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3 "Les théories cognitives de la perception"

3.2. Du structuralisme piagétien au courant constructiviste moderne

Cependant, Piaget33 (1896-1980), psychologue suisse, critique sur plusieurs points la psychologie gestaltiste et donne ainsi naissance au structuralisme piagétien. Premièrement, il postule une évolution des structures perceptives avec l’âge et l’influence de l’expérience du sujet pour donner lieu aux constances perceptives34. Deuxièmement, les structures totales ne sont pas préétablies, elles se construisent progressivement par un jeu d’accommodations et d’assimilations35 combinées. Troisièmement, les transpositions ne garantissent pas aux

33 Piaget étudie le développement et les mécanismes de la perception visuelle entre 1940 et 1961.

34 Les constances perceptives sont des mécanismes qui modifient la perception due à des éléments de la connaissance ou à des opérations cognitives afin d’assurer la conservation des caractéristiques propres de l’objet (Droz & Rahmy, 1997, p. 54).

35 Il existe deux types de processus (ou d’invariants) fonctionnels selon Piaget. Il s’agit de l’assimilation et de l’accommodation. Le processus fonctionnel d’assimilation signifie que lors de son fonctionnement l’organisme modifie le cycle d’organisation en incorporant les données du milieu à la structure afin de s’adapter. Le processus fonctionnel d’accommodation, quant à lui, engendre une modification de la structure du fait des pressions qui opèrent par le milieu (Dolle, 1999, p. 52).

38 nouveaux éléments une forme d’équilibre36 à l’identique par conservation des relations comme le pensent les gestaltistes mais bien l’assimilation de nouveaux éléments comparables dans un même schème37. Quatrièmement, Piaget rapproche les concepts d’"associations" de l’empirisme aux "structures totales" de la théorie de la forme, cette dernière assimilant les mécanismes de l’intelligence aux mécanismes automatiques passifs à la base des structures perceptives apparentées à des "formes physiques" permanentes. Cinquièmement, il refuse les formes perceptives statiques "irréversibles et non associatives" prônées par les gestaltistes et préfère une construction indéfinie de structures engendrées par un jeu de mobilité et de réversibilité des opérations. Sixièmement, il reproche à Köhler (cité par Piaget, 1998) la statique des formes dans la formation de l’intelligence sensori-motrice qui évince les processus de tâtonnement, de correction et de contrôle. En effet, pour Piaget, les structures d’ensembles forment des "schèmes" dont l’accommodation continue aux situations s’effectue par tâtonnement et corrections. Septièmement, contrairement à Duncker38 (1903-1940) (cité par Piaget, 1998), psychologue allemand, il affirme une réaction mutuelle (et non pas unilatérale entre le présent et le passé) entre l’expérience antérieure et les schèmes d’assimilation visant un équilibre (Piaget, 1998, pp. 88-92). En outre, Piaget précise cette réaction mutuelle :

l’équilibre est atteint lorsque tous les schèmes antérieurs sont emboîtés dans les actuels et que l’intelligence peut alors indifféremment reconstruire les anciens au moyen des présents et réciproquement (Piaget, 1998, p. 92).

Ainsi, pour Piaget (cité par Weil-Barais, 2011), ce sont les mécanismes d’accommodation et d’assimilation qui permettent d’atteindre des états d’équilibre. Le système cognitif unique est donc représenté comme un "système auto-organisé" qui nécessite la description de ses caractéristiques initiales, des mécanismes de fonctionnement et des états d’équilibre (Weil- Barais, 2011, p. 44).

Deux reproches sont faits au structuralisme piagétien. Tout d’abord, il ne démontre pas la manière dont l’individu traite (c’est-à-dire les transformations et les inférences effectuées par l’individu à partir des informations qu’il possède) des situations auxquelles il accède ;

36 Il s’agit d’un "système stable" entre l’assimilation et l’accommodation (Dolle, 1999, p. 53)

37 Ici le terme de schème (perceptible) remplace celui de "schéma". En effet, il y a extraction "des caractères plus ou moins généraux" de l’objet du fait de l’accommodation plus ou moins importante des schèmes d’assimilation, ce qui produit une connaissance plutôt schématique (Piaget, tome 1, 1950, pp. 252-253, cité par Dolle, 1999, p. 69).

