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*14) Fulvia Copiola, tibicina

18) Dionysia, saltatricula

BIBLIOGRAPHIE : SPRUIT 1966, n° 62 ; GARTON 1972, 73 ; LEPPIN 1992, 231 ; FERTL 2005, 181 ; STARKS 2008, 117-118.

SOURCES : CIC., Com., 8, 22-23 ; GELL., I, 5, 1-3.

Textes :

1) Cicéron, Pro Q. Roscio Comoedo Oratio, 8, 22-23 (première moitié du Ier siècle av. J.- C.)

Principia sunt huius modi; spectemus reliqua. HS ICCC Q. Roscius fraudauit Fannium. Qua de causa? Subridet Saturius, ueterator, ut sibi uidetur; ait propter ipsa HS iccc. Video; sed tamen cur ipsa HS ICCC tam uehementer concupierit quaero; nam tibi, M. Perpenna, {tibi} C. Piso, certe tanti non fuissent ut socium fraudaretis. Roscio cur tanti fuerint causam requiro. Egebat? Immo locuples erat. Debebat? Immo in suis nummis uersabatur. Auarus erat? Immo etiam ante quam locuples {esset}, semper liberalissimus munificentissimusque fuit. Pro deum hominumque fidem! Qui HS ICCC CCCICCC quaestus facere noluit—nam certe HS ICCC CCCICCC merere et potuit et debuit, si potest Dionysia HS CCCICCC CCCICCC merere—is per summam fraudem et malitiam et perfidiam HS iccc appetiit? Et illa fuit pecunia immanis, haec paruola, illa honesta, haec sordida, illa iucunda, haec acerba, illa propria, haec in causa et in iudicio conlocata. Decem his annis proximis HS sexagiens honestissime consequi potuit; noluit. Laborem quaestus recepit, quaestum laboris reiecit; populo Romano adhuc seruire non destitit, sibi seruire iam pridem destitit.

« Tel est le point de départ ; examinons la suite. Q. Roscius a fait tort par fraude de cinquante mille sesterces à Fannius. Pour quel motif ? Je vois sourire Saturius, qui est – qui, du moins, se croit – un vieux routier. Pour le simple motif, dit-il, d’avoir ces cinquante mille sesterces ? Je comprends bien ; mais, cependant, d’où viendrait cette si violente convoitise pour ces cinquante mille sesterces ? Je pose la question. Car, assurément, ce n’est pas sur toi, M. Perpenna, ce n’est pas sur toi, C. Piso, qu’une telle somme aurait eu le pouvoir de vous faire porter tort par fraude à un associé. Pourquoi a-t- elle eu ce pouvoir sur Roscius, je requiers qu’on me le dise. Il était dans l’indigence ? Loin de là, il était riche. Il avait des dettes ? Loin de là, il était fort bien en fonds. Il était avare ? Bien loin de là : avant même de devenir riche, il a toujours fait preuve de la plus grande libéralité et de la plus grande magnificence. Ah ! J’en atteste les dieux et les hommes ! Celui qui n’a pas voulu réaliser des gains de trois cent mille sesterces – car il pouvait, il devait être payé trois cent mille sesterces, si Dionysia peut être payée deux cent mille – celui-là aurait mis tout ce qu’on peut imaginer de fraude, de méchanceté, de perfidie à s’approprier ces cinquante mille sesterces, qu’il désirait avec ardeur ? D’un côté, la somme était énorme, de l’autre, elle est bien mesquine ; d’un côté, elle était acquise honorablement, de l’autre, elle avait une origine ignoble ; d’un côté, c’était un gain flatteur, de l’autre, un lucre pénible ; d’un côté, c’était une propriété sûre, de l’autre, un argent dont la possession mise en cause fait l’objet d’une instance. Dans ces dix dernières années, Roscius aurait pu acquérir très honorablement six millions de sesterces. Il ne l’a pas voulu. Il a accepté le labeur qui méritait le gain ; il a refusé le gain mérité par ce labeur. Il n’a jamais cessé de se dévouer au service du peuple romain ; il y a longtemps qu’il a cessé de servir ses propres intérêts. »

2) Aulu Gelle, Nuits Attiques, I, 5, 1-3 (IIe siècle ap. J.-C.)

Quod Demosthenes rhetor cultu corporis atque uestitu probris obnoxio infamique munditia fuit; quodque item Hortensius orator ob eiusmodi munditias gestumque in agendo histrionicum Dionysiae saltatriculae cognomento compellatus est. Demosthenen

