• Aucun résultat trouvé

3 "Les théories cognitives de la perception"

CHAPITRE 2 : L’IDENTIFICATION PERCEPTIVE

2. L’influence des processus attentionnels lors de la tâche d’identification

3.3. Des concepts clés de l’attention : situation homogène, situation hétérogène, traitements, connaissances et habiletés cognitives

D’autres chercheurs vont s’intéresser aux automatismes postcâblés. Dans cette perspective, Schneider et Schiffrin (1977) (cités par Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007) mènent des expériences au sein desquelles les sujets comparent, suite à une mémorisation et en vue d’une prise de décision la plus rapide possible, des items communs à un ensemble

93 doté de 1 à 4 items tels que des lettres, des consonnes ou des chiffres et à un autre ensemble postérieurement visuellement présenté de 1 à 4 items accompagné(s) de distracteurs. Les deux chercheurs manipulent les deux ensembles en ce qui concerne leur homogénéité92 et leur hétérogénéité93 (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, pp. 42-43). Il en résulte que lorsque le codage est homogène le temps de décision ne dépend que peu de la taille des ensembles (l’ensemble cible et l’ensemble tests), donc du nombre d’items objet de la mémorisation du fait de la pratique, par le sujet, de ce type de tâches. Ainsi, les performances du sujet dans ce cas d’homogénéité dénotent de "l’utilisation de processus automatiques très rapides et opérant en parallèle" (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, p. 43). A l’inverse, lorsque le codage des cibles et des distracteurs est hétérogène le temps de décision s’accroît considérablement et la performance du sujet décline. Ainsi, dans ce cas d’hétérogénéité, la performance du sujet dépend de l’utilisation de processus contrôlés [les items doivent êtres comparés deux à deux et ce de manière successive] coûteux en ressources cognitives et opérant de manière sérielle (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, p. 43). La citation ci-dessous résume de façon tout à fait pertinente les travaux de Schneider et Shiffrin (cités par Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007) :

Les auteurs ont notamment mis en évidence que les processus automatiques ne nécessiteraient ni ressources de traitement, ni effort, ni accès à la conscience ; ils seraient difficilement modifiables et contrôlables et pourraient intervenir en parallèle. Les caractéristiques inverses s’appliquent bien sûr aux processus contrôlés. Ceux-ci peuvent toutefois grâce à la pratique, s’automatiser, seulement si le matériel est constant [homogène], comme l’a montré l’expérience ci-avant : les cibles et les items tests doivent être de même nature, sinon il n’est pas possible d’automatiser une procédure de recherche (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, pp. 43-44).

Afin de différencier les deux types de traitement, un tableau récapitulatif des caractéristiques imputables aux traitements automatiques et aux traitements contrôlés (2007, p. 44) se situe dans l’ouvrage de Chanquoy, Tricot et Sweller intitulé La charge cognitive,

Théorie et applications. A la suite de ce tableau sont définis cinq critères attribués aux deux types de traitement en fonction de leur présence ou absence ou encore de leur nature :

92 L’homogénéité considère que la cible représente des chiffres ou des lettres et que les distracteurs diffèrent de la nature de la cible.

94 un processus automatique est rapide et doté d’un traitement des informations en parallèle alors qu’un processus contrôlé est lent du fait d’un traitement sériel et complet ;

un processus contrôlé dépend du sujet qui peut le modifier alors qu’un processus automatique ne peut être contrôlé par le sujet ;

un processus automatique ou un traitement automatique est irrépressible c’est- à-dire que l’on ne peut l’interrompre en cours d’exécution et que son apparition est systématique du fait de la présence d’un stimulus donné (un lecteur expert ne peut éviter de lire ce qui se présente à sa vue) ;

un processus contrôlé découle de la mise en œuvre de processus attentionnels qui demandent un effort cognitif et subit une capacité limitée de traitement de l’information au sein du système alors qu’un processus automatique n’a pas besoin d’attention lors du traitement de l’information qui exige peu d’effort cognitif ;

les traitements contrôlés se déroulent de façon sérielle (c’est-à-dire successivement) alors que les traitements automatiques se déroulent en parallèle (c’est-à-dire simultanément). Cependant, lors d’une même tâche les deux types de traitement peuvent avoir lieu. Lors de tâches différentes, les processus attentionnels limités opèrent pour les tâches non automatisées alors que des traitements en parallèle opèrent envers des processus automatisés (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, p. 45).