39 ensuite, il existe un "décalage" dans la mesure où il ne permet pas d’accéder à la compréhension de la différenciation des conduites lors de la réalisation de tâches dont la structure est identique. De fait, il apparaît comme impossible que toutes les conduites soient imputables à un unique système cognitif (Weil-Barais, 2011, p. 45). Cette dernière critique permettra d’avancer dans la réflexion s’agissant du sous-chapitre 3.3 du premier chapitre de la première partie mettant en évidence la "thèse de la modularité" de Fodor (1986).

Auparavant, une continuité s’opère entre le structuralisme piagétien et l’approche constructiviste qui s’oppose, elle aussi, au gestaltisme. En effet, pour Hebb (1904 - 1985) (cité par Streri, 2011), psychologue canadien, il existe une partie des "unités primitives" (par exemple, la distinction figure/fond, les lignes, les angles, etc.) liées à l’inné comme le considère les gestaltistes mais provenant du domaine sensoriel et dont l’identification serait issue de l’acte d’apprendre. C’est ici que les deux courants divergent dans la mesure où, selon Hebb39 (cité par Streri, 2011), d’une part la perception d’un élément est le produit d’un "assemblage de cellules" entre les réseaux neuronaux et que d’autre part, c’est l’activité oculo- motrice qui permet l’intégration de cet assemblage de cellules à un " assemblage superordonné" puis par l’excitation d’un élément active le système nerveux dans sa totalité :

Brièvement, on pourrait ainsi dire que la perception d’une forme organisée prendrait place en deux séquences fondamentales et serait le résultat d’une intégration progressive des perceptions de chacun des éléments qui composent cette forme. Dans une première étape, chaque élément perçu donne naissance, au niveau du système nerveux central, à la constitution d’un assemblage de cellules (qui représente l’élément primitif) ; puis dans une seconde étape, grâce à l’activité oculo- motrice de l’observateur parcourant une forme, ces divers assemblages sont intégrés en un assemblage plus complexe (superordonné) correspondant à la totalité de la stimulation. Tout au long de la génèse de cet assemblage superordonné, une exploration oculo-motrice cesse d’être indispensable et l’excitation de n’importe lequel des éléments met en activation le système entier (Streri, 2011, pp. 112-113).

39 Hebb prône une approche constructiviste dans son ouvrage intitulé The Organization of Behavior publié en 1949. Cet ouvrage va inspirer de nombreux neuroscientifiques dont des chercheurs pour lesquels leurs travaux portent sur l’apprentissage et la mémoire.

40 Quant à Hochberg40 (cité par Steri, 2011), il attribue, en 1970, un « rôle secondaire » aux mouvements oculo-moteurs, l’observateur apparaissant comme acteur dans la recherche des informations d’une scène. En effet, c’est par l’intégration des différents détails perçus de la scène que l’organisme construit une "carte mentale" (Streri, 2011, p. 113) ou une représentation mentale (Bagot, 1999, p. 9) de la scène et des objets observés.

