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A.2 Une dynamique sans commune mesure : les déplacements à vélo

Dans le document Les embarras de Paris (Page 81-87)

II Un potentiel considérable de substitution des modes motorisés

II. A.2 Une dynamique sans commune mesure : les déplacements à vélo

Le seul candidat qui reste alors en lice198 pour résoudre la question de

l'engorgement du métro paraît le plus improbable puisqu'il s'agit du vélo qui, comme chacun sait, n'est au pire qu'un gadget écolo-bobo, et au mieux un mode de déplacement de loisir : l'opposé exact donc du métro, essentiel lui puisqu'il structure les déplacements mécanisés intéressant Paris. Mais dans le cas du vélo comme pour les 2RM, quoique pour des raisons strictement inverses, il y a loin de la perception commune des phénomènes à la réalité 193Même si, comparée avec la croissance du tramway, celle des 2RM ne peut qu'être qualifiée ainsi puisque face aux +49% du tramway entre 2007 et 2012 les 2RM n'ont à faire valoir qu'un médiocre +8% : Bilan 2007, op. cit., p. 9 ; Bilan 2012, op. cit., p. 9 et 29.

194Bilan 2010, op. cit., p. 25. 195OMNIL, EGT 2010, op. cit., p. 16.

196Suivant que l'on prenne soit l'ensemble des données des EGT, sur la base d'une régression linéaire (qui renvoie le meilleur R², de 0.997), soit l'ensemble des données de comptage disponibles (soit 1997-2013), sur la base à nouveau d'une régression linéaire (qui renvoie le meilleur R², de 0.96).

197OMNIL, EGT 2010, op. cit., p. 16.

198L'exhaustivité aurait voulu que je traite également des taxis. S'agissant néanmoins d'un mode qui assure à peine un demi pourcent des déplacements intéressant Paris, un mode donc qui n'est en moyenne utilisé que six fois par an par les Parisiens, tout développement à son sujet paraît vain. Pour la fréquentation des taxis : Jean-Pierre ORFEUIL et Marie-Hélène

MASSOT, Regards sur la plaquette « Bilan des déplacements », op. cit., p. 9 ; Richard

DARBÉRA, Taxicab regulation and urban residents’ use and perception of taxi services : a 

des pratiques de déplacement. S'agissant tout d'abord de l'importance désormais acquise par le vélo, le nombre de déplacements réalisés à vélo par les Parisiens est dans l'EGT 2010 de 45% supérieur à leurs déplacements en 2RM, et ils représentent rien moins que le tiers de leurs déplacements en voiture199 ; soit également un nombre de déplacements réalisés en vélo à

Paris supérieur au nombre de véhicules circulant sur le périphérique, pourtant rien moins que la première autoroute urbaine d'Europe200. Mais ce

n'est pas seulement que le vélo a ainsi acquis, dans le système des déplacements parisiens, une place non négligeable parmi les déplacements mécanisés de surface, c'est surtout qu'il est caractérisé par un développement qui pour le coup peut à bon droit être qualifié d'explosif, développement si rapide qu'il l'a fait passer, sans que manifestement les mentalités aient encore pu s'y ajuster, du statut de mode marginal, résiduel, à une position non pas encore centrale mais déjà seconde. En effet, entre l'EGT 1991 et l'EGT 2010, la circulation cycliste parisienne a été multipliée par 9.5201, soit une

progression annuelle constante de 12 -13% aussi bien entre 1991 et 2001 199La mobilité en Île-de-France, op. cit., p. 4. Il ne s'agit nullement là d'un phénomène spécifique aux seuls Parisiens, puisqu'à l'échelle de l'ensemble de l'Île-de-France aussi bien les déplacements cyclistes sont plus nombreux que ceux en 2RM.

200En 2000, 270 000 véhicules circulaient chaque jour sur le périphérique ; la circulation y ayant diminué de 10% entre 2000 et 2010, elle peut être pour 2010 évaluée à 243 000 véhicules, à comparer aux 282 000 déplacements effectués quotidiennement à vélo dans Paris. Cf. respectivement « Quel impact sur la qualité de l’air d’un échangeur routier urbain ? Le cas de l’échangeur de Bagnolet  », Airparif Actualité, avril 2005, no 25, p. 2 ; Bilan 2009, op. cit., p. 19 ; Bilan 2010, op. cit., p. 21 ; OMNIL, EGT 2010, op. cit., p. 16. 201Pour les données des EGT 1991, 2001 et 2010 : Voirie et déplacements. Données

