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3 "Les théories cognitives de la perception"

CHAPITRE 2 : L’IDENTIFICATION PERCEPTIVE

2. L’influence des processus attentionnels lors de la tâche d’identification

3.2. Vers un continuum entre les processus automatiques et les processus de contrôle

Selon Fodor (1983), l’organisme possède des "routines automatiques" ou encore des "modules précâblés" qui composent une compétence biologique sensori-motrice et cognitive. Il en ressort les "fonctions adaptatives opérationnelles" de l’organisme. Or, il est considéré que ces processus automatiques précâblés sont, soit les phases successives (les phases automatiques ou encore préattentionnelles seraient suivies de phases "centrales", "contrôlées" dites attentionnelles) au sein d’un "modèle hiérarchique du système cognitif", soit des modules précâblés insérés dans un réseau de traitement non hiérarchisé (Camus, 1996, pp. 83- 84). On retrouve ce type de modèle hiérarchique du système cognitif (1958) chez le psychologue anglais Broadbent (1926 - 1993) (cité par Camus, 1996) : lors des phases de traitement préattentives, une analyse des traits particuliers présentés au sujet se réalise de manière rapide en parallèle grâce à des modules rigides et ce, indépendamment des variations attentionnelles alors que lors de la phase contrôlée, les processus attentionnels permettent au sujet une représentation des objets perceptifs, leur identification et des prises de décisions cognitives guidées par la situation (il y a sélection de l’information pertinente et mise à l’écart des distracteurs) (Camus, 1996, p. 84). Il en est de même pour le modèle de l’intégration des traits (MIT) proposé par Treisman et Gelade (cités par Camus, 1996) en 1980 et présenté dans l’ouvrage de Camus La psychologie cognitive de l’attention (1996, pp. 84-85). Ces deux chercheurs étudient les processus attentionnels mis en œuvre par un sujet qui sélectionne un objet cible au sein d’un environnement doté de distracteurs (c’est-à-dire d’autres objets). Dans un premier cas, le sujet doit identifier une cible dotée d’un trait perceptif simple parmi des distracteurs ne possédant pas celui-ci. Dès lors, la cible "saute aux yeux" du sujet, la durée

90 d’identification de la cible étant indépendante du nombre de distracteurs puisque le sujet n’a pas besoin d’observer successivement chaque stimulus. L’identification de la cible ne demande pas d’attention, le mode de sélection est donc préattentionnel puisqu’il relève de mécanismes de bas niveau qui font l’analyse des traits élémentaires de la scène perceptive, analyse effectuée en parallèle par des analyseurs rapides (car leur capacité est illimitée) situés avant la phase de prise de décision permettant au sujet de répondre. Dans le deuxième cas, la cible est définie par un des traits simples possédant deux dimensions, les distracteurs étant pourvus de l’une ou l’autre de ces dimensions. Dès lors, la durée de détection est plus longue que dans le premier cas et est dépendante du nombre des distracteurs proposés au sein de l’expérimentation. Cette dépendance au nombre de distracteurs est dite l’"effet taille" (set

size). Du fait de cet effet taille, ce mode de détection est "attentionnel et contrôlé". Ce sont les processus attentionnels qui élaborent une combinaison des traits simples sur deux dimensions en un objet cognitif. Une comparaison alors s’engage entre cet objet cognitif et les stimuli, ce qui permet d’en identifier la conformité (la cible doit être détectée et les distracteurs rejetés). Or, les distracteurs ne peuvent être traités simultanément du fait des limites de capacité cognitive d’où la lenteur du processus d’identification. L’attention apparaît donc comme une "colle" qui agglomère temporairement des traits distincts en un objet perceptif singulier. En l’absence de cet effet colle mis en œuvre par l’attention, les traits sont "flottants" et peuvent donner lieu à une combinaison "illusoire". En effet, pour Kahneman et Chajczky (1983) (cités par Camus, 1996), dans le cadre de l’effet Stroop (1935), s’il y a combinaison entre la couleur de l’encre et l’information sur le mot au sein d’un même objet perceptif, les propriétés du signifiant et du signifié ayant le même positionnement spatial, ils sont difficilement séparables. A contrario, si le signifiant (la couleur du mot) et l’information sur le mot (le signifié) diffèrent, les deux propriétés sont plus facilement distinguées d’où l’atténuation de l’effet Stroop. En 1984, Kahneman et Treisman (cités par Camus, 1996) vont plus loin en intégrant à la réflexion ci-dessus une relation entre l’attention et la construction de représentations stables :

[…] le système cognitif construit des représentations stables des différents objets rencontrés au fur et à mesure de ses expériences perceptives. Cette construction s’effectue par l’ouverture d’un « fichier objet » unique qui en permet l’identification et qui va être progressivement muni d’un ensemble de traits distinctifs qui occupent les diverses « cases-à-remplir » (slot-filler) du dossier. Ces cases à remplir contiennent les diverses propriétés de l’objet ou de l’événement, telles qu’elles ont été saisies au cours des épisodes où

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l’objet a été perçu et qui vont être progressivement intégrées à cette représentation. L’attention contribue ainsi à la construction des représentations stables des objets (Camus, 1996, p. 85).

