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Le cadre juridique européen et français pour les littoraux

Les espaces littoraux et leurs représentations

I.2. Caractérisation du littoral

I.2.2. Le littoral « d’institution »

I.2.2.2. Le cadre juridique européen et français pour les littoraux

Abordons à présent, les aspects juridiques de l’Union Européenne et de la France et relevons si leur définition du littoral est en mesure d’intéresser les territoires sur lesquels nous travaillons. Nous l’avons vu, la notion d’interface revient souvent dans les définitions et ici pareillement il existe une réelle « interface juridique entre un régime de droit terrestre et un régime de droit maritime ». Le littoral est en effet « défini soit dans l’un, soit dans l’autre, mais rarement de façon intégrée» (Pennanguer, S., 2005, p. 37). B. Bousquet également disait que «l'œkoumène n’a pas estimé devoir s'attacher à la propriété de zone que la nature affecte au littoral. Il a transformé le trait de côte en une limite cadastrale qui sépare le bien privé, côté terre, du domaine public, côté mer » (Bousquet, B., 1990). Comment cela se vérifie dans les textes de lois ?

I.2.2.2.1. Le cadre juridique européen

Le programme de démonstration de la Commission européenne sur l’aménagement intégré des zones côtières, réalisé entre 1997 et 1999, donne plusieurs exemples de définitions juridiques du littoral selon les Etats de l’union. En voici deux exemples :

En Grèce, une loi de 1940 le définit « comme une bande de terrain baignée par des fortes marées hivernales. » Le rivage étant « la bande de terrain contiguë située dans les 50 mètres de la limite côté terrestre de l’avant-plage et sur laquelle la construction est interdite » (Commission européenne, 1999a, In. Pennanguer, S., p. 38).

Au Royaume-Uni, « le statut distinct de l’avant-plage intertidale est une survivance du droit coutumier et plus précisément des droits de propriété traditionnels de la Couronne. La limite de l’avant-plage tracée par la marée basse constitue la limite «côté mer» du domaine de contrôle de l’aménagement » (Commission européenne, 1999a, In. Pennanguer, S., p. 38).

Notons ici la disparité dans les deux définitions des limites de la zone côtière sur lesquelles peuvent s’appliquer les politiques de gestion et d’aménagement de l’Union Européenne (UE). Pourtant, ces politiques communes entre les États membres tendent normalement à effacer les spécificités comme autant de barrières à la mise en place d’une gestion unique et efficace !

Remarquons également cette récurrence dans les textes, à séparer, d’une part la partie terrestre du littoral et d’autre part la partie maritime. Toutefois, la commission européenne reconnaît dans son programme, les notions de réciprocité et d’influence entre la mer et la terre. Elle exprime dans le cadre de ses démarches qu’«il est sans doute souhaitable d’établir une définition couvrant toutes les zones dans lesquelles la terre et la mer exercent une influence réciproque» (Commission européenne, 1999a). Pour S. Pennanguer cette notion « d’influence réciproque exprime bien l’idée d’interface et fait de l’axe terre/haute mer l’axe fort de la zone côtière. C’est sur lui que se construit la spécificité de chaque tronçon de la zone côtière » (Pennanguer, S., 2005, p. 39).

Compte tenu de la multiplicité de définitions au travers des textes européens, comment choisir des limites qui soient les plus efficaces pour la mise en place de politiques communes en faveur d’une gestion intégrée de la zone côtière, ce vers quoi tend l’UE? Cette difficulté a bien été illustrée dans le cas de la directive cadre européenne sur « l’eau » (DCE, 2000/60/CE du 23 octobre 2000) pour les eaux communautaires, entre les eaux de transition et les eaux côtières, bien détaillée par S. Pennanguer (Pennanguer, S., 2005, p. 41). Citons simplement que cette directive intègre dans sa délimitation de gestion des eaux côtières « les bassins hydrographiques de chaque territoire national regroupés en districts hydrographiques ». Ainsi, la délimitation pour les eaux côtières prend en compte les bassins versants concernés, à proximité des côtes. L’exemple de la multitude de textes des États Européens pourtant associés dans une politique commune montre toute la difficulté de s’entendre sur la caractérisation du littoral et de ses limites. Il en est de même en Nouvelle-Calédonie, entre la Province Nord et la Province Sud. À cela s’ajoute le fait que certains projets de développement sont justement financés par ces programmes européens. Quelle position adoptent-ils lorsque ces projets s’appliquent aux littoraux ? La question reste ouverte…

I.1.2.2.2. Le cadre juridique et environnemental français

Le cas français mérite que nous nous y attardions pour deux raisons :

- La première est que la Nouvelle-Calédonie fait partie de ces espaces outremer rattachés à la France métropolitaine quoique bénéficiant d’un statut particulier avec les Accords de Matignon-Oudinot et l’Accord de Nouméa.

