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La valeur du vide : délaissement résidentiel et acteurs de marché dans la fabrique urbaine

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Academic year: 2021

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marché dans la fabrique urbaine

Florence Nussbaum

To cite this version:

Florence Nussbaum. La valeur du vide : délaissement résidentiel et acteurs de marché dans la fabrique urbaine. Géographie. Université de Paris, 2019. Français. �tel-02465235�

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Université de Paris

École doctorale 624 Sciences des Sociétés

UMR 8504 Géographie-Cités

La valeur du vide : délaissement résidentiel et

acteurs de marché dans la fabrique urbaine

Par Florence Nussbaum

Thèse de doctorat en Géographie et Aménagement

Dirigée par Renaud Le Goix

Présentée et soutenue publiquement à Paris le 05 décembre 2019

Devant un jury composé de :

Guilhem BOULAY, Maître de conférences, Université d’Avignon, Examinateur David GIBAND, Professeur, Université de Perpignan Via Domitia, Rapporteur Sylvie FOL, Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Présidente Renaud LE GOIX, Professeur, Université de Paris, Directeur

Sonia LEHMAN-FRISCH, Professeur, Université Paris Nanterre, Rapporteur Evan MCKENZIE, Professeur, University of Illinois at Chicago, Examinateur

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Le coût extrêmement élevé de ce crédit figure en tout petits caractères au verso de l’offre, on en prend connaissance ou pas, le plus souvent pas, de toute manière on signe parce que c’est le seul moyen quand on n’a pas d’argent de s’acheter ce dont on a besoin, ou d’ailleurs pas toujours besoin mais envie, simplement envie, car même quand on est pauvre on a des envies, c’est ça le drame.

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Je tiens en premier lieu à remercier Renaud Le Goix d’avoir accepté d’encadrer ce travail, parce que son enthousiasme à toute épreuve, son énergie – qui confine souvent à l’hyperactivité – et sa profonde humanité ont rendu ces années de thèse particulièrement enrichissantes. Il a toujours pris soin de me guider en me laissant toute liberté dans le traitement de « mon » sujet et en respectant mes choix. Malgré quelques divergences (essentiellement musicales) et sa passion déraisonnable de la course à pied (cf. le marathon de Chicago en plein jet lag), je suis heureuse d’avoir pu cheminer quelques années à ses côtés et j’espère que nous pourrons encore partager de nombreuses discussions, quelques livres et un certain nombre de burgers…

Je remercie ensuite les membres du jury qui ont accepté de lire et d’évaluer ce travail de recherche : Sylvie Fol, pour sa bienveillance et ses conseils dès mes premiers tâtonnements en Master ; Sonia Lehman-Frisch, dont les travaux sur la gentrification ont aiguillé ma réflexion sur la complexité des transformations urbaines ; David Giband, fin connaisseur de la Rust Belt qui m’a guidé de ses lumières dès Philadelphie ; Evan McKenzie, pour ses suggestions éclairées lors de mon passage à Chicago et parce qu’il a le bon goût de lire le français ; et Guilhem Boulay, puits de science qui a subjugué toute une prépa agreg, pour avoir pris le temps de relire et de remanier avec moi mon tout premier article scientifique.

Ma gratitude va évidemment à toutes les personnes rencontrées sur le terrain, qui ont accepté de partager un peu de leur vie, de leur vécu et de leur science pour m’aider à faire sens de ces villes en morceaux. Je remercie tout particulièrement Forrest Stuart qui m’a accueillie à l’Université de Chicago, me permettant d’accéder à l’enviable statut de « visiting scholar », ainsi qu’Henri Peretz et Arnaud Coulombel du Centre de l’Université de Chicago à Paris, qui me l’ont présenté et m’ont associée à leurs activités scientifiques. Je suis reconnaissante à Phil Ashton à Chicago, Michael Emerson et Erik Prout à Houston, qui m’ont consacré un peu de leur temps dans des emplois du temps d’universitaires que je sais chargés. J’ai une pensée toute particulière pour Mike Morris, qui a répondu à une simple bouteille lancée à la mer et m’a ouvert sans hésitation son carnet d’adresses : je lui suis infiniment redevable tant pour son aide précieuse que pour son amitié qui a rendu mon séjour à Houston un peu moins solitaire. Je veux enfin remercier Youssef Nafaa qui m’a (fort bien) nourrie et (très confortablement) logée lors de mon premier passage à Houston, et qui j’espère finira par ouvrir un restaurant de ce côté de l’Atlantique.

