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2.2.3.3 Le droit français face au « droit coutumier » !

Les espaces littoraux et leurs représentations

Section 4 : Domanialité Article 43

I. 2.2.3.3 Le droit français face au « droit coutumier » !

Sans entrer dans l’organisation et la gestion territoriale des communautés kanak présentes en nombre dans cette Province Nord, que nous développerons plus tard, il semble indispensable de comprendre les deux logiques se faisant face ici. D’un côté nous avons le droit français qui agit en tant que force de loi et qui régit l’institution et d’un autre côté, nous avons la coutume (cf. glos.) qui est ce « droit » régissant les communautés mélanésiennes.

En Province Nord, il n’existe pas de définition se rapprochant de la notion de littoral dans les langues. Ce terme extérieur au monde mélanésien n’a d’ailleurs pas été intégré dans ces langues33, comme cela a été le cas pour d’autres mots (ex. bonjour, passoire…). Il y a surtout une interface entre deux entités distinctes la terre et la mer (les clans de la mer et les clans de la terre), qui toutefois dans les logiques d’organisation, de gestion, d’implantation et d’occupation de l’espace par les clans, intègre tout à fait les notions « d’influence réciproque » (Pennanguer, S., 2005, p.40). Les logiques de gestion en mer par les clans de la mer, suivent les mêmes logiques d’organisation spatiale de ces mêmes clans sur la terre (Bodmer, D., 2000). Leur exploitation et implantation en mer (en tenant compte des petites îles et îlots) comme sur terre, donnent une délimitation qui finalement se rapproche d’une caractérisation du littoral en tant que sociosystème. « Le sociosystème prend en compte les utilisateurs de l’espace côtier, à travers leurs actions qui modifient directement les biotopes littoraux » (Dumas, P., 2004, p. 69).

« Du point de vue anthropologique, la coutume est un corps d’usages qui différent d’une société à une autre. En Océanie, elle est l’expression d’un ensemble de paramètres qui se fondent principalement sur le foncier et les généalogies» (De Deckker, P. ; Kuntz, L., 1998, p. 87). La mer en tant que prolongement de la terre suit les mêmes logiques que celle-ci, toutes deux s’inscrivant dès lors dans ce que nous appréhendons par le terme « foncier » (cf. carte n° 5). Le littoral, à cheval entre ces deux notions répond tout à fait à l’expression du mot foncier. C’est dans cette même dialectique que J-B. Herrenschmidt a parlé de territoire (foncier) et du droit en disant : « si le territoire est une production sociale, dans l’esprit mélanésien, le territoire précède les droits qui s’y appliquent et l’usage qui en est fait, et les aspects juridiques et économiques ne sont construits par les sociétés locales que pour protéger ce qui fait l’essence du territoire» (Herrenschmidt, J-B., 2004, p. 14). Il n’y a donc pas d’équivoque possible, la notion de littoral

33 Le mot littoral bien qu’utilisé aujourd’hui en langue française par certain Kanak et Océaniens, se retrouve particulièrement dans certaines paroles de chanson (chanteur Edou connu en Nouvelle-Calédonie par exemple). Nous ne le trouvons pas dans les discussions des clans, pour les coutumes…Dans nos observations et entretiens de terrains, les expressions qui reviennent particulièrement sont : « le bord de mer », « les gens du bord de

mer », « les gens des îles », « les Kanak de la mer et ceux de la chaîne (de la montagne) », « aller à la mer (sur

bien qu’inexistante chez les Kanak, répond aux mêmes exigences que le bien patrimonial foncier, au regard de la coutume et s’inscrit donc dans le territoire coutumier (cf. glos.). M-H. Teulières-Preston oppose le « droit de la mer kanak » au « droit de la mer français » lorsqu’elle déclare:

« Ce que nous avons choisi d’appeler droit de la mer kanak, c’est le mode d’appropriation et de gestion du milieu maritime qui était appliqué en Nouvelle-Calédonie lors de la prise de possession française en 1854 et qui, s’il existe toujours, est aujourd’hui occulté par le droit de la mer français. Il s’agit donc ici de règles (orales) de tenure marine et de gestion des ressources qui codifient l’accès au littoral (platier, lagon, haute mer) et son exploitation » (Orso, P. ; et al., 1999, p. 220).

