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La place des femmes dans les spectacles du théâtre et de l’arène : l’ouverture nécessaire d’un milieu

B) Le dossier des femmes gladiatrices

En effet, les femmes ne sont pas uniquement présentes dans les spectacles du théâtre. On les retrouve également, de manière cependant beaucoup plus limitée, dans les spectacles de l’amphithéâtre, c’est-à-dire les munera (combats de gladiateurs) et les uenationes (chasses). Les sources sont relativement rares41 mais constituent tout de même un dossier non négligeable qui a fait l’objet de nombreux commentaires42. Il est impossible de dater avec précision le début de ce phénomène. L’attestation la plus ancienne est celle fournie par Nicolas de Damas, un auteur grec du Ier siècle av. J.-C., cité par Athénée de Naucratis dans les Deipnosophistes43. Nicolas de Damas évoque dans ce texte la pratique de la gladiature par les Romains, en précisant ses origines étrusques et en ajoutant que les combats n’étaient pas seulement publics mais pouvaient également être donnés en contexte privé, lors de festins. C’est dans ce contexte, selon Nicolas de Damas, qu’un notable romain aurait ordonné par testament de faire combattre ensemble deux de ses esclaves de sexe féminin :

Ἤδη δέ τις κἀν ταῖς διαθήκαις γέγραφεν γυναῖκας εὐπρεπεστάτας μονομαχῆσαι ἃς ἐκέκτητο, ἕτερος δὲ παῖδας ἀνήβους ἐρωμένους ἑαυτοῦ. Ἀλλὰ γὰρ οὐκ ἠνέσχετο ὁ δῆμος τὴν παρανομίαν ταύτην, ἀλλ´ ἄκυρον τὴν διαθήκην ἐποίησεν.

« Il est même arrivé qu’un Romain, dans son testament, écrive de faire combattre en duel des femmes très belles, qu’il avait achetées, et un autre, de jeunes esclaves impubères, qu’il avait eus pour amants; mais le peuple ne toléra pas cette violation des lois et fit casser le testament. »

L’anecdote est difficile à dater et à interpréter. Elle paraît en tout cas tout à fait exceptionnelle et s’insère dans un contexte spécifique : la célébration de spectacles funéraires aristocratiques en milieu privé. En effet, le spectacle est prévu par testament et doit être financé par le défunt, les combattantes font partie de ses esclaves, et le contexte laisse entendre que cet affrontement devait avoir lieu dans le cadre d’un banquet. Il est difficile d’estimer quel pouvait être le public admis à ce type de célébration. Il comprenait

41 On dénombre onze références littéraires à ce phénomène : N. DAM., Athl., 4, 153 = ATHEN., 153-154 ; STAC., 89, 6, 51-62 ; MART., Spect., 6 ; JUV., VI, 246-267 ; TAC., An., XV 32, 3 ; SUET., Dom., 4, 2 ; DION CASS., LXI, 17, 3 ; LXIII, 3, 1 ; LXVI, 25, 1 ; LXVII, 8, 4 ; LXXV, 16. Il faut ajouter à ce dossier deux documents épigraphiques latins plus ou moins explicites (AE, 1977, 153 ; 1978, 145), un document épigraphique et iconographique grec (COLEMAN 2012) et sans doute deux documents iconographiques plus incertains (WUILLEMIER – AUDIN 1952, 56, n°74 ; MANAS 2011).

42 VILLE 1981, 263-264 ; BRIQUEL 1992, 47-53 ; COLEMAN 2000, 487-500 ; MCCULLOUGH 2008, 197- 209 ; TEYSSIER 2009, 94 ; MANAS 2012, 2726-2752.

vraisemblablement des amis et clients de la famille mais était nécessairement limité. Nous ne sommes donc pas là dans le cadre d’une exhibition publique de l’ampleur de celles qui auront lieu à l’occasion des grands munera impériaux. Cependant le peuple semble avoir son mot à dire dans ce type de célébration puisqu’il est en mesure de casser ces décisions testamentaires. Que les deux femmes aient combattu ou non, cette anecdote révèle en tout cas une disposition de la part de certains Romains à mettre en œuvre de telles performances, bien avant la fin du Ier siècle av. J.-C.