Je suis reconnaissante à mes collègues de l’ENS de Lyon de m’avoir fourni des conditions idéales pour finir cette thèse, ainsi qu’à Jean-Benoît Bouron, Hélène Mathian et toute la bande du RU (avec ou sans Manue) de m’avoir soutenue pour les derniers mois avec l’enthousiasme qui les caractérise.

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J’adresse également mes remerciements les plus sincères aux enseignants et/ou chercheurs de l’Université Paris Diderot et de mon laboratoire de rattachement, l’UMR Géographie-Cités, pour leurs conseils, leurs encouragements et leur présence bienveillante. Je remercie les membres du projet Grandes Métropoles de m’avoir associé à leurs réflexions et d’avoir accepté ma présence en pointillés ces derniers temps.

Je voudrais faire ici une place particulière à mes camarades doctorants de la salle 768, la « Team ODG » qui a un peu été ma seconde famille durant ces années de thèse : d’abord à Dorian, Flora et Lucie, la Task Force de choc qui a assuré un soutien sans faille, à distance mais aussi à domicile pour les cas extrêmes (#baleine) ; toute l’équipe de mes compagnons de route : le vénérable Etienne, l’indispensable Romain (sauveur de vieux codes en détresse), l’incorruptible Luc (du Plessis), la pétillante Chloé qui réchauffe de sa présence les hivers canadiens, Daphné notre maître yogi(tea), l’inimitable (et prudente) Joséphine, et les sympathiques pensionnaires plus récentes que je ne connais pas aussi bien que je le voudrais : Marie et Julie. J’adresse un merci tout particulier aux relecteurs de ce manuscrit : Flora, Lucie, Joséphine, Luc, Marie et Romain. Je n’oublie pas les doctorants de la rue du Four qui ont aussi accompagné ces années de thèse : Anaïs, Thibault, Julien, Sylvestre, Odile, Brenda, Solène, Olivier, Julie, Robin, Anne-Cécile, Paul, Natalia, Eugênia, Zoé et tous ceux que j’oublie.

Merci à tous mes amis doctorants et/ou géographes qui ont partagé les moments de doute ou de lassitude mais aussi les bonheurs de la vie, petits et grands : ma Mathilde, qui revient toujours entre deux milongas et un bivouac ; Etienne, mon charmant voisin de Sophie Germain ; Silvia, ma jumelle de thèse d’un autre couloir ; Valérian et ses terrains de rêve sur les îles grecques ; Louise, experte en bonne musique et en pandas roux ; Nora, mon américaniste préférée qui s’y connaît en immobilier dégradé perpignanais ; Jean-Baptiste, grand sage peul et poète méconnu ; Laure, fidèle camarade de pauses thé et de potins ; mais aussi Sébastien, Thibaut, Imaad, Rémi, Magda, Alisée et Emmy-Lou (qui n’est ni géographe ni doctorante et qui mérite donc sa place à part parce qu’elle est unique).

Je remercie ma famille, qui a toujours eu à cœur de prendre des nouvelles de cette fameuse thèse interminable (et dont mes grands-parents n’ont toujours pas compris la teneur). Je voudrais en particulier remercier mes parents pour leur confiance et leur soutien infaillible face à tout ce que j’entreprends, ainsi que pour leur mécénat de la recherche publique, car sans eux je n’aurais pas pu financer tous mes séjours sur le terrain.

Si cette liste ne serait pas complète sans mentionner Franck – mon roc, mon pic, mon cap (que dis-je, c’est un cap ?), je ne suis pas sûre de pouvoir résumer ici tout ce que je lui dois. Je garderai donc pour moi les mille façons dont il a contribué à ce travail et à tout le reste au cours de ces années, pour me rappeler combien je suis incomplète en son absence. Maintenant que cette thèse est enfin terminée, il nous reste encore bien des sommets à gravir ensemble.

Merci enfin à Thomas, fini avant la thèse et infiniment plus réussi, d’avoir partagé sa première année avec cet autre bébé encombrant.

