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III. De la plastique à la critique

III. 1. b) Photomontage critique des avant-gardes

Dada Sinn der Welt offre un parcours critique d’un point à l’autre des avant-gardes et y

développe les positions personnelles prises par Grosz et Heartfield. Puisque le corpus d’œuvre confronte par voie de photomontage les œuvres des artistes avec celles de Haussmann, de Chirico, Ball, Huidobro et Picabia, c’est-à-dire une sélection réduite de démarches singulières du dadaïsme international à la Pittura Metafisica, les deux rédacteurs transforment la publication en une approche réflexive, critique des influences et relations par le photomontage des œuvres et des prises de positions explicitées au sein de leurs écrits.

Dada Sinn der Welt s’inscrit au sein des circulations esthétiques entre les publications

d’avant-garde berlinoises car certains de ses matériaux constituent des remplois ou seront remployés par d’autres revues. Par exemple, le poème K’perioum d’Haussmann apparaissait déjà en juin 1919 dans Der Dada n°1, publication personnellement dirigée par l’auteur. Plus spécifiquement, des éléments typographiques de la mise en page de la couverture de Dada

Sinn der Welt, ‘Was ist Dada ? […] Garnichts, alles ?’ seront bientôt recopiés à l’intérieur de Der Dada n°2 en septembre 1919 et Dada Almanach publié en 1920 par Huelsenbeck. Grosz,

Heartfield et Hausmann collaborent en avril 1920 à la publication du dernier numéro de Der

Dada avec le soutient de Malik Verlag166. Les éléments du corpus de Dada Sinn der Welt rejoignent ainsi le réseau de circulation des images à l’intérieur du champ circonscrit par

166

« Raoul Hausmann edited Der Dada 1 in June 1919. Der Dada 2 in September 1919 and Der Dada 3, published by Der

Malik Verlag, in April 1920, with George Grosz and John Heartfield. », Emily Hague, « Der Dada », in Dawn Ades, (éd.), The Dada Reader, op.cit. ; p. 83.

Dada Berlin. Les liens entre Dada Sinn der Welt et Dada Berlin, Grosz, Heartfield et Haussmann se resserrent d’autant.

Dans les articles, Grosz et Heartfield prennent une certaine distance par rapport au Futurisme italien et à l’Expressionisme allemand. Meliorismus et Dada Tritt Für concentrent la majeure partie d’une écriture essayiste et polémique tandis que les textes Unser John,

Mann Muß Kautschuckmann sein ! et Der Zementerarbeiter ein ! correspondent à des récits

absurdes et satyriques. Quelques unes des formulations de Grosz et Heartfield dans

Meliorismus et Dada Tritt Für résonnent particulièrement, voire exactement, avec des textes

écrits par Huelsenbeck, dont la Première allocution dada en Allemagne et le Manifeste Dada, signé entres autres par Grosz, et présentés respectivement le 22 janvier et le 12 avril 1918 puis reproduits tous deux en 1920 dans Almanach Dada.

Huelsenbeck y décrit de cette manière l’Expressionisme allemand :

« Sous prétexte d’‘intériorisation’, les expressionnistes de la littérature et de la peinture se sont rassemblés pour former une génération qui demande déjà aujourd’hui, nostalgiquement, hommages et honneurs à l’histoire littéraire et à l’histoire de l’art ; ils ont déjà posé leurs candidatures pour recevoir l’estime du bourgeois. Sous prétexte de faire de la propagande pour l’âme, ils ont, en combattant le naturalisme, retrouvé les gestes abstraits et pathétiques qui supposent une vie sans contenu, commode et immobile. Nos scènes de théâtres se remplissent de rois, de poètes et de créatures faustiennes de tout acabit ; les têtes oisives sont hantées par une conception mélioriste du monde qui, avec des airs puérils et psychologiquement naïfs, restera l’élément critique le plus significatif de l’expressionisme. La haine de la presse, de la publicité, la haine des nouvelles et des événements à sensation est le propre de gens qui donnent plus d’importance à leur fauteuil qu’au bruit de la rue et qui se font une gloire d’être roulé par le premier combinard venu. Cette opposition sentimentale à une époque qui n’est ni meilleure, ni pire, ni plus réactionnaire, ni plus révolutionnaire que n’importe qu’elle autre, cette opposition faiblarde, qui a l’œil tourné vers les prières et l’encens quand elle ne préfère pas se tailler des projectiles en carton dans des iambes attiques – voilà les traits caractéristiques d’une jeunesse qui n’a jamais su être jeune. L’expressionisme découvert à l’étranger est devenu en Allemagne, suivant la recette bien connue, une grasse idylle et l’espoir d’une bonne pension, n’ayant plus rien à voir avec les intentions d’hommes actifs167. »

