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Droit pénal des mineur·e·s

Dans le document Naturalisation (Page 167-170)

En Suisse, le Droit pénal des mineur·e·s est aujourd’hui unifié et constitué de deux lois fédérales : l’une régissant leur condition pénale (Droit pénal des mineurs, DPMin) depuis 2007, et l’autre la procédure pénale (Procédure

pénale applicable aux mineurs, PPMin) depuis 2011. Le DPMin constitue une loi spéciale par rapport au Code pénal des adultes et il régit les sanctions pénales (mesures de protection et peines) applicables aux personnes mineures âgées de 10 ans révolus à moins de 18 ans. La PPMin représente également une loi spéciale par rapport au Code de procédure pénale des adultes. En Suisse, des juridictions spécialisées pour les mineur·e·s existent au niveau cantonal depuis 1911. La PPMin a maintenu cette orga-nisation cantonale de la justice des mineur·e·s, qui connaît deux grands modèles : celui du juge des mineur·e·s en Suisse romande, et du Jugend anwalt ou procureur des mineur·e·s en Suisse alémanique et au Tessin.

Le droit pénal suisse des mineur·e·s s’inscrit dans un cadre international, constitué en parti-culier du respect de la Convention européenne des droits de l’homme (ratifiée par la Suisse en 1974) et de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (ratifiée en 1997).

Le droit pénal suisse des mineur·e·s se carac-térise par les principes essentiels suivants :

› Il ne peut y avoir d’intervention pénale que lorsqu’un·e mineur·e « commet un acte punissable entre 10 et 18 ans » (article 3 DPMin). Les actes punissables (ou infrac-tions) sont définis par le droit pénal ordi-naire (Code pénal, loi sur les stupéfiants, loi sur la circulation routière, etc.).

› Le Droit pénal des mineur·e·s est centré sur l’auteur (Täterstrafrecht), à savoir sur la situation personnelle du ou de la mineur·e délinquant·e. Le principe de l’individua-lisation de l’intervention pénale est ainsi une caractéristique majeure de la justice des mineur·e·s. Cependant, le DPMin pose l’exigence de la culpabilité et de la respon-sabilité pénale d’un·e mineur·e délinquant·e pour pouvoir lui infliger une peine.

› Le droit pénal des mineur·e·s est guidé par la philosophie de l’éducation du mineur délin-quant et du soutien au développement de

sa personnalité (article 2 DPMin et article 4 PPMin).

› Il en découle le principe de la primauté des mesures de protection par rapport aux peines, qui tient compte des besoins éducatifs et thérapeutiques du ou de la mineur·e. Ceci permet d’ailleurs à la justice des mineur·e·s de prononcer des mesures de protection à titre provisionnel, en cours d’instruction, ces mesures concernant près de 2 % des mineur·e·s finalement jugé·e·s pour des motifs pénaux.

› Le DPMin a instauré un système dualiste facultatif, selon lequel, si le ou la mineur·e a agi de manière coupable et que l’enquête sur sa situation personnelle révèle qu’il ou la a besoin d’une mesure de protection, celle-ci peut être prononcée cumulativement à une peine. Selon Michel Lachat, le magistrat des mineur·e·s peut être qualifié de « père et maître à la fois », en raison de ce travail pédagogique d’explication, de démonstra-tion et de persuasion.

Les mesures de protection à disposition de la justice des mineur·e·s sont, par ordre crois-sant d’intensité : la surveillance (qui est un droit de regard externe sur l’action éducative des parents), l’assistance personnelle (mesure la plus prononcée, qui est proche de la cura-telle du droit civil), le traitement ambulatoire (socio-éducatif et/ou thérapeutique en milieu ouvert) et le placement (en famille d’accueil ou en établissement). Depuis 2015, s’y sont ajou-tées les mesures (sécuritaires) d’interdiction d’exercer une activité, d’interdiction de contact et d’interdiction géographique.