traditum est uestitu ceteroque cultu corporis nitido uenustoque nimisque accurato fuisse. Et hinc ei τὰ κομψἀ illa χλανίσκια et μαλακοὶ χιτωνίσκοι ab aemulis aduersariisque probro data, hinc etiam turpibus indignisque in eum uerbis non temperatum, quin parum uir et ore quoque polluto diceretur. Ad eundem modum Q. Hortensius omnibus ferme oratoribus aetatis suae, nisi M. Tullio, clarior, quod multa munditia et circumspecte compositeque indutus et amictus esset manusque eius inter agendum forent argutae admodum et gestuosae, maledictis compellationibusque probris iactatus est, multaque in eum, quasi in histrionem, in ipsis causis atque iudiciis dicta sunt. Sed cum L. Torquatus, subagresti homo ingenio et infestiuo, grauius acerbiusque apud consilium iudicum, cum de causa Sullae quaereretur, non iam histrionem eum esse diceret, sed gesticulariam Dionysiamque eum notissimae saltatriculae nomine appellaret, tum uoce molli atque demissa Hortensius "Dionysia," inquit "Dionysia malo equidem esse quam quod tu, Torquate, ἄμουσος, ἀναφρόδιτος, ἀπροσδιόνυσος".

« Que l’orateur Démosthène, s’exposant aux insultes par le soin qu’il prenait de sa toilette et de son vêtement, était d’une élégance décriée ; et que de même l’orateur Hortensius à cause d’élégances de même sorte et de ses gestes d’histrion, se fit apostropher du nom de la danseuse Dionysia. La tradition rapporte que Démosthène était trop brillant, trop charmant, trop soigné dans sa mise et le reste de sa toilette. De là ces manteaux élégants et ces tuniques moelleuses que ses rivaux et ses adversaires lui reprochaient avec sarcasme. De là encore les paroles infamantes et déshonorantes qu’on ne lui épargna pas, le traitant d’efféminé et aussi de bouche souillée. De la même manière, Q. Hortensius, plus illustre que presque tous les orateurs de son temps à l’exception de Cicéron, fut harcelé d’injures et de sarcasmes outrageants parce qu’il était vêtu et drapé avec beaucoup d’élégance, de soin et d’harmonie, que ses mains dans l’action étaient très expressives et actives, et bien souvent on l’a traité d’histrion jusque dans les plaidoiries et les procès. Mais quand Lucius Torquatus, homme quelque peu rustre et frustre, lors du procès de Sylla, l’appela devant le tribunal avec plus de violence et de méchanceté, non pas histrion, mais pantomime Dionysia, du nom d’une danseuse très connue, Hortensius lui répondit d’une voix douce et faible : « Dionysia, je préfère pour ma part être Dionysia plutôt que ce que tu es, toi, Torquatus, étranger aux Muses, à Aphrodite, à Dionysos. ». »

COMMENTAIRE :

L’activité d’une certaine Dionysia sur la scène romaine à l’époque de Cicéron est mentionnée à la fois par Cicéron et par Aulu Gelle. La nature de l’activité scénique de Dionysia est la principale difficulté posée par ce court dossier. Cicéron évoque les revenus de Dionysia de manière à estimer ce que son client, l’acteur Roscius, serait en mesure de gagner par une activité similaire s’il acceptait de se faire payer. Il convient ici d’éclaircir le contexte du propos de Cicéron. Quintus Roscius, son client, est un acteur de comédie (comoedus) qui connut un très grand succès au Iersiècle av. J.-C. et dont la postérité dans les sources est sans égale pour un acteur romain. Il fut d’abord proche de Sylla137 puis de Cicéron qui le défendit au début de sa carrière dans un procès contre un certain C. Fannius Cherea. Le procès concernait le partage des profits issus d’une terre que Roscius avait obtenue en dédommagement de l’assassinat de son élève, l’esclave Panurge, qui appartenait à Fannius Cherea avec lequel Roscius s’était associé et avait partagé les revenus de son apprenti jusqu’à

la mort de ce dernier. Dans un passage du discours, Cicéron nous apprend que Panurge, avant sa mort, pouvait être loué par ses patrons jusqu’à cent mille sesterce138. Il n’est pas précisé si ce prix correspondait à une location pour une unique performance ou pour une durée plus importante.

Dans le passage relatif à Dionysia, il est question d’une fraude qui aurait été commise par Roscius en vue d’obtenir un gain de cinquante mille sesterces. Une telle accusation de fraude est présentée comme une absurdité par Cicéron qui nous apprend à cette occasion que l’aisance financière de Roscius était telle qu’il pouvait désormais se permettre de refuser de se faire payer pour paraître sur scène. Ce refus surprenant s’explique peut-être par une volonté d’échapper à l’infamie139. Il implique en tout cas une opulence de la part de l’acteur. Cicéron affirme qu’en dix ans l’acteur aurait pu amasser jusqu’à six millions de sesterces s’il avait accepté de toucher son salaire et Pline évoque un salaire annuel de cinq- cent-mille sesterce par an140. Cicéron estime le revenu hypothétique de Roscius à trois-cent- mille sesterces en le comparant à celui de Dionysia qui aurait obtenu deux-cent-mille sesterces. La difficulté consiste, ici encore, à savoir à quoi correspond ce salaire. Si l’on compare les propos de Cicéron et ceux de Pline, les sommes appartenant à un même ordre de grandeur, on peut penser que Cicéron parle d’un revenu annuel. Dans ce cas, on ne comprend pas pourquoi Cicéron parle de six millions en dix ans. À moins qu’il faille ajouter à l’hypothétique salaire de comédien que Roscius refuse désormais de toucher, les revenus d’autres esclaves formés, comme Panurge par Roscius.

Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéresse ici c’est la comparaison opéré par Cicéron avec Dionysia. Pour Cicéron, la performance de Dionysia a moins de valeur que celle de Roscius mais elle reste cependant dans un ordre de grandeur relativement proche. Or, Roscius est sans doute l’acteur romain le plus célèbre et le plus riche de son temps, si l’on en croit Pline. Les revenus de Dionysia semblent donc en comparaison tout à fait conséquents. Les performances de Dionysia devaient donc être particulièrement appréciées et on imagine que sa célébrité, sans atteindre celle de Roscius, ne devait pas être négligeable. Mais de quel type de performance s’agissait-il ? La comparaison de Cicéron soulève la question de la pratique scénique de Dionysia. On sait que Roscius était comoedus, c’est-à-dire acteur de comédie classique, un genre qui connaît alors ses derniers succès, progressivement remplacé par le mime et la pantomime. On aimerait, s’appuyant sur cette comparaison, supposer une activité

138 CIC., Com., X (28).

139 DUPONT 1985, 108 ; DUMONT 2004. 140 PLIN., VII, 129.

similaire à Dionysia. Cependant, celle-ci n’a pas pu se produire dans des comédies puisque ce genre était fermé aux femmes et que les rôles féminins y étaient joués par des hommes141. On serait donc tenté d’y voir une mime puisque ce genre en pleine expansion était, lui, ouvert aux femmes.

Aulu Gelle n’emploie quant à lui pour la désigner aucun terme technique connu ailleurs dans la littérature ou dans l’épigraphie. Il utilise en revanche deux termes qui ne sont attestés nulle part ailleurs, gesticularia et saltatricula. Le second est vraisemblablement un sobriquet péjoratif construit sur le terme saltatrix et que l’on pourrait traduire par « petite danseuse ». Il convient de revenir ici aussi sur le contexte de l’évocation de Dionysia dans l’œuvre d’Aulu Gelle. Il s’agit pour l’auteur de comparer les critiques adressées à deux orateurs, le Grec Demosthène d’une part, le Romain contemporain de Cicéron, Hortensius, d’autre part. Tous deux, explique Aulu Gelle, étaient critiqués pour leur élégance et Hortensius en particulier pour ses « gestes empruntés aux histrions » (agendo histrionicum). Cette attitude aurait été sujet à moqueries et à critiques de la part de ses adversaires qui l’auraient qualifié d’histrion (histrionem). L. Torquatus dans un procès aurait été plus loin en utilisant les termes gesticulariam Dionysiamque, en référence à la très célèbre (notissimae) saltatriculae du même nom.

L’usage du nom de Dionysia en dehors de son contexte comme référence évidente confirme la célébrité de celle-ci. Aulu Gelle emploie d’ailleurs le terme notissima pour la qualifier. Le terme histrio extrêmement vague et englobant ne permet pas de préciser la profession de Dionysia. Sa technique semble en tout cas reposer essentiellement sur le geste puisque ce sont les gestes et non la diction qu’Hortensius est censé avoir empruntés à Dionysia. La comparaison entre les gestes des orateurs et ceux des acteurs est fréquente. Quintilien cite souvent en exemple la gestuelle et la diction des comédiens mais recommande à l’orateur de ne jamais les imiter142. Cicéron effectue également cette comparaison tout en soulignant la stricte distinction entre les deux genres143. Par ailleurs, le terme gesticularium semble faire référence au geste. Plus précisément, il semble construit sur le verbe gesticulare qui est utilisé dans les sources pour désigner l’action du pantomime144. De plus il est indéniable que l’activité de Dionysia devait reposer en grande partie sur la danse puisqu’elle est qualifiée deux fois de saltatricula. Garton considère Dionysia comme une mima. Spruit et

141 DUPONT 1985, 81 et 296.

142 QUINT., Inst., XI, 3, 111-112 ; I, 11, 18. DUPONT, 2000. 143 CIC., De Or., II, 59, 242 ; 60, 244.

Leppin comme une danseuse. Starks propose, lui, d’y voir une spécialiste d’un art très proche de ce qui deviendra, sous l’action de Pylade, un genre institutionnalisé, la pantomime. Cette théorie est d’autant plus probable que la plupart des spécialistes s’accordent à considérer que les techniques de la pantomime furent pratiquées à Rome longtemps avant d’être institutionnalisées145 et que la stricte fermeture du genre aux femmes ne peut qu’être postérieure à cette institutionnalisation. Dionysia fait donc peut-être partie de ces artistes qui participèrent à populariser l’art et les techniques de la pantomime avant que celle-ci de ne devienne un genre à part entière à la fin du Ier siècle av. J.-C. Le succès et la popularité de cet art pourraient expliquer le succès de cette artiste.