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Les espaces littoraux et leurs représentations

Section 4 : Domanialité Article 43

II. 2.2.1 « La terre vue du ciel »

III.1.1 Développement durable, son sens ?

57 D’après les travaux d’Ignacy Sachs. Ce concept sera toutefois abandonné, car il sera perçu comme une critique du libéralisme économique. (Jégou, A., 2007, p. 8).

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III.1.1.1 Un concept « évolutif et plastique »

Avec le Sommet de Rio en 1992, le concept énoncé de développement durable trouvera sa consécration et la notion deviendra populaire. C’est à ce Sommet de la Terre sur l’Environnement et le Développement, qu’on mettra l’accent sur l’équilibre des trois piliers (trois sphères) du développement durable : « la conciliation de l’efficacité économique, du progrès social et de l’équilibre écologique» (Jégou, A., 2007, p. 9). Ainsi le schéma classique suivant sur le développement durable est directement hérité de cette conférence.

Figure n° 13 : Schéma classique des trois piliers du développement durable

Source : Jégou, A., 2007, p. 9

Nous avons toutefois constaté que « les préoccupations du développement durable sont bien antérieures à l’apparition formelle du terme en 1987» (Mancébo, F., 2006, p. 36). En effet le rapport « Our Common Future58 » (notre avenir commun), donnait cette perspective au développement durable : celle de « répondre aux besoins présents sans compromettre la capacité

58 Dans l’ouvrage de F. Mancébo nous pouvons lire ceci : « Il édictait que la croissance doit être subordonnée à

trois principes : le principe de précaution selon lequel il vaut mieux s'abstenir d'agir lorsque les conséquences d'une action sont difficiles à prévoir ; le principe de participation des populations aux décisions qui les affectent; la solidarité entre générations et entre territoires. L'interdépendance entre les sphères économique, sociale et environnementale est également affirmée. Mais ce rapport, rédigé à plusieurs mains, est aussi un document de consensus. Il nourrit des interprétations divergentes, voire antagonistes» (Mancébo, F., 2006, p.

des générations futures à satisfaire les leurs59 » (Martini, C., 2006, p.11). Cette image d’un développement durable est apparue suite à une prise de conscience environnementale60, à laquelle on a couplé des questions qui sont plus d’ordre économique61. Ce sont ces débats précurseurs, par exemple sur le développement économique et la croissance économique62 (qui semblent identiques et qui pourtant diffèrent sur bien des arguments), qu’on a associés à l’écologie. Ces discussions sont survenues sur des terrains propices à quantité de questionnements, notamment et ce depuis longtemps, sur la croissance démographique63 et le caractère fini de la planète. Voici d’ailleurs comment en 1991 l’UICN, le WWF et le PNUE, parlaient du développement durable : « le fait d’améliorer les conditions d’existence des communautés humaines, tout en restant dans les limites de la capacité des écosystèmes» (UICN, PNUE, WWF, 199164).

Mais revenons plutôt à la définition du rapport Brundtland sur le développement durable, et notons également l’idée soulignée ensuite : « Le développement durable est le développement qui satisfait les besoins de la génération actuelle sans priver les générations futures de la possibilité de satisfaire leurs propres besoins. » Ce développement durable « est affaire d’interprétation, de délibération et de jugements portés par les acteurs » (Martini, C., 2006, p. 16). C’est donc, que les interprétations peuvent être multiples ! Consignons toutefois, qu’avec ce rapport faisant le lien entre la pauvreté, la croissance et les pollutions environnementales, on introduira les trois points clefs du développement durable : l’environnement, l’économie et le social.

Cet aspect « social » trouvera pleinement sa place lors de la Conférence de Rio en 1992. C’est en effet à ce Sommet de la Terre ou Conférence des Nations unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED), que la société civile a véritablement été représentée en nombre

59 Rapport issu de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, présidée par le Premier Ministre norvégien, Mme Gro Harlem Brundtland, et publié aux éditions du Fleuve à Montréal en 1988. Ce rapport est d’ailleurs plus connu sous ce nom « le Rapport Brundtland ».

