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A.2 Quel aménagement cyclable de la chaussée ?

Dans le document Les embarras de Paris (Page 177-182)

III Réaliser le possible : éléments pour une politique des déplacements

III. A.2 Quel aménagement cyclable de la chaussée ?

III.A.2.a Un déficit croissant d'aménagements cyclables

La première chose à faire consiste à déterminer l'ampleur de l'action qui doit être menée en matière de réorganisation cyclable de la chaussée – avant de se demander plus concrètement en quoi doit consister cette action, quelles formes d'aménagement elle doit entraîner en fonction des différents types de voies. Cela passe par l'analyse et de ce qui a déjà été fait et de ce qui est prévu en matière de linéaire cyclable, mais aussi bien par l'analyse des variables considérées comme devant déterminer ladite action.

L'évolution du linéaire cyclable parisien a été, depuis la mise en place d'une politique cyclable au début de la mandature de Jean Tibéri et par delà les changements politiques, particulièrement régulière dans la mesure où elle se laisse très correctement décrire par une régression linéaire de R²=0.95428.

Mais, comme le montre le graphique, si les objectifs fixés pour la seconde mandature Delanoë s'inscrivent dans la continuité de cette dynamique passée homogène429, par contre la planification de l'effort cyclable établie par la

même équipe à un horizon un peu plus lointain (2020) marque elle une nette 428Aucune autre régression ne rend mieux compte de ces données. Le seul outlier significatif correspond à la brusque augmentation du linéaire cyclable en 2010, mais justement il résulte d'une modification réglementaire externe à la seule sphère parisienne, à savoir l'instauration par défaut du double-sens cyclable dans les zones 30 à l'échelle nationale.

429Pour l'objectif de 700 km de linéaire cyclable en 2014 : Un coup d’accélérateur pour le vélo, op. cit., p. 5.

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000

Évolution du linéaire cyclable parisien

Aménagements cyclables réa- lisés

Aménagements cyclables prévus Projection linéaire des amé- nagements cyclables réalisés

diminution en la matière430. Or un tel manque d'ambition est d'autant plus

problématique que, si l'effort de création de linéaire cyclable donne l'impression d'avoir été stable au cours des deux dernières décennies, cette stabilité apparente cache en fait un décalage toujours plus accentué entre la politique cyclable et la circulation cycliste ; en effet, cette dernière, on l'a vu p. 81, connaît une progression exponentielle or, comme la croissance des aménagements cyclables n'est elle que linéaire431 (ce sans même parler du

ralentissement de cette progression planifié pour la fin de notre décennie), l'écart entre les deux progressions ne cesse de s'accroître, et le déficit de linéaire cyclable, par rapport à la circulation cycliste qu'il doit supporter, d'augmenter.

430Patricia PELLOUX et Mélanie JEANNOT, Schéma d’orientations pour le développement du vélo, op. cit., p. 47.

431Cela signifie que si, bon an mal an, le linéaire cyclable augmente chaque année du même nombre de kilomètres (ce qui veut dire que sa croissance relative, en %, diminue : alors que la croissance relative était pendant la mandature Tibéri systématiquement à deux chiffres, cela n'a été que rarement le cas pendant les mandatures Delanoë), par contre la circulation cycliste connaît elle un accroissement constant en pourcentage, correspondant à une augmentation annuelle du nombre de cyclistes toujours plus élevée puisque la base à partir de laquelle elle se calcule ne cesse d'augmenter.

19951996199719981999200020012002200320042005200620072008200920102011201220132014201520162017201820192020 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Aménagements cyclables et circulation cycliste

Projection linéaire des aménagements cyclables réalisés

Projection exponentielle de la circulation cycliste sur la base des EGT

ba se 1 = 2 00 1

Pour le dire autrement, c'est le succès même de la politique cyclable initiée au mitan des années 1990 par la droite parisienne, c'est-à-dire l'effet d'entraînement qu'elle a eu sur la circulation cycliste, qui a voué à l'échec la simple poursuite menée par la gauche parisienne de cette politique, gauche parisienne qui n'a pas su voir qu'il fallait accélérer l'effort en la matière sous peine de ne pas fournir à la circulation cycliste croissante les aménagements qui lui étaient nécessaires pour s'opérer correctement ; qui n'a pas su (ou voulu) voir, finalement, qu'il ne fallait pas seulement assumer la politique de son prédécesseur, mais aussi bien ses conséquences. Ainsi, si entre 2001 et 2013 le linéaire cyclable a crû de 186%, c'est par contre à 323% que s'est élevée la croissance de la circulation cycliste (telle qu'on la connaît par les EGT), soit entre les deux dates un déficit d'aménagements cyclables de rien moins que de 352 km – ceci non pas dans l'optique d'une politique cyclable volontariste, mais simplement pour faire en sorte que les conditions de déplacement des cyclistes ne se dégradent pas ; 352 km, soit l'équivalent de huit années de création de linéaire cyclable (au rythme moyen auquel s'est effectuée celle-ci entre 2001 et 2013), ou comment en douze années on a accumulé huit années de retard. Pire encore, si effectivement ne devait être réalisé à l'horizon 2020 que ce qui est actuellement prévu, soit un linéaire total de 800 km, alors le déficit accumulé depuis 2001 par rapport à l'évolution de la circulation cycliste s'élèverait à rien moins que 1 675 km, chiffre dont la signification n'apparaît pleinement que lorsqu'on le rapporte à la longueur totale de la voirie publique parisienne – soit 1 625 km432. En