Par ailleurs, les femmes de l’ordre équestre et de l’ordre sénatorial figurent explicitement dans le sénatus-consulte de Larinum44. Daté de 15 ap. J.-C., ce document adopte une série de mesures qui renforcent la législation antérieure interdisant la participation des membres des ordres supérieurs aux spectacles du théâtre et de l’arène45. Il détaille explicitement les liens familiaux des hommes et des femmes qui, en raison de ces liens et donc de leur appartenance aux ordres supérieurs de la société romaine, ne peuvent se produire sur la scène théâtrale (in scaenam produceret), ou se louer par « auctoramentum » pour combattre comme gladiateur. Il renforce les peines visant les éventuels fraudeurs et évoque un texte juridique de 11 ap. J.-C. qui aurait interdit aux mineurs, garçons et filles, de se louer pour combattre, sans précision de rang social. Il existe deux interprétations possibles expliquant que des femmes figurent dans la définition précise et rigoureuse des individus visés par cette législation. Ou bien ce document témoigne d’une pratique réelle, ou bien, comme l’envisage Stephen Brunet46, il exprime le souci d’exhaustivité systématique des législateurs romains. Cependant, comme le souligne Anna McCullough, ce souci répété de combler les lacunes de la législation en intégrant tous les individus susceptibles d’être concernés témoigne vraisemblablement de l’existence de contraventions réelles ou potentielles prises en compte par les législateurs47. Il ne sert à rien de renouveler les mesures législatives si personne n’y contrevient. Si en 15 av. J.-C. aucune femme de l’aristocratie n’avait jamais enfreint l’interdiction relative à la participation des membres des ordres supérieures aux spectacles, il faut en tout cas imaginer que cela soit apparu comme un risque potentiel aux auteurs du sénatus-consulte, peut-être notamment parce que des femmes de rang inférieur se produisaient déjà dans les spectacles, y compris les spectacles de gladiateurs.

On peut cependant opposer à cette remarque une distinction des genres

44 AE, 1978, 145.

45 Sur le sénatus-consulte de Larinum, voir chapitre 4. 46 BRUNET 2004, 161.

spectaculaires. En effet, le sénatus-consulte de Larinum concerne aussi bien les exhibitions des élites dans les spectacles du théâtre que dans les spectacles de l’arène. Or la présence de femmes nobles sur la scène théâtrale est effectivement attestée par Dion Cassius et Suétone depuis l’édilité de Marcellus en 28 av. J.-C.48. En 22 av. J.-C., Dion Cassius explique qu’Auguste, constatant la présence d’hommes et de femmes de l’ordre équestre sur la scène théâtrale, aurait étendu une législation antérieure aux chevaliers et petits fils de sénateurs. Pour Barbara Levick, cette législation intégrait évidemment les femmes de l’ordre équestre puisque celles-ci sont mentionnées avec les hommes de leur rang pour introduire et expliquer la décision d’Auguste49. B. Levick estime également que la législation intégrait probablement les exhibitions dans les combats de gladiateurs. À partir du moment où différents types d’acteurs et différentes pratiques sont inclus dans le même interdit, il devient difficile de présumer que tous les individus mentionnés dans l’interdit étaient concernés par toutes les pratiques prohibées. Ces différentes pratiques sont englobées dans la même législation car elles ont des conséquences similaires sur la réputation de ces individus, de leurs familles et des ordres supérieurs50. Il n’est donc pas dit que les femmes des ordres supérieurs se produisaient dès la fin du Ier siècle av. J.-C. dans les spectacles de l’arène. Cependant, leur participation aux spectacles du théâtre est présentée dans les sources comme aussi scandaleuse et aussi grave que celle des chevaliers aux spectacles du théâtre et de l’arène. Les deux pratiques font l’objet d’un même scandale et sont soumises aux mêmes interdits quel que soit le sexe de l’individu concerné. Ce qui importe, c’est davantage le rang social de celui-ci que son sexe. Par ailleurs, dans le sénatus-consulte de Larinum, c’est bien le type de contrat réservé aux gladiateurs, l’auctoramentum, qui est interdit aux mineurs des deux sexes. La participation d’une jeune fille aux combats n’est donc pas inenvisageable en 15 ap. J.-C.