- La seconde tient au fait que la France a complètement intégré dans son organisation politique (Conservatoire du littoral) et dans la législation du pays (Loi Littoral) la notion de littoral. Le cas est assez rare à l’échelle de la planète pour être souligné. L’autre cas est américain avec le « Coastal Zone Management Act » (1972).

Les pressions anthropiques ont eu pour effets de profondes altérations des zones côtières en France. Ces dernières étaient surtout soumises aux pressions de certains groupes désirant

72 public » de la zone littorale23. Les abus en tout genre ont conduit l’État à prendre des mesures visant à conserver les littoraux afin de préserver au maximum les équilibres spécifiques de ces milieux.

Passons sur la loi du 22 juillet 1960 sur les Parcs Nationaux ; l’année 1971, et la création du Ministère de l’Environnement qui a vu le terme « environnement » institutionnalisé ; la loi du 10 juillet 1976 et son décret du 25 novembre 1977 sur la protection de la nature (cadre les réserves naturelles, douze réserves touchent le domaine côtier en France et Outre-mer Guadeloupe et Martinique) ; les décrets du 1er mars 1967 et du 24 octobre 1975 sur les Parcs naturels régionaux (protection sur de plus larges secteurs comme la Corse, la Camargue…) ; mais retenons pour cette dernière que cette forme d’organisation, délimitant des territoires de protection dans le lagon, a été gardée pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, même si elle ne concerne a priori que le Parc territorial du lagon Sud, en dehors du champ que recouvre la présente étude.

Les nombreux confits d’usage et crises des Trente Glorieuses (1946-1975) ont conduit à la loi du 10 juillet 1975 et le Conservatoire du Littoral et des rivages lacustres pouvant agir sur 6933 km de côtes en France et dans les Départements d’Outre-mer (DOM). La responsabilité de cet établissement administratif public est de « mener dans les cantons côtiers et dans les communes riveraines des lacs et des plans d'eau d'une superficie au moins égale à 1000 hectares, une politique foncière de sauvegarde de l'espace littoral, de respect des sites naturels et de l'équilibre écologique». Il restreint ainsi son champ d’action aux cantons et prend en considération les critères socio-économiques pour sa délimitation du littoral « générée par l’encadrement et l’organisation des activités humaines qui sont surtout de nature normative et réglementaire» (Pennanguer, S., 2005, p. 40). C’est par ces critères, propres à chaque usage, que nous pouvons évaluer les notions d’influence et de réciprocité liées à l’idée d’interface comme abordé plus haut.

Les désaccords abondants et les vides juridiques ont décidé l’État à créer la Loi « littoral » le 3 janvier 1986. Elle décide surtout des conditions d’utilisation des espaces littoraux notamment dans l’urbanisme. Elle permet également de régler le cas litigieux dans la zone des cinquante pas géométriques (81,20m) des DOM, en l’incorporant au domaine public. Cette loi rappelle dans son préambule Art. 1 (en référence aux articles L321-1 et L321-2 du Code de l’environnement) que « le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection, et de mise en valeur » (Neboit-Guilhot, R. ; Davy, L., 1996, p. 141). Quelle politique spécifique sur quel territoire? Laquelle est mieux à même de préserver les espaces littoraux tout

23 Confirmé par Doumenge, F. ; Paskoff, R. ; Robert, R. et Trzpit, J-P. lorsqu’ils traitent des plus de 7 000km de littoraux à gérer dans l’ouvrage de Neboit-Guilhot, R. et Davy, L. « Les Français dans leur environnement » en 1996.

en les valorisant ? Dans l’immédiat nous pouvons nous interroger spécialement sur l’expression « entité géographique » qui continue de laisser à la délimitation du littoral cet aspect vague.

La loi prend comme référence les communes littorales « riveraines de la mer et des océans, des étangs salés, des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1000 hectares, des estuaires et des deltas, lorsqu’elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux » (Loi Littoral). C’est également à ces définitions que font référence les articles L146-1 à L146-9 du Code de l’urbanisme dans la section relative au cas particulier du littoral (Pennanguer, S., 2005, p. 38). Ainsi les délimitations du littoral sur l’espace terrestre sont les limites administratives des communes touchant la côte. Cette loi est également applicable dans les DOM, mais pas au Territoire. Or, les communes de Nouvelle-Calédonie ne sont-elles pas directement administrées par la République ? (cf. chap. 5) Qu’est ce qui permet alors de réguler les mesures environnementales, de gérer les questions foncières, les conflits sur les littoraux ? Quels textes de loi peuvent servir à l’institution provinciale permettant d’agir sur un périmètre déterminé pour le littoral ?