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Économie solidaire*

Dans le document Naturalisation (Page 192-196)

Le terme d’économie solidaire décrit un ensemble de pratiques, initiatives, projets, organisations et discours divers qui ont pour objectif une autre forme, sociale, de l’écono-mie. L’économie solidaire, aussi appelée « éco-nomie sociale » en Suisse, donne la priorité au développement et à l’expérimentation d’une économie basée non pas prioritairement sur le profit, mais sur des principes sociaux, de solidarité, écologiques et démocratiques. Elle est guidée en cela notamment par l’idée d’au-todétermination et de cogestion ainsi que par des principes de durabilité sociale, écologique et économique. Dans ce sens, l’économie soli-daire se définit toujours comme le contre-pro-jet d’une économie capitaliste et mondialisée, principalement motivée par le profit.

Historiquement, l’économie solidaire trouve son origine dans les traditions et concep-tions des mouvements sociaux du début de l’ère industrielle, et plus précisément dans les concepts des « socialistes utopiques » tels que Robert Owen (1771-1858), Charles Fourier (1772-1834) et Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865). Ceux-ci avaient évoqué des modèles socioéconomiques ne reposant pas sur l’ex-ploitation de l’homme et la destruction de la nature. Ce premier mouvement socialiste a donné naissance à un « produit » particulière-ment réussi et aujourd’hui reconnu de tous : les coopératives, une forme d’organisation démo-cratique reposant dès le départ sur l’idée de la cogestion solidaire et de la copropriété entre travailleur·euse·s. Appliquer l’idée de coopéra-tive à toute une région, c’est le pari qu’a réussi la Mondragón Corporación Cooperativa (MCC), maintenant active au niveau mondial et sou-vent citée comme modèle réussi d’économie solidaire. Cette coopérative fut fondée dans les années 1940 dans la petite ville basque de Mondragón par le prêtre José María Arizmen-diarrieta (1915-1976), qui voulait lutter par l’entraide coopérative contre le chômage et la

pauvreté qui touchaient la région. Aujourd’hui encore, le but premier de l’économie solidaire n’est pas de révolutionner le système écono-mique capitaliste, mais de fournir à la popula-tion locale les biens et les services nécessaires, en se basant sur les besoins locaux et les res-sources disponibles sur place. C’est dans ce sens que se conçoivent la plupart des projets d’économie solidaire : comme des « îles dans un océan capitaliste », selon la formule consa-crée par Roland Bunzenthal en 2011, qui fonc-tionnent sciemment d’après une autre logique, basée sur l’ancrage local. Ceci dit, l’économie locale ne vise pas l’isolement et l’enfermement, elle tente plutôt de coopérer avec d’autres

« îles » et organisations ou mouvements de la société civile, dans une sorte de réseau, afin de créer et propager de nouvelles formes d’activi-tés économiques et au final, d’avoir un impact local toujours plus important.

Si l’on essaie d’établir un lien entre l’écono-mie solidaire, la politique sociale et les ques-tions sociales, ceci présuppose une compré-hension pluraliste de la politique sociale. Une compréhension où les parties prenantes de la société civile sont perçues et reconnues comme des acteur·trice·s participant au bien-être de tous et toutes, même si elles fonctionnent selon leur propre logique entre l’État et le mar-ché. Si l’on essaie d’absorber ces projets nova-teurs émanant de la base (grass-roots) pour les mettre au service d’objectifs qui leur sont étrangers et les soumettre à d’autres régimes, on court le risque de les démolir à terme. Les approches de la société civile, dont fait partie l’économie solidaire et qui trouvent leur ori-gine dans les mouvements sociaux, existent parce qu’elles représentent un moment cri-tique. Ce sont des projets d’expérimentation sociale destinés à trouver de nouvelles solu-tions aux problèmes sociaux, et ces projets se trouvent dans une relation tendue avec la politique sociale de l’État (qui suit une logique bureaucratique). Cette relation de tension peut toutefois être transformée par le dialogue en

une coopération fructueuse où différentes logiques peuvent coexister.

Dans la perspective analytique du plu-ralisme social, l’économie solidaire en tant qu’approche de la société civile peut contribuer (potentiellement) à la prospérité, sans pour autant faire partie de la politique sociale d’État.

