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C.1 Le vélo, mode pendulaire par excellence

Dans le document Les embarras de Paris (Page 98-103)

spécifique de résorption des

II. C.1 Le vélo, mode pendulaire par excellence

Pour apprécier si le vélo est ou non capable de se substituer à ceux des déplacements en métro qui engorgent ce dernier, il est donc nécessaire de déterminer ce qui caractérise ce type de déplacement en métro, afin de voir si sur ce segment aussi la substituabilité du vélo au métro est susceptible de s'exercer. La caractéristique la plus aisément saisissable des déplacements responsables de l'engorgement du métro est leur horaire237 :

236Ce qui ne veut toutefois nullement dire qu'il ne soit pas nécessaire d'engager une politique volontariste permettant de rendre encore plus rapide la progression des déplacements cyclistes, puisqu'au rythme actuel l'atteinte du possible ne se produirait pas avant longtemps 237Graphique tiré de Les transports en commun en chiffres 2000-2009, op. cit., p. 26.

Or cette répartition horaire, caractérisée en semaine par sa bimodalité sur les créneaux 8h-9h et 18h-19h, est d'évidence due à une autre caractéristique spécifique aux déplacements responsables de l'engorgement, à savoir leur motif, en l'occurrence le fait qu'il s'agisse de déplacements domicile-travail. Et, comme ceux-ci, dans le système parisien des déplacements, sont pour l'essentiel effectués par le biais des TC238, ce sont donc ces derniers qui

souffrent le plus fortement des phénomènes d'engorgement à « l'heure de pointe », qui concentre l'essentiel de leur fréquentation239. On se retrouve

donc avec ce paradoxe suivant lequel l'une des deux principales contraintes définissant actuellement le système parisien des déplacements, soit l'engorgement croissant du métro, s'origine dans un motif de déplacement qui non seulement est largement minoritaire (dans l'EGT 2001, les déplacements domicile-travail ne représentaient que 23% des déplacements intéressant Paris240) mais qui par surcroît est en baisse constante, aussi bien

en effectifs que relativement241 ; paradoxe qui se marie d'ailleurs fort bien

avec le fait que l'autre contrainte définissant l'actuel système parisien des 238Dans l'EGT 2001, 66% des déplacements domicile-travail intéressant Paris étaient effectués

en TC : Voirie et déplacements. Données statistiques, op. cit., p. 45.

23951% des déplacements effectués en TC sont, en Île-de-France (d'après l'EGT 2010), des déplacements domicile-travail ou domicile-études, et ont donc tendance à être réalisés aux mêmes horaires restreints : La mobilité en Île-de-France, op. cit., p. 12.

240Dans l'EGT 2010, ils ne représentent que 16% des déplacements des Parisiens : Bilan 2012, op. cit., p. 3. Les données ne sont pour l'EGT 2010 pas disponibles pour les déplacements intéressant Paris, celles fournies étant visiblement erronées : OMNIL, EGT 2010, op. cit., p. 18.

241Entre les EGT de 2001 et 2010, en ce qui concerne l'ensemble des Franciliens (puisque les chiffres ne sont pas disponibles s'agissant de 2010 pour les seuls déplacements intéressant Paris, ceux qui sont fournis étant manifestement faux), le motif domicile-travail est passé de 22% à 18% des déplacements, et a perdu 9% de ses effectifs : Les déplacements des actifs, Observatoire de la mobilité en Île-de-France, coll. « Enquête globale transport : la mobilité  en Île-de-France », 2013, p. 1 ; OMNIL, EGT 2010, op. cit., p. 18.

déplacements, à savoir l'importance des nuisances générées par les véhicules motorisés individuels, est similairement liée à un mode de déplacement minoritaire et en baisse (et qui l'est, dans les deux cas, plus encore). Dans l'un comme l'autre cas donc, les contraintes qui caractérisent actuellement le système parisien des déplacements comme dysfonctionnement sont identiquement dues à des formes de déplacement certes minoritaires mais auxquelles leur concentration, temporelle pour la première et spatiale pour la seconde, suffit pour leur permettre d'acquérir un poids déterminant sur l'ensemble du système. La seule solution, dans un cas comme dans l'autre, est alors de considérablement accroître le déclin en cours de ces modalités de déplacement pour les faire passer de secondaires à marginales. Mais ce qui, on l'a vu, est grâce au vélo possible s'agissant des modes individuels motorisés, vaut-il également pour les déplacements domicile-travail effectués en TC ?

