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La place des femmes dans les spectacles du théâtre et de l’arène : l’ouverture nécessaire d’un milieu

A) Des femmes qui se produisent surtout au théâtre

Des femmes insérées dans le milieu des professionnels du théâtre au Ier siècle av. J.-C.

En 76 av. J.-C., dans sa défense du comédien Q. Roscius Gallus, Cicéron évoque le salaire d’une certaine Dionysia dont la profession n’est pas précisée et estime en comparaison

3 Les premiers théâtres sont construits à Rome dans la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. Le Colisée est

celui qu’aurait dû gagner son client s’il n’avait pas décidé de ne plus se faire rémunérer4. La comparaison est intéressante car elle nous permet de conclure que Dionysia pratique une activité professionnelle comparable à celle de Roscius et qu’elle la pratique avec succès puisque son salaire, sans être équivalent, peut être comparé à celui de l’un des acteurs les plus célèbres de l’Antiquité. D’autres noms apparaissent dans l’œuvre cicéronienne, tels que celui de Tertia ou de Cythéris5, et attirent notre attention sur la place qu’occupent désormais les femmes dans les spectacles. Ce phénomène semble être une nouveauté pour Rome et l’Italie. Si des femmes se produisent depuis l’époque archaïque dans certains spectacles du monde grec6, les plus anciennes références à des femmes se produisant dans les spectacles à Rome sont celles de Cicéron. Pline l’Ancien nous permet cependant de remonter la datation des premières exhibitions de femmes au moins au début du Ier siècle av. J.-C. En effet, il évoque le cas d’une certaine Galeria Copiola qui aurait commencé sa carrière en 82 av. J.-C. À notre connaissance, il n’existe pas de référence précise à une exhibition de femme dans les spectacles publics plus ancienne7.

L’absence de référence peut évidemment être un effet de source, la documentation aussi bien littéraire qu’épigraphique étant bien plus abondante pour le Ier siècle av. J.-C. que pour les périodes antérieures. Par ailleurs, les spectacles et leurs professionnels apparaissent beaucoup plus fréquemment dans les sources à partir du Ier siècle av. J.-C. Cela s’explique notamment par la place grandissante des spectacles dans la société romaine et par les mutations qui affectent le système des spectacles. On ne peut donc pas affirmer avec certitude qu’aucune femme ne se produisait dans les spectacles avant le Ier siècle av. J.-C. Cependant, nous savons qu’elles n’étaient pas présentes dans les formes traditionnelles du théâtre latin que sont la comedia et la tragoedia. Tite-Live qui propose un long développement sur les

4 CIC., Com., 8, 22-23.

5 Voir prosopographie n° 16 et n° 55.

6 On pense notamment aux concours athlétiques des Héraia, réservés aux jeunes filles, ou aux chœurs de jeunes filles, qui ont été étudiés par Claude Calame (CALAME 1977). Ces performances ont cependant une signification sociale très spécifique liée à l’âge et au statut social des jeunes filles à qui elles sont réservées et qui ne sont en aucun cas des professionnelles. En revanche nous avons des attestations de professionnelles des spectacles dans le monde hellénistique dès le IIIe siècle av. J.-C. Ainsi, un papyrus d’Arsinoë en Egypte, daté de

la fin du IIIe siècle, mentionne un contrat par lequel un joueur de flûte du nom de Sosos s’engage à accompagner

musicalement la danseuse Olympias dans tous les spectacles où elle se produira (CPR, XVIII, 1 ; ROWLANDSON 1998, 277).

7 Le seul indice permettant d’envisager une présence antérieure des femmes sur la scène romaine est la fondation des Floralia, les fêtes de Flore, dont Pline l’Ancien nous apprend qu’elles furent célébrées pour la première fois en 238 av. J.-C. (PLIN., N.H., XVIII, 286) et dont Ovide précise qu’elles furent instituées annuellement à partir de 173 av. J.-C. (OV., Fast., 329-330). En effet, Valère Maxime et Sénèque témoignent du rôle essentiel tenu par celles que l’un appelle des mimae, l’autre des meretrices, dans la célébration des fêtes de Flora et plus particulièrement dans les jeux scéniques qui composaient ces fêtes (VAL. MAX., II, 10, 8 ; SEN., Epist., XVI, 97, 8). Cependant, nous n’avons aucun moyen de savoir à partir de quand ces représentations scéniques intégrèrent les Floralia. Voir lexique, article « Mima ».

origines du théâtre à Rome ne mentionne aucune femme8. Enfin la plupart des professions des spectacles ouvertes aux femmes ne semble pas attestée avant le Ier siècle av. J.-C.

