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La spectroscopie Raman, par son principe même, est sensible aux vibrations des liaisons entre atomes de la molécule ou du cristal. Les spectres obtenus sont donc caractéristiques de la composition minérale du matériau étudié, mais également de la nature des atomes liés, de leur environnement dans la molécule et de leurs relations avec les molécules voisines. Il s’agit de plus d’une technique optique non destructive qui permet d'étudier aussi bien de très petits échantillons (de l’ordre de quelques dizaines de micromètres cube) que des objets de très grande taille (plusieurs mètres cube). Ces caractéristiques en font une des techniques les plus utilisées dans le domaine des matériaux du patrimoine. Comme on l’a vu précédemment, tous les prélèvements d’argiles cuits à 1050°C n’ont pas la même composition minérale et sont ainsi nettement différenciables par diffraction. La spectroscopie Raman étant également sensible à la composition minérale, nous avons voulu savoir si cette technique permettrait de visualiser également ces variations. Toutes les pastilles cuites à 1050°C et étudiées par diffractions des rayons X ont donc été analysées par spectroscopie Raman (Figures II.D.10). Tous les enregistrements présentés ont été obtenus en utilisant la raie verte à 514.5 nm de l'Argon et avec une puissance d'environ 2mW sur l'échantillon. Cette puissance a été choisie, après une série de tests, afin d'optimiser le rapport signal/bruit. Des tests ont également été réalisés avec un laser émettant dans le rouge à 785 nm (diode) à l'Université de Florence mais l'excitation dans le vert, notamment pour le deuxième ordre donnant de meilleurs résultats, cette configuration n'a pas été retenue.

Plusieurs spectres ont été réalisés sur chaque échantillon, afin de vérifier leur homogénéité à l’échelle de la mesure : avec un objectif x100, le point d'impact du faisceau laser est de l’ordre du micron. Aucune différence significative n'a toutefois été observée. Quelque soit l’endroit sondé, tous les spectres associés à un même échantillon se sont révélés être identiques. Malgré les variations minéralogiques constatées par diffraction des rayons X, les spectres Raman enregistrés sur les différentes pastilles sont très similaires.

Figure II.D.10 : Spectres Raman normalisés obtenus à température ambiante sur les 11 prélèvements

d’argile étudiés, préalablement décantés (fraction fine inférieure à 2µm) et cuits à 1050°C pendant 15 h sous atmosphère oxydante et sur un cristal d’hématite pur.

In

te

n

s

it

é

R

a

m

a

n

Nombre d’onde en cm

-1

Spinelle

760 cm

-1 305 420 520 625 685 1350

En effet la seule phase observable dans ces argiles cuites à 1050°C est l'hématite. Sa contribution est apparemment beaucoup trop forte, pour permettre la visualisation des autres phases, telles que la mullite, l’anorthite, le corindon ou le spinelle. Parfois sur quelques spectres, un léger pic pouvant correspondre au quartz, apparaît autour de 460 cm-1 (voir ESP- 7 sur la Figure II.D.10), mais c’est relativement rare. Seule l’argile LV-7, pour laquelle le spinelle est la phase majoritaire, présente une légère bosse à 760 cm-1 pouvant être attribué à cette phase, mais le signal de l’hématite (pourtant minoritaire dans cette argile) est encore très fort et domine largement le spectre. Les essais réalisés à l'Université de Florence ont conduit aux mêmes conclusions. À la vue de ces résultats, la spectroscopie Raman ne semble pas être, en mesure de mettre en évidence les variations minéralogiques observées par diffraction.

Une étude sur les engobes de sigillée de la Graufesenque avait déjà mentionné la très forte réponse de l'hématite et l'impossibilité de repérer le corindon par spectroscopie Raman (Zoppi A. et al., 2006). Nos enregistrements sont en accord avec ces observations et montrent que c'est également le cas des autres phases à savoir la mullite, l’anorthite, et le spinelle. Cette précédente publication (Zoppi A. et al., 2006) avait en revanche montré que le spectre de l'hématite observé dans les engobes ne correspondait pas exactement à celui de l'hématite pure. Les bandes présentaient un élargissement et un décalage en fréquence systématique. Une bande supplémentaire était également observée vers 670 cm-1.