À première vue, rien de plus improbable tant est fortement ancrée l'idée que le vélo n'est qu'un mode de déplacement de loisir ; qui plus est, chacun sait qu'il est impossible d'arriver tout transpirant sur son lieu de travail, ce qui exclut de se déplacer à la force de ses mollets (et honni soit qui prétendrait qu'un métro bondé a tout du sauna...). Pourtant, si l'on examine la répartition horaire, en semaine, des modes mécanisés individuels à Paris, le constat est sans appel : c'est bien le vélo qui, et de loin, présente en la matière les caractéristiques les plus proches de celles du métro242.

242Les données de ce graphique sont tirées de Bilan 2013, op. cit., p. 16, 26 et 33. Les pourcentages ne sont pas comparables avec ceux du graphique relatif à la fréquentation horaire du métro dans la mesure où ils ne sont pas calculés sur la même base ; on fera par ailleurs attention à ce que ce dernier graphique renseigne une amplitude horaire plus grande que celle fournie par les Bilans.

8h-9h 9h-10h 10h-11h 11h-12h 12h-13h 13h-14h 14h-15h 15h-16h 16h-17h 17h-18h 18h-19h 19h-20h 0% 2% 4% 6% 8% 10% 12% 14%

Répartition horaire des modes mécanisés individuels un jour ouvrable à Paris

Vélo Voiture 2RM % d es d ép la ce m en ts e ffe ct ué s en tr e 8h e t 2 0h

Certes tous les modes individuels mécanisés présentent une bimodalité de début et de fin de journée, mais le rapport entre leur maximum et leur minimum de fréquentation diffère profondément, ce qui montre l'importance très variable que représentent pour chacun les déplacements domicile-travail. En effet, alors que les écarts de répartition horaire sont très faibles pour la voiture243 (l'heure la plus chargée ne connaît une fréquentation que 1.2 fois

supérieure à l'heure la moins chargée244), s'ils sont nettement plus élevés pour

les 2RM (coefficient multiplicateur de 1.8) ils n'en restent pas moins très loin d'atteindre les valeurs présentées par le vélo (coefficient de 2.4). Ainsi donc, de tous les modes individuels mécanisés, le vélo est de loin celui dont l'utilisation se fait le plus fortement aux heures de pointe, celui donc qui est le plus lié aux déplacements pendulaires des actifs ; et cette constatation fondée sur la répartition horaire des déplacements se trouve confirmée par le fait que 71% des déplacements réalisés à vélo dans Paris un jour ouvrable sont liés à des motifs professionnels, contre 41% seulement pour l'ensemble des déplacements intéressant Paris245. Aussi bien cela n'a-t-il rien d'étonnant

dans la mesure où les actifs sont très fortement surreprésentés parmi les cyclistes parisiens, dont ils représentent 78% alors qu'à Paris le taux d'activité ne s'élève qu'à 54%246. L'usage du vélo dans Paris apparaît ainsi

comme le symétrique inverse de l'image qui en est véhiculée, et qui détermine les politiques menées à son égard – ou faut-il dire à son encontre247 ?

243La bimodalité de début et de fin de journée liée aux déplacements domicile-travail ne caractérise d'ailleurs pas la circulation automobile intéressant Paris dans son ensemble, mais uniquement sa part intra-muros (seule ici représentée), à l'exception donc de la circulation du périphérique, dont la répartition horaire est largement inverse, l'essentiel du trafic s'y effectuant en milieu de journée (le coefficient de corrélation entre les deux répartitions horaires est de - 0.60). Le périphérique, loin donc d'être consacré aux déplacements pendulaires des actifs franciliens, est bien plutôt utilisé par une circulation de transit d'échelle supra-régionale, concentrée en milieu de journée parce qu'elle se trouve alors au mitan de son trajet entre son origine loin de Paris et sa destination non moins lointaine. Ibid., p. 27 pour la répartition horaire de la circulation sur le périphérique.

244Aussi bien dans l'EGT 2001 seuls 23% des déplacements automobiles intéressant Paris étaient-ils des déplacements domicile-travail – à comparer par exemple aux 47% ayant pour motif les loisirs : Voirie et déplacements. Données statistiques, op. cit., p. 64.

245Bilan 2013, op. cit., p. 18 et 6.

246Ibid., p. 18. Pour le taux d'activité des Parisiens, comparer http://www.insee.fr/fr/ppp/bases- de-donnees/recensement/populations-legales/departement.asp?dep=75&annee=2006 et http://www.paris.fr/viewmultimediadocument?multimediadocument-id=75099.