Selon Camus (1996, p. 86), dans une perspective d’évolution de la recherche expérimentale, le modèle d’intégration des traits (MIT) s’est complexifié. S’agissant des distracteurs, Treisman et Gormican (1988) (cités par Camus, 1996) observent que leur homogénéité permet au sujet de les évaluer comme un "tout" perceptif puis d’en écarter le groupe de manière plus aisée alors qu’il n’en est pas de même pour les distracteurs relativement différents. Ces mêmes chercheurs soulignent la même année qu’il existe des traits88 dont les caractéristiques "standards" et qui en tant que cibles performent leur détection perceptive. Le cas s’inverse si ces mêmes traits s’avèrent être des distracteurs. Il est à noter que cette "saillance" perceptive des cibles est aussi d’actualité dans l’expérience de Treisman et Paterson (1984) (cités par Camus, 1996) qui dénote l’insensibilité à l’effet taille lors de l’identification de triangles au sein de formes comportant des lignes sécantes et des angles disjoints ainsi que dans l’expérience de Enns (1990) (cité par Camus, 1996) lors de la détection de formes multidimentionnelles89.

Les recherches expérimentales suscitées conçoivent un "modèle de la recherche visuelle" tel un "processus continu", continuité décrite par la distinction entre les processus de décision perceptive et les impressions perceptives. En effet, la prise de décision perceptive (identification d’une cible ou d’un distracteur) demande au sujet une construction précise et sans ambiguïté de la représentation perceptive des stimuli observés tandis que les impressions perceptives permettent rarement d’en construire une représentation du fait du bruit90 subit qui empêche de générer une représentation sans ambiguïté. En outre, un nombre élevé d’expériences augmente le niveau de confusion tout en diminuant la probabilité d’émergence d’une représentation sans ambiguïté due à la présence d’impressions différentes exprimées lors de ces expériences. Ainsi, une cible non saillante et un bruit de fond élevé engendrent le choix d’un mode contrôlé et attentionnel afin de magnifier91 la représentation de la cible et de réduire la représentation des distracteurs affectés par un bruit. A l’inverse, une cible saillante et un bruit faible entraînent une décision prenant appui sur des représentations sans ambiguïté.

88 Camus (1996, p. 86) cite ce type de traits qui se composent de "ligne droite parmi des courbes", de "trait vertical parmi des traits obliques", de "traits parallèles parmi des traits convergents", de" cercles complets parmi des cercles présentant une lacune".

89 Les cibles sont ici des images à deux dimensions de cubes.

90 Le bruit fait ici référence à la brièveté de la durée de présentation des stimuli ou encore à la similitude entre les stimuli présentés (Camus, 1996, p. 87).

91 Les processus de magnification correspondent aux "processus de rehaussement et d’amplification" auxquels recourt la "représentation de l’information attendue" (Camus & Auclair, p. 53).

92 Entre ces deux situations, tout un panel de recherche doté de degrés divers d’investissement attentionnel est possible. Cependant, les processus attentionnels interviendraient au niveau de la décision donc à des phases tardives du traitement perceptif (Camus, 1996, pp. 86-87). Ainsi, selon des recherches plus récentes, la tendance est :

à atténuer une opposition stricte entre des processus automatiques et des processus contrôlés au profit d’une distribution inégale du contrôle attentionnel dans les processus mettant en jeu la détection et la recherche de cibles visuelles (Camus, 1996, p. 88).

Cependant, Treisman et Gormican (1988) (cités par Camus, 1996) considèrent qu’un temps de détection inférieur à 10 ms/item conforte la réalisation d’un traitement parallèle (Camus, 1996, p. 88).

En outre, selon Rock, Linnett et Grant (1992) (cités par Cadet, 1998), l’identification consciente de certains types de traits du stimulus peut ne pas provenir d’un traitement attentionnel. En effet, la perception consciente de la présence, de la position, de la couleur et d’un certain nombre d’objets observés par le sujet ne demande pas de focalisation attentionnelle alors que l’identification de la forme d’un objet procède d’une attention dirigée. Ainsi, la représentation de certains types d’informations locales peut être consciente même si elles ne se prévalent que d’un "traitement partiel, rapide et limité" (Cadet, 1998, p. 88). A cela s’ajoutent les résultats de la recherche de Boucart et Humphreys (1994) (cités par Cadet, 1998) qui démontrent que l’information de couleur et de luminance est identifiée de manière automatique donc sans focalisation attentionnelle tandis que l’information sur la taille et sur l’orientation relative à la forme d’un objet est identifiée de façon consciente par l’intermédiaire d’un traitement lourd activant la représentation sémantique à laquelle elle est reliée. Ainsi, on s’aperçoit que certains distracteurs sont en relation sémantique avec la cible d’où une possible interférence avec l’identification (Cadet, 1998, p. 88).

3.3. Des concepts clés de l’attention : situation homogène, situation

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