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effectivement, la finalité organique était chez ce dernier « strictement asservie à la disposition structurale », ce qu’elle n’était par définition

effectivement, la finalité organique était chez ce dernier « strictement asservie à la disposition structurale », ce qu’elle n’était par définition pas chez Driesch : voir Canguilhem G. (1970), p. 322.

1

Driesch fut avec Bertalanffy l’un des rares biologistes à s’être intéressé de près à von Hartmann : Bertalanffy L. von (1928b), p. 153.

2

Wenzl A. (1949), p. 221.

3

Reinke J. (1901), p. 625 ; voir aussi pp. 49-57 et pp. 626-636.

4

Kottje F. (1927), en particulier pp. 81-87.

5

Bergson H. (1907, 2003), p. 23, pp. 97-106 et pp. 258-261 en particulier.

6

Bertalanffy L. von (1929e), en particulier p. 108.

7

Rignano E. (1908). Voir aussi Bertalanffy L. von (1927a), pp. 271-272, (1927e), pp. 407-409 et (1929d), pp. 388-390. Selon Rignano, cette énergie serait commune à tous les êtres vivants. Chaque flux nerveux, déterminé par exemple par la perturbation de l’équilibre organique sous l’effet d’une stimulation extérieure, laisserait un résidu d’énergie potentielle, une « accumulation spécifique » capable en se réactivant de produire de nouveau ce flux. Cette sorte de « précipité énergétique » serait donnée dans le plasma embryonnaire et représenterait le moteur de l’ontogenèse : la réactivation successive des énergies potentielles héréditaires conduirait au développement progressif de l’organisme. Accumulées dans le plasma embryonnaire au cours de la phylogenèse, leur réactivation était sensée expliquer la « loi » biogénétique de Haeckel (« l’ontogenèse récapitule la phylogenèse »). Le caractère finaliste du vivant, l’anticipation de conditions de vie futures, s’expliquait lui aussi, selon Rignano, par le « fait » que ces conditions ayant partiellement existé dans le passé (celui de l’individu ou celui de l’espèce), elles ont déjà laissé s’accumuler des traces d’« énergie nerveuse spécifique », que les conditions nouvelles réactiveraient.

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« âme unitaire » de l’organisme qui intégrerait tel un « aimant » et finaliserait toutes les fonctions organiques ainsi pourvues de mémoire : la « psychoïde »1.

Parallèlement, certains botanistes « psychovitalistes » tels que August Pauly et Adolf D. Wagner (un professeur de Bertalanffy lors de ses premières années d’études supérieures à Innsbrück) développaient des doctrines voisines de celles de l’Inconscient de von Hartmann ou de « l’âme des plantes » de Fechner, voyant à l’œuvre dans le monde végétal une « volonté » dirigeant les fonctions vitales, et interprétant tout comportement végétal comme un analogue d’actions humaines finalisées, une satisfaction de « besoin »2.

Un thème « psychovitaliste » d’autant plus important qu’il influença notablement les réflexions de Bertalanffy sur le concept d’organisation (ou d’« intégration ») « d’ordre supérieur », était celui de l’« âme supra-individuelle ». Ce thème fut particulièrement développé par Erich Becher, qui interpréta les phénomènes de co-adaptation entre plantes et parasites qu’il étudiait comme la manifestation d’une telle « âme » d’ordre supérieur transcendant celles animant les individus concernés. Becher, qui voyait un psychisme à l’œuvre dans toute manifestation de la vie, tendait en fait vers un animisme conférant un psychisme à toute réalité, y compris purement physico-chimique3.

Des tendances animistes et hylozoïstes se manifestèrent chez d’autres vitalistes contemporains. Le biologiste autrichien Karl Sapper, par exemple, conçut les organismes comme des systèmes d’entéléchies dirigés par une « entéléchie centrale », tout en étendant cette doctrine à la nature inorganique, en particulier aux cristaux : la « pulsion de formation » [Bildungstrieb] dominait pour lui toute la nature4. Quant à Wenzl, il n’hésita pas à voir la matière elle-même comme « pourvue d’une âme » et la réalité dans son ensemble comme une « hiérarchie de porteurs de volonté » ; et il attribua non seulement une entéléchie à chaque organisme individuel, mais aussi aux espèces biologiques et à leurs associations, toute la hiérarchie du réel trouvant à ses yeux le fondement de son unité dans une « entéléchie d’entéléchies » où il est difficile de ne pas reconnaître le Dieu leibnizien5.