Ainsi, les points positifs relèvent de l’automatisation des processus qui sont rapides et dont le traitement s’effectue en parallèle, ce qui n’est pas le cas des processus attentionnels. A l’inverse, ces processus automatiques se trouvent gênés par une modification de l’environnement du fait d’une absence d’"adaptabilité" et de "flexibilité" alors que les processus attentionnels en ressentent la présence (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, pp. 44- 45).

Quant à Logan (1988) (cité par Camus, 1996), l’auteur propose un modèle d’automatisation dont le mode de fonctionnement relève d’un algorithme et postule une récupération directe en mémoire (Camus, 1996, p. 90). Pour ce faire, le chercheur évoque trois principes sur lesquels s’appuie son modèle :

1) il y a une trace en mémoire qui accompagne obligatoirement tout traitement attentionnel ;

95

2) attendre un objet revient à activer préalablement la représentation mnésique qui y correspond ;

3) chaque traitement attentionnel d’un stimulus construit une instance de représentation de celui-ci, c’est-à-dire une trace épisodique originale de l’objet et du contexte dans lequel il a été rencontré. Ainsi, à chaque expérience perceptive correspond une trace, une instance (Camus, 1996, p. 90).

Selon Logan (1988) (cité par Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007), les instances ou encore les exemples de situation ne font pas l’objet d’une généralisation mais, c’est le fait de pratiquer une réponse à un même type de stimulus qui permet de stocker des informations sur ce stimulus et la façon dont opère son traitement (ce qui forme une connaissance) en mémoire à long terme, d’où une généralisation des automatismes puisqu’il y a récupération directe au sein de la mémoire (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, pp. 46-47). Le modèle de Logan (1988) (cité par Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007) possède une série d’avantages :

la rapidité des processus automatiques provient de la récupération d’une solution déjà forgée en mémoire ;

l’absence ou le peu de ressources attentionnelles nécessaires réside dans une récupération des connaissances cognitivement peu coûteuses ;

les processus automatiques sont inconscients du fait de l’absence ou du peu de traitements possibles entre le stimulus et la réponse pertinente (Chanquoy, Tricot & Sweller, 2007, p. 47).

Le modèle d’Anderson (1981, 1982, 1987) (cité par Camus, 1996) différencie deux types de connaissances : les connaissances déclaratives qui demeurent des savoirs explicites que le sujet peut verbaliser et les connaissances procédurales qui relèvent des savoir-faire efficaces tout au long de l’action et dont l’intériorisation les rend opaques à une représentation consciente (Camus, 1996, p. 92). Le système complexe des connaissances procédurales se compose d’un ensemble de règles de production au sein desquelles une condition (si) provoque une action (alors). Or, l’acquisition d’une habileté cognitive est une construction de ce système de règles de production. Elle dépend de trois étapes :

la première étape dite de familiarité est cognitive dans la mesure où elle commence par l’"encodage des instructions" telles que des objectifs, des consignes ou encore un mode d’emploi, pour atteindre des connaissances déclaratives, l’activité entreprise par le sujet ne pouvant être qualifiée d’habile ;

96 la deuxième étape dite associative, au sein de laquelle le sujet corrige ses erreurs, met en œuvre de nouvelles coordinations et identifie les régularités, est le lieu où se transforment les connaissances déclaratives en connaissances procédurales. La transformation qui opère est une compilation au sens informatique du terme c’est-à-dire qu’il y a transposition d’un code écrit symbolique et de haut niveau mais interprétable par le sujet en un code objet de bas niveau mais ininterprétable par le sujet. De part cette transformation, il y a une modification du format des représentations, qui bien que rapide et efficace au niveau de l’exécution du savoir-faire, ces représentations deviennent inintelligibles à la conscience. Or, la compilation est une sorte de "compactification" d’un ensemble d’étapes indépendantes de traitement en une unique procédure, ce qui dénote une ressemblance avec le concept de module cognitif. De façon plus détaillée, cela signifie que :

Les transformations cognitives intervenant au cours de l’automatisation se résument donc de la manière suivante : 1) le savoir-faire procéduralisé échappe à la conscience (le format de ces représentations n’est pas compatible avec les codes conscients des savoirs déclaratifs) ; 2) le contrôle pas à pas n’est plus possible lors de l’application d’un savoir-faire. En effet, la forme unique et compacte que constitue le savoir-faire reporte les opérations de contrôle à l’étape de l’initialisation (objectifs) et à celle de la vérification terminale des résultats. Les étapes intermédiaires ne sont plus contrôlables (Camus, 1996, p. 93) ;

La troisième étape est celle de la pratique (c’est-à-dire les exercices) qui est corrélée au nombre de phases à intégrer afin de conforter la compilation (Camus, 1996, pp. 92-93).