statistiques, op. cit., p. 43-44 ; OMNIL, EGT 2010, op. cit., p. 16. Pourquoi préférer les chiffres des EGT à ceux des comptages sur voirie ? D'une part parce que l'on dispose ainsi d'une plus grande profondeur chronologique (les comptages ne remontent qu'à 1997), ce qui permet de mieux fonder les projections, d'autre part en raison du fait que méthodologiquement les EGT sont beaucoup plus satisfaisantes puisqu'elles reposent sur un sondage aléatoire alors que les axes qui font l'objet des comptages sont eux dépourvus de toute représentativité en raison du caractère non aléatoire de leur choix, et enfin et surtout parce que s'agissant des cyclistes les comptages sur voirie paraissent peu fiables tant leurs variations peuvent être brusques et erratiques, phénomène qui ne se retrouve par contre pas pour les comptages des 2RM – quant aux comptages des voitures, qui sont eux non pas manuels mais automatisés, et de ce fait opérés sur un nombre d'axes sans commune mesure (correspondant en fait à tous les axes d'importance, soit au total presque 200km), ils sont pour leur part parfaitement fiables, et d'ailleurs tout à fait similaires aux résultats des EGT. Ainsi entre deux campagnes de comptage des vélos, en l'occurrence d'octobre 2008 à juin 2009, est-on passé, sur les axes faisant l'objet d'un comptage de la circulation cycliste, d'une fréquentation horaire, pour le créneau 11h-12h le mardi, de 2233 cyclistes à 832, soit rien de moins qu'une division par presque 3 ; les Bilans se sont d'ailleurs soigneusement gardés de relever cette évolution, tant il était manifeste que ces résultats ne correspondaient à rien de réel. Cf. Bilan 2008, op. cit., p. 13 ; Bilan 2009, op. cit., p. 12.

qu'entre 2001 et 2010. Or une progression relative (en %) constante signifie une progression effective (en nombre de déplacements) toujours plus rapide, soit ce que l'on appelle une progression exponentielle, qui a pour conséquence que l'on peut (avec un très grand degré de certitude) évaluer qu'en 2020 la circulation cycliste sera plus de trois fois supérieure à celle de 2010202, soit un minimum de 908 000 déplacements à vélo par jour. Ainsi

donc entre 2010 et 2020 le nombre de déplacements cyclistes quotidiens aura-t-il augmenté d'au moins 626 000 ; si l'on rapporte ce chiffre à celui de l'augmentation prévue de la fréquentation du métro, on s'aperçoit alors que, si cela ne serait pas intégralement suffisant pour résorber celle-ci, néanmoins il faudrait simplement que le taux de croissance annuel de la circulation cycliste passe des 12-13% qui la caractérisent depuis 1991 à un simple 15%, pour que l'aggravation de l'engorgement du métro soit évitée. Ainsi donc suffirait-il, pour que soit résolue la principale contrainte à laquelle se trouve confronté actuellement le système parisien des déplacements, que l'on mène en matière de déplacements cyclistes une politique légèrement volontariste : une politique qui, tout simplement, à rebours de ce qui vaut aujourd'hui, considère enfin le vélo comme un mode de déplacement à part entière, et non comme la décorative cerise écologique sur le gâteau « réaliste » des déplacements motorisés (collectifs ou individuels, souterrains comme de surface).

Comment expliquer ce considérable décalage entre la réalité du système parisien des déplacements et sa perception – puisque quasiment personne, même chez les « khmers verts » (généralement plus intéressés par les TC), ne voit dans le vélo le centre nécessaire de la politique parisienne des déplacements parce qu'il représente la seule solution aux blocages actuels ? Par, me semble-t-il – et j'espère que l'on me pardonnera ce qui pourrait passer pour une cuistrerie – l'ignorance des règles de base de la cinématique, c'est-à-dire de la transformation des coordonnées d'un élément dans le temps. Cette dernière en effet peut être exhaustivement caractérisée par trois grandeurs liées, qui sont sa position, sa vitesse et son accélération. Or chacune de celles-ci représente un degré d'abstraction supplémentaire, puisque si la position s'observe par contre la vitesse ne peut que se déduire du rapport entre d'une part deux positions et d'autre part deux moments ; et l'accélération, quant à elle, s'infère du rapport entre deux vitesses, c'est-à-dire du rapport entre deux rapports203. Il est par conséquent relativement naturel,

202Le R² de cette projection est de 0,999.