1-3-6-6 – Réactions « mécanicistes » : défense de l’orthodoxie « scientifique »

Dès leur résurgence, les vitalismes précédemment évoqués, ainsi que d’autres (méthodologiques ou épistémologiques) qui seront discutés plus en détail dans la suite de cette partie et dans la suivante, suscitèrent des réactions véhémentes de la part des tenants d’une vision « mécaniciste », ou tout au moins physicaliste ; des réactions parfois agressives, qui s’exprimèrent le plus souvent dans le contenu même des recherches expérimentales et dans leur interprétation.

Une première forme de réaction se trouve chez ceux qui s’efforçaient de rechercher des analogues directs des processus biologiques dans les phénomènes physico-chimiques, dans le but de dépouiller les premiers de leur prétendue spécificité. Le Français Stéphane Leduc, dans des travaux très commentés, mit ainsi en évidence en 1910 de remarquables similitudes entre les phénomènes purement chimiques de croissance osmotique et certains phénomènes biologiques : il montra les capacités de reproduction et de métabolisme (assimilation et dissimilation de matière) de ces croissances osmotiques, mais aussi leur ressemblance frappante avec certains types de morphogenèse, ainsi qu’avec le processus de division mitotique – suggérant qu’il est possible de rendre compte de ce dernier processus par le seul phénomène de pression osmotique6. Les travaux de l’Autrichien Hans Przibram sur les analogies entre cristaux et organismes sont un autre exemple, d’autant plus important ici qu’ils contribuèrent largement aux réflexions de Bertalanffy. L’utilisation du cristal comme modèle du vivant avait déjà constitué un thème physicaliste courant au XIXe siècle7. Przibram, qui réalisa en 1906 une impressionnante synthèse des travaux antérieurs à ce sujet, en renouvela les bases conceptuelles et expérimentales. Il montra que les cristaux révèlent de remarquables capacités d’assimilation de matière, de croissance et de régulation, en particulier de régénération en cas d’ablation ; que chaque produit de leur division se montre même, comme les embryons de Driesch,

1

Bleuler E. (1925), en particulier p. 6 et pp. 141-144.

2

Voir par exemple Spetsieris K. (1938), pp. 43-44.

3 Becher E. (1917) et (1914), pp. 372-419. 4 Sapper K. (1925/1926), surtout pp. 38-40. 5 Wenzl A. (1937), en particulier pp. 53-54. 6 Fox Keller E. (2002), pp. 22-28. 7 Schiller J. (1978), p. 5.

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capable d’engendrer une nouvelle « totalité » ; et que les cristaux manifestent eux aussi des propriétés « nouvelles » par rapport à leurs composants, que nul n’était encore à son époque capable de dériver de celles de ces derniers1. « Domaine frontière » entre mondes organique et inorganique, la cristallographie devait selon Przibram « fournir le meilleur guide pour une conception du vivant permettant d’obtenir une description unitaire de la nature »2. Une grave difficulté de ses conceptions était toutefois que la formation d’un cristal est possible dès que les composants nécessaires à sa formation sont en présence, tandis qu’il n’y a dans le monde vivant aucune génération spontanée3. Przibram poursuivait en somme la tradition de pensée préformiste : la forme d’un cristal est toujours inscrite en puissance dans les propriétés des atomes qui le constituent ; et dans l’organisme comme le cristal, rien de neuf ne serait donc sensé advenir, la forme étant toujours une simple actualisation de potentialités morphogénétiques d’emblée disponibles.

Les approches contemporaines du problème de la forme organique par D’Arcy W. Thompson et Nicolas Rashevsky, si elles ne peuvent sans grandes difficultés (surtout quant au premier) être qualifiées de « mécanicistes » au sens que j’ai donné au 1-2 à ce terme4, s’inscrivaient en tous cas elles aussi dans une perspective physicaliste. Ainsi Thompson était-il mû par l’ambition d’expurger le vitalisme du domaine où il avait ressurgi avec Driesch : celui de la morphogenèse. Les objets biologiques étant matériels, celle-ci n’avait pour lui aucune raison d’échapper aux lois de la physique et d’être expliquée par l’action de quelque « entéléchie ». Par ailleurs, Thompson s’appropria cette célèbre maxime de Kant :

J’affirme que, dans toute théorie particulière de la nature, on ne peut trouver de science à

proprement parler que dans l’exacte mesure où il peut s’y trouver de la mathématique5.

