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A.2.c.' Des axes tout sauf secondaires pour la circulation cycliste

Dans le document Les embarras de Paris (Page 182-187)

III Réaliser le possible : éléments pour une politique des déplacements

III. A.2.c.' Des axes tout sauf secondaires pour la circulation cycliste

La situation des axes secondaires est, quant à leur aménagement cyclable, toute différente, dans la mesure où d'une part leur plus faible fréquentation motorisée l'y rend moins nécessaire, et où d'autre part l'étroitesse du gabarit de bon nombre de ces voies l'y rend sinon impossible du moins malaisé. Serait-ce alors à dire qu'il n'y aurait, dans ces rues, rien à faire en matière cyclable, puisqu'il n'y aurait ni problème à résoudre, ni modalité d'intervention possible, et que donc la politique cyclable devrait se désintéresser du réseau secondaire de voirie ? Certes pas, et ceci tout d'abord parce que ce réseau dit secondaire est, pour les cyclistes, loin de l'être. En effet, parce que les vélos ne réclament, pour leur circulation, qu'un très faible espace441, leur circulation n'est que faiblement élastique au gabarit des

doivent n'être pris, là comme ailleurs, que pour ce qu'ils sont réellement : des files de stationnement automobile.

439L'évolution de la circulation sur les Maréchaux eux-mêmes n'est pas renseignée par les Bilans. Pour le périphérique : Bilan 2009, op. cit., p. 19 ; Bilan 2013, op. cit., p. 26.

440Boulevard des Batignolles comme en tant d'autres endroits à Paris, l'aménagement prétendument cyclable s'est limité à prétendre prendre de l'espace aux piétons à grands coups de peinture – ce qui n'a bien sûr eu aucun effet sur les cheminements de ces derniers. De même pour le couloir de bus, non séparé physiquement de la circulation « générale », et n'ayant de ce fait d'existence que dans les décomptes de la mairie de Paris.

441Ceci par comparaison non pas seulement avec les voitures mais aussi bien avec les 2RM, car l'espace nécessaire à un moyen de déplacement est fonction non pas seulement de son encombrement mais aussi bien de sa vitesse dans la mesure où plus celle-ci est grande plus les distances de sécurité sont élevées, et plus donc le véhicule en mouvement requiert autour de lui un espace considérable.

voies442 dans la mesure où elle n'est que peu susceptible de provoquer leur

engorgement, quelques étroites que puissent être ces dernières. Comme c'est l'exact inverse qui prévaut pour les modes motorisés, comme donc ces derniers privilégient les axes disposant du plus grand nombre de files de circulation alors qu'il est aux vélos largement indifférent, toutes choses égales par ailleurs, de passer par une ruelle ou par un boulevard, on voit que la distinction, apparemment objective, entre réseau principal et réseau secondaire de voirie ne reflète en fait que la logique motorisée d'utilisation de l'espace viaire, et qu'il n'est pour les vélos (de même d'ailleurs que pour les piétons) que des axes seconds et non pas secondaires. Plus encore : comme le seul obstacle réel à la circulation cycliste n'est nullement le gabarit des voies mais la densité et la vitesse de la circulation motorisée, et comme celle-ci privilégie les axes les plus larges, les vélos ont tendance à préférer, afin de se soustraire à la pénibilité et au danger motorisés, les axes seconds, qui de ce fait représentent dans la circulation cycliste une part disproportionnelle à leur superficie443.

Dans la mesure toutefois où nos représentations viaires sont aujourd'hui colonisées par l'automobile, dans la mesure donc où il nous est difficile d'imaginer qu'une petite rue puisse être, pour la circulation444, sinon aussi

vitale qu'un large boulevard du moins d'une importance sans commune mesure avec la faiblesse de son gabarit, présenter quelques chiffres relatifs à l'usage cycliste du réseau prétendument secondaire de voirie ne saurait qu'être utile pour libérer notre réflexion de l'emprise automobile. Mais, précisément parce que l'automobile monopolise, de façon irréfléchie, nos perceptions de l'espace viaire, de telles données n'existent quasiment pas dans la mesure où la circulation n'est jamais décomptée que sur les seuls axes qui importent à la circulation motorisée, soit ceux du réseau principal de voirie, biais qui contribue à entretenir l'illusion de l'importance de la circulation motorisée puisque la circulation n'est jamais mesurée que là où sa part motorisée se concentre. Alors donc que chaque année, de multiples fois par an, la circulation cycliste est soigneusement mesurée sur des voies pour elle plus ou moins rébarbatives445, et ce depuis bientôt deux décennies, on ne

442L’élasticité mesure la variation relative d’une grandeur par rapport à la variation relative d’une autre grandeur.

443Le même phénomène vaut pour les déplacements piétons.

444 Cycliste. Mais pourquoi ne pas s'autoriser à parler de « circulation » sans adjectif lorsqu'on n'entend désigner que la circulation cycliste, à l'image de ce qui est aujourd'hui fait lorsqu'on ne pense qu'à la seule circulation motorisée, attendu que la circulation cycliste aura d'ici dix ans dépassé la circulation automobile ?