Même s’il n’est guère possible de construire une économie solidaire selon une approche top-down, il est important du point de vue de la politique sociale de savoir si la politique de l’État favorise et soutient l’économie solidaire sans lui opposer d’obstacles et si elle permet à cette « contre »-économie locale de se dévelop-per aux côtés de l’économie mondiale. Ayant une culture perméable, l’économie solidaire peut, dans une optique de pluralisme social, aider les personnes et en particulier celles disposant de ressources financières limitées et/ou ne trouvant pas leur place dans l’autre économie pour diverses raisons, à participer économiquement et socialement à l’économie solidaire et trouver dans l’entraide un moyen d’assurer leur existence. Dans ce sens, les économies solidaires révèlent des potentiels (d’aide) réciproques encore non exploités et qui ne sont pas développés sur d’autres marchés ni dans les mesures de l’État social. L’économie solidaire apporte généralement des avantages directs à ses participant·e·s, mais aussi la plu-part du temps une « valeur ajoutée » à la com-munauté, à la commune, au quartier ou à la ville, sous forme d’excédent ou en éliminant certains coûts.

La façon dont l’économie solidaire est représentée ici se base sur une perception sur-tout répandue en Suisse alémanique et dans l’espace germanophone en général. Comme les économies solidaires en tant qu’initiatives bottom-up sont souvent largement marquées localement ou régionalement, même dans des pays relativement petits comme la Suisse, elles peuvent se présenter sous la forme de concep-tions et d’approches tout à fait différentes dans les diverses régions (linguistiques). En

Suisse, mais également en Allemagne et en Autriche, on peut ainsi observer les activités suivantes d’économie solidaire : émission de monnaies alternatives ou locales, instauration de systèmes d’échanges de temps, création de coopératives en nom collectif, constitution de coopératives d’usagers-consommateurs dans le domaine agricole ou encore culture et gestion communes de terrains communaux (comme dans le cas de l’urban gardening). Dans certains cas, ce type de projet est animé ou soutenu par des travailleuses et travailleurs sociaux·ales issu·e·s du travail communautaire (Community Deve lopment). Dans les régions francophones et latines, en revanche, l’économie solidaire est beaucoup plus liée au marché secondaire du travail, subventionné par l’État, et aux autres « mesures d’intégration » (au marché du travail). Cette tendance n’a pas encore été observée dans la conception germanophone de l’économie solidaire qui est associée davantage à des initiatives de la société civile.

Les défis sociaux, économiques et éco-logiques actuels (en lien avec la société post-croissance, la nouvelle précarisation, la crise du travail et les régions perdantes) pour-raient avoir pour conséquence d’intensifier la discussion autour de l’économie solidaire en Suisse dans les prochaines années. Le grand défi consiste à savoir comment concevoir et stabiliser ces projets afin de les rendre acces-sibles aussi aux personnes démunies et sans emploi et comment les transformer en proces-sus d’échange réciproques, capables d’amélio-rer l’existence dans tous les milieux et toutes les situations sociales.

Patrick Oehler

Références

Bunzenthal, R. (2011). Solidarische Ökonomie : Inseln im kapitalistischen Meer. In Verein zur Förderung der Solidarischen Ökonomie e. V.

(Hrsg.), Schritte auf dem Weg zur Solidarischen Ökonomie (S. 273-275). Kassel : Kassel Univ. Press.

Nerge, H. (2001). Auf der Suche nach der zukunftsfä-higen Gesellschaft : Fundort Mondragon (unveröf-fentlichte Publikation). N.p. : Eigenverlag.

Wallimann, I. (2014). Social and solidarity economy for sustainable development : its premises – and the social economy Basel example of practice.

International Review of Sociology, 24(1), 48-58.

Éducation*

L’éducation est une mission centrale des États-nations modernes et constitue une clé de la réussite du développement personnel et sociétal. Elle peut être considérée à la fois comme une fin en soi (mouvement de recherche, instruction) et comme un moyen pour parvenir à ses fins. La vocation du système d’éducation est d’encourager les individus à être autonomes et responsables, notamment dans le cadre de leur intégration et leur contribution à la société civile, et de garantir la formation adéquate des travailleur·euse·s qualifié·e·s pour le marché du travail. Dans cette optique, l’école doit rele-ver le défi paradoxal de garantir l’égalité des chances de formation à tous et toutes les élèves et, dans le même temps, de les répartir selon le principe de performance entre des niveaux scolaires différents, les places étant rationnées dans les domaines de formation supérieurs.