Des combats de femmes à Ostia

Il convient à présent de s’intéresser aux sources qui attestent une exhibition réelle de femmes dans ce type de spectacles. Dans une inscription particulièrement intéressante provenant d’Ostie, il est question d’un certain Hostilianus qui aurait été le premier à donner des spectacles exceptionnels, comprenant notamment des « combats de femmes » :

48 SUET., Ner., 4, 2-3 ; DION CASS., LIII, 31, 1-3 ; LIV, 2, 3-5 ; LV, 10, 11-12. 49 LEVICK 1983, 107.

[---]ṣạ[--- H]ọṣṭịḷịạṇ[us]51 / [IIv]ịr, q(uaestor) aerar[i Osti]ẹnsium, flam(en), d(ecreto) d(ecurionum) cur(ator) lusus iuvenal(is), / [---] qui primus om[niu]m ab urbe condita ludos cum / [---]or(---?) et mulieres [a]d ferrum dedit una cum / [Sa]ḅịṇạ ụ[x]ọṛẹ, fecit sibi et / [---]nio Agon[—-] / [---c]orporis togat[---] / [---]ụm [---].52

Cette inscription lacunaire a pu être recomposée à partir de trois fragments d’une plaque de marbre blanc aujourd’hui conservés à Ostia antica dans les nuovi magazzini della Soprintendenza (inv. Frag. A et C : 8460 ; Frag. B : 12256). La provenance du fragment A (CIL, XIV, 4616) est inconnue. Le fragment B (CIL, XIV, 5381) proviendrait des termes du Forum tandis que le fragment C a été trouvé aux alentours du lieu-dit « Casalone ». N’étant pas contigus, les fragments A et B ont été publiés séparément dans le CIL. La découverte du fragment C, contigu au fragment A, a permis de faire le lien entre les fragments A et B. L’inscription reste cependant très lacunaire : toutes les extrémités sont manquantes sauf une petite partie du bord droit sur le fragment C. La lacune entre les fragments B et C ne semble pas excéder quelques lettres. Parmi les lignes conservées de l’inscription, la première et le début de la cinquième sont particulièrement mutilées. Les lettres proposées dans la restitution ci-dessus ont fait l’objet d’un délicat travail de restauration mais semblent faire consensus. Une erreur dans l’édition de l’Année épigraphique s’est cependant transmise à l’édition de la base de données EDR. Après vérification de la pierre le nom du personnage qui figure à la première ligne est bien Hostilianus et non Hostilinianus.

51 AE, 1977, 153 ; EDR, 076694 : [- - -H]ọṣṭịḷịṇịạṇ[us] ; FORA 1996, 64-66, 79 ; CEBEILLAC-GERVASONI –

CALDELLI – ZEVI 2006, 300 ; CEBEILLAC-GERVASONI – CALDELLI – ZEVI 2010, 289 : [- - - H]ostilian[us].

L’inscription a été abondamment commentée depuis sa reconstitution en 197753. Mireille Cébeillac-Gervasoni, Maria Letizia Caldelli et Fausto Zevi d’une part, Maurizio Fora d’autre part, s’opposent sur la nature même de cette inscription. Les premiers la considèrent comme une autocélébration du magistrat Hostilianus. Ils intègrent donc dans la lacune de la fin de la première ligne la terminaison du nominatif. Fora en revanche estime, en comparant la première ligne aux lignes suivantes qui ont été intégralement conservées, que la lacune ne peut concerner qu’une seule lettre. Il souligne par ailleurs que la nature funéraire de l’inscription est attestée sans ambigüité par l’usage de l’expression fecit sibi et [suis] à la cinquième ligne. Il choisit donc d’intégrer la terminaison du datif. Ces arguments paraissent convaincants et nous avons donc adopté cette intégration. Il convient de préciser qu’un nominatif pourrait également convenir dans une inscription funéraire et ne changerait pas considérablement l’interprétation du texte.

