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Chapitre 1. Les normes de la reconnaissance publique au XVIII e siècle : une économie des

1.3. Les formes de la reconnaissance publique : un souci de définition

1.3.2. Duclos et l’incertitude des réputations

Dans ses Considérations sur les mœurs de ce siècle, dont la première de trois éditions

paraît en 1751, Duclos aborde divers aspects de la conduite morale qui manifeste selon lui le

caractère national français. L’une de ces attitudes prédominantes est le « desir d’occuper une

place dans l’opinion des hommes

174

», traité en particulier dans le chapitre « Sur la Réputation

& la Renommée ». Les préoccupations relatives aux « jugements

175

» ne s’y limitent toutefois

pas. L’ensemble de l’ouvrage fait usage d’une typologie sociale fondée sur la distinction

personnelle (hommes de lettres, beaux-esprits, gens à la mode) et d’un nuancier de données

qui la régulent (estime, honneur, louanges, utilité, crédit, singularité, ridicule, défaveur, etc.).

Duclos rompt avec l’axiomatique moraliste classique, spéculative, pour développer une

perspective davantage sociologique et empirique qui accorde une place primordiale à la

question de la reconnaissance.

174 Charles Pinot Duclos, Considérations sur les mœurs de ce siècle [éd. Carole Dornier], Paris, Honoré Champion, 2005, p. 138.

175 Duclos a été comparé par ses contemporains à Jean de La Bruyère, dont Les Caractères (1688) comportent un chapitre intitulé « Des Jugements ». Il s’inspire peut-être davantage de la dissertation de Montesquieu intitulée « De la considération et de la réputation » citée plus haut (p. 44-45). Des extraits de ce texte paraîtront en 1726 dans le périodique La Bibliothèque Françoise, et la marquise de Lambert en offrira une nouvelle version, dont certains extraits seront repris dans l’entrée « Réputation, considération » de l’Encyclopédie.

À la base de la « science des mœurs » qu’il veut ériger, le philosophe observe que les

hommes ont « une existence morale qui dépend de leur opinion réciproque

176

». En plus des

lois qui exigent obéissance et font appel à une probité élémentaire, il existe « des procédés

d’usage » en vigueur dans la société civile. Ces normes ont leur propre système de

renforcement, le tribunal de l’opinion publique, qui inflige la honte par la publicité de la faute

et donne son approbation par l’estime et la bonne réputation

177

. Duclos se réfère explicitement

à la loi d’opinion de Locke. Certes, comme nous l’avons souligné chez Sacy, il est important

de ne pas mesurer la vertu et le vice à la seule opinion commune, aux seuls effets des actions,

sans tenir compte de la moralité intrinsèque des intentions qui les guident. Rejetant « l’odieux

sophisme d’intérêt personnel

178

» qui lui semble gagner des défenseurs parmi ses

contemporains et accuser un relâchement des mœurs, Duclos invoque tour à tour les devoirs,

la conscience et la sensibilité de l’âme afin d’affirmer l’autonomie morale de l’homme et de

baliser la relativité du vice et de la vertu

179

. Ces éléments ne sont cependant pas incompatibles

avec la loi d’opinion. Tout à l’idée de développer une morale pratique axée sur l’utilité

publique, Duclos encourage le principe général de l’honneur et de la gloire

180

, qui suppose un

relais entre l’incitation extérieure de la bonne réputation et une disposition intérieure

176 C. P. Duclos, Considérations…, p. 138.

177Ibid., p. 124-125.

178Ibid., p. 98.

179 Duclos ancre l’autonomie morale de l’homme dans la conscience, un juge intérieur qui s’appuie sur une connaissance du bien et du mal. Il ne s’embarrasse toutefois pas de déterminer si cette connaissance est innée ou acquise. Il identifie également un second compas moral, la sensibilité de l’âme. Ressort propre à la vertu, la sensibilité est ce qui pousse à aller au-delà des devoirs prescrits par la religion et la loi pour le bien des autres.

Ibid., p. 127-129.