445Certaines disposant d'aménagements cyclables, d'autres non ; voir par exemple Bilan 2012, op. cit., p. 12-14, 15.

dispose par contre que de mesures aussi ponctuelles que rares pour le réseau « secondaire » de voirie446. Mais, pour ténues que soient ces données, elles

sont trop cohérentes pour ne pas être fiables. Elles démontrent notamment l'importance de la corrélation négative entre circulation cycliste et circulation automobile – le coefficient de corrélation entre la part modale des vélos et le nombre de véhicules motorisés circulant sur ces voies est de - 0.61 ; corrélation négative qui s'explique aisément par la dangerosité considérablement plus faible des voies « secondaires » pour les vélos447, qui

entraîne ces derniers à les utiliser prioritairement. Ainsi peut-on comprendre qu'en octobre 2010 et octobre 2011, alors que le trafic cycliste horaire moyen était, sur 20 grands axes disposant d'aménagements cyclables (grands axes connaissant donc une circulation cycliste bien plus importante que les grands axes normaux, dépourvus eux de tels aménagements), de 124 vélos448, il y

avait, dans une voie aussi étroite que la rue Vieille-du-Temple, dépourvue elle de tout aménagement physique en faveur des vélos, et aussi peu comparable que possible a priori à des axes tels que le boulevard du Montparnasse, le quai des Célestins ou les Maréchaux (faisant partie des 20 grands axes précités)449, pas moins de 60 vélos450.

Cette répartition très différente de la circulation cycliste en fonction des voies par rapport à ce qui prévaut pour la circulation motorisée a pour conséquence que les enquêtes de composition du trafic menées aujourd'hui, parce qu'elles se limitent aux grands axes, ne renseignent finalement que la circulation sur ces derniers, et accordent de ce fait à la circulation motorisée une importance disproportionnée à la répartition réelle du trafic véhiculaire de surface à Paris. Les 3% du trafic véhiculaire de surface généreusement 446Bilan 2005, op. cit., p. 15 ; Les double sens cyclable [sic] à Paris. Bilan à un an, Mairie de Paris, 2011, p. 4-11. On voit ici combien la mesure statistique, loin de représenter nécessairement la saisie objective du réel, peut n'être au contraire que la réalisation de notre imagination du réel : combien, loin de le refléter, elle le construit, et combien donc elle doit soigneusement être déconstruite avant que de pouvoir être rationnellement utilisée.

447Entre 2007 et 2011, alors que les voies en zone 30 (typiquement des axes « secondaires », puisque jamais au grand jamais on ne s'autoriserait à limiter la vitesse sur des axes fortement empruntés par la circulation motorisée) représentaient 20% de la voirie parisienne et, on l'a vu, une part disproportionnelle de la circulation cycliste, seuls 5% des accidents impliquant un vélo y ont eu lieu : Les double sens cyclables à Paris, op. cit., p. 13.

448Bilan 2010, op. cit., p. 14 ; Bilan 2011, op. cit., p. 14.

449La largeur moyenne de la rue Vieille-du-Temple est de 14 m, celle du boulevard Jourdan de 40 m : Rue Vieille-du-Temple, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Rue_Vieille-du- Temple&oldid=98077311 ; Boulevard Jourdan, https://fr.wikipedia.org/w/index.php? title=Boulevard_Jourdan&oldid=97913978.

450Les double sens cyclables à Paris, op. cit., p. 11. Je ne décompte ici, pour que les données soient comparables, que les vélos circulant rue Vieille-du-Temple dans le sens de la circulation générale, à l'exclusion donc de ceux empruntant le double sens cyclable.

accordés aux vélos par l'enquête de composition du trafic de 2011451 – un

pourcentage qui incite à n'accorder aucune importance à la circulation cycliste tant il est marginal – ne sont donc qu'un artefact statistique, trop commode pour l'imaginaire automobile pour que l'on se soit soucié de relever son incompatibilité radicale avec toutes les autres données relatives aux déplacements intéressant Paris, et pour que l'on se soit de ce fait posé la question de la pertinence de son mode de mesure. En effet, d'une part, si l'on détourne l'attention des grands axes d'où la circulation motorisée repousse tendanciellement les autres usages tant elle s'y concentre, l'image change du tout au tout, puisque la même année dans les sept rues où le trafic a fait l'objet d'un décompte la part des vélos était de 17%452. D'autre part, pour qui

trouverait que sept rues ne forment pas un échantillon représentatif453, si l'on

se tourne cette fois vers l'ENTD de 2008 et ses milliers de ménages interrogés, force est de constater que le vélo y représente rien moins que 9% des déplacements mécanisés de surface intéressant Paris454 – chiffre qui lui

par contre est parfaitement cohérent et avec la part modale du vélo révélée par les comptages dans les petites rues, logiquement supérieure puisque ces voies sont préférentiellement empruntées par les cyclistes, et avec la part 451Bilan 2011, op. cit., p. 25.

452Les double sens cyclables à Paris, op. cit., p. 5-11. Ces données sont cohérentes avec celles relevées en 2005 sur quatre rues, où la part modale des vélos oscillait entre 16% et 30% : Bilan 2005, op. cit., p. 15.

