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DEUXIÈME PARTIE 1922-1928 SPÉCIALISATION DE LA REVUE

I. A 1) Divisions géométriques et poétiques

Les quatre gravures, de même que la mise en page, s’appuient sur des formes de divisions géométriques internes. D’une part, la mise en page développe des moyens plastiques afin de mettre en ordre les matériaux reproduits, divisant et ordonnant, de l’autre les ordres plastiques intrinsèques des gravures s’appuient sur la forme géométrique.

Dans l’article « Esthétique et purisme », qu’Epstein conservait dans ses carnets de notes pour Promenoir, Ozenfant et Jeanneret détaillent les enjeux formels du Purisme cristallisés autour de la figure géométrique :

« Les spectacles de géométrie simple donnent, à cause de la pureté de la réaction provoquée, la direction la plus impérative à notre jugement248. »

Si aucun des peintres représentés dans le numéro deux du Promenoir ne se revendique ouvertement du Purisme, l’importance de la collaboration entre Ozenfant, Jeanneret et Epstein permet de mettre leur conceptions en écho. L’ordre plastique voulu par les créateurs du Purisme acquiert une certaine cohérence face à la mise en place d’un ordre plastique à l’intérieur du Promenoir. Le troisième point abordé par Ozenfant et Jeanneret considère l’emploi de figures géométriques primaires comme moyens de construction plastique à même de clarifier, d’ordonner et de diriger l’espace. Les termes que les peintres emploient résonnent avec ceux de Cendrars qui résume, à l’intérieur de « Remarque sur Le Cabinet du Docteur

247

« Dossier d’origine le Promenoir » 233 B60 « Originaux des articles parus dans le Promenoir 1920-1921 », Fond Jean et Marie Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

248

Amédée Ozenfant, Edouard Jeanneret, « Esthétique et Purisme », in 233 B60 « Originaux des articles parus dans le Promenoir 1920-1921 », Fond Jean Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

Caligari » paru dans la revue Broom en 1922, les démarches abstraites contemporaines,

principalement cubistes :

« [Le Cabinet du Dr. Caligari] jette le discrédit sur l’art moderne car la discipline des peintres modernes (les cubistes) ne repose pas sur une hypersensibilité de fous mais sur l’équilibre, l’intensité et la géométrie mentale249. »

Selon Cendrars, les démarches plastiques des peintres contemporains s’intéressant à l’abstraction géométrique recherchent l’équilibre d’une intensité formelle. Malgré les divergences entre Purisme et Cubisme, les termes rappellent les notions de clarté et d’ordination spatiale données par Ozenfant et Jeanneret. Les deux remarques donnent des cadres afin d’envisager la conception de configurations géométriques au sein de l’espace de publication du Promenoir. Dans une autre mesure, les différentes démarches plasticiennes représentées proposent des domaines plastiques originaux dont les particularités sont à mettre en perspectives les unes par rapports aux autres afin de révéler les moyens ainsi que les formes géométriques qui soutiennent et structurent l’espace plastique.

I. A. 1. a) Fragmentation

La mise en page des textes s’appuie sur des formes de ponctuation, de division.

Chronique du laid de Cantinelli, Chroniques littéraires d’Epstein, Deval et Lacroix, Salon de printemps de Deval, Le Sang noir des pavots (notes sur l’opium) d’Apollinaire et Sur la statistique de Lacroix comportent tous des petits carrés à imprimés soleil qui reviennent de

manière récurrente et rythmique. Dans les textes en proses comme dans les textes poétiques, les carrés fragmentent des parties, divisent des entrées ou des stances. Visuellement, le carré marque le temps de pause au sein de la lecture. Ainsi à l’intérieur des trois chroniques, le carré introduit un nouveau paragraphe et appuie le caractère fragmentaire de l’écriture :

« [•] Un livre important de M. Raynal sur Picasso est annoncé chez Delphin à Munich. [•] Nous avons reçu les Tablettes, qui me paraissent être l’excellent organe technique de l’ébénisterie régionale250. »

249

« Casts discredit on Modern Art because the discipline of modern painters (cubist) is not the hypersensibility of madmen

but equilibrium, intensity, and mental geometry » [Nous traduisons] Blaise Cendrars, « Comment On Caligari », in Broom

vol 9 n°4, Rome, juillet 1922, p.351. 250

Pierre Deval, « Salon de Printemps », in Le Promenoir n°2, Lyon, mars 1921, p. 19, in 233 B60 « Originaux des articles parus dans le Promenoir 1920-1921 », Fond Jean Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