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Introduction ... 1

Chapitre 1 – Vacance et délaissement résidentiel : catégories d’analyse des

dynamiques urbaines ... 9

1.1. Vacance, abandon, délaissement : les mots et les choses ... 10

1.2. Eclairer les mutations intra-urbaines par le délaissement ... 22

1.3. Vacance et déclin dans les villes américaines : éléments de contexte ... 35

1.4. Des politiques publiques pour lutter contre le délaissement : état des lieux ... 52

Chapitre 2 - Les quartiers dégradés à Chicago et Houston : l’emboîtement des

échelles du délaissement ... 71

2.1. Deux métropoles face au délaissement résidentiel ... 73

2.2. Déclin et vulnérabilité socio-économique et raciale à l’échelle métropolitaine ... 88

2.3. Contagion ou mosaïque : analyser la structure du délaissement à l’échelle fine ... 111

Chapitre 3 – Dé-naturaliser le déclin : le rôle des acteurs ... 135

3.1. Méthodologie de l’enquête : comment travailler en « négatif » ... 136

3.2. Le délaissement résidentiel, un enjeu géopolitique ... 144

3.3. La légitimité de l’intervention publique en question ... 172

3.4. Habiter un quartier en déclin : les résidents entre passivité et impuissance ... 183

Chapitre 4 - Un abandon de façade : les stratégies d’investissement dans

l’immobilier dévalorisé ... 211

4.1. Les investisseurs négligents, acteurs essentiels des logiques de délaissement ... 212

4.2. Essor de l’investissement dans l’immobilier dévalorisé depuis 2008 ... 216

4.3. Explorer l’invisible : enjeux théoriques et méthodologiques de l’analyse des logiques spatiales d’investissement ... 220

4.4. Des stratégies d’accumulation qui ciblent les quartiers dévalorisés ... 242

Chapitre 5 - Une politique du déclin ? Tournant entrepreneurial et gestion publique

du délaissement résidentiel ... 305

5.1. Une politique de la rentabilité dans un contexte de crise ... 306

5.2. Les déterminants de l’intervention publique : Quand ? Où ? Pourquoi ? ... 312

5.3. Des politiques publiques spatialement sélectives ... 344

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Conclusion générale ... 405

Annexes ... 413

Bibliographie ... 429

Table des figures ... 449

Table des tableaux ... 455

Table des encadrés ... 457

Table des annexes ... 459

Glossaire ... 461

Liste des sigles et abréviations ... 463

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Premières impressions

Le long de Pinemont Drive, qui borde le quartier au sud, plusieurs entrepôts annoncent : « We buy scrap metal » et des hommes afro-américains poussent leur butin dans des caddies le long de la route. Le paysage est très hétérogène : des villas imposantes côtoient des bungalows en ruine, des chevaux faméliques et des tracteurs des années 1950. Plusieurs rues sont bordées de lotissements neufs. Partout des panonceaux offrent d’acheter des maisons « cash » ou vendent des terrains.

Extrait de carnet de terrain, Houston, Acres Homes, 25 novembre 2014

Zone à l’ouest de Hirsch Road/Altoona Street. Dans la rue, on croise des sans-abri poussant des caddies et des personnes en fauteuil roulant électrique. Les passants sont presque exclusivement noirs. Une bande de jeunes hommes stationne devant un supermarché/liquor store à l’angle de Cavalcade Street ; des voitures s’arrêtent régulièrement à leur hauteur. Nombreuses maisons vacantes, parfois regroupées le long de certaines rues. Certaines maisons sont dans un état de décrépitude avancée (toit effondré, fenêtres occultées par du contreplaqué, détritus) mais semblent habitées : voiture garée dans le jardin, barbecue, canapé sous le porche…

Extrait de carnet de terrain, Houston, Fifth Ward, 26 novembre 2014

Ces quelques lignes ouvrent mon premier carnet de terrain. Rédigées lors de mes premières sorties exploratoires, elles décrivent les impressions d’un observateur extérieur – doublement extérieur, à la ville et au pays – confronté au paysage quotidien de ces quartiers de Houston. Ceux-ci présentent plusieurs traits saillants : il s’agit de territoires peu denses où réside une population pauvre, majoritairement afro-américaine, qui offrent un paysage de délabrement et concentrent des activités répulsives (ferraillage, vente d’alcool, probable trafic de drogue). Au-delà de cette fonction descriptive, ces premières impressions de terrain permettent de questionner les contours du « délaissement » qui caractérise ces quartiers. En premier lieu, son identification pose problème. Si les friches, les maisons vacantes ou « en ruine » signalent l’abandon à un observateur extérieur, d’autres marqueurs paysagers sont plus ambigus. Le délabrement ne signifie pas toujours le délaissement et, à l’inverse, l’abandon ne se manifeste pas toujours par des signes