Nous avons cherché à vérifier si c'était également le cas des hématites des prélèvements chauffés à 1050°C, et pour cela un spectre d'une hématite de référence a été enregistré dans les mêmes conditions expérimentales. Ce spectre est présenté en rouge dans la Figure II.D.10. Dans la gamme spectrale 250-700 cm-1, le spectre de l'hématite se caractérise par six bandes : deux modes de symétrie A1g à 225 et 498 cm-1, et quatre modes Eg à 293, 299, 412 et 613 cm-1. Avec les conditions expérimentales utilisées, le mode A1g à 225 cm-1 n’est pas visible à cause du filtre Notch et les deux bandes à 293 et 299 cm-1 se trouvent confondues. La bande à 613 cm-1 a été assignée aux vibrations d'élongation de la liaison Fe-O (Tarassov M. et al., 2002), tandis que la bande à 412 cm-1 est sensible aux vibrations des liaisons O–Fe–O de l’octaèdre FeO6. L'hématite se caractérise également par un second ordre très intense vers 1300 cm-1 dont l'origine a donné lieu à divers interprétations et peut être assignée à un mode double-magnon (De Faria D. L. A. et al., 1997).

Comme on peut le voir sur la Figure II.D.10, tous les spectres des prélèvements présentent le décalage en fréquence (décalage vers le bleu) et l'élargissement des bandes de l'hématite observés dans les engobes antiques. La bande supplémentaire à 680 cm-1 est également présente. Le décalage en fréquence associé à un l’élargissement des bandes est généralement caractéristique de modifications ou de défauts structuraux au sein du cristal. Dans notre cas, il peut s’expliquer par la substitution partielle du fer par un atome plus léger, en l'occurrence l'aluminium (Froment F. et al., 2008 et Zoppi A. et al., 2008). Mais il reste le problème de la bande supplémentaire vers 680 cm-1. Cette bande ne peut être attribuée à aucune des phases minérales par diffraction des rayons X.

Dans une étude d'ocres naturelles par spectroscopie Raman (Froment F. et al., 2008), des spectres similaires ont été obtenus et cette bande à 680 cm-1 a été attribuée à la magnétite (oxyde de fer ferrimagnétique de formule Fe2+Fe2+3O4). Cependant dans notre cas, la magnétite n’a été détectée dans aucun des échantillons d’argiles étudiés par diffraction des rayons X, ce qui est en accord avec une cuisson en atmosphère oxydante. De plus la magnétite a un signal Raman beaucoup plus faible que l’hématite, donc seule une forte proportion de magnétite pourrait expliquer une raie à 680 cm-1 aussi intense, et si tel était le cas, elle serait aisément identifiable par diffraction des rayons X. On ne peut donc pas, dans notre cas attribuer cette bande à la magnétite.

Un bon nombre de publications fait état de la présence de cette bande sur le spectre de l’hématite. Beaucoup l’attribue à un désordre structural du cristal, à la présence de défauts ou d’impuretés au sein de la structure (Bersani D. et al., 1999 et Wang A. et al., 2004), ou encore à la taille nanométrique des grains d’hématite (Pérez León C. et al., 2004). La substitution des atomes de fer par d’autres atomes comme le tungstène (Tarassov M. et al., 2002) ou l’aluminium (Zoppi A. et al., 2008), est également l’une des hypothèses envisagées par certains de ces auteurs pour expliquer la présence de cette bande à 680 cm-1, ce qui dans notre cas serait en accord avec le décalage et l’élargissement des bandes. Cependant, la substitution du fer par des atomes d’aluminium, n’entraîne pas une bande à 680 cm-1, aussi intense que ce que l’on observe ici (Zoppi A. et al., 2008). Nous reviendrons sur l'origine de cette bande par la suite lors de l'étude en température (cf. § II.D.4.b).

II.D.3.d) Etude de la couleur et de la brillance par colorimétrie en mode