247La meilleure illustration de la prégnance de cette représentation chimérique sur les décisions politiques est la réalisation de Vélib', un tel système ne pouvant correctement fonctionner (c'est-à-dire s'auto-réguler) que si les déplacements qu'il assure sont répartis également et dans le temps et dans l'espace, soit tout l'inverse des mouvements pendulaires reliant, aux heures d'embauche et de débauche, les zones de résidence aux zones d'activité.

Si l'on ajoute à cette constatation suivant laquelle, des modes mécanisés individuels, c'est le vélo qui est le plus lié à la réalisation des déplacements pendulaires, le fait que le bus est, de tous les modes de déplacement intéressant Paris, celui pour lequel la part des actifs parmi ses usagers est la plus faible248, il devient alors impossible de voir dans un mode de surface

autre que le vélo la solution à l'engorgement du métro à « l'heure de pointe ». Mais que le vélo soit, des modes de déplacement de surface, le mieux placé pour régler l'engorgement des TC lourds (et particulièrement du métro) provoqué par les déplacements domicile-travail, ne signifie pas pour autant que la tâche soit pour lui aisée, car c'est une chose que d'être le plus capable, et une autre que d'être capable. En effet, la principale caractéristique des déplacements domicile-travail, outre leur concentration horaire, est l'importance de leur portée, bien plus grande que celle de tous les autres déplacements : dans l'EGT 2010, s'agissant des Franciliens en général, la portée des déplacements domicile-travail est 3.7 fois supérieure à la portée des déplacements non liés au travail, et si 84% de ces derniers sont inférieurs à 5 km ce n'est par contre le cas que de 40% des déplacements domicile- travail249. Ainsi donc est-ce pour les déplacements domicile-travail que la

substituabilité par le vélo – qui dépend de la portée des déplacements – est la plus faible, et il est donc essentiel, pour résoudre autant que possible la question de l'engorgement des TC, que cette substituabilité soit aussi entièrement que faire se peut transformée en une substitution effective, ce qui implique une politique volontariste en matière de report vers le vélo des déplacements domicile-travail effectués en TC. Ainsi donc, si l'on avait vu jusqu'ici qu'une politique volontariste en matière de vélo aurait l'avantage de permettre à ce mode de déplacement de réaliser intégralement son potentiel à une date plus précoce que si l'on se reposait uniquement sur sa (forte)

On voit alors comment une représentation complètement fantasmatique du vélo est à l'origine du dysfonctionnement structurel du service mis en place dans la mesure où celui-ci est parfaitement inadapté aux usages effectifs du vélo – ce qui se traduit par le fait que les usagers, tous désireux de prendre, au même moment, des vélos aux mêmes endroits afin de les déposer aux mêmes endroits, se trouvent systématiquement face à des stations vides là où ils voudraient emprunter un vélo et pleines là où ils auraient besoin de le rendre (sujet de doléance chez 68% des usagers). Pour la concentration horaire de l'usage des Vélib les jours ouvrables sur les heures de pointe (concentration encore plus forte que celle de l'ensemble de la circulation cycliste) et les sujets de plainte de leurs usagers : Ibid., p. 20 ; Bilan 2010, op. cit., p. 18. On notera que les données relatives à l'importance relative des différents motifs dans l'usage des VLS sont complètement incohérentes, et donc inutilisables (les trajets domicile-travail sont pour 2011 donnés une fois à 31% et une autre fois à 52%) : comparer Bilan 2011, op. cit., p. 19 ; Bilan 2012, op. cit., p. 18.

248Jean-Pierre ORFEUIL et Marie-Hélène MASSOT, Regards sur la plaquette « Bilan des déplacements », op. cit., p. 16. Il s'agit ici des données de l'EGT 2001.

dynamique déjà existante, on se trouve ici confronté à une situation largement différente puisque, dans la mesure où le mouvement déjà existant en matière de substitution du vélo aux autres modes sur les déplacements domicile-travail se trouvera bien plus rapidement que dans d'autres domaines confronté à ses limites, il s'agit moins de renforcer un mouvement déjà présent que de s'affronter à un obstacle. Il s'agit donc, ici, moins d'accélérer l'atteinte des limites de la substitution du vélo aux autres modes que de repousser celles-ci.

Dans le document Les embarras de Paris (Page 98-103)