« [•] Il est d’observation courante que les grandes amours ont souvent commencé non par le coup de foudre, mais par de l’antipathie ou tout au moins par de la défiance. [•] La beauté doit entrer en nous comme une Pravaz : la piqûre précède le bienfait251. »

Le carré marque à la fois la fracture et la liaison, soit entre deux éléments indépendants, soit dans le développement d’une même idée. L’impression du carré se retrouve à l’intérieur du poème en vers libres d’Apollinaire où il a pour rôle d’introduire chaque stance. Les strophes librement versifiées représentent une écriture fluide où seul le carré marque le retour à la ligne et donc la stance. Pareillement, chaque vers de Deux petits poèmes passéistes de Rio Jim est introduit par une majuscule du titre imprimé verticalement. Dans les deux poèmes, un symbole ou une majuscule divisent et rythment visuellement le déroulement du texte.

Dans « Le Cinéma et les Lettres modernes », paru en 1921 au sein de La Poésie

d’aujourd’hui un nouvel état d’intelligence, Epstein désigne l’une des caractéristique

prégnante de la poésie moderne en tant qu’esthétique de succession :

« Une bousculade de détails constitue un poème, et le découpage d’un film enchevêtre et mêle, goutte à goutte, les spectacles252. »

Epstein met en évidence d’une part le caractère accumulatif et détaillé de la poésie moderne et d’autre part s’appuie sur une comparaison avec l’appareil technique cinématographique, c’est-à-dire la division rythmique et lumineuse des photogrammes, la fragmentation technologique de l’image enregistrée. Au travers de la comparaison, l’accumulation des détails poétiques se comprend comme une collection de fragments dont la séparation suit le schème d’une division mécanique. Au sein de la reproduction du texte en prose ou versifié, le symbole carré ou la majuscule marquent et rythment la fragmentation. Le régime visuel créé par la mise en page ponctue, souligne la fragmentation textuelle et rythmique sous-jacente. La marque fragmentaire révèle et ordonne, rend visible et lisible les structures internes.

Les quatre gravures présentent des formes différentes de fragmentation plastique. L’exercice de figuration dans l’Intran, la roue, les écrous ou encore les immeubles, s’appuie sur des figures géométriques élémentaires : cercles, carrés, rectangles ou triangles. Chaque objet, composé d’une ou plusieurs formes géométriques, représente une entité particulière. La

251

Richard Cantinelli « Chronique du laid », in Le Promenoir n°2, ibid. ; p. 17, in 233 B60 « Originaux des articles parus dans le Promenoir 1920-1921 », Fond Jean Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

252

Jean Epstein, « Le Cinéma et les Lettres modernes », in La Poésie d’aujourd’hui un nouvel état d’intelligence, op.cit. ; p.2, in 236 B60 « Écrits littéraires », Fond Jean et Marie Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

forme géométrique correspond au squelette formel de l’objet. L’ensemble de ces objets figurés se rassemble en agrégats de figures géométriques : diverses parties identifiables et pourtant solidarisées. L’Intran concentre l’ensemble des éléments en une masse différentielle. Les objets se chevauchent, les uns par dessus les autres, et pourtant se détachent, conservent des contours définis et individualisés. Chaque figure devient le fragment singulier d’une masse d’éléments plastiques concentrés et pressés les uns contre les autres. L’Intran se rapproche alors de la définition poétique donnée précédemment par Epstein qui considère l’esthétique de succession, une bousculade de détails, comme la somme des fragments. Le projet plastique de l’Intran rassemble et superpose les figures en fragments d’un ensemble pluriel et différentiel.