2020 en effet, pour être à la hauteur de l'ampleur de la circulation cycliste, le linéaire cyclable devrait s'élever à 2 475 km, ce qui ne signifie qu'une chose : qu'à un horizon temporel relativement proche doit être visé l'aménagement cyclable à double sens de l'ensemble de la voirie parisienne puisque de toute façon un tel aménagement aura été rendu nécessaire par l'accroissement de la circulation cycliste dès 2023.

On le voit : c'est dès maintenant que doit être engagé un plan décennal d'aménagement cyclable systématique à double sens des chaussées parisiennes, plan qui doit se donner pour objectif la réalisation d'environ 250 km de linéaire chaque année, soit sept fois plus que ce qui a été réalisé annuellement en moyenne pendant les mandatures Tibéri et Delanoë. D'aucuns pourraient penser que ce ne saurait être là qu'une vue de l'esprit – mais c'est en 2010 pas moins de 200 km qui ont pourtant bien été réalisés (grâce à l'instauration des double-sens cyclables dans les zones 30) ; et l'on n'a pas cru remarquer que la municipalité parisienne aurait alors vacillé sous l'effort, ni que « la circulation » (motorisée) en serait subitement devenue 432Voirie et déplacements. Données statistiques, op. cit., p. 10.

impossible. Surtout, il importe de conserver à l'esprit face à ces objections prétendument réalistes, qu'en tout état de cause les chaussées parisiennes devront être bouleversées afin de les adapter à la transformation radicale en cours des circulations mécanisées qu'elles supportent puisque si, en 1995, la circulation VP-VU y était plus de 50 fois supérieure à la circulation cycliste, cette dernière est appelée à la dépasser dès 2022433, ce qui rend urgent non

pas seulement de ne plus organiser l'ensemble de la voirie en fonction d'une chaussée elle-même comprise comme automobile, mais bien, également, de ne plus considérer la chaussée comme vouée principiellement à la circulation motorisée. Mais, si l'aménagement cyclable des chaussées doit donc devenir systématique, c'est bien sûr suivant des modalités adaptées à la morphologie et à la fréquentation de chacune – et là aussi, comme pour l'aménagement piéton de la voirie, est pertinente la distinction entre réseau principal et réseau secondaire de voirie.

III.A.2.b L'aménagement cyclable des grands axes

Pour ce qui est du réseau principal de voirie, la circulation cycliste y bénéficiera tout d'abord des mesures d'ordre général visant ces axes (cf. p. 165) puisque leur mise à double sens évitera aux vélos les nombreux détours que les oblige actuellement à faire l'organisation de la chaussée en fonction d'un plan de circulation pensé de façon strictement automobile ; puisque par ailleurs la réduction de la largeur des files de circulation y limitera leur différentiel de vitesse avec les engins motorisés (et donc la pénibilité et la dangerosité de la cohabitation) ; et puisque enfin la suppression des feux ailleurs qu'aux carrefours et la synchronisation des feux restant à une vitesse de 30 km/h y supprimera ce qui est aujourd'hui un obstacle majeur pour les cyclistes, forcés de s'arrêter à chacun de ces innombrables feux puisqu'ils sont synchronisés à une vitesse qu'il leur est impossible d'atteindre434. Ces mesures d'ordre général devront être

complétées par leur déclinaison cycliste, soit d'une part la généralisation des feux comme cédez-le-passage pour les cyclistes (à l'image de ce qui devra être fait pour les piétons), ainsi que des sas vélo aux feux (à l'image des dispositifs physiques manifestant la priorité piétonne régissant les passages piétons).

Toutefois, ces mesures générales relatives à la voirie, et leur déclinaison cycliste, ne suffiront pas à rendre pleinement cyclables les grands axes ; en 433Ceci sur la base des EGT – cf. p. 84.