En effet, les deux systèmes de gestion s’interpénètrent, mais en dernier ressort, c’est le droit français qui prime. C’est d’ailleurs sur cette opposition que deux anthropologues ont dit :

« La coutume est fréquemment constitutionnalisée (Vanuatu, Samoa) ; en Nouvelle-Calédonie, l’organisation judiciaire a été modifiée de manière à assurer une meilleure prise en compte de la coutume. La constitutionnalisation pose un problème classique, mais auquel le juriste français, très soucieux de la hiérarchie des normes, prêtera une attention particulière : celui des rapports entre la loi et cette coutume (…). La loi nationale doit être en parfaite harmonie avec la coutume, mais cette dernière doit s’incliner en cas de divergences par rapport aux droits fondamentaux»

(De Deckker, P. ; Kuntz, L., 1998, p. 10).

Que dire alors, si finalement, la législation française avait complètement intégré la coutume dans certains textes de lois faisant ainsi force de loi ? Le document suivant (et l’Art. 44, fig. n° 7) extrait de la loi organique n° 99-209, intègre ainsi la coutume dans son titre 1er art. 18.

Article 18

Sont régis par la coutume les terres coutumières et les biens qui y sont situés appartenant aux personnes ayant le statut civil coutumier. Les terres coutumières sont constituées des réserves, des terres attribuées aux groupements de droit particulier local et des terres qui ont été ou sont attribuées par les collectivités territoriales ou les établissements publics fonciers, pour répondre aux demandes exprimées au titre du lien à la terre. Elles incluent les immeubles domaniaux cédés aux propriétaires coutumiers. Les terres coutumières sont inaliénables, incessibles, incommutables et insaisissables.

Figure n° 9 : Article de la loi organique sur les aspects coutumiers

Source : Loi organique modifiée n°99-209, 19 mars 1999, relative à la Nouvelle-Calédonie

Le droit parle de terres coutumières et du lien à la terre. Or, comme nous l’avions dit précédemment, ces terres coutumières ont un prolongement logique dans la mer et toutes deux répondent aux mêmes exigences au regard de la coutume. C’est donc que le littoral, à ce titre, répond aux règles coutumières lorsqu’il est situé dans une réserve ou tribu ! De même la Loi du pays n° 2001-017 (Annexe 3) dit à propos de l’accès des piétons aux rivages : « l’accès (…) est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale, de protection de

84 dispositions particulières » (Art. 3, Loi du pays n° 2001-017, 11 janvier 2002). Il s’agit ainsi d’une pleine reconnaissance des terres et des usages coutumiers par le droit français pour les littoraux. Comment cela se traduit-il finalement ? Existe-il une gestion coutumière des littoraux reconnue par le droit, à côté d’une gestion institutionnelle, provinciale travaillant en pleine concertation ? Ou bien finalement à l’instar de M-H. Teulières-Preston, demeure-il une primauté du « droit de la mer français » sur le « droit de la mer kanak » ?

Force est de reconnaître qu’il n’existe pas à proprement parler de définition juridique du littoral. En effet, seule une partie du littoral physique, est reconnue dans la gestion des territoires par l’institution, il s’agit du Domaine Maritime qui peut être privé ou public. Mais nous pouvons dire au regard des travaux provinciaux, qu’il s’agit pour l’institution de « la bande littorale provinciale » reconnue et gérée comme telle.

