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• La détermination de la composition chimique des pâtes et des engobes de ces différents fragments de sigillées, ont permis d’évaluer, dans un premier temps les dispersions et variabilités qui existent au sein de chaque atelier et donc de mieux cerner l’organisation de chacun. Les analyses réalisées par PIXE et microsonde sur la pâte et l’engobe des échantillons arétins (Tableau III.B.1) mettent bien en évidence des variations chimiques systématiques entre les productions signées « Ateius » et les plus anciennes de « Perrenius ». Sur les trois fragments attribués à « Cornelius », deux se rapprochent des productions anciennes, tandis que le troisième présente de fortes similitudes avec les sigillées d’« Atéius ». Ces différents résultats sont cohérents avec les conclusions de G. Schneider et M. Daszkiewicz (2005), quant à la présence de deux groupes arétins A et B, mis en évidence par la composition chimique des pâtes. Il existe bien une corrélation entre les différentes marques ou officines et les variations chimiques mesurées aussi bien au niveau des pâtes que des engobes.

Le centre de production sud-gaulois de La Graufesenque se différencie sur ce point des ateliers arétins. En effet quelle que soit la période, aucune corrélation n’a pu être établie entre officine et composition chimique. Durant toute la période de production de sigillées, des années +20 jusqu’au début du deuxième siècle de notre ère, les potiers de La Graufesenque ont utilisé la même pâte, mais surtout la même préparation d’engobe. Il est, de plus, parfois difficile de différencier les produits des ateliers satellites du Rozier et d’Espalion de ceux de La Graufesenque, tant la composition chimique de leur vernis présente des similitudes. On constate en effet une zone de recouvrement importante entre ces différentes productions et ce quel que soit l’élément considéré. Ces résultats mettent bien en évidence une différence dans l’organisation des ateliers d’Arezzo et ceux de La Graufesenque. Pour ce dernier, toutes les officines sont concentrées sur le même site et fonctionnent de manière beaucoup plus collective : les différents potiers utilisent tous la même argile pour les pâtes, la même préparation d’engobe, et les pièces sont cuites lors de cuisson commune, contrôlée par l’établissement de bordereaux d’enfournement. Les officines Arétines semblent fonctionner avec plus d’indépendance et de liberté, profitant d’une organisation déjà établie bien avant la mise en place de la production de sigillées.

• Qu’elles soient italiques ou sud-gauloises, les sigillées présentent toujours les mêmes caractéristiques qui leur sont propres et qui sont cohérentes avec leur mode de cuisson oxydant. Des argiles calcaires étaient utilisées pour les pâtes. Les engobes étaient préparés à partir d’une argile différente, non calcaire avec des teneurs en CaO inférieures à 2 %, et non sodiques puisque leur pourcentage en Na2O n’excède pour aucun 1.5 % et reste même bien inférieur à cette valeur. Ces couvertes se caractérisent en revanche par des teneurs importantes en fer (entre 8 et 12%) et surtout en potassium. Elles présentent en général un rapport Al/Si proche des argiles de type illitique, cependant dans le cas de l’atelier de Montans, de fortes teneurs en aluminium ont été mesurées, ce qui laisse supposer que cet atelier ait utilisé une argile qui, en plus de contenir de l’illite, contenait une bonne proportion de kaolinite. L’épaisseur du vernis varie de 20 à 40 µm aussi bien pour les productions sud-gauloises, qu’italiques. L’engobe de tous les fragments analysés se caractérise par une proportion importante de cristaux d’hématite submicroniques responsables de la couleur rouge. D’après les différentes analyses minérales réalisées par microdiffraction et spectroscopie Raman, les cristaux d’hématite contenus dans tous ces engobes présentent des paramètres de maille plus petits que l’hématite pure de référence, et se distinguent ainsi nettement des grains contenus dans la pâte. Cette diminution de la maille est cohérente avec la présence d’atomes d’aluminium et de titane au sein de la structure de l’hématite. La présence d’aluminium et la petite taille de ces cristaux ont un effet analogue et entraînent un éclaircissant de la couleur.

Le degré de substitution dépend de la nature de l’argile mais également de la température de cuisson, ce qui nous permet de différencier les productions italiques des sud- gauloises. En effet l’étude microstructurale des pâtes et des engobes des différents fragments étudiés, met en évidence une température de cuisson plus faible pour les sigillées italiques que pour les sud-gauloises et en particulier celles de La Graufesenque. Mais ces deux productions sont différenciables par d’autres aspects. Quelles que soient les variabilités chimiques ou minérales mesurées au sein des différents ateliers, elles s’effacent devant celles qui existent entre ces deux types de productions.

D’un point de vue granulométrique, les engobes italiques sont plus homogènes et plus fins que les engobes sud-gaulois qui contiennent des cristaux de quartz et d’hématite de plusieurs microns. Si l’on compare leur composition chimique, il est clair que quel que soit l’atelier considéré, les engobes sud-gaulois se différencient des italiques par des teneurs plus faibles en sodium, mais surtout en magnésium. En accord avec l’étude des argiles du chapitre précédent, ces variations chimiques entraînent une différence de microstructure entre ces deux productions.