Puis il écrit dans le texte «Que voulait l’Expressionisme ? :

167

« Il n’est en fin de compte rien d’autre et ne s’en distingue en rien. L’expressionisme n’est pas une action spontanée. C’est le geste d’hommes fatigués qui veulent sortir d’eux mêmes pour oublier, oublier leur époque, la guerre et la misère168. »

Grosz et Heartfield le qualifient ainsi à leur tour :

« L’Expressionisme aurait pu devenir un mouvement comme le Gothique au Moyen-Age. Mais, à peine exploité par ces jeunes au stade précoce de leur développement, il a perdu ses objectifs comme une image floue, brouillée, une idylle grossière, une conversation de salon169. »

« L’activité, cette notion monstrueuse de couleurs, de bruits, de rythmes, attend aujourd’hui la reconnaissance bourgeoise sous le nom d’Expressionisme. Ceux, qui ont une philosophie hypocrite innée, sont fiers de leur aveuglement, de leur manque d’exigence vitale, de leur passivité. Je parle des hommes qui se sont rassemblés sous un seul nom [l’Expressionisme] puis l’ont remplis à leur convenance, après qu’il ne fut un signal et un coup de klaxon pour d’autres. Les idées de ces anémiques n’étaient rien de plus, leurs prises de conscience n’ont rien fait de plus, et ici, elles doivent se substituer à la prière litanique. Se retirer avant le combat signifie ici ‘l’intériorité’. Ne pouvoir copier la nature, qui était l’initiatrice du mouvement, de l’impulsion, de l’action et un appel à l’autoréflexion, justifie ici l’attente d’une bonne pension170. » Les trois artistes utilisent des termes similaires et concordants sur l’Expressionisme, désormais dénommé Mélioriste, qui est jugé avant tout pour conservatisme et passivité. L’ « idylle » comme les « gestes abstraits et pathétiques », « l’opposition sentimentale » et les « prières et l’encens » ou les « ïambes attiques » décrits par Huelsenbeck, « la prière

litanique » de Grosz et Heartfield teintent de passéisme l’expressionisme. Les confortables

« pensions », les « hommages et les honneurs », les « conversations de salon », « la

reconnaissance bourgeoise » en décrivent le conformisme. « L’immobilisme » et la fatigue

dénotés par Huelsenbeck devient sous la plume de Grosz et Heartfield l’antiphrase « activité » qui désigne la manière dont les expressionnistes l’ont dévitalisée afin de se cacher derrière « l’intériorisation ». L’opposition faite à l’Expressionisme révèle ainsi une prise de position

168

Richard Huelsenbeck, « Que voulait l’expressionisme ? », in Almanach Dada, ibid. ; p. 194. 169

« Der Expressionismus, der eine Bewegung hätte werden können wie sie die Gothik im Mittelalter war, und der durch

diese Jugend kaum im Anfang seiner Entwicklung abgestochen worden ist, ist hier in seinen Zielen verwischt worden wie eine trübes Nebelbild, eine fette Idyle ein Kafeeklatsch. » [Nous traduisons], George Grosz, John Heartfield, « Meliorismus »,

in Dada Sinn der Welt, op.cit. ; p. 3. 170

« jene Schwälinge damit zut un, die heute unter dem Begriff des Expressionismus mit Sehnsucht eine bürgerliche

Anerkennung erwarten. Das sind diejenigen, die in angeborener Hypokrisie stolz auf ihre Verblendung und auf ihren Mangel an vitalen Voraussetzungen sich eine Philosophie aus ihrer Passivität gemacht haben. Ich spreche von den Menschen, die sich unter einem Namen gesammelt haben und ihn nachträglich mit ihrer Bequemlichkeit füllen, nachdem er für andere ein Hornstoß und ein Signal gewesen war. Die Einsichten diéser anämischen nichts mehr gab, hat mit den Eisichten diéser anämischen nichts mehr zut un, hier muß Litanei Gebet ersetzen, zurückziehen vor dem Kampf bedeutet hier Innerlichkeit. Die Tatsache, daß man die NAtur nicht kopieren darf, die den Iniciatoren der Bewegung eun Anstoß zum Handeln war und ein Ruf zur Selbstbesinnung ist hier eine Rechtfertigung der Erwatung auf eune gute Pension. » [Nous traduisons], George

importante pour Grosz, Heartfield et Huelsenbeck : le mouvement et ses moyens de représentation dynamiques.