La formation précoce, ou l’éducation de la petite enfance, qui favorise le développement de la santé et de la condition physique, le bien-être émotionnel, l’accès à l’apprentissage, l’ap-titude à communiquer ainsi que les connais-sances cognitives et générales des enfants en âge préscolaire, inclut des offres institution-nelles (entre autres les structures d’accueil de jour) qui sont pour la plupart attribuées au sec-teur social (et non au secsec-teur scolaire).

L’école obligatoire, qui englobe l’école enfantine/le cycle élémentaire, le degré pri-maire ainsi que le degré secondaire I (cycle secondaire), est la partie la plus importante du système d’éducation suisse, avec plus de 50 %

des dépenses publiques de formation. Les sys-tèmes scolaires cantonaux qui se sont forgés au fil des ans se caractérisent par une diversité structurelle (durée de l’école enfantine et de l’école primaire ; modèles scolaires du degré secondaire I), une diversité du contenu (plans d’études et moyens pédagogiques) ainsi que différentes échelles de système. Actuellement, une harmonisation des systèmes scolaires cantonaux est visée (concordat HarmoS). Les offres de l’école obligatoire sont pour la plupart publiques ; seuls 5 % des enfants fréquentent des écoles privées. L’accès à l’école enfantine, le passage à l’école primaire, puis au degré secondaire I réparti selon des groupes de per-formance varient d’un canton à l’autre (suivant l’âge, le niveau de développement, la maturité scolaire, la performance, le comportement, la participation parentale, etc.). Au sein de chaque cycle, les élèves ont la possibilité de sauter ou de répéter des classes. À l’école obligatoire, le taux de répétition atteint 2,4 %. Les garçons et les élèves étranger·ère·s sont plus particulière-ment touché·é·s. L’efficacité du redoubleparticulière-ment est jugée de manière critique. Quant à l’aban-don scolaire, il ne survient que rarement.

Alors que les cantons assument désormais à la place de l’assurance-invalidité la responsa-bilité de l’enseignement spécialisé des enfants et des jeunes handicapé·e·s, ils sont aussi res-ponsables de la pédagogie spécialisée pour les enfants et les jeunes aux besoins éducatifs par-ticuliers. L’offre inclut, entre autres, la forma-tion précoce spécialisée, la logopédie, la théra-pie psychomotrice, les mesures pédagogiques spéciales et le suivi dans les structures d’ac-cueil de jour. L’encouragement dans les écoles spécialisées et dans les petites classes ou les classes spécialisées est progressivement rem-placé par le soutien intégratif dans les classes régulières, qui comprend également la promo-tion des talents.

L’une des particularités de l’école obliga-toire suisse est la diversité intercantonale et parfois intracantonale des modèles de

struc-tures ainsi que les différences de hiérarchisa-tion du degré secondaire I selon les niveaux de performance ou les profils des exigences.

Outre le modèle séparé (deux à quatre types d’écoles hiérarchiquement distincts avec diffé-rents plans d’études), il existe le modèle coo-pératif (deux types de classes de référence avec des cours de niveaux basés sur la performance) ainsi que le modèle intégré (classes de réfé-rence non sélectionnées avec cours de niveaux basés sur la performance). La part d’élèves fré-quentant des écoles ou des classes de référence avec profil d’exigence bas (« exigences élémen-taires ») varie d’ailleurs entre 5 % et 40 % selon les cantons.

La hiérarchisation du degré secondaire I, majoritairement motivée par l’organisation de l’école et de l’enseignement, pose problème.

D’une part, il en résulte un rationnement ren-forcé de l’éducation dans les cantons qui pré-sentent une part réduite de profils à exigences étendues. D’autre part, les écoles qui appliquent des « exigences élémentaires » entraînent la ségrégation sociale des élèves, provo quant une baisse des performances, ainsi que des inégali-tés d’apprentissage pour les enfants issu·e·s de familles défavorisées du point de vue socioéco-nomique, celles et ceux issu·e·s de la migration ainsi que pour les garçons.