180 Duclos ne fait pas de distinction claire entre la gloire et l’honneur aristocratique, valeur qu’il juge en déclin par rapport au siècle précédent. On retrouve encore plus clairement dans ses Mémoires secrets sur le règne de Louis XIV, la régence et le règne de Louis XV l’opposition que j’ai mentionnée précédemment (p. 35-36) entre le paradigme de l’intérêt et celui de la gloire : « Dans le siècle précédent, la noblesse et le militaire n’étaient animés que par l’honneur; le magistrat cherchait la considération; l’homme de lettres, l’homme à talents cherchait la réputation […]. Toutes les classes de l’État n’ont aujourd’hui qu’un objet, c’est d’être riche… ». Cité par C. Dornier dans C. P. Duclos, Considérations…, p. 133 n. 56.

authentiquement vertueuse : « On acquière la vertu par la gloire de la pratiquer. Si l’on

comence par amour-propre, on continue par honeur, on persévère par habitude […] On

contracte le sentiment des actions qui se répètent

181

». Duclos décrit un processus

d’intériorisation des attentes sociales qui met à profit une passion primordiale, le désir de

reconnaissance. Sur ce ressort essentiel peut s’échafauder l’ensemble des relations morales qui

forment la société

182

. Duclos fait ainsi de l’idéologie de la gloire la dynamique centrale de son

système moral.

Une fois ce principe d’interdépendance posé, Duclos présente plus finement les

différentes formes de la reconnaissance, qu’il répartit en quatre degrés : la considération, la

réputation, la célébrité et la renommée

183

. La considération « est un sentiment d’estime mêlé

d’une sorte de respect personnel » auquel tout homme de mérite a droit. Elle correspond à la

respectabilité que chacun peut gagner en fonction de son « état » parmi « ses inférieurs, ses

égaux & ses supérieurs en rang & naissance ». Une « réputation honête » est, elle aussi, « à la

portée du comun des homes », et on peut en recevoir les échos et les bénéfices de la part de

ceux « dont on est entouré, de ceux dont on est personèlement conu ». Elle se distingue

cependant de la considération en ce qu’elle repose moins sur le statut que sur les « vertus

sociales ». Plus clairement associée aux interactions de la sociabilité mondaine familières à

Duclos, la réputation peut croître de manière à devenir « étendue & brillante », quoiqu’elle

reste toujours particulière à tel ou tel « lieu » que l’on fréquente. Duclos fait alors de la

célébrité une étape intermédiaire entre la réputation, somme toute limitée, et la renommée,

181Ibid., p. 131.

182 Sur la science des mœurs, la loi d’opinion et la morale de l’utilité chez Duclos, voir les remarques de Carole Dornier dans son introduction à C. P. Duclos, Considérations…, p. 14-20 ; N. Veysman, Mise en scène de l’opinion…, p. 465-505.

beaucoup plus vaste : « L’esprit, les talens, le génie procurent la célébrité, c’est le premier pas

vers la renomée, qui n’en difère que par plus d’étendue

184

». À ce niveau de publicité, l’objet

de la reconnaissance se resserre autour d’une démonstration de supériorité, en particulier de

supériorité intellectuelle. La renommée échoit donc aux grands hommes, « qui se rendent

illustres par eux-mêmes » : elle « est le prix des talens supérieurs, soutenus de grands èforts,

dont l’èfet s’étend sur les homes en général, ou du moins sur une Nation

185

». Recouvrant les

principales caractéristiques de la gloire, ce que Duclos appelle la renommée porte

« principalement sur des faits conus ». « Constante & uniforme », elle fait passer son nom à

l’histoire, mais éloignée de soi, la jouissance n’en est bien souvent qu’espérée.

La nomenclature de Duclos tient compte de l’étendue de la réputation et du genre de

mérite sur lequel se portent les jugements. Les frontières entre les diverses manifestations de

la reconnaissance restent toutefois peu marquées. Cette imprécision est particulièrement

notable en ce qui concerne la célébrité, qui se dessine faiblement en creux des autres notions.