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proche du délaissement au sein d’une vaste zone dégradée, on observe une mosaïque hétérogène où les ruines voisinent les maisons neuves. Enfin, le délaissement est un phénomène paradoxal. Comment expliquer la juxtaposition de maisons abandonnées et de pancartes qui annoncent « We

buy houses, any area, any condition » ? Comment résoudre la contradiction entre le désintérêt dont

semble témoigner le délaissement et l’attractivité sur le marché que suggèrent ces panneaux ? Pourquoi ces propriétés sont-elles abandonnées puisqu’il existe une demande pour ce type de bien ?

Pour une approche relationnelle de la fabrique urbaine du vide

Le délaissement résidentiel, que l’on définira dans un premier temps comme l’ensemble des logements négligés par leur propriétaire donc vacants et/ou délabrés, occupe une place marginale dans les études urbaines. Généralement lié au concept de déclin urbain, il est traité comme un symptôme de la crise urbaine et resitué par rapport à différents facteurs de déclin, structurels ou conjoncturels. A l’échelle macro, les études sur les villes en décroissance (shrinking cities) examinent l’impact de la transformation postfordiste des économies des pays développés sur le déclin économique, démographique et matériel des villes industrielles (Buhnik, 2010; Fol & Cunningham-Sabot, 2010; Martinez-Fernandez, Audirac, Fol, & Cunningham-Sabot, 2012; Pallagst, Wiechmann, & Martinez-Fernandez, 2014; Wiechmann & Pallagst, 2012). A l’échelle intra-urbaine, le déclin de certains quartiers est analysé en lien avec les variations de l’offre et de la demande sur le marché du logement (Berry, 1985 ; Goodman, 2005 ; Kim, Chung et Blanco, 2013) ou comme la conséquence de la paupérisation des ménages les plus fragiles, souvent marginalisés selon des critères raciaux (Sugrue, 1996 ; Wilson, 1997). Si la recherche des causes du délaissement focalise une large part de la production scientifique, ses effets font également l’objet d’analyses récentes qui étudient les politiques d’aménagement mises en œuvre sur les territoires en déprise (Béal et al., 2017 ; Béal, Fol et Rousseau, 2016 ; Ryan, 2012b). Les politiques de gestion du déclin ont notamment fait l’objet d’une importante littérature critique. Celle-ci dénonce le soubassement néolibéral des politiques de redimensionnement du tissu urbain (rightsizing) qui aboutissent à l’éviction des populations défavorisées (Akers, Béal et Rousseau, 2019 ; Hackworth, 2015 ; Rosenman et Walker, 2016). Ces approches du délaissement comme corollaire du déclin urbain négligent le rôle joué par les acteurs du marché immobilier dans la production et l’évolution du délaissement. Ce dernier est analysé en termes structurels, comme la conséquence

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3 d’évolutions démographiques et macro-économiques. Si l’étude des politiques publiques dédiées au délaissement considère la part des acteurs institutionnels dans les évolutions urbaines, la littérature consacrée au déclin n’éclaire pas les mécanismes de production du délaissement par les acteurs du secteur privé et leur impact sur le tissu urbain.

Le rôle des acteurs qui composent et construisent le marché immobilier dans la production urbaine est principalement étudié en contexte de croissance (Guy et Henneberry, 2000). La fabrique urbaine est en effet souvent analysée dans la cadre d’un volontarisme politique, notamment à travers l’analyse de grands projets urbains (Fainstein, 2008 ; Healey, 1992 ; Swyngedouw, Moulaert et Rodriguez, 2002), et dans une perspective institutionnaliste centrée sur le rôle des acteurs publics dans le développement immobilier (Healey, 1994, 1998 ; Weber, 2015). Le poids des professionnels de l’immobilier a également été démontré dans l’orientation de la production immobilière (Bonneval, 2011 ; Pollard, 2018), qui s’appuie de façon croissante sur des régimes de contractualisation financière entre acteurs du marché (promoteurs, investisseurs, banques, mais aussi gouvernements locaux et acquéreurs) (Le Goix, 2016b ; Theurillat, 2017). Si j’emprunte à ces analyses l’approche par les acteurs – économiques mais aussi politiques – de la fabrique urbaine, je décale la perspective en m’intéressant non pas aux projets immobiliers mais à l’absence de projet que suggère le délaissement, non pas aux perspectives de croissance et de valorisation mais à la stagnation de marchés dégradés.

