas de poids, leurs paramètres métaboliques sont néanmoins impactés. Ainsi, au stade fœtal, les descendants ont un poids corporel comparable à celui du groupe contrôle tandis que certains paramètres métaboliques sont positivement impactés : les niveaux plasmatiques de glycérol et TG retrouvent une valeur normale et sont associés à une réduction de 37% de l’accumulation de TG intra hépatiques comparé aux fœtus de mères HFD. De plus, l’expression de gènes impliqués dans la néoglucogenèse, tels que G6p, Fbp1 et Pgc1α, est partiellement normalisée, leur taux d’expression étant intermédiaires de ceux des descendants contrôles et HFD (McCurdy et al. 2009). Une seconde étude a été réalisée en soumettant des femelles à un régime WSD pendant 9 ans, puis en les plaçant sous régime contrôle 1 à 3 mois avant la gestation. Au stade fœtal, les descendants de mères n’ayant pas subi d’intervention nutritionnelle présentent une augmentation des TG intra hépatiques, du stress oxydatif et des niveaux d’expression de gènes lipogéniques. De plus, l’analyse métabolomique du phénotype métabolique hépatique de ces fœtus met en évidence une augmentation de la néoglucogenèse et du métabolisme des AA ainsi qu’une diminution d’intermédiaires du cycle de l’acide tricarboxylique (TCA). Chez les descendants, ces altérations sont normalisées, excepté les TG intrahépatiques (Wesolowski et al. 2018). Le retour à une alimentation équilibrée, même sans perte de poids maternelle, améliore donc le phénotype métabolique des mères et des

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descendants, bien que les effets de l’obésité maternelle ne soient pas totalement normalisés.

Chez le rat, l’obésité est induite par un régime hyperlipidique et la perte de poids par un retour à un régime contrôle, 1 mois avant l’accouplement. Cette intervention nutritionnelle permet chez la descendance, à court terme, une normalisation de la masse grasse, de l’insulinémie, de la leptinémie et de la triglycéridémie, malgré un poids maternel plus élevé que celui du groupe contrôle (Zambrano et al. 2010). A plus long terme, l’intervention nutritionnelle restore la glycémie des descendants et diminue leur résistance à l’insuline, leur masse grasse et la taille des adipocytes. Une étude additionnelle a suivi le même protocole expérimental, mais en s’intéressant à des paramètres comportementaux chez les descendants mâles (Rodriguez et al. 2012). Dans cette étude, le régime HFD maternel altère les paramètres comportementaux des descendants (apprentissage, motivation, anxiété), tandis que l’intervention nutritionnelle normalise, voire améliore certains de ces paramètres chez les mères et les descendants. Les niveaux de corticostérone sont réduits à un niveau intermédiaire à celui des descendants contrôles et HFD, cependant, tous les descendants présentent des défauts d’apprentissage. Cet effet sur l’apprentissage peut être dû à l’exposition prénatale à un haut niveau de corticostérone, étant donné que l’exposition prénatale à des glucocorticoïdes change les fonctions de l’axe corticotrope ainsi que des récepteurs lui étant associés (Kapoor, Petropoulos, et Matthews 2008). Toutefois, l’intervention préconceptionnelle permet notamment de restaurer les niveaux de motivation et de prévenir les comportements exploratoires aberrants observés chez les descendants de mères HFD (Rodriguez et al. 2012).

Enfin, chez la souris, un modèle expérimental a testé l’effet d’une intervention nutritionnelle mise en place 2, 5 ou 9 semaines avant l’accouplement des futures mères. Seule l’intervention la plus longue (9 semaines) corrige l’effet du régime HFD maternel en normalisant les métabolismes glucidique et lipidique, via une re-sensibilisation à l’insuline ainsi qu’en rétablissant la signalisation Akt dans les adipocytes et AMPK dans le foie (H. Xu et al. 2018). De manière intéressante, dans leur précédent modèle d’intervention nutritionnelle réalisée 1 semaine avant l’accouplement, une aggravation de l’obésité et la déclaration précoce d’une sensibilité à l’insuline était détectée chez la descendance sous régime HFD (Fu et al. 2016). Cependant, dans ces modèles, les mères ne développent pas d’obésité et, étant donné que l’obésité maternelle et le régime HFD ont tous les deux un impact sur la santé de la descendance, il est nécessaire de les associer afin de mieux modéliser la situation observée chez l’être humain (S. Zhang et al. 2011).

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La liste des modèles décrits ci-dessus est assez exhaustive, bien que lacunaire en ce qui concerne l’Homme, et atteste des effets d’une intervention nutritionnelle maternelle préconceptionnelle, au niveau du poids corporel et des fonctions d’organes majeurs dans le développement du syndrome métabolique (foie, pancréas, tissus adipeux, muscle). L’inversion des effets néfastes associés à l’obésité maternelle est observée chez les descendants au stade fœtal, et après la naissance, à court et long terme. Cependant des zones d’ombre persistent, ce qui rend nécessaire le développement de nouveaux modèles, afin de comprendre les mécanismes des effets persistants de l’obésité maternelle et faire toute la lumière sur les effets de la perte de poids maternelle préconceptionnelle.

Représentation du foie, de la vésicule biliaire et des principaux vaisseaux sanguins hépatiques.

Figure 14. Circulation sanguine hépatique

Adapté de la thèse de Polina Panchenko, 2015 (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01332747)

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Chapitre II : Fonctions hépatiques et impact des