Quelle différence y a-t-il entre une réputation étendue et la célébrité ? À quels signes sait-on

que la célébrité s’est transformée en renommée ? On se rappelle qu’au moment où Duclos

rédige ses Considérations, la « célébrité » est un terme qui entre en usage. Prenant le pouls de

son époque, Duclos décide de renommer son chapitre « Sur la Réputation, la Célébrité, la

Renomée & la Considération » pour l’édition de 1764 des Considérations, suggérant que la

célébrité s’impose comme un concept autonome répondant à l’apparition d’une nouvelle

184 La partie soulignée n’apparaît pas dans l’édition de 1751. Ibid., p. 139.

185 « Laissant à part la foule des Princes », qui sont « assujetis » à la renommée, Duclos ne la considère « que par raport aux homes à qui elle est personèle ». Alors que dans le texte de 1751, l’auteur se réfère surtout à l’homme d’État pour décrire le grand homme, il croit bon de préciser dans l’édition de 1764 que « [l]es grands talens, les dons du génie procurent autant ou plus de renomée que les qualités de l’home d’Etat, & ordinairement transmètent un nom à une postérité plus reculée ». Comme il était courant à l’époque, Duclos envisage le grand homme en homme de lettres plutôt qu’en héros militaire ou en chef d’État, sans pour autant exclure ces derniers.

réalité. Ce changement n’est toutefois pas suivi de modifications substantielles dans le corps

du texte et ne permet pas de dissiper la confusion.

Comme l’a relevé Antoine Lilti, le passage où Duclos semble donner un contenu

spécifique à la célébrité consiste en une situation fictive dans laquelle un homme célèbre

entend ceux qui l’entourent parler de lui sans qu’il ne soit reconnu d’eux. Cet anonymat au

cœur même de la foule d’admirateurs rend compte d’une séparation de la personne publique et

de la personne privée qui ne peut survenir que lorsque le nom (et non l’image) circule en

dehors du cercle des connaissances. Duclos imagine qu’une telle circonstance puisse apporter

une grande satisfaction d’amour-propre, mais qu’elle puisse également être pénible pour

l’homme célèbre qui, dans l’impossibilité (hypothétique) de se dévoiler, se retrouverait à

« presque entendre parler d’un autre que [lui]

186

». Il s’agit là, selon Lilti, d’un élément

caractéristique de la topique de la célébrité qui se développera au cours de la seconde moitié

du XVIII

e

siècle. Cette topique présente la célébrité comme une condition paradoxale, où le

surplus d’attention se transforme en aliénation. Elle se trouvera résumée dans l’amer

aphorisme de Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort : « La célébrité est l’avantage d’être connu

de ceux qui ne vous connaissent pas

187

».

L’expérience de la célébrité décrite par Duclos, nouvelle, continue cependant à

s’inscrire dans un propos normatif plus convenu quant à la jouissance des biens symboliques.

La renommée, intangible, n’offre qu’une récompense imaginaire ou anticipée. Ceux qui y

prétendent doivent donc faire preuve de désintéressement à l’égard des honneurs sensibles, un

sacrifice et une modestie qui ajoutent à leur mérite et donne de l’éclat à leur gloire. Au

186 C. P. Duclos, Considérations…, p. 141.

contraire, la célébrité comporte une expérience sensorielle et émotionnelle plus directe. Il est

possible d’en tirer une grande jouissance, même si elle n’est pas aussi « utile pour le

bonheur

188

» qu’une honnête réputation. Cela en fait un bien hautement désirable – d’autant

plus susceptible d’attiser des passions répréhensibles. Duclos considère ainsi la célébrité sur le

plan des affects :

Quand le désir de célébrité n’est qu’un sentiment, il peut être, suivant son objet, honête pour celui qui l’éprouve & utile à la société ; mais si c’est une manie, elle est bientôt injuste, artificieuse & avilissante par les manœuvres qu’elle emploie : l’orgueil fait faire autant de bassesses que l’intérêt. Voilà ce qui produit tant de réputations usurpées & peu solides189.