C’est notamment le cas du mime qui se développe à Rome sous Sylla9, même s’il est attesté dans le monde grec et même en Italie dès le IIe siècle av. J.-C.10. Il est difficile d’établir avec précision l’apparition des premiers mimes à Rome ; l’inscription funéraire du mime grec Protogenes, trouvée à Amiternum près de L’Aquila (Regio IV Samnium), a été datée par Buecheler du début du IIe siècle av. J.-C.11. en raison de ses archaïsmes et Bruno Gentili estime même que l’inscription pourrait être plus ancienne encore12. Cependant Cicéron laisse entendre dans une de ses lettres que ce genre relativement nouveau se développe à son époque13. Sans nous étendre ici sur la définition de ce genre14, il convient dès à présent de préciser qu’il s’agit d’un des deux grands genres de la scène théâtrale à Rome sous l’Empire et qu’il est manifestement ouvert aux femmes. Le féminin mima est en effet bien attesté dans l’épigraphie comme dans les sources littéraires et nous avons recensée dix-huit femmes qui semblent avoir exercé cette profession15. Les proportions d’hommes et de femmes mimes mentionnés dans les sources sont à peu près similaires16. Les mimes étant organisés professionnellement en troupe, greges, les mimae devaient donc être intégrées dans ces structures professionnelles. C’est sans doute ce que suggère Plutarque quand il affirme que la mime Cythéris faisait partie de la même παλαίστρα que le mime Sergius17. Nous avons

également connaissance de trois archimimae18, ce qui signifie que les femmes étaient non seulement intégrées aux troupes de mimes mais quelles pouvaient également y occuper des fonctions importantes, l’archimimus étant vraisemblablement le chef de la troupe19. Un document épigraphique aujourd’hui perdu mais qui peut être daté entre la fin de la République et le début de l’Empire en raison du type d’objet, de son matériau et de la structure du texte,

8 LIV., VII, 2.

9 Plutarque mentionne certains d’entre-eux dans l’entourage du dictateur, notamment des femmes ainsi que l’archimime Sorix (PLUT., Sull., 36, 1-2). Voir lexique, article « Mima ».

10 M.-H. Garelli estime en effet que le terme orchestai, fréquemment employé dans l’épigraphie hellénistique désigne aussi bien des danseurs tragiques que des artistes dont les performances se rapprochaient fortement du mime. Par ailleurs, la première attestation d’un mime en Italie, l’inscription funéraire du mime Protogenes (CIL, I², 1861), semble dater, au plus tard, du début du IIe siècle av. J.-C.

11 CLE, I, 361.

12 GENTILI 1990, 131. 13 CIC., Fam., IX, 16, 7.

14 Voir lexique, article « Mima ».

15 Voir prosopographie n° 3, 4, 6, 7, 10, 16, 19, 29, 32, 33, 36, 39, 52, 54, 55, 59, 60, 62. Voir lexique, article « Mima ».

16 Voir lexique, article « Mima ». 17 PLUT., Ant., 9, 7.

18 Voir prosopographie n° 2, 8, 25. 19 Voir lexique, article « archimima ».

évoque un groupe de femmes qui se qualifient de sociae mimae. Ce document, bien que laconique, fournit des informations précieuses :