60 C’est dans ces décennies que les mouvements écologiques ont été les plus marquants. Citons par exemple les marches contre l’effet de serre, contre la destruction des forêts et notamment la forêt amazonienne, poumon vert de la Terre, contre les pluies acides…

61 En 1972, le rapport Meadows du Massachusetts Institute of Technologie intitulé The limits of growth (en Français Halte à la croissance) tendait à démontrer le caractère antithétique de la protection de l’environnement et du développement économique. Il est difficile d’envisager d’arrêter volontairement la croissance alors que les besoins vitaux d’une partie de l’humanité ne sont pas satisfaits. Ces travaux fortement critiqués ont toutefois permis de mener de véritables réflexions sur le sens et les modalités du développement (Martini, C., 2006). 62 En 1972 avec la « déclaration de Stockholm » on a décidé de tenir compte des questions écologiques dans les débats internationaux, entre les pays industrialisés et les pays les moins avancés. On s’est mis à dialoguer sur les liens existant entre la croissance économique et la pollution de l’indivis mondial (air, terre, eau) d’une part, et le bien-être des peuples du monde d’autre part. On a développé l’idée d’écodéveloppement (Martini, C., 2006). 63 Le club de Rome, fondé en 1968, avait développé les mêmes arguments que ceux développés par Malthus quelques siècles plus tôt (1798), mais portant sur les dangers d’une croissance économique et démographique exponentielle vis-à-vis de l’épuisement des ressources, de l’accumulation de la pollution et de la surexploitation des ressources naturelles (Martini, C., 2006)

152 d’une part, et au sein des débats d’autre part. Toutefois, même si les deux textes (rapport Brundtland et traité de Maastricht) présentent une différence dans la définition, nous nous refusons « d’arbitrer entre équité intergénérationnelle et territoriale, tout en reconnaissant que le texte "Our Common Future" met plutôt l’accent sur les générations à venir» (Mancébo, F., 2006, p. 22).

La déclaration finale de ce Sommet de Rio énumère 27 principes, pour appliquer ce développement durable et met en place trois65 conventions sur la biodiversité, sur le changement climatique66 et contre la désertification. Cet Agenda 21, ou programme d’action pour le XXIème siècle, est ainsi constitué de 27 principes, déclinés en 2 500 recommandations. Il forme le plan d’action des Nations Unies pour le développement durable au XXIe siècle. Ce sont ces principes, qui induiront par la suite dans leur application sur le terrain, bon nombre d’effet pervers.

Retenons néanmoins, que le « 1er principe met l’homme au cœur des préoccupations » du développement durable et qu’il porte un intérêt certain à quelques groupes, qui ont un rôle à jouer, selon les principes 20 à 23, c’est-à-dire « les femmes, les jeunes, les communautés locales, les minorités. » Le fait de les énumérer montre dorénavant l’importance de tenir compte de ces populations, souvent délaissées dans certaines sociétés et qui ont pourtant une responsabilité, si nous voulons que le développement soit durable pour tous. Les principes 2 à 4 montrent la responsabilité pour chaque État de développer ses ressources propres, sans nuire à autrui et particulièrement en veillant au respect des générations présentes et futures, tout en introduisant complètement la protection de l’environnement au sein du développement du pays. Pour ce faire tous les pays, certes avec des moyens différents, devraient lutter contre la pauvreté, garantissant ainsi les équilibres en vue d’un développement durable (selon les principes 5 à 7). Le 10ème principe insiste sur le fait que « le public devrait avoir une implication dans les décisions » et même celles « dans le cadre des mesures législatives » (11ème principe) et c’est en cela qu’il nous intéresse.