Dans Dada Tritt für, Grosz et Heartfield certifient leur entendement avec Huelsenbeck. Comme l’implique cette remarque sur les recherches bruitistes de Huelsenbeck :

« La représentation scénique apporte le mouvement diabolique de la vie directement et délibérément. […] Le poème bruitiste, réalisé pour la première fois dans Phantastiche Gebete de Richard Huelsenbeck, apporte les interjections et les bruits primitifs qui accompagnent chaque processus vivant ; la plus directe expression des événements est ici aussi le principe dadaïste171. » Ils lient leurs démarches à celle d’Huelsenbeck et au développement du principe dadaïste, c’est-à-dire le principe de mouvement.

Le Futurisme est à son tour inspecté par les trois auteurs. Pour Grosz et Heartfield : « Là où le dadaïste diffère du futuriste, est l’indiscutable fait que le futurisme est une affaire italienne. Puisqu’on est harcelé par les bâtiments renaissance, on tombe sur les statues d’Apollon et de Ganymède, c’est dangereux et gênant de créer quelque chose de véritablement nouveau parce que le spectateur a immédiatement la possibilité de classer les œuvres par comparaison. […] En revanche, Marinetti s’est présenté au Sturm : il y trouva la Renaissance, qu’il devait tuer afin de devenir futuriste. Il est dans une polémique permanente avec lui-même, (…) parce que les reliefs du Palazzo Ducale ou de la Porta del Popolo lui sourient dans ses rêves, parce que il doit retrouver sur la Piazza del Herbe les jeunes grecs172. »

Les deux plasticiens définissent le Futurisme comme un problème culturel italien. Le positionnement de Huelsenbeck prend les mêmes traits dans Première allocution Dada en

Allemagne. Il décrit le Futurisme comme fondamentalement italien et se réfère lui aussi à « la statue d’Apollon »:

« Le futurisme, tel qu’il se présentait, était une affaire exclusivement italienne, un combat contre l’affreuse Antiquité avec sa technique commerciale impeccable qui étouffe tout talent. [...]

171

« Die Darstellung auf der Bühne bring die chaotische Bewegung des Lebens zum unmittelbaren Bewusstsein. […]Das

bruitische Gedicht, das zum erstemal durch die phantastichen Gebete von Richard Huelsenbeck verwirklich erscheint, bringt die Interjektionen une primitiven Gerausche, die jeden Lebensvorgang begleiten, zu ihrer Geltung Das Dadaistische Prinzip ist Auch hier, ummittelbarsten Ausdruck des Geschehens zu geben.» [Nous traduisons], George Grosz, John Heartfield,

« Dada Tritt Für», in Dada Sinn der Welt, ibid. 172

« Was den Dadaisten vom Futuristen nicht zuerst unterscheidet, ist die unbestreibare Tatsache, dass der Futurismus eine

italienische Angelegenheit ist. Da ist man von den auten der Renaissance bedrangt, man stolpert über die Appolo – und Ganymedstatuen, ist gefahrvoll behinder überhaupt etwas neues zu schaffen, weil der Beschauer sogleich die Möglichkeit hat, klassifiizierte Kunstwerke zum Vergleich heranzuziehen. Er wird sich nicht davon abbringen lassen, den hier verkörperten Geist als etwas allein seligmachendes zu preisen, zumal überall die Türen der Museen für ihn geöffnet sind. Dagegen hat Marinetti Sturm gerant ; in seinem Herzen fand er die Renaissance, die er ständig totschlagen musste, um Futurist zu sein. Er war in standiger Polemik mit sich selbt […] weil die Reliefs am Palazzo ducale und der Porta der Popolo in seine Träume grinste, weil er auf der Plazza del Herbe die Grieschiche junglinge versuchen musste. »[Nous traduisons], George Grosz, John Heartfield, « Dada Tritt Für », in Dada Sinn der Welt, ibid.

