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C.1 Des nuisances d'une gravité inacceptable

Dans le document Les embarras de Paris (Page 54-59)

S'il est hors de question de dénier la nécessité de restreindre la circulation automobile en banlieue – mais cette question sort de mon propos –, il est non moins impératif de souligner que, s'agissant de Paris, ni le raisonnement en termes de baisse du nombre de déplacements automobiles, ni le raisonnement en termes de part modale de l'automobile, ne sont pertinents, parce qu'ils ne sont que des raisonnements en termes relatifs (au niveau antérieurement atteint par la circulation automobile, ou au niveau actuellement atteint par les autres modes de déplacements) – or ce qui génère les nuisances liées à l'usage de l'automobile est son niveau effectif et non pas relatif. Et, parce que Paris est, en habitants comme en emplois, une ville d'une densité rare125, la densité des déplacements induits y est aussi bien

extraordinairement élevée126 ; de ce fait, quoique la part modale de

l'automobile soit en train d'y devenir négligeable, le nombre de déplacements automobiles y reste extrêmement dense. Ainsi dans l'EGT 2001 y avait-il chaque jour ouvrable dans Paris plus de 1.9 millions de trajets effectués par des véhicules individuels de transport polluants, pour un total de 5.6 millions de kilomètres parcourus par ces véhicules dans Paris même127 ; or non

seulement ces chiffres sont en soi extrêmement élevés, mais ils portent sur un territoire particulièrement restreint. Pour comparaison, si en banlieue dans l'EGT 2001 les déplacements en modes individuels polluants représentaient 53% de l'ensemble des déplacements, et s'ils étaient six fois plus nombreux que ceux concernant Paris, il n'y en avait par contre au kilomètre carré « que » 1 260, contre 24 380 chaque jour dans Paris, où pourtant les engins motorisés individuels n'assuraient qu'une part autrement minime de l'ensemble des déplacements128. Autrement dit, si l'on voulait que Paris

connaisse la même densité de déplacements individuels motorisés que le reste de l'Île-de-France, le nombre de ceux-ci devrait y être inférieur à ce qu'est aujourd'hui le nombre des seuls déplacements en 2RM... On le voit, 125La singularité de Paris apparaît lorsqu'on la compare aussi bien avec la banlieue (la densité de population est sept fois plus grande dans Paris que dans le reste de son agglomération) qu'avec les autres grandes villes européennes : alors que Paris compte 200 habitants à l'hectare, il n'y en a que 60 à Bruxelles, 85 à Londres et 105 à Berlin (pour ces villes, ne sont à chaque fois pris en compte que les centres-villes afin d'assurer la comparabilité) : Anne- Marie VILLOT, Déplacements dans les villes européennes, op. cit., p. 11.

126Pour comparaison, à Londres, seule ville d'Europe occidentale dont l'échelle soit comparable à celle de Paris, il y a dans l'Inner London (comparable à Paris intra-muros) 265 déplacements intéressant l'Inner London à l'ha, contre 1050 à Paris : Ibid., p. 31.

127Jean-Pierre ORFEUIL et Marie-Hélène MASSOT, Regards sur la plaquette « Bilan des déplacements », op. cit., p. 8-9. Ces données ne sont pas encore disponibles pour l'EGT 2010.

pour impressionnante que soit la baisse de la circulation automobile intéressant Paris, et pour négligeable que soit la part modale de l'automobile qu'elle a permis d'atteindre, la densité des déplacements polluants n'en reste pas moins très élevée, et très graves les problèmes induits par cette concentration spatiale. Au total, c'est bien avec la forme urbaine spécifique à Paris que la voiture apparaît incompatible.