Les engobes italiques se caractérisent par la prépondérance de nanocristaux de spinelle de type MgAl2O4 de forme aciculaire, alignés et orientés parallèlement à la surface, tandis que les engobes sud-gaulois se distinguent par une proportion importante de nanocristaux de corindon (Al2O3) de forme arrondie, répartis aléatoirement dans la matrice vitreuse. Le corindon présente des propriétés intéressantes : il permet d’augmenter la tension superficielle et la résistance des matériaux vitrifiés et confère donc à ces engobes une bonne résistance mécanique aux frottements. Contrairement aux cristaux de spinelle, ils diminuent en revanche la translucidité du matériau.

Comme nous avons pu le constater lors de l’étude des argiles, les engobes de type italique, riches en magnésium se vitrifient plus tôt et nécessitent donc une température de cuisson plus faible. En revanche, ce type d’argile, n’atteint pas le degré de qualité esthétique (couleur et brillance) des vernis pauvres en magnésium. L’étude colorimétrique réalisée sur les différents fragments, montre clairement que les ateliers de La Graufesenque ont produit une sigillée de meilleure facture que les centres Italiens, avec un engobe plus rouge qui peut atteindre un niveau de brillance deux fois plus important. Les produits des autres ateliers sud- gaulois ont une teinte intermédiaire entre les sigillées de La Graufesenque et les italiques, et

témoignent d’une cuisson moins bien maîtrisée. Aucun n’égale le degré de qualité esthétique des productions millavoises.

Les préparations d’argiles pauvres en magnésium permettent la production d’un vernis de meilleure qualité que les autres, mais nécessitent cependant des températures de cuisson plus élevées. Ces différences de température vont également entraîner des variations au niveau de l’interface. Les observations de la texture pâte/engobe réalisées par MEB mettent en évidence une très faible vitrification de la pâte des sigillées italiques, et une interface bien marquée. L’engobe grésé et la pâte non vitrifiée présentent des différences de coefficient de dilatation, qui sont à l’origine de contraintes mécaniques : ces contraintes, en se relaxant au niveau de l’interface, peuvent entraîner un décollement de l’engobe, constaté sur la plupart des fragments italiques étudiés.

Pour les productions sud-gauloises, l’adhérence de l’engobe sur la pâte est forte, ce qui constitue un critère de solidité et de qualité. Étant donné la vitrification partielle de la pâte, la relaxation des contraintes s’exerce différemment entre l’engobe et cette dernière, et engendre l’apparition de microfissures perpendiculaires au plan de l’interface. Ces microfissures sont présentes dans tous les échantillons que nous avons observés, y compris ceux de très bonne qualité. Ce phénomène est donc général à toutes les sigillées, dont la pâte est partiellement vitrifiée.

Le démarrage des productions sud-gauloises s’est donc accompagné d’une modification au niveau de la composition des vernis, qui a entraîné des variations de leur microstructure. Ces modifications influent directement sur la qualité esthétique et la résistance mécanique des engobes, mais également indirectement sur leur adhérence avec la pâte. Tandis que les productions italiques se singularisent par un engobe qui se décolle facilement, les vernis des productions sud-gauloises plus résistants, et pour la plupart, plus rouges et brillants, présentent toutefois des microfissures en surface pouvant parfois en altérer l’aspect.

Pour tous les ateliers de sigillées sud-gaulois étudiés, on constate l’emploi systématique d’un engobe pauvre en magnésium. Pourtant toutes les argiles prélevées dans des niveaux compatibles (permo-triasiques), aux environ des ateliers de La Graufesenque, d’Espalion et de Montans, présentent des teneurs en magnésium plus importantes, plus proches des engobes italiques. Se pose alors la question de l’origine de ce déficit en magnésium. Deux hypothèses sont envisageables : soit cette caractéristique est naturelle et propre à certains gisements, soit c'est une conséquence directe du processus adopté pour la préparation des engobes. Dans le premier cas, cela implique une recherche systématique d'argiles exemptes de magnésium qui, si on se base sur nos investigations géologiques, semblent très rares. On aurait alors affaire à une sélection adoptée volontairement par tous, et basée sur des critères difficilement identifiables. La deuxième supposition impliquerait plutôt une spécificité dans la préparation des engobes, commune à tous les ateliers sud-gaulois. Nous reviendrons sur ces hypothèses et leur implication dans le contexte historique dans la conclusion générale, l’étude des productions précoces de La Graufesenque et de Montans, évoquée au chapitre V (p 213), apportant des éléments de réponse. Elle montre, en effet, que leurs engobes aussi différentes soit-elles, se caractérisent également par de faibles teneurs en magnésium.

Quelle que soit l’origine de ce déficit en magnésium, il est clair, en tout cas, qu’un procédé ou une sélection particulière a bien été adopté par tous les ateliers de sigillées sud- gaulois, cette modification par rapport aux produits italiques conduisant à la fabrication d’un produit de meilleure qualité.