Retenons pour conclure que dans le cadre institutionnel, le littoral est réglementé. Nous aurions pu, dans ce cas, évaluer ce que nous nommons « littoral » dans sa partie terrestre, par la zone des pas géométriques (81,20 m depuis le rivage). Toutefois en sachant que cette zone elle-même fluctue, car le trait de côte n’est pas une ligne stable et que la réalité des communautés sur l’espace est tout autre, nous nous voyons difficilement mettre des limites « rigides » sur des espaces plus souples. Effectivement, les hommes qui vivent et qui gèrent au quotidien ces espaces littoraux ne s’arrêtent guère sur ces aspects juridiques, ils vivent sur leur espace (par la coutume notamment pour les communautés mélanésiennes), la ressentent, la charge de sens, d’aspects mythiques (pour le premier groupe)…

Conclusion

L’importance de présenter ou de se représenter des limites est indissociable de l’univers calédonien, tant chez les Kanak, que chez les Caldoches (moins chez les Occidentaux). Dans les perceptions, les sentiments d’appartenance liés à un ou des espaces précis, permettent de définir des territoires à l’intérieur de l’espace calédonien et provincial (selon une autre échelle). Ces perceptions évoluent selon des dynamiques externes et internes, dont nous devons appréhender les effets. Chercher à définir le littoral et ses limites permet à terme de comprendre les logiques plurielles sur l’espace, auxquelles il est bien de tenir compte, afin de réfléchir à une gestion efficace et sur le long terme. Que retenir alors pour les littoraux ?

Certaines réglementations extérieures, dont les échelles sont mondiales, européennes et française (Métropole) touchent parfois les territoires littoraux de la présente étude. Elles s’envisagent tant dans l’Inscription du récif au Patrimoine Mondiale de l’UNESCO, que dans les aides accordées au titre de l’UE, ou dans la gestion des 17 communes, toutes de la

République (cf. chap.5). Il existe a priori de véritables décalages entre les cadres des territoires littoraux, dans la vision et gestion institutionnelle et provinciale, et celle qui touche au quotidien des communautés. Celles-ci les envisagent tantôt de façon idéelle et tantôt de manière matérielle, voire totalement imbriquée. Rappelons également que la nature même des littoraux est dynamique, en constant changement et cela à diverses échelles macro, micro, géographique, géologique dont le tout est soumis à une certaine temporalité.

La prise en compte récente par le droit français de la coutume kanak permettra-t-elle à terme de régler les problèmes fonciers et les conflits d’usages réels et/ou sous jacents aux littoraux, dans un contexte provincial différent ? La question reste posée pour l’avenir des littoraux ! Le postulat étant posé, l’interrogation essentielle qui reste en suspens est celle-ci : comment donc poser les bases d’une gestion adéquate des littoraux, intégrant toutes les composantes de la société calédonienne, pour un développement positif, harmonieux et à long terme, en Province Nord, si les territoires ne répondent pas à des limites et à des logiques identiques, pour l’institution et la multiplicité d’acteurs (dont nos trois groupes) ?

À la question de départ, « qui es-tu ? » posée au littoral, nous retiendrons simplement que cet espace géographique est une zone d’interface entre terre-mer-ciel, où vivent une faune, une flore et des populations singulières. La difficulté réside surtout dans la seconde partie de la question, « où es-tu ? », autrement dit quelles sont ses limites ? Nous l’avons vu, elles sont variables selon les acteurs. Quoiqu’il en soit au travers des idées développées par les uns et les autres, nous sommes passés du « trait de côte » à une « bande côtière », puis les orientations juridiques nous ont même présenté « une zone littorale », pour peut être enfin envisager « une bande côtière multidimensionnelle », comme l’indique S. Pennanguer (Pennanguer, S., 2005, p. 39).

Le chapitre suivant se propose de présenter cette « entité géographique » sur laquelle chaque acteur se retrouve, selon quelques conceptions, en superposant l’ensemble des limites touchant le littoral en Province Nord (développé dans ce chapitre 1) et les diverses autres représentations associées (que nous envisagerons au chapitre 2). Le cadre territorial ainsi délimité sera d’autant mieux apprécié par tous les acteurs du littoral, qu’ils se reconnaissent dans ces limites. Ils pourront ainsi davantage participer ou considérer une gestion de la part des institutions, s’ils se sentent acteurs à part entière de ces territoires, même s’ils le sont uniquement d’un point de vue idéel parfois. Voyons comment.

II- Chapitre 2. Représenter le littoral : entre