ce futurisme était le combat contre la statue d’Apollon, contre la cantilène et le bel canto. […] Le dadaïsme a dépassé les propositions du futurisme et les théorèmes cubistes173. »

Les regards portés par Grosz et Heartfield sur l’Expressionisme et le Futurisme concordent sémantiquement et discursivement avec celui de Huelsenbeck. Les points communs se répètent et s’inscrivent au sein d’une circulation d’idées qui sous-tend le partage des conceptions à l’intérieur de leurs démarches artistiques. La prise de position contre le statisme de l’Expressionisme se rattache à la manière dont ils envisagent le mouvement dans une dimension plastique et éthique. Les objections faites aux Expressionisme et Futurisme appuient la description et la justification des positions des auteurs, affirmées par contraste. Huelsenbeck qualifie des éléments dadaïstes dans Que voulait l’Expressionisme ? :

« L’expressionisme voulait l’intériorisation, il se concevait comme une réaction contre son époque tandis que le dadaïsme n’est rien d’autre que l’expression de son temps. Dada est dans son temps comme un enfant de cette époque que l’on peut injurier mais qu‘on ne saurait réduire à rien en la niant. Dada a assimilé la mécanisation, la stérilité, la stagnation figée et le rythme de ce temps174. »

Le détail des spécificités dadaïstes est formulé ensuite dans Dada Sinn der Welt : « Le dadaïste, qui exerce la pensée de sa chair jusqu’à la fin, la corporalité de la sempiternelle progression de l’esprit, l’élément fugace du zénith, n’a rien à faire avec le futurisme comme tendance artistique. […] Le concept de mouvement des futuristes, comme les machines de l’agitation du temps, devient pour le dadaïste fortement généralisée […] Le concept de mouvement se transcrit en art de vivre et inversement. Il n’y a de paix nulle part. Là où est la paix, se perçoit la progression de l’esprit et commence la flaque de boue. À la fin, la vie n’est rien d’autre que le désordre pressé du meilleur film à sensation. Mais le mouvement, avant le fatras du soi-disant esprit objectif, veut désordonner le concept moral. Il enseigne après la division naturelle en deux des choses à voir175

Selon Grosz et Heartfield, la conception du mouvement caractérise le principe sous- jacent du dadaïsme. Le principe sous-tend plusieurs dimensions qui engagent les processus de représentation : le mouvement se perçoit comme fonction déconstructrice et sensitive dont l’hétérogénéité, l’hétérochronie devient implicitement critique.

173

Richard Huelsenbeck, « Première allocution dada en Allemagne 22 janvier 1918 », in Almanach Dada, op.cit. ; p. 260. 174

Richard Huelsenbeck, « Que voulait l’expressionisme ? », in Almanach Dada, op.cit. ; p. 194. 175

Cependant, il se crée une tension contradictoire entre l’assimilation des formes et principes futuristes ou expressionnistes176, soit avouée dans les descriptifs donnés par Grosz et Heartfield de leurs démarches, soit par la généralisation du concept du mouvement futuriste au prisme du dadaïsme, et les prises de positions formulées précédemment dans Dada Sinn

der Welt. Huelsenbeck se contredit tout autant car en affirmant son invention du poème

bruitiste, il reconnaît par là même la préséance futuriste de Russolo dont la partition Le Réveil

de la capitale fut performée pour la première fois le 2 juin 1913177.

Les formes de remplois expressionnistes, futuristes, dadaïstes tels qu’affirmés en 1921 par les deux rédacteurs en chef manifestent une circulation ambivalente, contradictoire entre absorption et refus. Si Grosz et Heartfield ne se relient pas au Futurisme en tant que tendance

artistique, le concept de mouvement adoptant une dimension essentielle dépasse la

contradiction et se réactualise au contact des dadaïstes. Face à l’Expressionisme et au Futurisme, les positionnements des trois artistes insistent sur les particularités des travaux dadaïstes et appuient la notion du mouvement. Le concept du mouvement devient à la fois un outil et un processus de représentation dynamique, imprégné des mécanisations contemporaines que les artistes veulent absorber par leurs travaux.