203Ces trois grandeurs correspondent dans notre cas d'une part au nombre de déplacements cyclistes en un moment x (ainsi dans l'EGT 2010 le nombre quotidien de déplacements cyclistes effectués par les Parisiens s'élève-t-il à 255 000), d'autre part à l'évolution de ce

sinon heureux, que la réflexion en matière de déplacements (et de bien d'autres phénomènes) ne se fasse que sur la base des positions, c'est-à-dire en l'occurrence des parts modales ; mais les conséquences en sont particulièrement catastrophiques lorsqu'il s'agit de prendre des décisions relatives à la politique des déplacements, c'est-à-dire lorsque ce dont il est question est d'agir sur le futur, puisque celui-ci est déterminé bien plus par le rapport des accélérations des différents modes que par le rapport de leurs positions. Si l'on ajoute à cela d'une part le fait que les positions objectives par rapport auxquelles se déterminent les décisions sont celles observées par des EGT dont la périodicité n'est qu'environ décennale (ce qui signifie que non seulement une décision relative au futur est prise sur la base d'un indicateur présent déterminé par le passé, mais que par surcroît cet indicateur présent est lui-même fréquemment dépassé – particulièrement lorsque, comme c'est le cas dans l'actuel système parisien des déplacements, les transformations que connaissent les différents modes sont rapides et de sens inverse), et d'autre part le fait que tout aussi voire plus déterminantes pour la détermination des politiques suivies que ces positions objectives sont les positions subjectivement éprouvées par les décideurs, caractérisées par une hystérésis encore plus grande que la faible périodicité des EGT204, on conçoit

combien les politiques menées peuvent être sans rapport aucun avec ce qui serait nécessaire. La meilleure illustration de ce catastrophique décalage se trouve dans les objectifs que s'est donnée la municipalité parisienne en matière d'accroissement de la circulation cycliste pour la période 2010- 2020 : au delà de la proclamation de sa volonté d'« accélérer » le développement des déplacements à vélo, comme cette volonté se traduit concrètement par l'objectif d'un doublement de ces déplacements sur la décennie205, tout ce que l'on peut dire du volontarisme de la politique

municipale en matière de vélo est qu'il ne vise qu'à brider la dynamique existante puisque la simple poursuite de cette dernière, sans impulsion politique particulière, suffirait pour assurer entre les deux dates plus qu'un triplement des déplacements cyclistes. L'ignorance en matière d'analyse de l'évolution d'un système est telle que non seulement la municipalité se

nombre par rapport à un moment x-1 (entre l'EGT 2001 et l'EGT 2010 le nombre quotidien de déplacements cyclistes effectués par les Parisiens a cru de 171 000), et enfin au rapport entre l'évolution de ce nombre par rapport à un moment x-1 et l'évolution de ce nombre entre le moment x-1 et le moment x-2 (entre l'EGT 1991 et l'EGT 2001 d'une part, et entre l'EGT 2001 et l'EGT 2010 d'autre part, le taux de croissance des déplacements cyclistes est resté similaire autour de 12 % l'an).

204Sans même compter le biais, cette fois social, lié à la spécificité des pratiques de déplacements des décideurs (parce que celles-ci assurent une fonction de distinction) : cf. page 63.

propose de faire l'inverse de ce qu'elle proclame, ce qui après tout n'est pas si rare en politique, mais qu'elle est effectivement persuadée de faire l'exact contraire, et de faire en cette occasion preuve d'un courage politique tout particulier.

S'ajoute à ce biais de la réflexion politique en faveur du raisonnement en termes de positions – biais qui vaut pour n'importe quel système localisé de déplacements – que dans le cas parisien la contrainte principale à laquelle on est affronté réside dans l'augmentation de la fréquentation du métro, c'est-à- dire dans une vitesse, ce à quoi la solution ne peut résider que dans une autre vitesse – or la vitesse est corrélée à l'accélération et non à la position, puisque si un élément dont la position est importante peut parfaitement avoir une vitesse nulle (comme le montre dans le cas parisien les bus) il est par contre impossible qu'un élément connaissant une accélération aussi forte que durable (tel que le vélo à Paris) ne finisse par être caractérisé par une vitesse importante. Il s'agit donc de faire preuve d'un réalisme véritable, qui ne réduit pas le réel à l'une seule des trois variables qui permettent de le décrire (la position, au détriment de la vitesse et de l'accélération), qui plus est lorsque celle-ci est des trois variables celle qui permet le moins de comprendre de quoi le futur (soit l'objet même de l'action politique) sera fait, en général et plus encore s'agissant des contraintes qui caractérisent le système parisien des déplacements. Et ceci vaut non seulement pour la considération de la circulation cycliste et de sa capacité à répondre à l'engorgement du métro, mais aussi bien pour les autres composantes du système des déplacements. Pour prendre conscience du bouleversement que connaît actuellement ce dernier, et de la nécessité corrélative de changer radicalement notre manière d'envisager le fonctionnement des déplacements, d'évaluer ses grands équilibres, le mieux est – pour nous limiter aux déplacements mécanisés de surface, puisqu'ils sont désormais au centre de notre propos – de se concentrer sur les deux modes qui connaissent la vitesse de transformation la plus grande, l'un parce que sa position de départ était suffisamment importante pour que même une vitesse relative mesurée ait pour conséquence une transformation majeure en termes de nombre de déplacements, et l'autre parce qu'il connaît une accélération telle que la médiocrité de sa position de départ n'empêche pas les vitesses effectives atteintes d'être élevées, et de l'être toujours plus – et avec elles les positions finales aussi bien. La considération, en effet, de l'évolution passée et à venir des déplacements intéressant Paris effectués en voiture et à vélo206 permet de