La place des acteurs de marché dans la dévalorisation urbaine a été davantage étudiée après la crise financière et immobilière de 2008. Nombre de travaux examinent en effet l’impact socio-spatial de la crise, montrant comment les discriminations dans les modalités d’accès au crédit affectent les espaces urbains (Aalbers, 2012). La crise apparaît alors comme le révélateur d’une ségrégation sociale et raciale produite en partie par le marché immobilier puisque les saisies touchent de façon disproportionnée les ménages pauvres et les minorités ethniques (Hyra et al., 2013 ; Wyly et al., 2009 ; Wyly et Ponder, 2011). Cependant, les études consacrées aux acteurs de la crise immobilière et à leur positionnement vis-à-vis de la propriété dégradée se focalisent en général sur un type d’acteur spécifique : dans une analyse macro-scalaire, les acteurs de la financiarisation du marché immobilier, tels que les acteurs publics qui ont créé les conditions permettant la titrisation des prêts subprime (Gotham, 2009) ou les agences de notation qui constituent l’immobilier en produit financier (Fields, 2018) ; les investisseurs qui se spécialisent dans l’acquisition de logements saisis (Fields, 2014 ; Immergluck, 2013 ; Immergluck et Law, 2014a ; Molina, 2016) ; dans une analyse plus micro-scalaire, les petits propriétaires confrontés à

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leur lieu de vie sous l’effet d’un délaissement massif (Kinder, 2016). Ce travail entend donc compléter ces analyses par l’identification des différents acteurs gravitant autour des propriétés délaissées et de leurs interactions. Tout comme le développement urbain fait l’objet d’alliances au sein de coalitions (Molotch, 1976 ; Weber, 2002) mais aussi de concurrences et de conflits, le déclin est au cœur de multiples relations de partenariat et d’antagonisme dont les équilibres changeants participent à éclairer la fabrique urbaine. L’enjeu du délaissement permet ainsi de monter en généralité pour aborder les mécanismes de production urbaine et les modalités de gestion de la ville contemporaine. Par une économie politique de la production urbaine « par le bas » et par le vide, il s’agit ici de dépasser une vision désincarnée des villes et des marchés qui tend à dépolitiser les évolutions urbaines en ignorant les relations de pouvoir qui les sous-tendent.

Questions de recherche

En interrogeant la façon dont les acteurs du marché immobilier participent à la production de la ville à travers leur prise en charge – ou leur négligence – des propriétés délaissées, cette thèse s’inscrit dans une approche d’économie politique. Il s’agit donc de considérer « the economy within its social and political context rather than seeing it as a separate entity driven by

its own set of rules based on individual self-interest » (MacKinnon et Cumbers, 2014, p. 14). Plutôt que de

considérer les propriétés délaissées comme un angle mort des stratégies d’investissement et des politiques publiques, ce travail fait l’hypothèse qu’elles constituent un outil au service de la production de la ville, et qu’à ce titre elles font l’objet de stratégies spécifiques. Les propriétés délaissées sont conçues comme un produit immobilier à part entière, au cœur d’échanges et d’interactions diverses. Le propos vise donc plus généralement à interroger la place des propriétés délaissées dans la recomposition des rapports de force qui régissent la production urbaine.

Les acteurs de marché peuvent être définis comme « les individus et organisations qui

interviennent dans la fabrique matérielle ou dans la gestion des villes et dont les modes d’action sont empruntés à la sphère marchande, par opposition aux sphères politiques et de la société civile » (Pollard et Halpern, 2013).

L’expression sera employée ici plus largement pour désigner les acteurs qui produisent, animent et/ou régulent le marché immobilier, ce qui recouvre donc non seulement les investisseurs, les banques et les professionnels de l’immobilier mais aussi les acteurs publics, les propriétaires, les résidents et les organisations à but non lucratif. Tous ces acteurs participent au marché d’une façon ou d’une autre, soit qu’ils possèdent un patrimoine immobilier, soit qu’ils déploient des stratégies d’acquisition ou, plus indirectement, qu’ils cherchent à influencer les pratiques des

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5 autres acteurs du marché. L’analyse de la production urbaine est indissociable de celle de ses conditions de financement (Boulay, 2019) : si les politiques publiques « drainent les capitaux vers le

financement de la croissance urbaine » (ibid.), elles créent aussi les conditions du désinvestissement de

certains territoires dans le cadre de la circulation du capital (capital switching) dans l’environnement urbain (Beauregard, 1994).