Les articles de Dada Sinn der Welt concentrent donc des prises de positions explicites qui détaillent discursivement, énoncent les termes des contrastes et des oppositions afin d’affirmer les propositions portées par les démarches de Grosz et Heartfield, et d’insister sur leurs spécificités. La critique textuelle introduit la question du manifeste qui explicite et définit les choix esthétiques des deux auteurs dans le corps du texte, les situent au sein des circulations esthétiques et discursives entre les différentes démarches contemporaines. Tandis que les articles décrivent la position, les photomontages en appuient formellement les idées. Les particularités matérielles, spatiales et dynamiques de Dada Sinn der Welt prennent une tournure critique plastique, formelle et dynamique en composant avec différentes démarches d’avant-gardes ainsi que les approches spécifiques de Grosz et Heartfield.

L’inclusion matérielle des œuvres par la reproduction et la composition du photomontage constitue à la fois une appropriation et un déplacement. La transition des

176

« Certaines des expressions artistiques par lesquelles elle [La branche berlinoise] s’affirma prenaient néanmoins leurs

sources dans l’Expressionisme ; ainsi en est-il par exemple du photomontage, comme du poème phonétique. » J. Pierre, « Hannah Höch et le photomontage des dadaïstes berlinois », in Techniques graphiques, n°66, novembre décembre 1966,

Paris, p. 531. 177

« Moi j’ai inventé le concert de voyelles et le poème bruitiste, qui est un mélange de poème et de musique bruitiste et que

les futuristes ont rendu célèbre avec Le Réveil de la capitale », Richard Huelsenbeck, « Première allocution dada en

œuvres en présente une version non seulement située au sein d’un rapport de différence avec l’original mais désormais absorbé dans une composition dynamique. Bürger detsee ajoute les niveaux de différences. L’œuvre reproduite est créée à partir de deux œuvres originales de l’artiste, Mnymosa et M. Gurk, photomontées ensemble. Les œuvres transformées en matériaux de composition par Hausmann sont assimilées par similigravure dans Dada Sinn

der Welt, devenant encore élément de composition. D’assimilations en assimilations, les

œuvres approfondissent des rapports de différences entre les versions. Déplacées au sein de la composition leurs transformations matérielles leurs confèrent certaines valeurs critiques. L’appropriation matérielle, la distanciation et le déplacement inhérents préparent le terrain à une critique formelle dynamique. Contrastes et correspondances agissent à la manière de révélateurs et de contrepoints, d’accords et de contradictions. Les traces dynamiques prennent quant à elles une dimension critique, au-delà de la figuration effective des déplacements, au sein de l’altération et des transformations qu’elles impriment sur les œuvres.

La dimension critique s’étoffe au long du montage alterné des trois séquences. Au fil de ce montage, les caractéristiques plastiques des photomontages servent à construire une critique des œuvres. Les deux séquences d’ouverture et de fermeture, divisées par le carnet central, s’attachent particulièrement à l’étude de Grosz et Heartfield tout en l’élargissant par les reproductions de Bürger detsee et K’perioum. Il se crée une identification au sein de la division du corpus entre les œuvres de Grosz, Heartfield et Hausmann. D’autre part, Bergius remarque à propos du principe fragmentaire inhérent au photomontage :

« Seulement si assemblée comme un découpage fragmenté, l’image [le photomontage] retrouve-t-elle le geste de l’action, la mise en mouvement et la provocation du regard 178»

L’inclusion des œuvres remployées en tant que fragments dans la composition du photomontage général de Dada Sinn der Welt serait dynamique. L’assimilation des œuvres à l’intérieur du photomontage, appuyée par le principe de juxtaposition, en tant que fragments conserve l’hétérogénéité et confère un certain dynamisme. Les œuvres d’Hausmann, Grosz et Heartfield ainsi regroupées à l’intérieur de la séquence sont-elles unifiées à travers le dynamisme de la composition. Celui-ci permet d’en resserrer les liens d’identification, malgré les différences inhérentes, de placer l’œuvre d’Hausmann et celles des deux rédacteurs sur un même plan. D’autre part, si la dynamique permet d’unifier le corpus des deux séquences, elle se relie fortement à la conception du mouvement, de l’activité donnée par les artistes. La

178

« Only if assembled as a fragmented cut-up does the image regain a gesture of action, setting in motion and challenging