En ce qui concerne les peines, le DPMin laisse d’abord une large place aux possibili-tés d’exemption de peine. Le magistrat des mineur·e·s peut alors exercer un pouvoir de renonciation à prononcer une peine (et de classement du dossier pénal), en particulier (article 21 DPMin) : si l’acte commis est de peu de gravité, si le ou la mineur·e a lui- ou elle-même réparé le dommage causé, s’il ou

elle a été directement atteint·e par les consé-quences de son acte ou suffisamment puni·e par ses parents. Font ensuite partie des peines, également dans un ordre croissant de sévé-rité : la réprimande (ou réprobation officielle de l’acte commis) ; la prestation personnelle (peine la plus prononcée, y compris pour les adolescent·e·s), qui peut consister soit en une astreinte à un travail d’intérêt général, soit en une obligation de suivre des cours (p. ex. de prévention des addictions) et, dès l’âge de 15 ans révolus, l’amende (jusqu’à 2000 francs, si le ou la mineur·e a une source de revenu) et la privation de liberté (de un jour à un an, pou-vant cependant aller jusqu’à quatre ans à l’en-contre de mineur·e·s âgé·e·s de 16 ans au moins qui ont commis des actes graves). L’exécution des peines de prestation personnelle, d’amende et de privation de liberté jusqu’à 30 mois peut être suspendue au bénéfice du sursis (total ou partiel), si la justice estime qu’il n’y a pas de risque de récidive.

Il faut relever que les mesures de protection sont de durée indéterminée et pourraient se prolonger jusqu’à l’âge de 25 ans. En revanche, les peines sont prononcées avec une durée et un terme (délai d’exécution) précis. C’est pourquoi les mineur·e·s préfèrent souvent être puni·e·s (subir une peine) que protégé·e·s (être astreint·e·s à une mesure).

Dans la pratique, la justice pénale suisse des mineur·e·s prononce très majoritairement des peines (environ 95 % de peines et 5 % de mesures) et des jugements de condamnation qui concernent principalement des garçons (78 % en moyenne annuelle depuis 2007), des adolescent·e·s de 15 ans et plus (77 % en moyenne annuelle) et des jeunes de nationa-lité suisse (68 % en moyenne annuelle, 24 % pour les jeunes domicilié·ère·s en Suisse, 4 % pour les mineur·e·s requérants d’asile et 3,5 % pour les mineur·e·s étranger·ére·s domiciliés à l’étranger).

Le droit pénal suisse des mineur·e·s est composé d’un assemblage des modèles divers

suivants de justice des mineur·e·s qui se sont développés depuis la fin du XIXe siècle :

› Le modèle d’éducation et de protection des jeunes justiciables (ou modèle de réhabilita-tion), qui gouverne le prononcé des mesures éducatives et thérapeutiques, mais égale-ment le choix du type de peine adéquate.

› Le modèle de garantie des droits des enfants et des jeunes, initié dans les années 1980 par les Nations Unies et qui a culminé avec l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant en 1989.

› Le modèle de diversion, avec la renonciation à toute poursuite pénale lorsque les proces-sus de conciliation (article 16 PPMin) ou de médiation (article 17 PPMin) sont couron-nés de succès, ou que les conditions éten-dues d’exemption de peine sont réunies ; mais aussi par le prononcé d’une simple peine de réprimande comme avertissement.

› Le modèle de réparation, déjà présent dans les voies de conciliation, de médiation et d’exemption de peine et qui gouverne prin-cipalement le prononcé de la peine de pres-tation personnelle.

› Le modèle de répression, surtout avec la peine privative de liberté.

Cette agrégation successive de modèles a amené la justice des mineur·e·s à une attitude nettement moins paternaliste (sanctionner pour le bien du mineur) et bien plus légaliste (sanctionner dans le respect des droits du ou de la mineur·e).

En Allemagne, pays qui n’a pourtant pas le Droit pénal des mineur·e·s le plus punitif, les mineur·e·s (dès 14 ans) qui ont commis des actes graves contre la vie, l’intégrité corporelle ou sexuelle, et au sujet desquel·le·s un pronos-tic de récidive élevée a été établi, peuvent être condamné·e·s à une peine privative de liberté de sept ans au moins et de dix ans au plus, ainsi que subsidiairement à un internement de sûreté (Sicherungsverwahrung). La Suisse – et c’est une chance qu’il faut absolument défendre – conti-nue de maintenir un Droit pénal des mineur·e·s

ouvert, accordant une attention particulière

« aux conditions de vie et à l’environnement familial du mineur, ainsi qu’au développement de sa personnalité » (article 2 al. 2 DPMin). Ce qui lui a permis de résister jusqu’ici aux sirènes répressives et sécuritaires.

Nicolas Queloz

Références

Queloz, N. (Éd.) (2018). Droit pénal et justice des mineurs en Suisse : commentaire du DPMin et de la PPMin. Zurich : Schulthess.

Repond, M. (2012). Michel Lachat : le juge et les mineurs. Fribourg : Éditions La Sarine.

Riedo, C. (2013). Jugendstrafrecht und Jugendstrafpro-zessrecht. Basel : Helbing Lichtenhahn.

Dans le document Naturalisation (Page 167-170)