Élément mécanique de Léger manifeste la conception fragmentaire la plus explicite. Le

peintre emploie directement des formes géométriques en tant que moyens et figures de la représentation. Entre 1917 et 1923, Léger réalise la majeure part de sa série Éléments

mécaniques. Dans « Notes sur la plastique actuelle » il précise, en 1923, quelque conception

fondamentale de sa démarche conduite entre 1920 et 1922 :

« L’élément mécanique est un moyen et non un but. Je le considère simplement ‘matière première’ plastique comme les éléments d’un paysage ou d’une nature morte253. »

Léger comprend l’élément mécanique en tant que modèle de la représentation, non en tant que but de la démarche. Mise face à face avec la série Élément mécanique, l’abstraction géométrique de la gravure atteint de nouvelles dimensions. Le rectangle central représente un axe symétrique, subdivisé en deux parts égales, l’une blanche l’autre noire, et comprend trois cercles identiques situés à distance égale les uns des autres. Mais l’agglomération des formes autour de cet axe devient divergent : de part et d’autre, aucune forme ne se duplique exactement. Plutôt, les figures se déploient à la manière de multiples fragments géométriques : demi-cercles, segments et demi-droites. Ainsi, les lignes, à l’exception de l’axe de symétrie centrale, constituent pour la plupart des fragments de figures géométriques incomplètes et divergentes. Cependant, l’ensemble de ces fragments se conjoignent et structurent ainsi l’espace plastique de la gravure. Dans un texte antérieur à la série Élément

mécanique, Léger décrit l’une des étapes par laquelle concentrer les dimensions plastiques des

formes créées :

253

Fernand Léger, « Notes sur la plastique actuelle 1920-1922 », in 7 Arts n°20, Bruxelles, 15 mars 1923, in Fonctions de la

« Concentrez vos courbes avec le plus de variété possible, mais sans les désunir, encadrez- les par le rapport dur et sec des surfaces des maisons, surfaces mortes qui prendront de la mobilité par le fait qu’elles s’opposent à des formes vives ; vous obtenez un effet maximum254. »

Léger assemble ainsi les variétés des lignes, en une somme de fragments, dans des structures rigides et cohérentes dont la confrontation produit une intensité plastique. Élément

mécanique ne possède pas de structure globale qui concentrerait l’ensemble des lignes

fragmentaires, mais celles-ci se confrontent dans des subdivisions structurelles. Les fragments de figures géométriques forment des blocs architecturaux qui s’opposent et s’accolent. Ainsi dans Élément mécanique, la fragmentation des figures géométriques soutient une subdivision de l’espace en parties différenciées, polymorphes et néanmoins solidaires les unes des autres. Chaque figure se comprend comme le fragment interne et structurel de l’élément mécanique ici déconstruit et exposé.

Pour sa part, Epstein préfère les œuvres réalistes de Léger à ses abstractions géométriques comme il le décrit :

« D’autres œuvres, des dessins que je n’osai trop ouvertement préférer, étaient d’une facture très différente, d’un réalisme si minutieux, si fouillé, qu’il en devenait effrayant et bien plus fantastique qu’un symbolisme d’agrégats géométrique ne pouvait être. Ainsi, un certain portrait d’une personnalité végétale – souche ou racine d’arbre – faisait vraiment peur255. »

La reproduction d’Élément mécanique indique pourtant l’importance prise par la fragmentation de l’abstraction géométrique dans les préoccupations plastiques qui régissent le corpus de Promenoir.

En 1922, De Fayet256 écrit pour l’Esprit nouveau un article sur la Chapelle Sixtine de Michel-Ange, qu’il confronte à quelques aspects des démarches plastiques contemporaines :

« Pour analyser l’effort moderne, on dit machine à émouvoir, c’est-à-dire éléments physiques, primaires, suffisants pour donner satisfaction à l’œil, suffisamment choisis, clairement exprimés, clairement assemblés, pour déterminer des rapports qui ravissent l’intellect. Représentation suffisamment élargie du fait naturel pour reléguer au second plan l’intérêt iconographique et donner plein sens aux éléments plastiques qui sont les moyens émotifs de l’œuvre d’art257. »

254

Fernand Léger, « Les Réalisations picturales actuelles », in Les Soirées de Paris, vol 3 n°25, Paris, 9 mai 1914, in

Fonctions de la peinture, op.cit. ; p.26.