La célébrité ne conduit pas ipso facto à la renommée dévolue aux grands hommes, bien que

Duclos l’ait préalablement définie comme un « premier pas » dans cette voie. Elle peut tout

aussi bien susciter une obsession maladive alimentée par l’orgueil, l’ambition, la vanité. Elle

semble alors plus près de l’ordre des réputations, beaucoup moins fiables que la renommée.

Selon les observations de Duclos, les réputations sont soumises à un ensemble de

distorsions produites par les dynamiques sociales et passionnelles qui entrent dans la

formation de l’opinion publique. Le dévoiement du désir de célébrité constitue le premier de

ces facteurs de dérégulation des jugements. Il fait employer des moyens artificieux pour

acquérir une réputation non méritée, aidé en cela par les phénomènes de la rumeur, de la

cabale ou du conformisme :

[Des particuliers] anoncent qu’ils ont beaucoup de mérite : on plaisante d’abord de leurs prétentions ; ils répètent les mêmes propos si souvent, & avec tant de confiance, qu’ils viènent à bout d’en imposer. On ne se souvient plus par qui on les a entendu tenir, & l’on finit par les croire ; cela se répète & se répand comme un bruit de ville, qu’on n’aprofondit point. On fait même des associations pour ces sortes de manœuvres ; c’est ce qu’on appelle une cabale. […] D’autres frapés du contraste de la persone & de sa réputation, ne trouvant rien qui justifie l’opinion publique, n’osent manifester leur sentiment propre. Ils acquiescent au préjugé, par timidité, complaisance ou intérêt ; de sorte qu’il n’est pas rare d’entendre quantité de gens répéter le même propos, qu’ils désavouent tous intérieurement190.

188 C. P. Duclos, Considérations…, p. 139.

189Ibid., p. 141.

Lorsque la manipulation de l’opinion n’est pas motivée par la manie de la célébrité, elle l’est

par l’envie, passion qui conduit certains à nuire délibérément à ceux qui ont des chances à la

renommée :

Les subalternes ne pouvant aspirer aux premières places, cherchent à en écarter ceux qui les occupent en leur suscitant des rivaux. […] L’envie sent & agit, ne réfléchit ni ne prévoit : si elle réussit dans son entreprise, elle cherche aussitôt à détruire son propre ouvrage. On tâche de précipiter du faîte celui à qui on a prêté la main pour faire les premiers pas191.

À cela s’ajoute encore le « caprice » du public, qui crée lui aussi, quoiqu’avec moins de

mesquinerie, des réputations « sans fonds réels ». Dans ce jeu sans fin de la distinction, il ne

suffit pas de mériter la reconnaissance pour l’obtenir : « J’en ai remarqué d’autres qui avec la

bienfaisance dans le cœur, avec les actes de vertu les plus fréquens, faute d’intelligence et d’‘à

propos’, n’étoient pas à beaucoup près aussi estimés qu’estimables. Leur mérite ne faisait

point de sensation ; à peine le soupçonoit-on

192

». À moins de s’en remettre au hasard, Duclos

estime qu’il peut être avantageux de manier un « art honête » du faire valoir, pour lequel les

« gens d’esprit » sont prédisposés. Duclos décrit ainsi un monde complexe dans lequel il

s’avère difficile de décoder les apparences, alors même qu’il semble de plus en plus essentiel

de dépasser les signes extérieurs, jugés trompeurs, pour accéder à une identité morale, à la

qualité du « cœur »

193

. Paradoxalement, il faut y « faire sensation » pour obtenir une juste

reconnaissance.

Alors que la loi d’opinion supposait d’entrée de jeu un lien direct entre mérite et

reconnaissance, l’analyse de Duclos révèle qu’il n’en est rien. Cette corrélation suit plutôt une

courbe de fiabilité. La considération, basée sur des jugements de première main, et la

renommée, fondée sur une accumulation de voix semblables à travers le temps et l’espace,

191Ibid., p. 143.

