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1.3.1) Morphologie et organisation fonctionnelle du bulbe olfactif

Le bulbe olfactif est une structure cérébrale antérieure centrale paire, responsable de la réception, l’intégration et la transmission des signaux olfactifs de l’environnement. Il est vascularisé, situé hors de la BHE et permet l’intégration nerveuse des signaux chimiques odorants en provenance de la muqueuse. De forme ovoïde, il est localisé à la base du lobe frontal, recouvrant la lame criblée de l’os éthmoïde (Figure 32). Le bulbe olfactif est composé de neurones, de fibres nerveuses afférentes et efférentes, de multiples interneurones, de microglie, astrocytes et vaisseaux sanguins. Les cellules du bulbe olfactif sont arrangées en six couches concentriques : la couche nerveuse, la couche glomérulaire, la couche plexiforme externe, la couche des cellules mitrales, la couche plexiforme interne et la couche des cellules granulaires (Figure 33). Le bulbe olfactif est alimenté toute la vie durant par des neuroblastes précurseurs en provenance du courant de migration rostrale, qui se différencient en interneurones granulaires ou périglomérulaires.

Depuis la muqueuse olfactive, où se fait la réception des molécules odorantes au niveau de récepteurs spécifiques portés par les neurones sensoriels, les axones se projettent vers les glomérules (Cummings et Belluscio 2008). Ces structures sphériques de 150-250 µm de diamètre, organisées en simple ou double couche dont le nombre est estimé à un millier

Cette représentation illustre la structure en couches concentriques du bulbe olfactif (à gauche) et le réseau neuronal de manière schématique où seules les structures participant à la transduction du signal olfactif sont représentées (à droite).

CNO - couche nerveuse olfactive ; CG - couche glomérulaire ; CPE - couche plexiforme externe ; CCM - couche des cellules mitrales ; CPI - couche plexiforme interne ; CCG - couche des cellules granulaires.

Figure 33. Modèle simplifié du réseau neuronal du bulbe olfactif

Adapté de Mori et al.1983 et Nagayama et al. 2014

CNO CG CPE CM CPI CCL

A. Il existe une régionalisation progressive des différentes populations de NSO sur l'axe dorsopostérieur-ventroantérieur. La correspondance dorso-ventrale de la position glomérulaire est maintenue dans le BO.

B. Illustration des connections entre les neurones M72 situés dans l‘EO dorsopostérieur et le glomérule M72 dans la partie dorsale du BO. L'activité de la bêta-galactosidase (bleue) a été révélée par X-gal. NSO – neurone sensoriel olfactif, BO – bulbe olfactif, EO – épithélium olfactif

Figure 34. Régionalisation des populations de neurones sensoriels olfactifs dans l’épithélium olfactif et position correspondante des glomérules dans le bulbe olfactif

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chez l’humain, sont une composante fonctionnelle déterminante du système olfactif. En effet, selon un code combinatoire complexe, les axones des neurones activés par un odorant répartis sur toute la muqueuse convergent vers un ou deux glomérules uniques sur les deux-hémi-bulbes. Ainsi, les signaux nerveux arrivant aux glomérules peuvent être considérés comme la représentation fonctionnelle de la réponse des différents récepteurs olfactifs, en respectant la topologie anatomique (Figure 34) (Valle-Leija 2015). La cartographie primaire d’une odeur se construit dans le bulbe olfactif via l’activation individuelle de différents neurones sensoriels olfactifs dont le nombre et la nature dépend de l’intensité et de la complexité de l’odeur. Une carte spatiale d’activation glomérulaire convergente, précise et stéréotypée est alors créée dans le bulbe olfactif. Les neurones assurant la sortie des informations du bulbe olfactif sont appelés neurones de second ordre et sont principalement constitués de cellules mitrales et à panache (ou touffues) (Figure 33). Les dendrites apicales de ces cellules sont influencées non seulement par les terminaisons nerveuses olfactives, mais aussi par des interneurones et des fibres centrifuges modulateurs, qui sont majoritairement GABAergiques (GABA pour acide γ-aminobutyrique) ou dopaminergiques (Doty 2009). Après avoir été modulé au niveau du bulbe olfactif, le signal excitateur est convoyé jusqu'au noyau olfactif antérieur, au cortex piriforme et à l'amygdale, qui à eux trois forment le cortex olfactif primaire. Des projections neuronales en sortie du cortex piriforme transmettent le signal jusqu'à différentes structures cérébrales desquelles fait partie l'hypothalamus. Ce réseau neuronal complexe détermine les performances olfactives individuelles et régule certains comportements liés à l'olfaction associés à la mémoire ou l’apprentissage par exemple (Figure 35) (Peng et al. 2019). Les projections du noyau olfactif antérieur, du tubercule olfactif et du cortex piriforme forment la composante hypothalamique des projections centripètes du système olfactif (Ennis, Hamilton, et Hayar 2007).

