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Chapitre 2. Représenter le littoral : entre penser et voir

Les espaces littoraux et leurs représentations

Section 4 : Domanialité Article 43

II- Chapitre 2. Représenter le littoral : entre penser et voir

« Il y a des gens collés à leurs sous et à leurs objets géométriquement présentables, mais il y en a d’autres qui ont leur ordre, à leur manière… » (Senes, 1977, p.154)

Ces propos éclairant la divergence de perception entre les Kanak et les « Blancs » en 1977, montrent que dans la relation à l’espace géographique, chaque groupe utilise des systèmes de valeur qui leur sont propres. De ce point de vue, nous avons voulu illustrer par des représentations, les images mentales que chacun se fait de tel ou tel espace considéré, voire de tel ou tel mot utilisé en rapport à l’espace.

Pour les Métropolitains, les représentations de leur territoire « gravitent autour des critères d’harmonie et de beauté des paysages, d’équilibre et de mesure des éléments, du climat en particulier, de complémentarité des régions et des hommes, du caractère naturel des frontières… » (Di Méo, G. ; Buléon, P. ; et al. 2005, p.109) La question se pose de savoir si sorti du contexte de l’hexagone, ils transposent cette réalité en Nouvelle-Calédonie. Une réponse affirmative, quoique contrastée, montre l’importance de l’harmonie, de la beauté des paysages et de l’équilibre dans la nature. Cela peut avoir une incidence quant à la gestion de leurs espaces. Ce nouveau rapport vient supplanter un plus ancien qui légitimait l’exclusion de la nature au profit de la connaissance scientifique impliquant obligatoirement la puissance technologique (Di Méo, G. ; Buléon, P. ; et al. 2005). Il en découle des rapports de domination des sociétés occidentales sur les sociétés dites « traditionnelles », fonctionnant davantage en relation avec la nature et de manière collective. Cela a particulièrement marqué les paysages calédoniens en délimitant des espaces aux logiques divergentes (tribu, terroirs avec d’autres systèmes agraires, exploitation minière à ciel ouvert sans préoccupation environnementale…).

Cet enracinement psychologique profond des représentations mentales se confond avec la formation très précoce des schèmes de perception et de comportement (Di Méo, G. ; Buléon, P. ; et al. 2005). En nous intéressant aux perceptions des touristes, des acteurs politiques et des ONG, nous comprenons également certaines logiques de développement ou d’orientation environnementale qui apparaissent parfois déconnectées de la réalité sociale attendue par les autres groupes de cette province. A contrario, ces populations ont quasiment toujours vécu avec l’exploitation des mines, ainsi que d’autres types de gestion faisant peu de cas de l’environnement (décharge dans la mangrove…). Du coup, certaines réalités quotidiennes ne choquent guère. Par

88 contre un regard extérieur permet de prendre conscience de cela et notamment chez les plus jeunes en milieu scolaire et les jeunes adultes.

Les institutions ont notamment un rôle important quant à ces représentations et à leur stabilité dans la société. Les images que nous nous faisons et/ou que nous véhiculons proviennent ou sont amenées par les appareils institutionnels que sont l’école, les médias, les politiques (Di Méo, G. ; Buléon, P. ; et al. 2005). Aujourd’hui la télévision et Internet ne cessent de véhiculer des visions alarmistes du climat (montée des eaux…). Les publicités incitent aux actions citoyennes des entreprises et des populations. De même, les politiques mettent l’accent sur un développement plus raisonné des ressources en pointant du doigt le gaspillage. Ces influences touchent beaucoup de monde même dans des lieux reculés de la Province, comme les tribus excentrées de la Chaîne Centrale, les îles au nord, ainsi que certaines zones de la Côte Est. Ces représentations sensibilisent désormais une part de plus en plus importante de la population. La part des moins de 18 ans et jusqu’à 30 ans, se mobilise souvent par le biais de l’école ou d’autres par la télévision. De plus, un nombre de plus en plus conséquent est peu à peu sensibilisé par les discussions sur des thèmes concernant l’environnement et également par les ONG et autres associations. Comment appréhender ces représentations sur les territoires littoraux ? Nous les aborderons à présent, en proposant a posteriori une délimitation du littoral provincial sur lequel nous envisagerons la gestion plus loin.

II.1 Du rêve à la réalité

Certains rêvent le littoral, d’autres le vivent, mais tous deux participent à sa construction !