Le degré secondaire II comprend la for-mation professionnelle, les écoles de culture générale et les écoles de maturité gymnasiale (gymnase, école cantonale, etc.). En Suisse, deux tiers des jeunes effectuent une forma-tion élémentaire professionnelle après l’école obligatoire. Le taux d’abandon d’apprentis-sage varie entre 10 % et 30 % selon le métier.

Les abandons d’apprentissage à un stade plus avancé (à compter de la troisième année) sont rares, par contre le risque de rester sans for-mation est alors très élevé. Cette forfor-mation en général duale, organisée à la fois dans les écoles professionnelles et les entreprises de formation, est très appréciée pour sa proximité avec le marché du travail. La formation

élé-mentaire professionnelle mène très souvent à des choix de formation professionnelle inégaux entre filles et garçons (ségrégation des sexes).

La part des formations professionnelles varie fortement d’un canton à l’autre. Alors que dans les cantons de Thurgovie et de Saint-Gall, plus de 80 % des élèves suivent une for-mation professionnelle, ils ne sont que 40 % dans le canton de Genève. Dans les cantons où la part de formations professionnelles est infé-rieure, l’enseignement gymnasial et en école de culture générale est à proportion plus répandu.

L’équilibre raisonnable entre formation profes-sionnelle et formation générale est un sujet de controverse en Suisse.

L’un des points forts de la formation profes-sionnelle élémentaire est sa capacité à intégrer également les jeunes en difficulté. Par contre, les diplômé·e·s des classes d’écoles avec « exi-gences élémentaires » se voient souvent refu-ser le passage au gymnase, à l’école de culture générale avec maturité spécialisée et aux for-mations élémentaires professionnelles exi-geant des performances supérieures. Dans le système de formation professionnelle, ils et elles ont essentiellement le choix entre la for-mation élémentaire professionnelle de deux ans avec attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) et l’apprentissage dual avec un niveau d’exigence modeste. La régula-tion du marché relative à l’accès à la formarégula-tion recèle en outre un potentiel de discrimination parmi les employeur·euse·s, qui toucherait en particulier les jeunes étranger·ére·s. Les jeunes qui n’ont pas d’accès direct à l’école secondaire ni à la formation professionnelle disposent de solutions intermédiaires (offres de passerelle).

Les apprenti·e·s ayant choisi un métier qui requiert trois ou quatre années de formation ont la possibilité d’obtenir la maturité profes-sionnelle à la suite de la formation initiale, qui leur permettra d’entrer dans une haute école spécialisée.

Le degré tertiaire se compose des hautes écoles universitaires, des hautes écoles

spécia-lisées, des hautes écoles pédagogiques, ainsi que de la formation professionnelle supérieure.

Cette dernière inclut la formation dans les écoles supérieures ainsi que différents exa-mens professionnels et techniques supérieurs.

Les hautes écoles qui décernent des titres aca-démiques (surtout des bachelors et masters) requièrent une qualification spécifique d’accès aux études supérieures (maturité gymnasiale, maturité spécialisée, maturité professionnelle).

Dans le contexte du développement des hautes écoles spécialisées, le système d’enseignement supérieur s’est diversifié relativement tard au cours des vingt dernières années en compa-raison internationale. Les hautes écoles s’im-posent de plus en plus dans la formation conti-nue avec des cours qui ne requièrent aucune qualification d’accès aux études supérieures (p. ex. Certificate of Advanced Studies). L’offre de formation continue inclut notamment les uni-versités du troisième âge, qui permettent aux personnes âgées de se former tout au long de leur vie et de participer activement à la société.

Christian Imdorf

Références

Office fédéral de la statistique (Éd.) (s.d.). Éducation et sciences. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/

home/statistiques/education-science.html Schweizerische Akademie der Geistes- und

Sozi-alwissenschaften (Hrsg.) (2016). Dossier : Das Versprechen der Bildung / La promesse de la formation. Bulletin SAGW, 16(4), 31-61.

Wolter, S. C., Cattaneo, M. A., Denzler, S., Diem, A., Hof, S., Meier, R. & Oggenfuss, C. (2018). L’éduca-tion en Suisse : rapport 2018. Aarau : Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation.

Dans le document Naturalisation (Page 192-196)