Sociarum / mimarum. / In fr(onte) p(edes) XV, / in agr(o) p(edes) XII.20

La stèle en travertin a été retrouvée à Rome à droite de la via Latina, dans la vigne Tuccimei, avant d’être perdue. Elle constitue l’une des rares attestations de l’existence de collèges professionnels féminins à Rome21. Les mimae étaient donc suffisamment bien implantées dans ce milieu professionnel pour pouvoir mettre en place leurs propres organisations professionnelles en dehors des troupes d’acteurs. L’inscription témoigne d’une certaine humilité de la part de cette association professionnelle qui avait toutefois les moyens d’assurer à ses membres une sépulture au sein d’un espace funéraire commun. Les femmes sont donc clairement intégrées dans le milieu des professionnels de la scène théâtrale en tant que mimae. Mais il ne s’agit certainement pas du seul métier des spectacles ouvert aux femmes. Les professions artistiques occupent en effet une part importante des professions féminines recensées par Elena Malaspina dans son étude lexicale publiée en 200322 : vingt- neuf termes sur cent-vingt-sept désignent des artistes, c’est-à-dire près d’un quart. Ce chiffre ne nous informe évidemment pas sur le nombre de professionnelles mais témoigne de la diversité des professions concernées. Notons cependant que toutes ces professions n’impliquaient pas nécessairement une exhibition publique. Dans le lexique qui constitue la deuxième partie de ce chapitre, nous tenterons de définir plus précisément le vocabulaire recensé par Elena Malaspina en insistant sur les termes désignant plus vraisemblablement des professionnelles des spectacles.

La diversité des métiers du théâtre

Nous avons vu avec l’exemple des mimae que les femmes étaient bien présentes dans les ludi scaenici, c’est-à-dire les spectacles du théâtre. En effet, la majeure partie des individus que nous avons recensés dans notre prosopographie se produisait vraisemblablement dans les ludi scaenici. Il conviendra, une fois la terminologie des différentes performances composant ces ludi précisée et à partir des données collectées dans la prosopographie, d’établir si les femmes se produisaient dans tous les types de performances

20 CIL, VI, 10109 ; ILS, 5217. Voir JORY 1970, 252 ; CALDELLI 2012, 160-161.

21 Au moins huit femmes qualifiées chacune d’ornatrix apparaissent également collectivement sur une tabella defixionum provenant d’une tombe de la nécropole de Porta Romana à Ostie (CIL, I², 3036) et un collegium cannoforarum est attesté à Saepinum (CIL, IX, 2482).

de la scène théâtrale ou seulement dans certains d’entre eux. Certains chercheurs estiment en effet que seul le mime était ouvert aux femmes23. De fait, la pantomime, deuxième grand genre théâtral sous l’Empire, semble, à première vue, réservée aux hommes24. Cependant, le théâtre romain ne se limite pas aux performances du mime et de la pantomime. L’épigraphie atteste notamment une très grande diversité du vocabulaire servant manifestement à désigner des professionnelles se produisant dans des performances spectaculaires. Il faudra notamment revenir sur la définition de termes tels que saltatrix ou emboliaria25. La diversité des professions du théâtre ouvertes aux femmes reste donc encore à explorer.

De plus, si les femmes participent aux ludi scaenici en tant que danseuses et actrices, elles peuvent également y participer en tant que musiciennes ou chanteuses, même si les commentateurs estiment que la plupart des femmes exerçant des professions musicales se produisait en privé26. La musique et le chant occupent en effet une place très importante dans les spectacles romains qu’ils s’agissent d’ailleurs des spectacles du théâtre que des spectacles du cirque et de l’arène. La comédie et la tragédie classiques ainsi que le mime et la pantomime sont des genres théâtraux qui reposent entièrement sur la musique27. Dans le théâtre classique d’époque républicaine, les parties parlées de l’acteur sont rythmées par l’accompagnement musical des tibicines et alternent avec des parties chantées par le cantor28. Les parties chantées peuvent également être prises en charge par un chœur dans la tragédie29.

Le pantomime exécutait en silence des performances qui reposaient à la fois sur la danse et l’expression corporelle, tandis que le chœur prenait en charge la narration de l’intrigue, accompagné par un orchestre30. Si les cantores du théâtre dont nous avons connaissance sont des hommes31, nous connaissons une artiste d’époque impériale qui affirme s’être produit dans un chœur32. Sénèque semble d’ailleurs laisser entendre dans une de ses lettres que la présence de « voix féminines » dans les cœurs n’avait rien d’étonnant, même à l’époque de

23 DAREMBERG – SAGLIO, « Mimus », 1906.

24 Voir lexique, article « Pantomima ». John Starks, s’est efforcé dans un article de démontrer au contraire l’existence de femmes pantomimes (STARKS 2008).