Ce travail de thèse poursuit un double objectif. Il s’agit d’une part de montrer l’activité dont ces propriétés sont la cible, une activité rendue invisible par l’évidence de l’abandon. Les propriétés délaissées sont-elles véritablement abandonnées par des acteurs indifférents ou bien font-elle l’objet d’interactions, de stratégies d’investissement, de pratiques quotidiennes ? D’autre part, et cela découle de ce premier postulat, il s’agit d’expliquer l’inertie des quartiers dégradés : puisqu’il existe une demande pour l’immobilier dévalorisé, pourquoi ces quartiers ne sont-ils pas gagnés par le processus de gentrification ? Pourquoi les logements dégradés ne sont-ils pas réinvestis par un capital en quête perpétuelle d’un « spatial fix » (Harvey, 1985) ?

Ces interrogations conduisent à la formulation de trois hypothèses principales :

 La persistance du délaissement ne découle pas d’un désintérêt pour ces propriétés mais d’un ensemble de tensions et de blocages, notamment juridiques, dans les interactions entre acteurs. Les normes qui régissent le délaissement et l’inégale aptitude des acteurs à se saisir de ces outils contribuent à expliquer l’inertie qui entoure les propriétés délaissées.

 Les propriétés délaissées ne sont pas « hors du marché » mais appartiennent à un segment particulier du marché immobilier, celui de l’immobilier dévalorisé (distressed real

estate). Celui-ci suscite des stratégies d’investissement spécifiques, caractérisées

notamment par une exploitation prédatrice qui accentue le déclin de certains quartiers.  Le délaissement sert à justifier une politique entrepreneuriale fondée sur la privatisation

de la gestion urbaine et la concentration sélective des fonds publics. L’importation de la rhétorique de la crise urbaine dans des métropoles où le déclin reste circonscrit à quelques quartiers permet de légitimer l’abandon des zones jugées peu viables.

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L’étude du délaissement résidentiel, qui se caractérise le plus souvent par des logements inoccupés et des propriétaires absents, invisibles ou introuvables, implique la mise en œuvre d’une méthode ad hoc puisqu’on ne peut approcher directement ni les occupants ni les propriétaires de ces logements. Cette thèse s’appuie donc sur une enquête, au sens presque policier du terme (Bennett et Layard, 2015), qui recourt à une pluralité de méthodes afin de cerner cet objet difficile à saisir. Cette entreprise de triangulation méthodologique s’exprime à la fois dans le traitement des données (croisement de jeux de données complémentaires, non consolidés sous forme de bases de données) et dans le travail de terrain, qui s’attache à l’identification des différents réseaux d’acteurs qui gravitent autour de ces propriétés délaissées et de leurs interrelations. Le croisement d’un matériau empirique (observation, entretiens) et de données disponibles à l’échelle fine de la parcelle permet d’étudier les micro-spatialités de la fabrique urbaine et leur dimension géopolitique.

L’analyse privilégie une entrée par un type de marché immobilier local, les quartiers dégradés, au sein duquel sont analysés les pratiques et les discours des différents acteurs. La démarche de recherche correspond à une approche relationnelle des quartiers dévalorisés, qui

implique d’examiner le délaissement résidentiel par l’intermédiaire des « connections objectives » entre différents acteurs (Desmond, 2014). Une telle approche repose sur le postulat suivant : « Markets are not invisible hands but rather network structures, relationships between actors embedded in

institutional space » (Tomaskovic-Devey, 2014, p. 56). L’enquête de terrain s’appuie donc sur des

entretiens avec des acteurs du marché immobilier : acteurs institutionnels, organisations de développement local, leaders locaux et résidents des quartiers dégradés1, et sur l’observation de

situations d’interaction (tribunal, réunions de quartier, vente aux enchères, etc.). Les acteurs plus difficiles à atteindre comme les propriétaires distants et les investisseurs sont étudiés indirectement, à la fois par ce qu’en disent les autres acteurs, par certaines situations d’observation et par l’analyse des données qui les concernent dans les registres officiels. Les entretiens et les observations consignées dans des carnets de terrain sont cités abondamment à l’appui de l’argumentaire défendu dans la thèse. Le maintien de la langue anglaise dans le corps du texte répond à une volonté d’amener le lecteur au plus près du terrain, par un accès aux propos originaux des personnes rencontrées. Les citations en anglais ne font pas l’objet d’une traduction systématique en note de bas de page afin de préserver la lisibilité du manuscrit. Une telle