En retour, le bulbe olfactif reçoit une innervation de toutes les structures cérébrales sur lesquelles il se projette (Figure 36), en particulier de l’hypothalamus, qui nous intéresse ici pour comprendre les observations reliant balance énergétique et modulation de l’olfaction.

1.3.2) Bulbe olfactif et contrôle de la prise alimentaire

Il est connu de longue date que les odeurs sont un puissant stimulant des choix et de la prise alimentaire, intervenant dans le déclenchement de la phase céphalique pour initier le repas, ou dans la satiété sensorielle spécifique pour limiter la consommation d’un aliment et favoriser la diversité au cours du repas (Yeomans et al. 2006).Des troubles chémo-sensoriels,

Figure 35. Voies de transduction des signaux olfactifs de la périphérie au SNC

Après la fixation de molecules odorantes à leurs récepteurs au niveau de la muqueuse olfactive, les signaux électriques sont transmis au bulbe olfactive pour être modulés avant leur transmission via des projections vers le système limbique (region impliquée dans la mémoire et le traitement des émotions), l’hypothalamus (structure de regulation de la balance énergétique) et le neocortex (region analytique).

Adapté de http://odeursstpe.e-monsite.com/pages/plan/ii-du-nez-au-cerveau/1-le-systeme-olfactive.htlm;

et repris de la thèse de Pascaline Aimé, 2012 (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00711645)

Figure 36. Projections centrifuges du SNC sur le bulbe olfactif

Représentation schématique des projections entre SNC et bulbe olfactif. Les rétroprojections des structures du SNC sur lesquelles se projette le bulbe olfactif sont figurées en gris. En couleur sont figurées les afférences noradrénergiques (orange), sérotoninergiques (bleu) et cholinergiques (vert) issues respectivement, du locus cœrelus, du noyau du raphé et du noyau de la bande diagonale de Broca, respectivement. Les projections hypothalamiques sont figurées en violet.

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en particulier olfactifs, qu’ils soient liés à une infection virale, une exposition à des produits toxiques ou des nanoparticules, un traumatisme crânien, l’âge, des troubles neurologiques tels que l’épilepsie ou des troubles neurodégénératifs (Doty 2009) sont à l’origine d’une altération de la qualité de vie, de modifications de l’appétit ou du poids et ont un impact défavorable sur la vie quotidienne ou le bien-être psychologique (Deems et al. 1991; Boesveldt et al., 2017).

Parmi les structures cérébrales impliquées dans le traitement des odeurs, le bulbe olfactif est d’une importance critique, puisqu’il est le premier relais d’intégration des signaux olfactifs. En effet, la bulbectomie chirurgicale, chez le rongeur, entraine l’apparition de comportements dépressifs (C. Song et Leonard 2005) et des modifications du rythme des repas avec des effets sur le poids (Larue et Le Magnen 1972; Meguid, Gleason, et Yang 1993; Primeaux, Barnes, et Bray 2007), ce qui montre son importance dans l’homéostasie énergétique. La présence de récepteurs aux molécules de signalisation du métabolisme dans les diverses couches du bulbe olfactif illustre sa capacité à traiter aussi les informations périphériques métaboliques véhiculées sous forme d’hormones (Palouzier-Paulignan et al. 2012), mais aussi de nutriments (Julliard et al. 2017) qui parviennent dans cette région cérébrale par voie sanguine hors BHE. En effet, la surface des cellules bulbaires portent des récepteurs à la leptine, à l’insuline, à la ghréline ou aux endocannabinoïdes, qui modulent le signal électrique généré par les neurones. On trouve aussi des transporteurs du glucose, ainsi que des récepteurs aux acides aminés et aux acides gras, depuis le niveau des glomérules jusqu’aux cellules de la couche plexiforme interne, responsables de la modulation de l’information olfactive. Ceci permet au système olfactif de s’adapter rapidement à une modification aigue de l’état physiologique en permettant une perception accrue des odeurs en cas de jeûne, par une réactivité plus importante des cellules relais du bulbe olfactif, ou diminuée en cas de satiété (P. Aimé et al. 2007; Prud’homme et al. 2009; Tong et al. 2011; Hanci et Altun 2016).

Il est donc naturel de considérer que toute modification du statut nutritionnel et ou métabolique de l’individu à long terme va aussi modifier la perception des odeurs dès le niveau périphérique (Palouzier-Paulignan et al. 2012). Chez l’être humain, de nombreux travaux ont exploré si les capacités olfactives (seuil de détection, mémorisation, discrimination) étaient modulées par une perturbation chronique de la balance énergétique, qu’elle soit positive (obésité) ou négative (perte de poids). Une méta-analyse récente a révélé que les facultés olfactives sont négativement corrélées avec l’IMC (Peng et al. 2019). Ainsi entre les personnes obèses et normo pondérées, la capacité à différencier des odeurs est différente : les normo pondérées atteignent de meilleurs résultats. Cependant, certains

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résultats sont controversés, probablement parce que différentes molécules odorantes (odeurs de nourriture, ou pas) ont été utilisées pour les tests olfactifs. Cette revue systématique rapporte également que la chirurgie bariatrique, en particulier la sleeve gastrectomie (ou gastrectomie longitudinale), permet d’améliorer, voire de restaurer les facultés olfactives chez des patients obèses opérés (Van Vuuren et al. 2017).