25 Voir lexique, articles « Saltatrix » et « Emboliariae ».

26 PECHE –VENDRIES 1999, 88 ; CARUSO 2008 ; GREGORI 2016, 114-116.

27 PECHE – VENDRIES 1999. Pour les spectacles du théâtre voir également DUPONT 1985, 88-91. 28 PECHE – VENDRIES 1999, 18-32.

29 PECHE – VENDRIES 1999, 18-40.

30 PECHE – VENDRIES 1999, 47-48. Voir également lexique, article « Pantomima ».

31 Un cantor apparaît en effet dans les pièces de Térence (TER., Adelp., 1000-1003 ; Andr., V, 6). L’épigraphie mentionne en réalité essentiellement des associations d’artistes dont il est difficile de savoir si elles étaient réservées aux hommes (CIL, I, 2519 ; AE, 1945, 118). Pour les spectacles du théâtre voir également DUPONT 1985, 88-91.

ceux qu’il qualifie de « ueteres philosophi »33. Par ailleurs dans le mime, les acteurs eux- mêmes semblent avoir pris en charge les parties chantées34, ce qui suppose donc que les mimae chantaient également leurs parties.

Si la plupart des musiciennes et chanteuses que nous avons recensées dans l’épigraphie sont des esclaves qui se produisaient probablement principalement en milieu privé, il semble quelque peu arbitraire d’affirmer qu’elles se produisaient exclusivement en milieu privé quand on sait que les pantomimes d’Ummidia Quadratilla pouvaient se produire aussi bien en privé pour le plaisir de leur maîtresse qu’en public lorsque celle-ci, très vraisemblablement, choisissait de les louer pour des célébrations publiques35. Suétone nous apprend par ailleurs qu’Auguste avait l’habitude, lors de ses repas, d’assister à des performances privées données par des artistes issus du théâtre et du cirque36. On connaît enfin le cas d’une organiste qui se produisait dans les spectacles publics de gladiateurs à Acquincum37 et on ne voit pas pourquoi les musiciennes auraient été admises à se produire dans les munera et non dans les ludi scaenici. Carlotta Caruso admet d’ailleurs que les deux monodiariae38 attestées dans l’épigraphie se produisaient vraisemblablement sur la scène publique39. En effet, ce terme désigne littéralement la « chanteuse soliste » et vient du masculin monodiarius qui n’est attesté qu’une seule fois dans les Notae Tironianae où il se trouve inséré dans une série de termes relatifs aux spectacles scéniques40. Mais il faut sans doute également prendre en compte l’existence du féminin citharoeda qui, au masculin, désigne l’artiste qui chante en s’accompagnant de la lyre dans les compétitions musicales grecques, ainsi que l’utilisation féminine du terme choraule qui désigne l’artiste qui accompagne le chœur dans les spectacles de pantomimes. Il n’est pas impossible que les professionnelles désignées par ces termes se soient produites en privé, mais leurs performances s’inscrivaient nécessairement dans des spectacles d’ampleur tels que ceux qui sont traditionnellement destinés à la scène publique.

Ainsi, les femmes qui se produisaient dans les ludi scaenici exerçaient des professions artistiques diverses et n’étaient pas cantonnées à celle de mima. La démarche prosopographique nous permettra de préciser leur intégration au sein de ces différentes

33 SEN., Ep., XI, 84, 9.

34 PECHE – VENDRIES 1999, 45. 35 PLIN., Ep., VII, 24.

36 SUET., Aug., 74, 5. 37 Voir prosopographie n° 45. 38 Voir prosopographie n° 34 et n° 57. 39 CARUSO 2008, 1424.

professions. Se pose à présent la question de leur présence dans les autres genres spectaculaires à commencer par les spectacles de l’arène.