206Je ne m'intéresserai pas vraiment ici aux déplacements en 2RM, dont et la position et la vitesse et l'accélération sont trop faibles pour qu'il soit nécessaire de les prendre en compte dans une analyse synthétique des déplacements mécanisés individuels de surface.

voir que leur rapport est appelé à se modifier du tout au tout sur une période somme toute brève (une trentaine d'années), et que le mode autour de quoi au début des années 1990 encore on réorganisait la ville est appelé, d'ici dix ans, à assurer une part des déplacements inférieure à celle permise par ce qui n'est encore aujourd'hui le plus souvent considéré que comme, en matière de politique des déplacements, un sympathique gadget207.

Pour le dire autrement : il devient plus qu'urgent de réaménager radicalement une voirie qui n'a encore été que peu transformée depuis l'époque où elle avait été adaptée au fait que la circulation VP-VU y était 86 fois supérieure à la circulation cycliste (comme dans l'EGT 1991), dans la mesure où dans moins de deux mandatures les déplacements à vélo y seront plus nombreux que les déplacements en VP-VU ; plus qu'urgent, puisque c'est bien dans les déplacements à vélo que réside la résolution de l'engorgement du métro, et qu'ils sont donc le moyen qui permettra de faire fonctionner l'aubaine que représente la diminution de la circulation automobile comme moyen de résoudre la contrainte principale qui pèse sur le système parisien des déplacements.

207Le R² des projections (on a toujours choisi celles qui donnaient le meilleur R²) est de 0.954 pour les VP-VU, 0.997 pour les 2RM, et de 0.9996 pour les vélos. Si l'on effectuait la projection de la circulation automobile sur la base non des EGT mais des comptages sur voirie, le résultat en serait similaire (quoique la chute n'en paraîtrait que plus forte) puisque entre 2010 et 2020 le recul serait de 29% ou 30% (suivant que l'on choisisse une projection linéaire ou exponentielle, de R² proche – respectivement 0,97 et 0,98), contre - 26% sur la base des EGT (suivant une projection linéaire, en l'occurrence significativement meilleure).

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 0 500 1000 1500 2000 2500 3000

Les déplacements mécanisés individuels intéressant Paris : passé, présent et futur

EGT vélo

Projection exponentielle de la circulation cycliste EGT VP-VU

Projection linéaire de la circulation VP-VU EGT 2RM

Projection linéaire de la circulation 2RM

m ill ie rs / jo ur o uv ra bl e

En matière de déplacements intéressant Paris, les tendances à l'œuvre ont pour conséquence que nous sommes en train de changer de monde, et il est donc plus que temps que ceux qui ont la responsabilité de la politique parisienne des déplacements acceptent de se départir du seul monde qu'ils aient connu jusqu'ici, acceptent de ne l'envisager que comme un possible parmi d'autres, et qui justement aujourd'hui a, de façon d'ailleurs fort heureuse, cessé d'être possible. En raison de la rapidité extrême de sa croissance, le vélo a déjà atteint, dans le système parisien des déplacements, une place notable, et surtout il est, pour la même raison, rapidement appelé à y prendre une place déterminante ; l'ignorer, au prétexte qu'il n'y a pas si longtemps encore le vélo était à Paris comme une espèce en voie de disparition, serait faire comme si, parce qu'encore dans les années 1960 la Chine connaissait la famine, elle ne pouvait être devenue aujourd'hui, en raison du caractère phénoménal de sa croissance, un acteur majeur de l'économie mondiale, visant dans un futur proche à la prééminence.

II.B Le vélo, un potentiel considérable de croissance par

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