La conséquence en est une concentration sans commune mesure des nuisances liées à l'automobile dans Paris, comme permet bien par exemple de le voir la carte de la pollution au dioxyde d'azote, soit le polluant atmosphérique le plus lié à la circulation automobile129 :

Moyenne annuelle de la pollution au NO2 en 2011130

Mais ce n'est pas seulement que les niveaux de pollution sont, dans Paris, sans commune mesure avec ceux subis en banlieue : au delà de cette considération relative, importante néanmoins lorsqu'il s'agit de porter un jugement sur la revendication de certains banlieusards de pouvoir se rendre en voiture dans Paris sans être pour cela gênés par l'aménagement des axes d'entrée (comme par exemple l'avenue Jean-Jaurès), le problème réside surtout dans le fait que les niveaux de pollution sont dans Paris très fréquemment supérieurs aux valeurs réglementaires maximales fixées pour éviter une atteinte trop grave à la santé131. Ainsi toujours pour le NO

2 en 2011

ces dernières ont-elles été à Paris largement dépassées dans toutes les 129Celle-ci est, en Île-de-France, responsable à 80% des émissions de NO

2 : Voirie et déplacements. Données statistiques, op. cit., p. 91. Pour mémoire, l'inhalation de NO2 peut provoquer un œdème pulmonaire.

130Bilan 2011, op. cit., p. 47. La réglementation européenne prohibe les concentrations de NO2 supérieures à 40 μg/m3.

131Et non pour éviter une atteinte à la santé, comme permet de le voir l'écart des normes applicables avec les prescriptions de l'Organisation Mondiale de la Santé ; par exemple, pour les particules PM10 la norme européenne est de 40 μg/m3 alors que l'OMS préconise de ne pas dépasser 20 μg/m3 : Santé et qualité de l’air. Aide-mémoire n°313, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs313/fr/.

stations de mesure situées à proximité du trafic motorisé (la valeur moyenne des mesures leur est quasiment deux fois supérieure), tandis que dans les stations situées à distance du trafic les mesures ne leur étaient en moyenne inférieures que de 4.5%, et seule la moitié de ces stations connaissaient des valeurs inférieures à la limite réglementaire132 ; et en 2013 90 % des

Parisiens étaient exposés à un taux annuel de NO2 excédant sa valeur

réglementaire maximale133. Plus généralement, dans les stations situées à

proximité du trafic la qualité de l'air (mesurée par un indice composite des différentes pollutions atmosphériques) n'a été bonne ou très bonne qu'1% de l'année 2012, tandis qu'elle était mauvaise ou très mauvaise 41% du temps134.

Les conséquences sanitaires, en termes de décès précoces, d'hospitalisations additionnelles, mais aussi de mal-être physique permanent135, en sont

lourdes, aussi bien que l'impact financier lié136 – auquel vont désormais

s'ajouter les pénalités dues à l'Union européenne pour dépassement chronique des valeurs réglementaires de pollution.

132Bilan 2011, op. cit., p. 48. Ces données n'ont pas été fournies en 2012 et 2013.

133Bilan 2013, op. cit., p. 49. Des niveaux aussi élevés de NO2 n'ont rien d'une fatalité, comme le voudrait l'argument suivant lequel ceux qui se plaignent de la pollution urbaine n'ont qu'à aller habiter à la campagne, alors que ce qui est en cause n'est nullement la ville elle-même, mais simplement la façon dont les transports y sont, depuis une période pas si ancienne (le phénomène n'est pas antérieur à l'après-deuxième guerre mondiale), organisés pour laisser toute la place à l'automobile. Le montre parfaitement l'exemple de Berlin, où en 2005 les niveaux de NO2 étaient de 55% inférieurs à leurs valeurs parisiennes : BUREAUD’ÉTUDESET

DE CONSEIL EN ÉCOLOGIE HORIZONS, Pollution atmosphérique de l’agglomération

parisienne. Bilan critique et prospectives, p. 7.

