1. Les évolutions de la conflictualité dans les années 2000 75
1.1. La dynamique des conflits collectifs 76
A l’occasion de la précédente édition de l’enquête REPONSE (2002-‐2004), nous avions noté une hausse significative de la part des établissements conflictuels, tout en montrant que les différentes formes de conflit n’évoluaient pas dans le même sens. La proportion d’établissements alors touchés par une grève de plus de deux jours avait en effet encore continué à baisser, quand toutes les autres formes de conflits déclarés étaient, elles, en augmentation. De la dernière édition de l’enquête, il ressort que la tendance à la hausse des conflits collectifs ne se confirme pas au cours de la dernière période investiguée. Cela n’implique pas pour autant une baisse importante ni uniforme des formes de conflits déclarés par rapport à la dernière édition de l’enquête.
1.1.1. Une recomposition des formes de la conflictualité collective
La tendance globale est ainsi à une légère diminution (-‐1,3 points) des directions déclarant l’existence de conflits dans leur établissement, à mettre en perspective avec un climat social moins souvent considéré comme « tendu » ou « plutôt tendu » : les directions étaient 10,3 % à le penser entre 2002 et 2004, contre 8,9 % pour la période 2008-‐2010. Ce recul dans les tensions et les conflits déclarés reste cependant modeste et le taux d’établissements conflictuels est encore largement supérieur à celui enregistré pendant la période 1996-‐1998, puisque leur part est près de 8 points supérieure à ce qu’elle était douze ans auparavant.
Les établissements conflictuels
Types de conflits
% d’établissements concernés Evolution 98-‐04 Evolution 2004-‐ 2010 1998 2004 2011
Etablissements conflictuels ayant connu au
moins un arrêt de travail 12,8 15,1 15,9 +2,3 +0,8 Etablissements conflictuels n'ayant pas
connu d'arrêt de travail 7,9 14,9 12,8 +7 -‐2,1
Etablissements non conflictuels 79,3 70 71,3 -‐9,3 +1,3
Total 100 100 100
Champ : établissement de plus de 20 salariés
Source : Enquêtes REPONSE 1998, 2004, 2011. Volet RD -‐ DARES
Autre élément notable à la lecture de l’évolution globale de la conflictualité déclarée dans les établissements, les différentes formes de conflits évoluent selon des modalités différentes, et dans un sens en partie inverse à celui qui avait été observé lors de la précédente enquête. En 2004, l’augmentation de la proportion d’établissements
conflictuels concernait surtout des établissements ne connaissant que des conflits sans arrêts de travail (+7 points). En revanche, la quasi stabilité de la proportion d’établissements conflictuels entre 2002-‐2004 et 2008-‐2010 résulte d’une légère augmentation des établissements connaissant au moins un conflit avec arrêt (+ 0,8 point) et d’une diminution de la proportion d’établissements ne connaissant que des conflits sans arrêts de travail (-‐2,1 points).
Deux premiers enseignements importants peuvent ainsi être tirés. D’abord, le niveau de
la conflictualité au travail, entre 2008 et 2010, dans le contexte de la crise économique et financière, reste à un niveau comparable à celui du début des années
2000, pourtant marquées par une période de croissance et de réduction du
chômage. Alors que le retour de la croissance avait été évoqué à l’époque comme une
raison de la recrudescence de la conflictualité dans les entreprises (Coutrot, 2001), on ne constate pas d’effet inverse quand la conjoncture économique se dégrade de nouveau, du moins à court terme.
Ensuite, si le nombre d’établissements concernés par des formes de conflit collectif diminue légèrement, le nombre de ceux qui ont connu une forme d’arrêt de travail est, lui, en légère augmentation. En résumé, dans un paysage de conflictualité globalement stable, les conflits tendent plutôt à se durcir avec une augmentation continue des établissements concernés par des formes avec arrêts de travail entre 1998 et 2011 et au contraire des variations du nombre d’établissements concernés par des conflits uniquement sans arrêt de travail.
Cette évolution de la conflictualité au travail dans la période 2008-‐2010 peut être précisée en étudiant séparément l’évolution des différentes formes de grève et de conflit recensées par l’enquête REPONSE. Concernant les formes de conflit sans arrêt de travail, ce sont des évolutions contrastées qui se donnent à voir. Le nombre d’établissements déclarant l’organisation d’une pétition est en baisse (-‐2,3). La baisse est plus importante concernant le refus des heures supplémentaires par les salariés, alors que c’était précisément la forme de conflit qui avait connu l’augmentation la plus significative lors de la précédente période. Le recours à la manifestation est, en revanche, lui, stable (+0,5).