Ainsi, tant pour Anderson (cité par Camus, 1996) que pour Logan (cité par Camus, 1996), l’attention se distribue et n’est pas éliminée de façon progressive. En effet, selon Anderson (cité par Camus, 1996), au cours de l’"exécution d’un automatisme procéduralisé", l’attention se maintient sur l’identification des instructions et sur la comparaison entre la vérification des résultats atteints et des résultats à atteindre alors qu’au cours des étapes intermédiaires de l’apprentissage, les contrôles centraux et stratégiques sont omis au profit d’une attention dirigée sur un contrôle de chaque séquence de la procédure (Camus, 1996, p. 93).

97 Quant à l’habileté cognitive, elle est dotée d’une organisation souple, dépend de la pratique du sujet et est variable stratégiquement selon l’individu singulier. Cette organisation applique un changement du mode de fonctionnement des automatismes dont elle est dotée, automatismes devenant plus flexibles et transparents au déterminisme cognitif. Elle ne peut donc se résoudre à être un simple processus automatique généralisé :

L’habileté cognitive ne peut se réduire à un processus automatique encapsulé généralisé. Comme le souligne Logan (1985 […]), l’habileté est une organisation plastique intégrant de manière stratégique plusieurs automatismes. Ce qui caractérise le champion, l’expert, le confirmé et le virtuose sont très précisément le « jeu », la souplesse, voire la fantaisie ou l’émotion qu’ils sont capables d’introduire dans leur exécution. Loin de se comporter de manière stéréotypée ou « robotisée », ils sont en mesure d’introduire plus de variabilité et de dimension stratégique dans leur conduite que le débutant, le novice ou l’apprenti ne pourront jamais le faire. Ce type d’organisation modifie de manière vraisemblable le mode de fonctionnement des automatismes qu’il contient, les rendant moins rigides et plus perméables à des déterminations d’ordre cognitif (Camus, 1996, p. 93).

Ainsi, les processus automatiques précâblés ou postcâblés sont des modules cognitifs qui activent des "représentations perceptives, conceptuelles ou sensori-motrices". Du fait de leur rapidité et de leur d’exécution en situation d’homogénéité, ils permettent de détourner l’attention vers des opérations cognitives de plus haut niveau. Ces processus automatiques sont l’objet d’un acte volontaire de contrôle au sein d’une habileté cognitive ou sensori- motrice ou bien se déclenchent en cas de nécessité perçue d’une situation. De fait, au cours de situation d’hétérogénéité, ces processus automatiques peuvent contrecarrer l’activité cognitive et ce, malgré les "orientations volontaires de l’attention". Ce phénomène de résistance à la distraction doit donc être contrôlé par un système cognitif de l’activité dédié (Camus, 1996, p. 94).

4. Malgré un "système de contrôle cognitif de l’activité" (Camus, 1996, p.

94), de potentielles erreurs de l’attention émanent de notre activité

cognitive

98

4.1. Qu’est-ce que le contrôle cognitif ?

Au sein même du concept de représentation cognitive, il existe une différenciation "entre un objet et sa représentation ou entre une action et sa représentation" c’est-à-dire "entre le modèle et la copie" (Camus, 1996, p. 94). Or, entre le modèle et la copie, il y a une sorte de "réflexion", un "espace cognitif" qui induit le contrôle cognitif qui, selon Camus (1996) se définit ainsi :

Ce contrôle cognitif doit être conçu comme l’ensemble des processus intervenant sur les relations qui s’établissent entre le modèle et la copie pour en régler le fonctionnement réciproque (Camus, 1996, p. 94).

Camus (1996) exemplifie son propos par la distinction que fait Paillard (1987) (cité par Camus, 1996) entre le traitement cognitif et le traitement sensori-moteur, distinction qui donne des précisions non négligeables sur leur fonctionnement. En effet, d’un côté, le traitement cognitif s’oriente par l’intermédiaire des représentations à disposition du sujet, représentations qui se trouvent au sein même d’une "mémoire représentationnelle" composée de "régularités", d’"invariants" et de "covariances" qui proviennent des interactions avec l’environnement. Or cette mémoire représentationnelle est "prévisible" : elle se compose d’un "ensemble de schémas perceptifs, intellectuels et moteurs". D’un autre côté, l’acte sensori- moteur permet au sujet de tester de nouvelles expériences à partir desquelles le système cognitif extrait les connaissances nécessaires à la construction de son modèle interne, d’où une "flexibilité" des conduites entraînée par trois mécanismes dont dispose le système de contrôle cognitif (Camus, 1996, p. 95).

4.2. Les trois mécanismes du système de contrôle cognitif et deux concepts

Outline

Documents relatifs