Il estimait ainsi qu’en particulier, la morphologie ne deviendrait une science à proprement parler que dans la mesure où l’on y trouverait des mathématiques6. Son physicalisme se traduisait dans le postulat sous-tendant son approche : forme et croissance ne se laisseraient pas séparer, tout changement de forme résultant d’un gradient de croissance ; et tandis que les problèmes de forme seraient géométriques, ceux de croissance seraient avant tout « mécaniques », au sens où il serait au moins en principe possible d’en rendre compte par les lois de la mécanique proprement dite. Il n’y aurait de ce point de vue aucune différence entre phénomènes organiques et inorganiques :

Leurs problèmes de formes sont en premier lieu des problèmes mathématiques, leurs problèmes de croissance sont essentiellement des problèmes physiques, et le morphologiste est ipso facto un étudiant de la science physique7.

D’où l’énoncé du programme de Thompson :

Mon unique but est de corréler avec l’énoncé mathématique et la loi physique certains des phénomènes extérieurs les plus simples de la croissance et de la forme organiques, tout en considérant l’édifice de l’organisme comme une configuration matérielle et mécanique […] Nous voulons voir de quelle manière, dans certains cas au moins, la forme des créatures vivantes peut être expliquée par des considérations physiques et réaliser qu’en général aucune forme organique n’existe si ce n’est en conformité avec des lois physiques et mathématiques8.

Il assimila à cette fin la forme organique à un « diagramme de forces » destiné à permettrer de visualiser les processus « mécaniques » dont elle est censée résulter ; c’est-à-dire en fait à un champ de vecteurs, le terme « force » référant pour Thompson, dans un esprit que l’on peut sur ce point légitimement qualifier de positiviste, à une « conception mathématique » : un « symbole pour l’intensité et la direction d’une action en référence au symbole ou diagramme d’une chose

1

Przibram H. (1906), notamment pp. 220-224. Il n’utilisait toutefois pas le terme d’« émergence ».

2

Przibram H. (1926), in Sapper K. (1926), p. 904. Voir aussi Przibram H. (1923), p. 52.

3

Sapper K., op. cit., p. 905 par exemple. Je reviendrai ultérieurement sur les critiques adressées à Przibram.

4

Sur le caractère essentiellement holistique de la pensée de Thompson, voir ma seconde partie (2-4-1-1) ainsi que Pouvreau D. (2005b), pp. 147-154. Sur les évolutions subtiles de la pensée de Rashevsky et les ambiguïtés qu’elles peuvent engendrer, voir Varenne F. (2004).

5 Kant E. (1786, 1985), p. 367. 6 Thompson D’Arcy W. (1917, 1942, 1961), p. 1. 7 op. cit., pp. 7-8. 8 op. cit., p. 9.

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matérielle »1. Il s’agissait toutefois moins (comme le laissaient d’ailleurs déjà suspecter le terme « corréler » et l’expression « en conformité » utilisés dans la citation précédente) de fournir une véritable explication « mécanique » de la morphogenèse que d’illustrer sa plausibilité et sa possibilité : Thompson, dont la morphologie sera considérée plus en détails dans ma seconde partie au 2-4-1-1, visait en réalité seulement à suggérer (sur des bases purement géométriques ou « topologiques » et non effectivement « mécaniques ») jusqu’à quel point les formes sont explicables par l’action de « forces mécaniques » sans invoquer l’historicité du vivant, les fonctions organiques, ni un dessein.

Quant à Rashevsky, il élabora à la fin des années 1920 ses premières modélisations qui l’amenèrent à formuler quelques années plus tard son programme d’une « biophysique mathématique »2, dont il sera question plus en détails au 2-4-2. Ses travaux en thermodynamique concernant la scission des gouttes conduisirent ce théoricien de la physique à construire des modélisations physico-mathématiques de la division cellulaire. Grâce au lien qu’il établit entre certaines formes de gouttes et les « équilibres de diffusion » qui leur correspondent, il parvint à en effet – complétant ainsi Przibram – à exhiber des systèmes hypothétiques plus généraux et compliqués que les cristaux, qui non seulement manifestent comme ces derniers des capacités de croissance et de régénération, mais aussi la faculté de duplication3. Ses études sur les phénomènes d’hystérésis, liés au fait qu’un système peut posséder plusieurs minima d’énergie libre et donc d’états d’équilibre, lui permirent en outre de montrer que l’état de certains systèmes physiques peut ne pas être déterminé de manière univoque par leur environnement présent, dans la mesure où cet état dépend de leur histoire4 – ce qui semblait ruiner toute argumentation vitaliste visant à instaurer l’historicité comme critère de distinction du vivant5.