II.1.1 Du rêve…

II.1.1.1 « S, S, S »

La mode lancée, sans doute depuis la généralisation des premiers congés payés, celle du soleil, du ciel bleu et du sable blanc a fait du littoral un espace prioritaire. « Le soleil est ainsi à 90% la raison principale du choix de destinations insulaires» (Somarriba, J-L., 1989, In., Dumas, P., 2004, p. 33). De plus, la représentation que beaucoup se font de l’île est analogue, puisqu’elle est vue comme une sorte de paradis à « l’intérieur d’un cocon » littoral, lui-même affiché avec de grandes étendues de sable blanc, contrastant avec les eaux turquoise de la mer, le tout baigné de soleil. « C’est la qualité du cadre naturel insulaire qui prime dans le choix du touriste. Ce sont les fameux trois « s » (Sun, Sea, Sand) : l’attrait du soleil, de la mer et du sable qu’il recherche. Viennent ensuite la mer naturellement chaude et la belle plage pour compléter le triptyque tant recherché» (Dumas, P., 2004, p. 33). Dans les tropiques, le cocotier trouve bien évidemment sa place dans cet idéal. S’évader vers ces lieux rêvés n’a fait qu’exacerber cette

attraction pour les paysages littoraux. Ceux-ci offrent, bien évidemment, tout une pléthore d’espaces pour alimenter ces mêmes utopies (Planche A, photos n° 5-9, cf. Annexe 6) ! Cette vision est surtout véhiculée par des personnes extérieures à la Nouvelle-Calédonie (le propos doit être nuancé), les Occidentaux (les touristes pour une grande part) en Province Nord.

Planche A. Les littoraux tropicaux, ces lieux rêvés !

Photo n° 5 : Plage de sable blanc et eau claire près du village de Poum

Cliché Bodmer, D., 26/08/2004

Dans cette commune excentrée de la Province se dessinent de nombreuses plages de sable blanc aux eaux très claires qui ne laissent pas indifférent le voyageur. De plus pour les habitués, ce sont des eaux poissonneuses.

Planche A. Photo n° 6 : Îlot Contrariété à l’ouest de Poya, sable blanc et eau limpide Photo n° 7 : Bateau de loisir et de pêche dans les eaux claires du lagon ouest

Clichés Bodmer, D., 01/11/2009

Photo n° 6 : Parmi ces nombreux îlots qui jalonnent les lagons de la Province Nord, cet îlot dont le nom semble détaché de la réalité, offre un décor radieux. L’accumulation sableuse se fait à l’arrière de l’îlot (que nous voyons ici), tandis que l’autre façade est plus exposée au vent et à la houle du large, faisant apparaître des grès de plage ou beach-rocks. Tout autour, les eaux regorgent de poissons de toutes sortes. La végétation arbustive de cette caye semble bien préservée, permettant aux promeneurs de s’abriter du soleil si lumineux dans ces reflets sur le sable. Les nombreux serpents également aiment à s’y reposer avant de reprendre la mer !

Photo n° 7 : Vous voulez vous détendre, vous baigner, faire des randonnées sous-marines, de la plongée au harpon (ou fusil sous-marin), pêcher à la ligne ou au filet, tout cela est possible en une journée de loisir, agrémentée de quelques poissons frais, tout juste pêchés, au déjeuner. Les eaux claires autorisent même au plongeur de choisir son poisson (certaines prises sont mieux appréciées). La législation en Nouvelle-Calédonie moins contraignante qu’en métropole, permet à tous de pouvoir se rendre en mer avec un bateau de plaisance, car il n’y a pas besoin de permis de bateau, ni de pêche. Par contre, certains équipements sont obligatoires et les prises sont réglementées.

90 En plus de présenter des paysages ensoleillés, aux eaux claires et au sable blanc, les espaces « sont vides d’hommes». Ils permettent aux songes de facilement prendre corps.

Planche A. Photo n° 8 : Îlot au Nord-est du village minier de Poro à Houaïlou

Cliché, Gavaldon, D., 08/03/2009

Cet îlot proche du rivage est très fréquenté par les populations riveraines n’ayant pas de bateau pour aller loin vers la haute mer ou les autres îlots plus loin. Venir sur cet îlot depuis la côte en canoë ou kayak ou petit bateau à moteur, pour y passer la journée est un des moments appréciés. La proximité des récifs et les nombreuses « patates » (cf. glos.) donnent des fonds diversifiés d’une rare beauté.

Planche A. Photo n° 9 : Baie bordée de cocotiers, Côte Est à Kokingone Touho

Cliché anonyme, 19/06/2003

Cette petite baie à l’embouchure de la rivière Kokingone (à droite de la photo) offre en arrière-plan un des nombreux paysages luxuriants de la Côte Est. Sur les versants (arrière-plan) le long des talwegs (en vert foncé), nous retrouvons une forêt primaire et sur le haut des pentes et les crêtes (en vert plus clair) nous avons une savane à niaouli (cf. glos.). Sur la petite plaine littorale, nous retrouvons de nombreux cocotiers, dont l’image est valorisée par le touriste, et dont l’arbre et le fruit sont valorisés socialement et culturellement par les Kanak.

C’est à présent ce que « le rêveur » ou le touriste recherche : «…que l’endroit ne soit pas noir de monde pour avoir toute la plage à soi et respirer la paix du lieu » (entretien en Province Nord,

2002 à 2009). De toute façon « la plus belle plage est encore celle que vous découvrirez! » (Auzias, D. ; Labourdette, J-P. ; et al., 2010) Que dire aussi de la vision des « gens de la ville » ?