Concernant les conflits avec arrêts de travail, on observe là aussi une évolution différenciée des trois principales modalités d’action de grève mesurées, qui va dans un sens relativement comparable à celle qui avait été observée en 2004. En l’occurrence, entre 2008-‐2010, la fréquence des grèves de plus de deux jours déclarés continue de baisser légèrement (-‐0,7). A l’inverse, les établissements ayant connu des grève plus courtes sont, elles, globalement en augmentation. Cette augmentation est plus importante concernant les grèves de moins de deux jours, en hausse de 1,4 point par rapport à 2004, soit la forme de conflit qui a connu l’augmentation la plus importante sur la période. Quant au nombre de directions qui déclarent avoir affronté des débrayages, il est, lui, stable (-‐0,2 points).
L’évolution des différentes formes de conflit dans les établissements
Types de conflits
% d’établissements concernés par
chaque forme conflictuelle Evolution
98-‐04 2004-‐2010 Evolution
1998 2004 2010
Débrayage 7,5 10,5 10,3 +3 -‐0,2
Grève de
2j.ou plus 3 2,6 1,9 -‐0,4 -‐0,7
grève perlée 1 1,3 1,3 +0,3 0
grève du zèle 0,9 1,5 1,6 +0,6 +0,1
refus d'heures sup. 3,2 9,7 7 +6,5 -‐2,7 manifestation 4,9 6,7 7,2 +1,8 +0,5 pétition 8,5 10,6 8,3 +2,1 -‐2,3 autres formes 1,8 3,8 4,1 +2 +0,3 Toutes formes confondues 20,7 30 28,7 +9,3 -‐1,3
Source : Enquête REPONSE, 1998, 2004, 2011. Champ : établissement de plus de 20 salariés, volet RD
Même dans un contexte de crise économique et de précarisation du salariat, la grève continue donc d’occuper une place centrale dans les stratégies d’action syndicales. Même si le recours à la grève correspond de plus en plus souvent à des
formes d’arrêt de (très) courte durée, rien n’indique une éventuelle tendance à la substitution de la grève par d’autres modalités d’action qui pourraient sembler a priori mieux ajustées à la fragilisation de la situation économique des salariés. Au contraire, alors que le recours à la pétition apparaît par exemple comme une forme d’action moins contraignante à organiser et moins coûteuse à réinvestir pour les salariés, elle est l’une des modalités d’action qui connaît le recul le plus important, selon les directions du moins, pour qui c’est sans doute une forme de conflit moins marquante que les arrêts de travail ou les manifestations toutefois.
1.1.2. Une intensification des conflits dans les établissements conflictuels
Cette tendance à l’intensification et au « durcissement » des conflits là où ils se produisent est enfin confirmée par la concentration des conflits déclarés dans les établissements. De fait, par rapport à 2004, le nombre d’établissements déclarant l’existence de trois formes de conflits ou plus augmente de 2 points, par rapport à la part des directions qui déclarent deux ou une seule forme de conflit.
Nombre de formes de conflits déclarées
Nombre de formes de conflits citées
2002-‐2004 2008-‐2010
(% en colonne calculés uniquement sur les établissements déclarés
conflictuels)
(% en colonne calculés uniquement sur les établissements déclarés conflictuels) 1 52 51 2 26 25 3 et plus 22 24 Total 100 100
Source : Enquêtes REPONSE 2004, 2011. Volet RD -‐ DARES Champ : établissement de plus de 20 salariés, volet RD
De même, au-‐delà de l’augmentation du nombre d’établissements touchés par une grève de moins de deux jours, le nombre d’établissements déclarant n’avoir connu qu’une ou deux actions de grèves est en baisse (-‐1,4), alors que la part d’établissements ayant connu plus de trois débrayages a quasiment doublé depuis 2004.
Evolution de la fréquence des grèves dans les établissements en ayant connus une grève de moins de deux jours
Une grève de moins de deux jours
2004
2010 évolution
Plus de 5 fois 1,4 2,7 +1,3
De 3 à 5 fois 1,3 2,8 +1,5
De 1 à 2 fois 6,5 5,1 -‐ 1,4
Jamais 90,8 89,4 -‐1,4
Source : Enquêtes REPONSE 1998, 2004, 2011. Volet RD -‐ DARES Champ : établissement de plus de 20 salariés, volet RD
Quels que soient les indicateurs statistiques retenus, il est difficile de conclure que le rétrécissement très relatif de l’espace des établissements conflictuels reflète une tendance plus générale à la baisse de la conflictualité collective au travail. La stabilité qui marque l’évolution de la conflictualité entre le milieu et la fin des années 2000 s’accompagne en réalité d’une recomposition des formes de cette conflictualité, là où elle se développe, qui va dans le sens d’une augmentation du recours à de courts arrêts de travail et à une intensification de ces formes de mobilisation collective des salariés. L’évolution des formes de conflits collectifs implique cependant d’être mise en perspective avec l’évolution des formes plus individuelles de conflits. Si la conflictualité au travail ne se résume pas à la grève, elle ne se réduit pas davantage aux différentes pièces du répertoire de l’action collective des salariés. Elle passe aussi par des formes de tensions et de conflits, tout à la fois plus individuelles et diffuses, qui innervent le quotidien des relations professionnelles en entreprise.