255

Jean Epstein, « Mémoires Inachevés », in Écrits sur le cinéma. 1921-1953, Tome 1 : 1921-1947, op.cit. ; pp.41-42. 256

Ozenfant et Jeanneret écrivaient tous deux, alternativement, sous le pseudonyme de De Fayet. 257

La remarque de De Fayet résonne particulièrement avec la conception de Léger, à l’instar de la troisième conception du Purisme donnée par Ozenfant et Jeanneret qui envisagent une direction impérative du jugement grâce à la figure géométrique élémentaire. Ces derniers se distinguent pourtant sur certains points : tandis que Léger envisage un rapport plastique, Ozenfant et Jeanneret conçoivent une dimension cognitive et De Fayet une fonction émotive. Pourtant, chacun se rallie à la notion de clarté des rapports plastiques intrinsèques et la relie au domaine mécanique. À l’intérieur de Promenoir, les fragmentations d’Élément

mécanique et de L’Intran instituent les rapports fragmentaires entre les formes en tant que

conception plastique et instrumentale : à la fois moyens et formes d’une représentation mécanique, d’une individualisation formelle. Dans Le Phénomène littéraire, Epstein lie à son tour fragmentation et mécanique :

« Le machinisme de la civilisation, l’instrumentalisation innombrables qui encombrent les labos, les usines, les hôpitaux, les ateliers de photographes et des électriciens, la table de l’ingénieur, le pupitre de l’architecte, le siège de l’aviateur, la salle de cinéma, la vitrine de l’opticien et même la poche du menuisier, permettent à l’homme une infinie variétés d’angles d’observation. L’optique surtout (et quoi d’étonnant dans une société surtout optique ?) accroche à notre cou ses lentilles comme des amulettes au cou du chef indien. Et tous ces instruments, téléphone, microscope, loupe, cinéma, objectif, microphone, gramophone, auto, kodak, avion, ne sont pas de simples objets inertes. A certains moments ces machines viennent faire partie de nous- mêmes et filtrer pour nous le monde comme l’écran filtre les émanations du radium. {…} Le monde est aujourd’hui pour l’homme comme une géométrie descriptive avec son infini deplans de projection. Chaque chose possède des centaines de diamètres apparents qui ne se superposent jamais exactement. Tout est mesure d’angles, trigonométrie, ou mesures de correspondances, logarithmes. Il n’y a plus de dimensions, mais des rapports. Tout est proportion, fonction d’une variable, mobile, relatif, momentané258. »

Epstein détermine ainsi une perception optique mécanique fragmentaire, démultipliée et géométrique. La diversité des points de vue introduite par la fragmentation matérielle des instruments mécaniques institue de nombreux régimes divergents de perception. La fragmentation instaure une géométrie variable et relative des points de vue entre correspondances et distances. En reliant la mécanique et la géométrie, Epstein s’accorde avec les projets formels de L’Intran et d’Élément mécanique. De la plastique à l’optique, l’exercice de la fragmentation est considéré comme un prisme à instrumentaliser.

258

Jean Epstein, « Le Phénomène littéraire », in L’Esprit nouveau, Paris, mai 1921, p.859, in 236 B60 « Écrits littéraires », Fond Jean et Marie Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

La fragmentation mécanique, plastique et optique, se lie également au dispositif cinématographique dont l’appareil technique se fonde sur de multiples niveaux de fragmentation pelliculaire, lumineuse et temporelle. Epstein lie directement les différentes formes plastiques de fragmentation impliquées par la mécanique. Il décrit, lors d’une conférence donnée en 1920 sur Lacroix, puis dans l’essai Le Sens I bis paru dans Bonjour

Cinéma en 1921, l’impact plastique de la mécanique dans les arts :

« Le machinisme qui modifie la musique en y introduisant des modulations de complaisance, la peinture en y introduisant la géométrie descriptive, et tous les arts, et toute la vie en y introduisant la vitesse, une autre lumière, d’autres cerveaux, ici, crée son chef d’œuvre259. »

Epstein désigne les implications de la fragmentation mécanique, fait correspondre la création de formes géométriques descriptives à l’enregistrement cinématographique. La fragmentation technique cinématographique permet de « Feuilleter l’homme260» et plus

précisément d’instaurer des variations :

« A l’écran une minute de l’expression d’un sentiment est la somme de 1120 valeurs de ce sentiments, notées isolement au cours de ses variations en une minute de temps261. »

L’image cinématographique enregistre et divise toutes les variations avant de les réunir. Ces variations correspondent aux multiples variables des régimes fragmentaires et instrumentalisés de l’optique mécanique. En 1924, Léger écrit L’Esthétique de la machine,

l’ordre géométrique et le vrai où il développe la notion d’une plastique mécanique

cinématographique :