134Bilan 2012, op. cit., p. 51. Ces renseignements ne sont pas fournis dans le Bilan de 2013. 135Le taux d'admission en affection de longue durée pour cause d' insuffisance respiratoire

chronique grave est, pour les Parisiens âgés de moins de 15 ans, 2.3 fois supérieur au reste de la France, et pour l'ensemble des Parisiens la fréquence des hospitalisations pour asthme est de 83% supérieure à la moyenne nationale (alors que dans l'ensemble de l'Île-de-France le surplus n'est que de 43%) : OBSERVATOIRERÉGIONAL DE SANTÉD'ÎLE-DE-FRANCE, La

santé observée à Paris. Tableau de bord départemental, juin 2011, p. 47 et 126.

136Rappelons que, pour les États membres de l'Union européenne, il était estimé en 2000 que l'un seul des polluants liés à la circulation automobile (les particules fines) provoquait chaque année 348 000 décès, 110 000 hospitalisations graves et 30 millions d'usages de médicaments respiratoires, pour un coût total de 268 milliards d'euros : AEA TECHNOLOGY

ENVIRONMENT, Clean Air for Europe Programme Cost-Benefit-Analysis : Baseline Analysis 

2000 to 2020, Commission européenne, Direction générale de l’environnement, 2005, « Executive summary », non paginé. Pour la France seule, les particules fines étaient jugées responsables de la perte, chaque année, de 500 000 années de vie pour cause de décès prématuré : Stéphanie DEPOORTER, Doris NIKLAUS et Christophe RAFENBERG, Rapport de

la Commission des comptes et de l’économie de l’environnement : Santé et qualité de l’air  extérieur, Commissariat Général au Développement Durable, coll. « Références du Service de l’Économie, de l’Évaluation et de l’Intégration du Développement Durable », 2012, p. 39.

Ce qui vaut pour la pollution atmosphérique est aussi bien vrai de la pollution sonore, qui sur un très grand nombre d'axes parisiens atteint des niveaux qui ne sont pas moins néfastes pour la santé et violent aussi bien les prescriptions réglementaires – sans compter que ses effets s'additionnent, pour les riverains de ces axes, à ceux de la pollution atmosphérique.

Dépassement du seuil réglementaire de bruit de jour en 2007137

Au total, ce sont 650 000 Parisiens qui sont le jour exposés à des niveaux de bruit supérieurs aux valeurs limites138, soit une prévalence supérieure de 12

points à la moyenne de l'agglomération parisienne139 ; et, si l'on quitte les

valeurs réglementaires pour le domaine du ressenti, ce sont pas moins de 39% des Parisiens qui se disent souvent ou en permanence gênés par le bruit à leur domicile140. Enfin, au niveau de l'agglomération parisienne, ce sont

tous les ans 58 000 années de vie en bonne santé qui sont perdues en raison de l'exposition au bruit routier141.

Il y a là autant de phénomènes qui sont aussi bien socialement qu'économiquement inacceptables, et qui ne pourront cesser que si l'usage de l'automobile dans Paris devient absolument résiduel, réduit à celles de ses 137Tous les axes représentés sont ceux qui connaissent un dépassement du seuil réglementaire; et plus les axes sont représentés par un trait épais, plus ce dépassement est important. Source : http://carto.bruitparif.fr/.

138http://carto.bruitparif.fr/dynmap/fiche_info.php?m=bruitparif.html&label=Disponibilit %E9+des+donn%E9es+statistiques&obj=89.410&path_application=

%2Fcarte_grandpublic_allege%2F

139Évaluation du bruit, http://www.bruitparif.fr/le-bruit-en-ile-de-france/evaluation-du-bruit. Les voies représentées sont celles où le seuil réglementaire est dépassé ; plus leur représentation est importante, plus le dépassement est fort.

140Dorothée GRANGE, Édouard CHATIGNOUX et Isabelle GRÉMY, Les perceptions du bruit en Île-de-France, Observatoire régional de santé d’Île-de-France, coll. « Environnement et santé », 2009, p. 2.