L’inscription devait être placée sur la sépulture qu’Hostilianus et son épouse avaient commanditée pour eux et pour un ou plusieurs autres personnages dont les noms sont perdus. Pour Fora, ces noms devait apparaître à la sixième ligne, ce qui expliquerait l’emploi de caractères de taille supérieure. Les trois lettres AGON seraient donc une partie de l’onomastique de ces personnages, alors que Cébeillac et Zevi y voient, en raison du contexte, une référence aux compétitions grecques, « agones ». Il faut souligner que ce terme grec peut être employé, en contexte latin, pour désigner des combats de gladiateurs ou même les jeux en général54. Il n’y a cependant aucune raison de le préférer dans un texte latin, aux noms latins tels que munera ou ludi. Malgré l’état très lacunaire de cette partie de l’inscription, les commentateurs s’accordent pour intégrer à la sixième ligne le gentilice Sabina et le nom uxore. Pour Cébeillac, Caldelli et Zevi, l’utilisation de la préposition cum, à la fin de la ligne précédente, juste après le verbe dedit, implique que l’épouse d’Hostilianus se soit associée à lui pour donner les jeux décrits aux quatrième et cinquième lignes. Fora s’oppose à cette interprétation sans proposer d’alternative.

En dehors de ces points, l’interprétation du texte fait globalement consensus. Hostilianus a revêtu les magistratures énumérées par l’inscription. Il fut ainsi duumuir, quaestor aerari Ostiensium, flamen et enfin curator lusus iuvenalis. L’inscription étant difficile à dater avec précision, il est également difficile de déterminer l’ordre de cette carrière

53 CEBEILLAC-GERVASONI – ZEVI 1976, 612-620 ; MARINUCCI 1992, 202-203 ; FORA 1996, 64-66, 79 ; CEBEILLAC-GERVASONI – CALDELLI – ZEVI 2006, 300-301 ; CEBEILLAC-GERVASONI – CALDELLI – ZEVI 2010, 289-290.

car à Ostie les différentes fonctions n’ont pas la même importance selon les périodes. Le rôle du curator lusus iuvenalis fait débat et la nature même de ces jeux est sujette à discussion55. Mais ce qui nous intéresse particulièrement c’est que l’auteur de l’inscription semble affirmer aux lignes trois et quatre qu’Hostilianus fut le premier (primus om[niu]m ab urbe condita) à donner des « combats de femmes » (muliebres [a]d ferrum dedit). Cette interprétation du passage semble admise par tous les commentateurs bien qu’elle soit rendue délicate en raison de la lacune importante au début de la quatrième ligne. Celle-ci devait contenir des précisions sur les jeux exceptionnels donnés par Hostilianus. L’expression ad ferrum est utilisée à l’identique chez Suétone pour désigner l’exhibition exceptionnelle de membre des ordres supérieurs dans un combat de gladiateurs sous Néron56 et le terme ferrum est utilisé dans l’épigraphie dans le contexte de tels combats57.

