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La division sociale de l’espace dans deux métropoles contrastées

2.2. Déclin et vulnérabilité socio-économique et raciale à l’échelle métropolitaine métropolitaine

2.2.1. La division sociale de l’espace dans deux métropoles contrastées

Pour poursuivre la qualification des dynamiques internes de chacune des métropoles, on s’appuie sur une analyse transversale comparée, démarche exploratoire d’analyse de données socio-économiques construites au census block group. Les données utilisées proviennent du recensement américain pour 2010 (Decennial Census et American Community Survey, ACS) et de la Neighborhood Change Database de GeoLytics pour les décennies antérieures (1980, 1990, 2000), pour lesquelles les données du recensement ont été harmonisées et adaptées aux maillages de 2010. Cette base de données permet ainsi de réaliser des analyses longitudinales malgré les fluctuations du périmètre des block groups d’un recensement à l’autre. Une typologie a été réalisée pour les aires métropolitaines de Chicago et Houston sur la période 1980-2010 à l’aide d’une classification ascendante hiérarchique, réalisée conjointement sur les données des deux aires métropolitaines et pour les quatre dates mentionnées, afin de pouvoir explorer des trajectoires de quartiers et leur changement éventuel de profil au cours du temps43. Les variables utilisées correspondent aux principaux traits démographiques (âge, ethnicité44), socio-économiques (revenu médian, taux de pauvreté, part des propriétaires occupants et des locataires) et morphologiques (densité, ancienneté du bâti, types de logements, vacance résidentielle) des quartiers étudiés (Figure 17). Elles correspondent aux variables généralement mobilisées dans les recherches sur le changement urbain (Delmelle, 2017 ; Mikelbank, 2011 ; Vesselinov, Lennon et Le Goix, 2018) et constituent des critères communs pour établir des profils de quartiers dans les deux métropoles.

43 Pour une explication détaillée de la méthodologie de classification employée, voir Le Goix, 2016a.

44 Rappelons que les données ethno-raciales (race and ethnicity) produites par le recensement américain sont collectées sur une base déclarative, en fonction du sentiment d’appartenance des personnes recensées à une ou plusieurs ethnies réparties en un nombre limité de catégories (Blanc, Noir, Amérindien, Asiatique et insulaire du Pacifique). L’appellation « hispanique » comporte une dimension plutôt linguistique et appartient à la catégorie des populations blanches : elle vise à recenser les ménages originaires d’Amérique latine et leurs descendants.

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Figure 17 - Moyennes des variables des recensements par block group (1980-2010)45

45 Il s’agit des valeurs moyennes par block group pour l’ensemble des unités spatiales considérées, soit l’aire métropolitaine de Chicago ET celle de Houston. Elles permettent d’établir le profil moyen par rapport auquel sont situées les classes de la typologie. NB : seuls les block groups de plus de 50 habitants sont pris en compte dans l’analyse.

VARIABLE CODE 1980 1990 2000 2010

Population POP 1 181 1 252 1 437 1 605

Unités d'habitation HU 446 493 547 636

Densité (hab/km²) density 3 187 3 147 3 362 3 427

Appartenance ethno-raciale (% pop.totale)

Hispaniques pHispa 8,8 12,8 19,3 25,3

Blancs non Hispaniques pWhite 74,3 66,8 56,2 48,6

Afro-Américains pBlack 14,5 17,2 18,6 19,4

Asiatiques et insulaires pAsiaPac 1,8 3,0 4,1 5,1

Amérindiens (Natives ) pNative 0,1 0,2 0,2 0,2

Distribution par âge (% pop. totale)

Moins de 5 ans pLess5yo 7,7 7,7 7,4 6,9

5-17 ans p5_17yo 21,2 18,7 19,5 18,4 18-29 ans p18_29yo 22,5 19,1 16,9 17,0 30-44 ans p30_44yo 20,9 25,4 24,5 20,7 45-64 ans p45_64yo 18,8 18,5 21,2 25,8 65 ans et plus p65pl 8,8 10,5 10,5 11,3 Statut socio-économique

Revenu médian ($) medIncome 22 560 37 490 52 760 63 910

Taux de pauvreté (%

ménages) poverty 9,1 11,8 11,6 14,1

Caractéristiques du logement (% total des unités d’habitation)