Le physicalisme ne manquait pas d’avocats dogmatiques, Auerbach ayant par exemple déjà été mentionné à ce sujet6. Mais un cas radical de réaction mécaniciste en tous les sens du terme, et non seulement de physicalisme, est fourni par Jacques Loeb, qui passait légitimement au début du siècle pour le biologiste mécaniciste par excellence. Il fondait en effet tous ses travaux sur une conception « machinaliste » de l’organisme où s’exprimaient sans complexe à la fois les moments méristique, déterministe et réactiviste. Dans le plus pur style de l’homo faber décrit par Arendt7, Loeb considérait que comprendre l’organisme consiste à savoir le reproduire par l’art et envisageait sérieusement la possibilité d’y parvenir ; ainsi put-il introduire l’un de ses livres majeurs en ces termes :

Nous considérons […] les êtres vivants comme des machines chimiques, qui consistent essentiellement en un matériel colloïdal et qui possèdent la particularité de se développer, de se conserver et de se reproduire automatiquement. Que les machines jusqu’à présent produites par notre technique ne soient pas en mesure d’accomplir ces dernières performances implique provisoirement une différence de principe entre les machines vivantes et les machines de la technique. Mais cela ne s’oppose pas à la possibilité que les sciences techniques ou expérimentales de la nature puissent dans le futur parvenir à une fabrication artificielle de machines vivantes8.

Et c’est dans sa généralisation aux animaux de la théorie du tropisme – initialement développée pour certains végétaux – que ses conceptions s’incarnèrent : cette théorie se vouait à expliquer toute modification du comportement animal, y compris humain, par des séquences de réflexes déterminés par l’environnement et réductibles à des réactions physico-chimiques9.

Si Loeb était un cas extrême en ce sens qu’on peut parler chez lui d’un mécanicisme ontologique, d’autres biologistes, plus sensibles aux difficultés impliquées par une telle position

1

op. cit., p. 11.

2

Rashevsky N. (1938, 1948). Le Bulletin of mathematical biophysics fut fondé par Rashevsky en 1939.

3

Rashevsky N. (1929a).

4

Rashevsky N. (1929b) et (1930).

5

Un type d’argumentation que l’on retrouve entre autres chez Emil Ungerer.

6

Auerbach F. (1910), p. 76 : « La biologie devient nécessairement physicaliste […] Le seul fondement possible d’un progrès général et prometteur en est constitué par les principes de la mécanique, de la thermodynamique, de l’électrique et de la dynamique chimique ».

7

Arendt H. (1958,1983), pp. 187-273.

8

Loeb J. (1906), p. 1. Loeb écrivit aussi en 1911 : « Nous devons soit réussir à produire la matière vivante artificiellement, soit trouver les raisons pour lesquelles c’est impossible » ; ajoutant avec optimisme : « Toutefois, rien n’indique à présent que la production artificielle de matière vivante est au-delà des possibilités de la science » : cité in Fox Keller E. (2002), p. 18.

9

Loeb J. (1906), pp. 204 sq. Loeb écrivit par exemple quant à l’homme : « La façon dont un mâle humain courtise avec obstination une femelle déterminée peut passer pour un exemple de volonté obstinée, mais c’est en fait un tropisme compliqué dans lequel des hormones sexuelles et des images mémorielles sont les facteurs déterminants » : cité in Müller P., in Uexküll J. von (1965), p. 6.

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chargée d’a priori métaphysiques, préféraient restreindre leur radicalisme au plan méthodologique. Edmund B. Wilson et le jeune Joseph Needham (qui ne tarda pas, nous le verrons au 1-4-5 comme au 2-3, à répudier son point de vue) furent dans les années 1920 les plus éminents apôtres de ce mécanicisme méthodologique, auto-proclamé « néo-mécanicisme ». Selon Needham, la conception centrale en était que la méthode scientifique est « essentiellement mathématique, mécanique, déterministe, quantitative, abstraite et par conséquent inapte à inclure l’entéléchie ou une conception similaire ». Dans cette perspective, les « néo-mécanicistes » n’avaient rien contre les lois spécifiquement biologiques, « à condition que leur caractère ‘intérimaire’ soit clairement compris ». Needham ajoutait – et il faut souligner que tous les scientifiques d’orientation physicaliste ne partageaient pas sans réserves cette idée – que le « caractère analytique de la science » serait « incurable »1 et que le concept d’organisme, en tant qu’il réfère à une totalité vivante indécomposable, serait par conséquent, comme celui de téléologie, « étranger à l’esprit scientifique » et relevant uniquement de la philosophie2. Le « néo-mécaniciste » aurait pour vocation de ruiner les positions vitalistes par des moyens purement physico-chimiques et de concevoir à cette fin l’organisme comme une « machine » ; mais il se distinguerait du mécaniciste « classique » (que l’on pourrait voir incarné par Loeb) en ce qu’il tient la « machine » pour une simple métaphore du vivant aux vertus limitées, et en ce qu’il ne revendique « aucune portée philosophique » pour cette métaphore ni même pour le postulat physicaliste :

La position néo-mécaniciste, faisant valoir l’empire universel du type mécanique d’explication sur toute la nature, vivante et non-vivante, tout en admettant simultanément le caractère inadéquat de cette sorte d’explication en tant que compte rendu exhaustif du monde, ressemble au vieux mécanicisme en maintenant le besoin heuristique de la machine et en diffère en ne voyant rien de véritablement ultime en elle. Elle se reconnaît ainsi elle-même comme la manière suivant laquelle œuvre l’esprit scientifique3.