434Sur certains axes cyclistes majeurs de Copenhague et Amsterdam, les feux ont même été synchronisés à 20 km/h pour faciliter l'usage cycliste de ces axes : FIETSBERAAD, The bicycle capitals of the world : Amsterdam and Copenhagen, 2010, p. 23 et 34.

effet, ces derniers connaissent une circulation motorisée trop dense et trop rapide pour que la circulation cycliste puisse s'y effectuer de façon à la fois confortable et sûre : est donc nécessaire, pour ce faire, un aménagement spécifique de la chaussée visant à y faciliter la circulation cycliste en lui ménageant un espace propre séparé de la circulation dite générale (et qui n'est que la circulation motorisée)435. La puissance de l'effet d'entraînement

d'un tel aménagement cyclable des grands axes sur la circulation cycliste ne souffre en effet aucun doute ; ainsi, tandis que sur une série d'axes majeurs comportant un aménagement cyclable les vélos représentaient en 2011 44% de la circulation 2RM436, par contre sur des voies importantes pour la plupart

dépourvues de facilités pour les cyclistes cette proportion ne s'élevait qu'à 18%437. De même, lorsqu'en 2003 une piste cyclable a été réalisée boulevards

Pasteur, Garibaldi et de Grenelle, l'effet immédiat en a été une augmentation de 60% de la circulation cycliste – ainsi qu'une baisse de la circulation motorisée et une division par cinq des excès de vitesse, facilitant aussi bien la fréquentation cycliste que l'usage piéton de ces axes, et diminuant leur dangerosité pour tous les modes.

Si donc la nécessité d'un aménagement cyclable des grands axes apparaît évidente, ces derniers, par leur morphologie propre, le rendent aussi bien aisément réalisable en raison de leur grande largeur, jusqu'ici exclusivement utilisée pour y multiplier files de circulation et de stationnement automobiles (qui plus est aussi larges que possible pour les premières), files qui fournissent désormais tout l'espace nécessaire pour la réalisation d'aménagements cyclables puisque leur utilisation automobile ne cesse de baisser. Soit à ce propos deux exemples, parmi bien d'autres, mais concernant des axes particulièrement importants : d'une part l'avenue du Général-Leclerc (34 m de large), où en 2000 la circulation automobile était de 58% supérieure au niveau qui est devenu le sien en 2013438, et d'autre part

435Et à qui objecterait qu'il est inacceptable d'encore prendre aux voitures de l'espace, on demandera s'il n'est pas plus inacceptable encore qu'en 2013 la probabilité pour un cycliste d'être victime d'un accident corporel soit de 80% supérieure à celle prévalant pour un automobiliste, alors même que par contre la probabilité pour l'automobiliste d'être impliqué dans un accident (sans qu'il en pâtisse nécessairement pour sa part dans sa chair) est supérieure de 65%. Pour les données relatives aux accidents et aux accidentés, ainsi que pour les données de l'EGT permettant de les transformer en risque lié aux déplacements, cf. respectivement Bilan 2013, op. cit., p. 45 ; La mobilité en Île-de-France, op. cit., p. 14 ; OMNIL, EGT 2010, op. cit., p. 16.

436Les données ne sont pas disponibles pour les voitures. 437Bilan 2011, op. cit., p. 12 et 27, et p. 25 respectivement.

438Bilan 2001, op. cit., p. 11 ; Bilan 2013, op. cit., p. 28. Les données ne sont pas disponibles sur une plus grande profondeur chronologique. Les couloirs de bus non protégés de cette avenue ne peuvent en aucun cas être considérés comme des aménagements cyclables, et

les Maréchaux, dans la mesure où pour ces derniers par surcroît le périphérique (distant en moyenne de 150 m, et de même tracé), dont la fréquentation était en 2000 de 11% supérieure à celle de 2013, est de ce fait capable sans que les conditions de circulation ne s'y dégradent d'assumer un report de circulation depuis eux439. Quant à fournir une liste des axes

requérant un aménagement cyclable réel, on aura plus vite fait de dire que la plupart des grands axes (et des places qui organisent leur jonction) ne sont aujourd'hui pas vraiment cyclables ; on notera toutefois l'exemple amusant du boulevard des Batignolles, morphologiquement strictement identique aux boulevards de Clichy et de Rochechouart qu'il prolonge, et qui n'a pourtant pas fait l'objet du même aménagement cyclable qu'eux, aménagement qui ne demandait pourtant qu'à être poursuivi, ce qui aurait eu le mérite de la cohérence urbanistique440.

III.A.2.c L'aménagement cyclable des axes secondaires

Dans le document Les embarras de Paris (Page 177-182)