192Ibid., p. 145-146.

sont plus sûres, même si Duclos admet qu’elles peuvent également être usurpées ou

erronées

194

. Entre ces deux pôles se trouve une zone d’instabilité où les réputations, en

s’étendant, se détachent du sujet, deviennent susceptibles d’être manipulée ou transformées,

quand elles ne sont pas tout simplement le fruit de circonstances aléatoires. Duclos se montre

au final hautement ambivalent quant au prix à accorder à l’ensemble des biens symboliques,

qui comportent une part d’illusion :

Si l’on réduisoit la célébrité à sa valeur réèle, on lui feroit perdre bien des sectateurs. La réputation la plus étendue est toujours très-bornée ; la renomée même n’est jamais universèle. A prendre les homes numériquement, combien y en a-t-il à qui le nom d’Alexandre n’est jamais parvenu ? […] On se flate du moins que l’admiration des homes instruits doit dédomager de l’ignorance des autres. Mais le propre même de la renomée est de compter, de multiplier les voix, & non pas de les apprécier195.

Le risque latent avec le désir de reconnaissance publique, c’est d’en privilégier l’étendue, que

l’on s’exagère d’ailleurs souvent, à la qualité. Tout l’enjeu réside dans la possibilité d’articuler

le mérite et la reconnaissance publique. La foi indéfectible de Sacy dans la vérité triomphante

de la gloire devait avoir l’air bien naïve aux yeux de Duclos, qui observe les mœurs de son

siècle aux prises avec la passion de la célébrité.

Conclusion

La reconnaissance publique constitue un objet de philosophie morale qui problématise

la valeur à accorder au regard des autres, à la gloire, et qui, du moment où on leur en accorde,

tente de cerner une éthique de la bonne distinction. Au XVIII

e

siècle, les philosophes

revalorisent l’idéologie de gloire et l’adaptent à une nouvelle conception des rapports qui

forment la communauté. Plusieurs historiens ont bien montré comment cette vision

contractuelle de la société, qui met l’accent sur la vertu, participe à la transformation de la

194 « Si l’on passe de simples particuliers à ceux qui paroissant sur un théâtre plus éclairé, sont à portée d’être mieux conus, on vêra qu’on en juge pas avec plus de justice », ibid., p. 147. « Si l’on acquière la considération, on l’usurpe aussi », ibid., p. 150.

culture politique à la fin de l’Ancien Régime. J’ai pour ma part insisté davantage sur les

mécanismes qui la sous-tendent de manière à dégager les grands principes d’une théorie

affective de la reconnaissance publique. Cela a en effet permis de faire ressortir le rôle

essentiel attribué aux émotions dans les différentes dimensions de l’économie de la gloire,

alors qu’elle embrasse la transition d’une morale des devoirs, exigences imposées de

l’extérieur, vers une morale qui procède de la sensibilité naturelle des êtres humains et de

l’intériorisation des normes sociales. La gloire des Lumières fait ainsi place à une conception

moderne de l’individu, dont la subjectivité est valorisée comme un moyen de connaissance du

monde, et qui cherche en retour à être connu pour un mérite qui lui est tout personnel et pour

les accomplissements qui sont l’expression. Cette perspective a également permis de voir

comment le discours normatif entourant la gloire réfracte la célébrité. Associée en particulier

aux auteurs, la célébrité est définie d’emblée comme une forme de reconnaissance inférieure à

la gloire : moins étendue, elle a pour principal objet le talent, que l’on a pu considérer comme

une valeur secondaire par rapport à la vertu. Mais c’est surtout parce qu’elle menace le

désintéressement central à la gloire que la célébrité s’avère ambivalente. Plus immédiate, elle

attise une concupiscence qui dérégule l’économie de la distinction et fait obstacle à la

distinction du vrai mérite. Dans les deux prochains chapitres, nous verrons comment, dans le

domaine littéraire, on a utilisé la rhétorique de la gloire au sein des luttes symboliques

entourant la définition du bon goût et le classement du mérite des auteurs, et comment ces

réflexions sur les fondements des valeurs esthétiques et les modalités de leur distinction ont

produit des représentations, souvent négatives, de la célébrité.