141BRUITPARIF et OBSERVATOIRERÉGIONAL DE SANTÉ ÎLE-DE-FRANCE, Impact sanitaire du

bruit dans l’agglomération parisienne : quantification des années de vie en bonne santé  perdues, 2011, p. 20.

utilisations qui ne peuvent être remplacées, dans la mesure où l'exiguïté du territoire parisien a pour conséquence que toute circulation automobile même faible (en termes de part modale) génère une densité de déplacements automobiles insoutenable sanitairement. Poursuivre et accélérer la réduction de l'usage de l'automobile n'est dans Paris rien moins qu'un impératif de santé publique, qui appelle une action politique vigoureuse tant les buts à atteindre restent, en la matière, éloignés. En effet, pour simplement atteindre la densité de déplacements en modes motorisés individuels du reste de l'Île- de-France, il faudrait attendre, sur la base de l'évolution actuelle de la circulation dans Paris, entre 2042 et 2091, suivant que l'on s'appuie sur la projection linéaire des EGT ou sur la projection exponentielle des comptages sur voirie ; au delà de l'incertitude qui devient très grande à de telles échelles temporelles, ce qui paraît certain est qu'un tel résultat, aussi insatisfaisant qu'il puisse pourtant être, ne sera donc atteint que dans un temps fort lointain, un temps où nombre des pollués d'aujourd'hui seront déjà morts (notamment de cette pollution), si rien n'est fait pour accélérer le recul de l'usage de l'automobile. Très loin donc de pouvoir se contenter des résultats obtenus en la matière depuis maintenant deux décennies, il convient de prendre ce recul pour ce qu'il est : un pas dans la bonne voie, mais un simple pas, en tant que tel insuffisant. On voit par ailleurs que le recul des pollutions automobiles sanitairement (et par là aussi bien économiquement) nécessaire est d'une telle ampleur qu'il est parfaitement vain d'envisager pouvoir l'atteindre par une simple amélioration des (contre-)performances environnementales des véhicules, et qu'il passe donc nécessairement par une politique avant tout axée sur le recul de la circulation automobile. Ce qui ne signifie néanmoins pas qu'il ne faille pas aller aussi vers une amélioration des motorisations permettant de diminuer les nuisances aussi bien sonores qu'atmosphériques des véhicules – mais les normes en la matière sont de la responsabilité non pas de la municipalité mais de l'échelon de pouvoir qui en est le plus éloigné et, partant, par elle le plus difficilement influençable : l'Union européenne142.

142Cependant pourraient, à l'échelle de Paris, être rendues obligatoires les motorisations les moins polluantes pour le type de voitures qui, outre qu'elles sont celles qui circulent le plus, et qu'elles représentent une fraction non négligeable du trafic automobile total, bénéficient de voies de circulation aussi bien que de zones de stationnement réservées, avantages qui ne devraient plus leur être accordées que contre leur respect des normes environnementales les plus contraignantes : je veux parler des taxis, qui représentent en 2011 7% de la circulation de surface, et dont la réglementation est de la responsabilité non pas certes de la municipalité, mais de cette préfecture de police dont le budget provient pour une bonne part de ladite municipalité, sachant par ailleurs qu'une telle mesure pourrait par exemple parfaitement être intégrée dans le cadre réglementaire d'une ZAPA (zone d'actions prioritaires pour l'air, dispositif créé par la loi Grenelle II). Cette mesure pouvant par surcroît

Mais, si la réduction drastique de la circulation automobile est un impératif de santé publique, s'il faut donc en attendre des effets positifs extrêmement forts pour la population, ne vont-ils pas se produire au détriment de cette même population ? Le gain sanitaire ne va-t-il pas être obtenu au prix d'un handicapant bouleversement des modes de transport qui, s'il ne peut certes être mis dans la balance face au gain d'espérance de vie et de qualité de vie, néanmoins doit être pris en compte afin de pouvoir être pallié autant que faire se pourra ?

Dans le document Les embarras de Paris (Page 54-59)