Maison individuelle

attachée Hu1a 3,0 4,1 5,0 5,3

Maison individuelle

détachée Hu1d 57,6 57,6 57,9 58,6

Immeuble 2-3 logements Hu2 7,6 7,4 6,8 6,0

Immeuble 4-5 logements Hu4 6,2 5,9 6,1 6,6

Immeuble > 5 logements Hu5 23,3 21,6 21,3 21,0

Mobil-home MobHome 2,3 2,6 2,7 2,4

Logement récent < 10 ans Blt_10y 31,0 17,6 13,7 11,0

Logement ayant 10-19 ans

d'âge Blt_20y 31,5 21,0 12,6 10,3

Logement ayant 20-39 ans

d'âge Blt_30y 17,3 16,7 18,1 10,8

Logement ancien > 40 ans Blt_40y 32,7 44,7 55,5 68,0

Valeur médiane ($) MedValue 62 440 98 370 147 100 226 400

Vacance résidentielle vacancy 7,5 7,7 6,7 10,4

Statut d’occupation (% logements occupés)

Locataires renter_occ 35,9 36,4 34,5 30,3

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La classification des block groups aboutit à 11 profils socio-économiques46 (cf. Figure 18) :  Classes moyennes blanches propriétaires [ClMoyBl]47 caractérisées par une

surreprésentation des maisons individuelles (detached single family housing), des propriétaires et des ménages blancs, ainsi que par un revenu médian un peu plus élevé que la moyenne et une part importante de population d’âge mûr (45-64 ans et plus de 65 ans dans une moindre mesure).

Suburbs aisées récentes [SubRich] où les logements construits depuis moins de

10 ans sont largement surreprésentés, de même que les maisons individuelles et les propriétaires. Le revenu médian y est plus élevé que dans la catégorie précédente et la population plus jeune avec une forte proportion de 30-44 ans.

Quartiers blancs vieillissants [Aging] marqués par une forte proportion de plus

de 65 ans et d’un bâti ancien (plus de 40 ans). Les maisons individuelles y sont sous-représentées au profit de petits collectifs.

Quartiers mixtes de logements récents [MixRec] dont le trait dominant est la

surreprésentation des logements récents (construits depuis moins de 10 ans et moins de 20 ans) et des maisons individuelles mitoyennes, sans doute sur le modèle des townhomes. Ces quartiers sont proches du profil moyen d’un point de vue socio-économique mais les ménages y sont plutôt blancs ou asiatiques, jeunes (moins de 44 ans) et disposent d’un revenu médian légèrement supérieur à la moyenne.

Marges peu denses et mobil-homes [MobHom] qui comportent peu de traits

saillants hormis une forte surreprésentation des mobil-homes et une densité moyenne plutôt faible.

Quartiers anciens de jeunes locataires [LocAnc] où la densité est la plus forte

de tous les block groups étudiés en raison d’une surreprésentation des immeubles collectifs (4-5 logements et plus de 5 logements), plutôt anciens (plus de 40 ans). On y trouve une nette surreprésentation des locataires, notamment des moins de 30 ans et ménages sans enfants, ainsi que des Asiatiques.

Quartiers jeunes cosmopolites récents [YCosmo] qui présentent un profil

proche de la catégorie précédente mais avec une surreprésentation plus forte des grands immeubles collectifs (plus de 5 logements) et un bâti plus récent (moins de 20 ans).

46 Le nombre de classes a été déterminé par le principal saut d’inertie du dendrogramme afin de minimiser l’écart entre individus dans les classes et maximiser l’écart entre les classes

91  Quartiers hispaniques denses et anciens [Barrrios] caractérisés par une très

forte surreprésentation de la population hispanique, un bâti ancien (plus de 40 ans) de petits collectifs (maisons ou immeubles de 2 à 5 logements). Les locataires y sont largement représentés, de même que les enfants (moins de 17 ans et surtout moins de 5 ans) et le taux de pauvreté est supérieur au profil moyen.

Quartiers de logements collectifs en location [MultiFamLoc] qui présentent

des traits communs avec les barrios mais où la population hispanique est moins présente, le taux de pauvreté plus faible et les immeubles collectifs (plus de 5 logements) plus nombreux.

Quartiers afro-américains défavorisés [PovBk] proches du profil moyen à

l’exception d’une forte surreprésentation des Afro-Américains et d’un taux de pauvreté supérieur à la moyenne de même que le bâti ancien (plus de 40 ans).  Anciens ghettos afro-américains denses [Ghettos] qui comptent non seulement

une forte surreprésentation des ménages Afro-Américains mais aussi des ménages sous le seuil de pauvreté et des locataires. Les logements correspondent comme dans les barrios à un bâti ancien de petits collectifs (2 à 5 logements).