Selon le biologiste J. Johnston, le mécanicisme était néanmoins « plus qu’une simple hypothèse » : il le tenait pour « un idéal d’explication » que la biologie ne saurait abandonner4. Needham estimait de son côté que s’il devait bien être conçu comme une simple « hypothèse de travail », les biologistes ne pouvaient s’en dispenser : elle serait « la seule qui marche »5. Avec moins de dogmatisme mais en soutenant ces conceptions déjà prônées par Weismann un demi-siècle plus tôt6, Wilson adoptait quant à lui une position « fictionaliste » consistant à réduire le mécanicisme (décliné sur un mode physicaliste) à une fiction d’une grande fécondité heuristique – à ses yeux la seule, toutefois, à posséder cette vertu :

La différence entre la cellule et la machine artificielle même la plus compliquée demeure de loin trop vaste pour être comblée par la connaissance présente. Néanmoins, nous acceptons l’hypothèse qu’elle est de degré plutôt que de principe, parce que cela s’est montré fécond dans la découverte et nous a maintenus dans la bonne direction […] Nous n’avons encore aucune conception adéquate de l’organisation [d’un gamète…]. Néanmoins, la seule voie disponible pour son exploration se trouve dans l’hypothèse mécanistique [qu’elle] doit être explicable par les propriétés physico-chimiques des substances composantes […] Les interprétations mécanistiques existantes des phénomènes vitaux sont évidemment inadéquates ; mais il est tout aussi clair que ce sont des « fictions nécessaires »7.

La persistance et l’ampleur internationale des controverses entre avocats respectifs de points de vue vitalistes et mécanicistes constituaient un trait majeur et une toile de fond de quasiment tous les débats biologiques du début du XXe siècle à la fin des années 1920. Deux illustrations importantes en

1

Needham J. (1928b), p. 80 et pp. 88-89. Il reprenait aussi (p. 90) l’assertion de R.G. Collingwood (1926), pour lequel « les mathématiques, la mécanique et le matérialisme sont les trois marques de toute science, une triade dont aucun membre ne peut être séparé des autres puisqu’en fait ils dérivent tous de l’acte original par lequel la conscience scientifique vient à l’existence, à savoir le concept abstrait ».

2

Needham J. (1928a), pp. 38-40 et (1928b), p. 79 et pp. 88-89. Selon Needham, la téléologie n’appartiendrait pas au domaine scientifique parce qu’elle serait une « catégorie non-quantitative » : il la laissait sans regret aux philosophes.

3

Needham J. (1928b), pp. 88-89.

4

Johnston J. (1923), cité in op. cit., p. 90.

5

op. cit., p. 79.

6

Weismann A., in Abel O. (1928), p. 96 : « La science de la nature doit en toutes circonstances pousser les tentatives d’explications mécaniques aussi loin que possible ».

7

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furent l’âpre discussion portant sur les implications du vitalisme de Driesch, qui mit aux prises dès 1911 et 1912 dans la revue Science1 les Américains Lovejoy et H.S. Jennings ; et le « combat », que Bertalanffy commenta en 1929, opposant encore en 1927 Rignano et Needham sur le thème de « l’homme machine » de Julien O. de La Mettrie2. Toutes ces controverses constituèrent un point d’entrée de Bertalanffy dans le domaine de la philosophie biologique. Il est en effet caractéristique de cette philosophie, qui sera étudiée au 2-3, qu’elle fut entièrement placée sous le signe d’une volonté de les dépasser en cherchant à se situer « par-delà le mécanicisme et le vitalisme » :

L’effort devra consister à fonder une nouvelle conception de la vie qui – à l’encontre du mécanicisme – rend justice à la totalité organique, mais qui – au contraire du vitalisme – la rend accessible à une étude scientifique. Cette tentative de dépassement du mécanicisme et du vitalisme, nous voulons l’appeler « biologie organismique » en tant que méthode de recherche, et « théorie systémique de la vie » [Systemtheorie des Lebens] en tant que tentative d’explication de la vie3.

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