Cependant, en 1947, Bruner41 (né en 1915) et Postman42 (1918 - 2004) (cités par Streri, 2011), deux psychologues américains, affirment que la perception n’est pas, dans sa totalité, le résultat du "contenu du message sensoriel" mais subit également l’influence des expériences antérieures (Streri, 2011, pp. 113-114) et de "facteurs top down" (Streri, 2011, p. 114) tels que "les émotions, la motivation et les valeurs sociales" (Bertrand & Garnier, 2005, p. 83). Selon la théorie de Bruner (1957-1958) (cité par Bertrand & Garnier, 2005), le sujet par un jeu d’hypothèses sur l’environnement perçu, évalue à l’aide d’indices, qui dépendent du contexte et des connaissances antérieures sur le stimulus (Bertrand & Garnier, 2005, p. 83), de la tâche qu’il réalise, de la nature, de l’intérêt et du résultat qu’il attend de la tâche (Streri, 2011, p. 114), l’information perceptible, puis de fait parvient à une catégorisation du stimulus. Dès lors, pour Bruner (cité par Streri, 2011), la perception est "catégorielle, inférentielle et prédictive" (Streri, 2011, p. 114) (c’est-à-dire que lors de la réception d’un stimulus, le sujet est dans un "état central directif " (Streri, 2011, p. 114) donc dans un état d’attention en fonction de ses expériences passées et des événements récents). Ainsi :

L’ensemble des stimulations captées par les récepteurs sensoriels a des propriétés qui servent d’indices. A partir des propriétés présentes dans la stimulation, l’observateur fait des inférences sur la catégorie à laquelle appartient l’objet. Le fait d’identifier un objet entraîne un certain nombre de prévisions quant aux propriétés de l’objet de celle qui a permis l’inférence. En effet, toutes les propriétés de l’objet ne sont pas présentes dans la stimulation (Streri, 2011, p. 114).

Suite à cette citation qui se réfère à l’inférence sur la catégorisation d’un objet, il est induit que l’observateur est ici toujours acteur dans ses processus de décision, d’anticipation et de

40 Hochberg met en 1970 en relation l’activité oculo-motrice du sujet avec la mémoire et l’attention.

41 Bruner considère que la pensée, la perception et la mémoire entrent dans le champ de la psychologie. Il contrecarre ainsi le behaviorisme.

42 Postman s’est intéressé, à ses débuts, à la perception, à l’apprentissage et à la mémoire dans le cadre de ses recherches. Il a participé au mouvement "New look" perceptif ("Nouveau regard" perceptif) initié par Bruner qui considère le rôle des facteurs cognitifs comme les émotions, les attentes, etc. déterminant dans l’activité de perception.

41 transaction liés à l’acte de perception. C’est dans leur ouvrage intitulé Psychologie cognitive (2005) que Bertrand et Garnier expliquent ces trois concepts et leurs interconnexions :

La perception est, en quelque sorte, un processus de décision qui ne laisse aucune place à la passivité : le sujet cherche d’une façon active les indices caractéristiques d’une série d’objets qu’il s’attend à percevoir. Nous appelons « attente perceptive » ce volet du processus, qui consiste à anticiper la situation à venir. Selon la conception de Bruner, la perception est une transaction, un ajustement qui se fait progressivement entre le sujet et son environnement en termes d’évaluation, et de déductions probabilistes (Bertrand & Garnier, 2005, p. 84).

Trois précisions sur la perception peuvent être ajoutées selon Cadet (Cadet, 1998, p. 122) :

la présence d’une "zone intermédiaire" entre perception et non perception (Sperling 1960, cité par Cadet, 1998) ;

la non immédiateté de la réactivité du système visuel vis-à-vis d’un stimulus ultérieur au traitement d’un stimulus en cours (Neisser, 1967, cité par Cadet, 1998) ;

la "mémoire iconique" fournit un ensemble d’informations dont les éléments permettent l’élaboration de la perception (Neisser, 1967, cité par Cadet, 1998), perception facilitée ou non en fonction de la distance plus ou moins longue entre chaque stimulus.

Bagot définit ainsi, globalement, le constructivisme. Il s’agit de :

toute approche concevant la perception comme le résultat d’une construction de l’individu à partir de données issues de l’observation active du stimulus (Bagot, 1999, p. 9).

De fait, la construction de cette représentation mentale ne ferait-elle pas appel à une diversité de systèmes cognitifs telle que le pense Fodor (1983) dans son ouvrage intitulé La

modularité de l’esprit qui constitue un Essai sur la psychologie des facultés.

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