La plupart des commentateurs datent l’inscription de la deuxième moitié du IIe siècle ap. J.-C. en raison des formulations employées et parce que la pratique de la gladiature fut interdite aux femmes à partir de Septime Sévère, selon Dion Cassius58. Cependant la documentation atteste l’existence de combat de femmes bien avant le IIe siècle ap. J.-C.59. On comprend mal, alors, comment Hostilianus pourrait se vanter d’avoir été le premier à donner ce type de spectacle. Il faut donc revoir soit la datation de ce document, soit l’interprétation du texte. Hostilianus peut éventuellement avoir été le premier à donner de tels spectacles dans sa cité. L’expression sous-entendrait alors que ce type de performances se serait par la suite multiplié. Mais il convient également de prendre en compte à la fois la nature de ce document et l’importante lacune qui subsiste entre « qui primus om[niu]m ab urbe condita ludos cum » et « et mulieres [a]d ferrum dedit ». L’expression de la troisième ligne sert la fonction laudative du texte et vise à mettre en valeur Hostilianus. La lacune de la quatrième ligne et l’emploi de la préposition et suggèrent que les combats de femmes n’étaient pas le seul contenu de ces spectacles exceptionnels dignes d’être rappelés à la mémoire des habitants d’Ostie. Hostilianus n’a donc peut-être pas été le premier à donner des combats de femmes,

55 GREGORI 1989, 111 ; GINESTET 1991, 151-158 ; FORA 1996, 64-65 ; VESLEY 1998, 85-93. 56 SUET., Ner., 12, 3.

57 CIL, IV 2508. Voir ROBERT 1940, 23-24 ; SABBATINI TUMOLESI 1988, 105 ; FORA 1996, 64-65 ; COLEMAN 2012, 498. Fora souligne cependant qu’il pourrait aussi ici s’agir de femmes condamnées à mourir dans l’arène plutôt que de gladiatrices.

58 DION CASS., LXXV, 16, 2.

59 En dehors des témoignages de Nicolas de Damas (N. DAM., Athl., 4, 153 = ATHEN., 153-154) et du sénatus- consulte de Larinum (AE, 1978, 145) qui restent ambigus, on peut mentionner les différents témoignages littéraires relatifs aux règnes de Néron, Titus et Domitien (STAC., 89, 6, 51-62 ; MART., Spect., 6 ; TAC., An., XV, 32, 3 ; JUV., VI, 246-267 ; SUET., Dom., 4, 2 ; DION CASS., LXI, 17, 3 ; LXIII, 3, 1 ; LXVI, 25, 1 ; LXVII, 8, 4).

mais le premier à donner des jeux qui se distinguaient par toute une série de performances exceptionnelles.

En tout cas, cette inscription témoigne de l’existence de ce type de performance à Ostie, sans doute dans le courant du IIe siècle ap. J.-C. Le document ne donne malheureusement aucune précision sur l’identité des femmes qui se produisirent dans ces combats. L’usage du terme mulieres nous informe cependant sur leur statut social. Ces femmes ne devaient pas, en effet, faire partie des ordres supérieurs sinon le terme employé aurait été feminae60. Il est difficile de dire si ces femmes étaient des professionnelles entraînées, rémunérées et se produisant régulièrement ou des amateures qui s’exhibèrent de manière exceptionnelle61. Cependant, à partir du moment où ces femmes appartenaient à des classes sociales subalternes, il est peu probable qu’elles se soient produites de leur plein gré sans rémunération. Il s’agit donc vraisemblablement soit d’esclaves entraînées et exhibées pour l’occasion, soit de véritables professionnelles.

Alfonso Manas estime que l’exhibition de femmes pourrait s’expliquer par la fonction de curator lusus iuvenalis exercée par Hostilianus. Celui-ci aurait pu, en raison de sa fonction, utiliser les équipements du collegium Iuuenum pour former ces jeunes femmes et les entraîner au combat62. On l’a dit, les femmes concernées, qualifiées de mulieres, sont vraisemblablement de basse extraction sociale. Bien que certains témoignages semblent attester une relative ouverture des associations de jeunesse aux femmes63, les combattantes d’Hostilianus ne faisaient donc probablement pas elles-mêmes partie du collegium Iuuenum d’Ostie. En effet, il semble que les jeunes gens qui participaient aux associations de jeunesse, sans être nécessairement de rang équestre ou sénatorial, étaient de naissance honorable. Alfonso Manas a donc proposé de voir dans ces mulieres des esclaves de cette même association. Manas alimente son propos en s’appuyant sur une inscription funéraire d’une