Dans les modèles animaux, en particulier rongeurs, différents travaux montrent que le statut pondéral affecte la perception des odeurs, que les animaux soient génétiquement obèses ou que l’obésité résulte d’une alimentation déséquilibrée (Palouzier-Paulignan et al. 2012; Aimé et al. 2014; Badonnel et al. 2014; Lacroix et al. 2015). Une perte de poids, induite par une restriction alimentaire, modifie aussi la réponse aux odeurs (Badonnel et al. 2012). Il a par exemple été démontré, que des rats obèses nourris ont le même intérêt pour les odeurs que des animaux contrôles à jeun (Badonnel et al. 2014). Sur le plan mécanistique, les causes de ces observations comportementales peuvent être multiples. Une modification de l’expression des récepteurs et hormones métaboliques dans les tissus olfactifs est observée, ce qui pourrait faire varier le seuil de réponse des neurones olfactifs ou bulbaires. On note également une perte irréversible de neurones liée à une inflammation chronique des tissus olfactifs et/ou un déséquilibre dans les échanges énergétiques médiés par les transporteurs du glucose

(Thiebaud et al. 2014; Lacroix et al. 2015). Enfin, plus indirectement, une activation de l’axe corticotrope liée au stress alimentaire et/ou énergétique pourrait participer à ces effets, les glucocorticoides modifiant la réponse aux odeurs chez l’homme (Hoenen, Wolf, et Pause 2017) comme chez l’animal (Raynaud et al. 2015).

De manière intéressante, un lien entre métabolisme énergétique et olfaction a été récemment mis en lumière chez la souris: une perte d’odorat pourrait atténuer les effets physiologiques délétères d’une alimentation obésogène. Une étude réalisée chez la souris démontre que la perte des neurones olfactifs, induite par manipulation génétique, ou une perte partielle d’odorat (hyposmie), à l’âge adulte, protège contre l’obésité induite par l’alimentation (Riera et al. 2017). Dans ce modèle, la masse grasse, mais aussi la résistance à l’insuline sont diminuées après la perte d’odorat. Ces effets sont aussi observés chez des souris intolérantes au glucose, malgré une alimentation HFD, ce qui suggère que la diminution des entrées olfactives rétablit la sensibilité à l’insuline (Riera et al. 2017). De plus, l’hyposmie est associée à une augmentation de l’activité nerveuse sympathique, résultant en une augmentation de la thermogenèse adipeuse (Riera et al. 2017). L’hyposmie serait liée à une augmentation de la dépense énergétique et à une diminution de la consommation alimentaire, ce qui atténue la majorité des effets négatifs associés au régime HFD. Leurs

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résultats supportent l’idée que la diminution de l’olfaction déclenche une réponse métabolique et hormonale mimant l’arrêt de l’alimentation (Palouzier-Paulignan et al. 2012). Cela contribuerait à la régulation de la production de glucose hépatique par une action en amont sur les neurones du NA.

Interaction hypothalamus-Bulbe olfactif

Certains travaux font un lien direct entre sensibilité olfactive et métabolisme via ses relations neuroanatomiques avec l’hypothalamus: le fait de sentir des aliments cachés, sans les consommer, modifie l’état d’activation de neurones POMC et à AgRP dans l’hypothalamus de manière transitoire (Y. Chen et al. 2015). De plus, il existe une sous-population de neurones olfactifs qui ont des interactions directes avec plusieurs noyaux hypothalamiques

(Bader et al. 2012). Les signaux entrent dans le bulbe olfactif avant d’être transmis dans le cortex olfactif tout en envoyant des signaux indirects à l’hypothalamus, ce qui conduit à la notion de connectome, comme proposé pour les orexines/hypocrétines (orexigènes puissants) dont les fibres se projettent depuis l’aire hypothalamique latérale vers le bulbe olfactif

(Gascuel et al. 2012).

En résumé, le bulbe olfactif participe à la détection des nutriments et à la régulation du métabolisme énergétique par l’analyse de l’offre odorante. Des perturbations au cours du développement de cette structure sont donc susceptibles de perturber ces fonctions essentielles et favoriser des comportements alimentaires délétères, ce qui peut mener au développement de troubles métaboliques (Beauchamp et Mennella 2009). L’hypothalamus est un organe central dans le contrôle du métabolisme et de l’homéostasie énergétique et communique avec une grande majorité des tissus et organes du corps. Sa relative plasticité développementale suggère que des perturbations de son développement puissent conduire à des dysfonctionnements, ce qui pourrait contribuer à faire augmenter le risque de développement de troubles métaboliques à long terme (Dearden et Ozanne 2015).

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2) Développement cérébral in-utero