« Le cinéma de l’avenir est là aussi, vers la personnification du détail grossi, l’individualisation du fragment, ou le drame se noue, se situe, s’agite. Le cinéma concourt à ce respect de la vie. La main est un objet multiple, transformable262. »

Comme Epstein, Léger envisage la dimension variable de l’image cinématographique, spécifiquement en termes plastiques. Pour lui, la mécanique cinématographique permet d’isoler afin de détailler et de cristalliser, de révéler les dimensions plastiques sous-jacentes reposant à l’intérieur de l’objet enregistré. L’image cinématographique devient alors l’agent plastique de la fragmentation et de la variation, c’est-à-dire de la transformation, de la même

259

Jean Epstein, Bonjour Cinéma, Paris, Editions de la Sirène, 1921, p. 37, in 236 B60 « Écrits littéraires », Fond Jean et Marie Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

260

Jean Epstein, Bonjour Cinéma, ibid. in 236 B60 « Écrits littéraires », Fond Jean et Marie Epstein, Cinémathèque Française 261

Jean Epstein, « Les Images relativement à nous », in Photociné, Paris, février 1928, p.23, in 236 B60 « Écrits littéraires », Fond Jean et Marie Epstein, Cinémathèque Française, Paris.

262

Fernand Léger, « L’esthétique de la machine, l’ordre géométrique et le vrai », in Fonctions de la peinture, op.cit. ; pp.106- 107.

manière que les fragmentations géométriques instituent les éléments mécaniques comme moyens et formes plastiques.

Ainsi, la fragmentation se perçoit au travers des textes et des œuvres reproduits dans

Promenoir comme dimension soit poétique soit plastique, développée par des formes

géométriques. La fragmentation s’appréhende en tant que rythme littéraire, instrument plastique, variable optique et s’étend jusqu’à une caractérisation, matérielle, plastique de la variation cinématographique. Les domaines poétiques, plastiques et cinématographiques partagent des conceptions similaires de la fragmentation.

I. A. 1. b) Contrastes

Aux côtés de la fragmentation, les quatre gravures de Promenoir travaillent particulièrement les contrastes de noirs et de blancs. Les compositions de Music-Hall,

L’Intran et Dancing se fondent sur des contrastes francs et intenses. Les gravures ne disposent

pas de nuances de gris, préférant plutôt la confrontation de la bitonalité. Dans ces trois gravures, le contraste permet dans un premier temps d’appuyer les structurations des figures.

Dans L’Intran, cette dimension s’exprime grâce aux tracés géométriques des formes et de la fragmentation. Les lignes blanches ferment, appuient les contours des tracés, particularisent les figures : ainsi des dessins de roues, d’écrous et de ressorts dont les droites, les triangles et les cercles tracés à l’encre noire puis nimbés, soulignés de lignes blanches qui les détachent de l’ensemble de la composition. Inversement, à l’intérieur de l’unique partie blanche, les figures noires de ressorts se détachent nettement sans la démarcation d’aucun contour. Cette partie de la composition comporte une zone de porosité avec la roue centrale : les contours blancs du ‘ressort’ noir, qui traverse et rejoint les deux parties, ne sont visibles que dans la partie noire tandis qu’ils se dissolvent dans la partie blanche. Pareillement, les rayons des deux roues, placées à gauche, qui se dessinent contre du blanc perdent leurs détours et n’apparaissent plus que dans un contraste simple entre figure noire et fond blanc. Le passage de l’une à l’autre des valeurs lumineuses met en exergue l’intervention des contours au sein de la démarcation des figures.

L’historien de l’art Guitemie Maldonado pointe l’un des principes sous-jacents du contraste :

« Les contrastes ne sont jamais plus forts que pris au sein de similitudes et chercher des analogies ne fait sens qu’à partir du constat d’un écart263. »

D’un point de vue plastique, le contraste entre lignes noires et blanches, entre les pleins et les creux dessinés détache, écarte les figures les unes des autres et paradoxalement unifie. Le système plastique du contraste forme ici la base lumineuse et structurale de la composition et donc construit, individualise les figures mais les apparente les unes aux autres. Par exemple, les lignes et les aplats de blancs et de noirs qui forment les figures de Dancing comme de Music-Hall, sont tout entières concentrées par la cohérence de la composition générale. Leurs lignes singulières se combinent selon une alternance de contrastes.