60 Cette position, partagée par Coleman et Manas, se vérifie assez bien dans les sources. On retrouve notamment le terme femina dans les expressions « feminae inlustres » ou « primores feminae », utilisées par les auteurs anciens pour évoquer des femmes des ordres supérieurs (TAC., XIV, 15, 2 ; XV, 32 ; SUET., Dom., 8, 4), ainsi que dans l’expression feminae probrosae dont T. McGinn a bien montré qu’elle concernait des femmes de l’aristocratie coupables d’adultère et non des prostituées (MCGINN 1998b). Un travail lexical approfondi a été proposé par J. Adams (ADAMS 1972) et cet usage distinct des deux termes est aujourd’hui largement admis (SANTORO L’HOIR 1992, 2 ; 29-46).

61 L’entraînement est une condition nécessaire mais non suffisante à la définition des professionnelles. En effet, la documentation atteste l’entraînement de femmes appartenant manifestement aux ordres supérieurs et qui ne peuvent être considérées comme des professionnelles (JUV., VI, 246-267). L’entraînement n’implique d’ailleurs pas nécessairement que les individus considérés se soient produits en public. De manière générale on imagine difficilement que les élites se soient produites en grand nombre dans les spectacles de gladiateurs sous Néron sans s’être entraînées.

62 MANAS 2011, 2732. 63 VESLEY 1998.

certaine Valeria Iucunda qui fit partie d’un corporis iuuenum à Reate entre le dernier tiers du Ier siècle ap. J.-C. et le premier tiers du IIe siècle ap. J.-C.64. L’inscription a été réalisée par une certain T. Flavius Sabinus qui se qualifie de magister iuuenum. Pour Manas, Valeria semble donc être à la fois liée au collegium et d’origine servile. Ces femmes de rang servile auraient ainsi pu bénéficier de l’entraînement militaire et des éventuels aménagements utilisés par les jeunes gens pour s’entraîner au combat. Hostilianus aurait été le premier à tirer parti de cette réalité en exhibant ces femmes dans des spectacles de gladiateurs. Rappelons cependant ici que nos informations sur les associations de jeunesse, sur leurs activités, les équipements et le personnel dont elles disposaient restent très limitées.

Amazone et Achillia, les gladiatrices d’Halicarnasse

Un document iconographique et épigraphique particulièrement précieux confirme l’existence de véritables combattantes professionnelles participant aux munera romains, mais ne peut être véritablement intégré à notre travail car il est issu de la partie orientale de l’empire romain, plus précisément d’Halicarnasse en Asie Mineure. Sans l’intégrer à notre prosopographiequiportesurla partie occidentaledel’empire,ilconvientsansdouted’évoquer ici ce document tout à fait exceptionnel. Il s’agit d’un bas relief, conservé au British Museum à Londres, mesurant 67 centimètres de haut sur 79 de large et représentant deux gladiateurs en plein combat65. Le document est daté du Ier-IIe siècle ap. J.-C. et a été étudié de manière

approfondie par Kathleen Coleman66. L’inscription qui accompagne ce relief n’est pas funéraire. Le contexte dans lequel il était exposé est difficile à établir. Il s’agissait vraisemblablement de commémorer l’affrontement représenté, soit dans un programme iconographique plus vaste en l’honneur de l’éditeur des jeux, soit peut-être dans le cadre du ludus dont étaient issus les combattants. Ces derniers peuvent facilement être identifiés comme des provocatores grâce à leur armement spécifique67 : comme tous les gladiateurs ils sont torse nu et portent simplement un subligaculum, des jambières et une protection sur le bras exposé des poignets jusqu’aux aisselles ; tous deux portent un long bouclier incurvé. Cependant cette représentation se distingue par un fait qui est loin d’être anodin : en plein combat les deux gladiateurs ne portent pas leurs casques. Il ne s’agit pas d’un oubli car ceux-