Dix ans plus tard, en 2002, au Sommet de la Terre à Johannesburg, le concept s’élargit. On étend alors la notion de « ressource » à ressource culturelle. On insiste ainsi sur la dimension sociale, avec en quelque sorte « l’interculturalité comme 4ème pilier du développement durable ». Sur cette acception large, qualifiée de « concept glouton » par S. Brunel, viendront se greffer les idées d’« équité territoriale, pilier social, solidarité, coopération internationale, gouvernance participative » et la « question éthique » (Jégou, A., 2007, p. 11). Cette acception du développement durable, donne « une vision utilitariste de la nature », qui n’a comme seule

65 Dans certains ouvrages on énumère quatre conventions, avec les principes cadres sur la protection des forêts. (Martini, C., 2006, p. 17).

raison d’être de servir l’homme, ce qui « privilégie le sort de l’humanité sur celui de la planète» (Jégou, A., 2007, p. 10).

Ces dernières années une ultime orientation de la notion correspond davantage à une « obsession de la lutte contre le changement climatique », qui tend d’ailleurs à « assimiler le développement durable à celui-ci» (Jégou, A., 2007, p. 11). Cette « acception rétrécie », guidée par la mode du moment relève d’une forte volonté politique et donne la part belle aux « entreprises responsables » et aux « gestes éco-citoyens » (Jégou, A., 2007, p. 11). La figure suivante (fig. n° 16) indique d’ailleurs l’évolution de ce concept dans le temps, ainsi que ses différentes orientations, d’où l’idée d’« un concept évolutif et plastique » (Jégou, A., 2007, p. 11), ou encore malléable et fuyante (Mancébo, 2006).

En Province Nord, est-ce cette dernière acception qui prévaut ? Il semblerait que cette obsession du changement climatique au niveau global, le soit moins au niveau local. Toutefois les idées de responsabilité des entreprises et de gestes éco-citoyens, commencent à pénétrer les programmes politiques, les revendications de certains groupes, notamment par le biais des grandes associations en Nouvelle-Calédonie, comme le WWF…

Plus localement, en Province Nord (fig. n°14), c’est davantage l’acception large qui revient dans la plupart des discours et de nos entretiens, même si la remise en cause de la responsabilité de certaines entreprises est présente, quant à la prise en compte de l’environnement tendant à se noyer dans leur volonté première de faire du profit. Notons ce qu’un homme d’une soixantaine d’années vivant à Houaïlou a dit : « Depuis que je vis ici, j’ai vu les problèmes de pollution dégrader la baie. Mais vous croyez qu’ils s’occupent réellement de l’environnement ? Y a que l’argent qui les intéresse, le fait de remplir leur bateau de minerais. Les bassins de décantation parlons-en, ils ne les récurent même pas C’est à peine s’ils font quelque chose ! Ils distribuent un peu de billets comme ça, c’est juste pour endormir les Kanak, mais ce qu’ils donnent ce n’est pas grand-chose comparé à ce qu’ils gagnent à chaque bateau» (entretien en Province Nord, 2002 à 2009).

Ce sont surtout des idées comme « l’équité territoriale », notamment lorsque les discours politiques parlent du « rééquilibrage » (Accords de Matignon-Oudinot), ou encore « le pilier social » et « l’interculturalité » en liaison par exemple avec le « destin commun », la « communauté de destin » (Préambule et Accord de Nouméa) entre les populations du Territoire, qui font l’unanimité des débats actuels tant au niveau politique, qu’économique ou social (développé au chapitre suivant).

154 Figure n° 14 : Un concept évolutif et plastique, dans le temps et dans ses acceptions

III.1.1.2 Les soucis d’application du concept

Avec les Etats qui appliquaient de façon intransigeante le développement durable, nous nous sommes rendus compte du danger pour les sociétés dont les pratiques traditionnelles touchaient, en réalité, aux obligations du développement durable.

Les pays en développement ont mis en avant les thématiques des inégalités spatiales et de la pauvreté, afin de légitimer leurs écarts futurs au nom des contraintes économiques. C’est ainsi qu’ils ont demandé des aides au nom de l’équité des chances.

De plus, de multiples exemples ont démontré que ce concept tend à devenir l’instrument de certains, au service d’enjeux fort éloignés des objectifs de départ. Il faut remarquer également les dangers des politiques rigides, qui sont arrivées ensuite afin de combattre cette dérive, même si elles étaient réellement destinées à apporter des solutions avec les meilleures intentions.