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Figure 18 – Profils socio-économiques des census block groups en fonction des variables du recensement (valeurs standardisées)

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95 Le recours à une typologie commune aux deux métropoles permet d’abord d’exposer des divergences notables en termes de modèle urbain, certes connues, mais qui méritent d’être détaillées et explicitées à l’aide de critères communs. Tout d’abord, Houston étant beaucoup plus étendue et moins dense que Chicago, les comtés périphériques montrent des profils divergents, avec une dominante de marges peu denses où les mobil-homes sont surreprésentés [MobHom], même à proximité du centre, tandis qu’à Chicago on note une grande majorité de suburbs de classes moyennes blanches propriétaires [ClMoyBl]. En outre, Houston compte une plus forte proportion de logements récents – [MixRec] et [YCosmo] – alors que Chicago possède un parc ancien plus important : [Aging], [LocAnc] et quartiers des minorités ethniques. Enfin, Chicago apparaît comme plus ségréguée, avec une répartition spatiale marquée des groupes sociaux qui rappelle le modèle sectoriel de Hoyt, tandis qu’à Houston le peuplement est plus mixte, formant une mosaïque fragmentée d’un point de vue cartographique.

Cependant, le choix d’une même typologie vise également à révéler l’existence de logiques similaires dans les deux métropoles, tant d’un point de vue spatial que d’un point de vue temporel. D’une part, les quartiers centraux présentent des similarités avec, dans les deux villes, une division nette entre les quartiers des minorités ethniques – barrios denses et anciens de ménages hispaniques défavorisés [Barrrios], anciens ghettos noirs paupérisés avec une surreprésentation de locataires [Ghettos] et quartiers afro-américains fragiles mais plus mixtes en termes de types de logement et proches du profil moyen pour l’accès à la propriété [PovBk] – et les quartiers centraux plus aisés au peuplement souvent jeune [YCosmo] et [LocAnc] qui correspondent soit aux campus universitaires (Texas Medical Center, Rice University à Houston ; University of Chicago, UIC, DePaul University à Chicago) soit aux quartiers plus ou moins anciennement gentrifiés, qui mêlent bâti ancien et récent, locataires et propriétaires (Midtown, Montrose à Houston ; Near West Side, Bucktown, Rogers Park à Chicago). Il faut y ajouter une catégorie surtout représentée à Houston : celle des quartiers de logements collectifs en location [MultiFamLoc], qui montrent non seulement une surreprésentation des immeubles et des locataires mais également dans une moindre mesure un population plutôt jeune, une part importante de ménages hispaniques et un taux de pauvreté relativement important. Ces quartiers correspondent à Houston aux zones d’immeubles vieillissants, souvent construits pour les travailleurs du pétrole et aujourd’hui dégradés, qui accueillent nombre de travailleurs migrants hispaniques. On retrouve cette catégorie à Chicago sur le front de gentrification entre le Loop et les quartiers afro-américains, sans doute du fait de la densification opérée dans ces quartiers par la construction d’immeubles en lieu et place des maisons mitoyennes et du fait de l’hispanisation progressive de nombre d’anciens quartiers afro-américains.

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Figure 21 – Evolution des types de profils socio-économiques dans l’aire métropolitaine de Chicago (1980-2010)

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Figure 22 - Evolution des types de profils socio-économiques dans l’aire métropolitaine de Houston (1980-2010)

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Enfin, à Chicago comme à Houston, on note plusieurs dynamiques temporelles similaires depuis 1980 : la rétraction des quartiers afro-américains au profit soit de quartiers à majorité hispanique, soit de quartiers multiethniques ; le remplacement d’une partie des anciens ghettos noirs par des quartiers afro-américains un peu plus aisés ; la poursuite de l’étalement urbain avec le vieillissement des suburbs les plus proches [Aging] et l’expansion des suburbs aisées récentes [SubRich] de plus en plus loin en périphérie. Dans l’ensemble, l’analyse longitudinale révèle une forte diversification des profils et une hétérogénéité ethnique croissante à l’échelle métropolitaine (Le Goix, 2016a).

2.2.2. Les « quartiers dégradés », un ensemble de caractéristiques

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