453Quand bien même ces rues d'une part sont situées aussi bien dans l'hypercentre (par exemple la rue de la Verrerie) que dans la première couronne d'arrondissements (par exemple la rue de l'Échiquier) et dans les arrondissements périphériques (par exemple la rue Fessart), et d'autre part sont aussi bien des voies assurant une pure desserte de quartier (par exemple à nouveau la rue Fessart) que des voies assurant le lien entre des arrondissements différents (par exemple la rue St-Maur) ou l'entrée dans Paris depuis la banlieue (par exemple la rue du Château-Landon). Or toutes ces rues, aussi diverses typologiquement qu'elles puissent être (si par contre elles sont morphologiquement identiquement étroites), sont identiquement caractérisées par une part modale cycliste sans rapport avec la putative enquête de composition du trafic, puisque dans celle de ces rues où cette part est la plus faible le pourcentage des vélos n'en reste pas moins plus de trois fois supérieur au taux que leur accorde l'enquête dite de composition du trafic.

454Bilan 2011, op. cit., p. 4. Ces données sont celles relatives aux seuls déplacements en semaine, ceci afin de les rendre comparables tant aux enquêtes de composition du trafic qu'aux comptages dans les petites rues, toujours menés exclusivement en semaine. Comme, par ailleurs, ces deux derniers types de données portent non sur les personnes (comme l'ENTD) mais sur les véhicules, les données relatives à l'ENTD ont été obtenues en défalquant du total non seulement la marche mais également les TC, dans la mesure où ceux-ci dans Paris ne représentent qu'une proportion infime des véhicules de surface (dans l'enquête de composition du trafic de 2011, les bus ne représentent qu'1% des véhicules, sans que l'on puisse considérer qu'il y ait pour les bus un biais – contrairement à ce qui vaut pour les vélos – puisque les bus n'empruntent quasiment jamais que les grands axes). Ibid., p. 25 pour la proportion des bus dans l’enquête de composition du trafic de 2011.

modale du vélo relevée par l'enquête dite de composition du trafic, logiquement inférieure puisque cette enquête n'est menée que sur des voies préférentiellement empruntées par les véhicules motorisés.

Ainsi donc, parce qu'il n'est pas, pour les vélos, de réseau secondaire de voirie, il ne saurait occuper, dans la politique cyclable, une place secondaire. Et, alors que les aménagements cyclables de la mandature Tibéri et de la première mandature Delanoë se sont concentrés sur les seuls grands axes, tandis que la politique cyclable de la seconde mandature Delanoë s'est pour l'essentiel concentrée sur la mise à double sens des zones 30455, on ne peut

qu'espérer des mandatures à venir qu'elles prennent enfin conscience de ce qu'en matière d'aménagements cyclables la seule politique qui vaille est celle qui prend concomitamment en charge ces deux aspects identiquement nécessaires que sont les axes principaux et le réseau second de voirie qui, s'ils réclament des principes d'aménagement différents, ont en commun l'identique nécessité de leur aménagement cyclable. Pour le dire autrement : il serait temps d'enfin penser à appuyer également sur les deux pédales de la politique cyclable, seule manière, comme l'on sait, de faire avancer les choses, plutôt que de privilégier comme jusqu'ici des actions inversement déséquilibrées. En effet, alors que n'insister que sur l'un des deux éléments nécessaires de l'aménagement cyclable de la voirie n'aboutit qu'à créer d'une part des goulots d'étranglement (sur le type d'axes non aménagés, dans la mesure où la circulation cycliste y augmente en raison de l'aménagement de l'autre type d'axes) et d'autre part une sous-utilisation (sur le type d'axes aménagés, dans la mesure où le non-aménagement de l'autre type d'axes les empêche d'être correctement irrigués par eux), inversement une politique équilibrée d'aménagement cyclable génère un effet de synergie entre les deux types d'aménagement, effet qui en démultiplie la fréquentation cycliste. Mais il est vrai que passer à une telle politique équilibrée d'aménagement cyclable de l'ensemble de la voirie obligerait à renoncer à la division par deux de l'effort nécessaire que permet le fait de ne mener qu'une politique déséquilibrée, parfaitement en phase donc avec l'absence de volontarisme de la politique cyclable parisienne.

Mais, si les voies « secondaires » sont donc d'une bien trop grande importance pour la bonne effectuation des déplacements à vélo pour qu'elles puissent n'occuper dans la politique cyclable qu'une place secondaire, quelle doit être la politique d'aménagement les visant spécifiquement, sachant que de par leur morphologie ces voies interdisent le type d'aménagement propre aux grands axes, par séparation physique d'avec la circulation motorisée, 455Les doubles sens cyclables représentent 57 % du linéaire cyclable créé entre 2008 et 2013.

type d'aménagement qui n'est de toute façon pas nécessaire étant données les moindres densité et vitesse de la circulation motorisée dans les petites rues ?

III.A.2.c.'' Généraliser les double sens cyclables sur le réseau « secondaire »

Dans le document Les embarras de Paris (Page 182-187)