Malheureusement avec les interprétations personnelles de ces textes, nous en sommes aujourd’hui souvent réduits à une forme de clientélisme florissant. Ce fut le cas trop souvent, par exemple pour les Aires Naturelles Protégées (ANP), alors que leurs vocations initiales étaient avant tout la protection des milieux et des ressources au bénéfice de tous. Ainsi les usages des populations vivant sur ces territoires se retrouvaient souvent en contradiction avec une réglementation entièrement ignorante des réalités du terrain. Que pouvons-nous en conclure ? « Chacun vit dans une sorte d’illégalité tranquille. (…) On constate une rapide dégradation, non seulement du milieu, mais aussi du tissu social, à l’opposé des objectifs affichés de développement durable » (Mancébo, F., 2006, p. 32). Ces quelques personnes en se saisissant du pouvoir de décision au détriment des communautés locales, détériorent ainsi le tissu social et avec lui, les territoires.

Ce qu’il faut noter dans les exemples de ces ANP, c’est qu’en général la vocation des communautés, agraires notamment, n’est pas de protéger l’environnement par simple amour de la nature, mais bien plus afin d’augmenter leurs aptitudes à accéder à des biens et des services. Elles n’hésitent pas à oublier ou à contourner la loi, afin d’arriver à leurs fins. Ce sont donc elles, qui déterminent le succès ou l’échec des investigations dans la perspective d’un développement durable, « car elles sont les vraies structures de pouvoir local. Elles seules sont capables d’officialiser les usages, d’interpréter les règlements et de les faire respecter. » (Mancébo, F., 2006, p. 36). Aujourd’hui d’ailleurs dans les ANP, on leur offre une place privilégiée ce qui garantit l’action collective, même si on n’hésite pas non plus à faire valoir les initiatives individuelles, dans la mesure où elles s’insèrent dans le même fonctionnement. Est-ce le cas en Province Nord ? Nous y reviendrons.

156 Pour ce qui est du littoral, bien commun des populations, selon la loi française, il est chargé de représentations, qui sont autant de significations, d’éléments essentiels pour les identités locales. Prenons encore l’exemple des ANP, si nous souhaitons dans le cadre d’une meilleure gestion que leurs objectifs soient atteints, c’est-à-dire garantir la durabilité des milieux et des ressources, il faudra impérativement tenir compte de ces réalités, souvent anciennes, autrement nous risquons de produire les effets inverses de ceux que nous désirions au départ.

Après les principes découlant de ce sommet de Rio et les dérives dans l’application de certains Etats, le sens du développement durable s’est fortement dilué, au fur et à mesure des conférences internationales. Les axes des travaux, découlant de ces sommets, se sont particulièrement attachés à des thématiques précises, telles que, celle sur la population au Caire en 1994, celle sur les femmes à Pékin en 1995, parmi tant d’autres. Cela rappelle surtout les trois fonctions assignées au développement durable à savoir : « Economie, environnement, équité sociale » (Martini, C., 2006, p. 17). Cette dernière différencie le développement durable du « principe d’intégration », qui inclut « une part de protection de l’environnement dans les politiques sectorielles de développement économique : il apparaît de ce point de vue comme une technique de mise en œuvre d’une politique globale, et non comme un principe ou même un objectif» (Martini, C., 2006, p. 17, 18).

Que retenir en conclusion de ce bref historique ? Spécialement que le développement durable s’articule autour de trois aspects : le social, l’économique et l’environnement. Mettre en œuvre constamment des politiques admises pour le développement durable, peut avoir les effets inverses de ceux désirés initialement, principalement lorsqu’elles touchent au tissu social. De plus, de nombreux conflits d’intérêts interviennent, quand nous voulons mettre en place le développement durable, essentiellement lorsque l’application des principes généraux devient systématique. En effet, elles peuvent devenir l’instrument de groupes dont les enjeux sont détournés des points de départ. D’où l’importance pour les politiques locales de ne pas tomber dans ces travers. Mais comment doivent-elles s’y prendre ? Que dire de l’adage : « Penser globalement, agir localement ?