1 Les résidents ont fait l’objet d’une anonymisation. Les autres acteurs sont cités par leur nom dans la liste des

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7 surcharge a été jugée d’autant plus inutile que l’anglais, sans être parlé par tous, est aujourd’hui compris du plus grand nombre. Quand cela est nécessaire, le sens du vocabulaire spécialisé est explicité dans le corps du texte, ainsi que dans le glossaire qui figure à la fin du manuscrit.

Chicago et Houston, deux contextes urbains pour l’abandon ordinaire

Afin d’étudier les logiques du délaissement dans une pluralité de contextes urbains, le choix des terrains d’étude s’est arrêté sur Chicago (Illinois) et Houston (Texas). Ces deux cas d’étude appartiennent à la catégorie des grandes métropoles où ont été analysés les principaux processus de transformation urbaine (désindustrialisation, périurbanisation, rénovation des centres et gentrification notamment) et permettent donc d’interroger la dévalorisation par rapport à ces dynamiques communes. Chicago et Houston correspondent en fait à deux modèles urbains distincts, a priori marqués par des dynamiques divergentes : déclin démographique et rétraction des services publics à Chicago, 3ème métropole des États-Unis selon différents indicateurs, croissance et étalement urbain à Houston qui se situe plus bas dans la hiérarchie métropolitaine. Bien que Chicago ait un statut à part dans les études urbaines, archétype de la grande ville américaine de la modernité selon le modèle éponyme, cette thèse décentre quelque peu l’analyse. Le croisement de ces deux cas d’étude permet en effet de dépasser le caractère idiosyncratique d’une analyse du délaissement qui serait propre aux villes en crise ou en déclin, principalement dans la Rust Belt, pour interroger les modalités d’un abandon « ordinaire » qui touche l’ensemble des métropoles, au Nord comme au Sud et à différents niveaux de la hiérarchie urbaine. Il s’agit ainsi de comparer la place d’un produit immobilier spécifique, les propriétés délaissées, au sein de deux marchés immobiliers différents, afin d’éclairer tant les logiques d’investissement communes que les spécificités locales. Enfin, le croisement de ces deux exemples permet également d’analyser les motifs récurrents des politiques publiques de gestion du délaissement malgré la diversité des contextes urbains.

Les deux cas d’étude ne sont pas mobilisés dans le cadre d’une comparaison terme à terme car l’ampleur du délaissement et son traitement par les acteurs locaux sont fortement inégaux d’une métropole à l’autre. La part des logements vacants et/ou délabrés est en effet beaucoup plus importante à Chicago et les acteurs impliqués dans leur gestion sont plus nombreux. Conformément à cette disparité du phénomène, la comparaison des deux métropoles est également dissymétrique, ce qui transparaît dans le temps passé sur le terrain – 5 mois à Chicago (oct.-déc. 2015 ; fév.-mars 2017) et 2 mois à Houston (nov.-déc. 2014 ; juin 2017) – ainsi que dans la mention plus fréquente de Chicago dans les analyses.

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Le premier chapitre s’attache à définir le délaissement résidentiel qui est un phénomène difficile à saisir et à mesurer, ce qui justifie une approche par les acteurs plutôt que par les données. Ce chapitre propose également une contextualisation de la vacance résidentielle dans les métropoles des États-Unis par l’étude de l’évolution des taux de vacance depuis 2008 et par un état des lieux des politiques publiques de gestion du délaissement.

On identifie ensuite le contexte spatial spécifique aux propriétés délaissées, c’est-à-dire les quartiers dégradés qui fourniront le cadre de l’étude (chapitre 2), à partir d’une analyse de la géographie contrastée des propriétés délaissées à différentes échelles à Chicago et à Houston. La discussion des facteurs de concentration sélective du délaissement est complétée par l’examen des trajectoires singulières propres à chaque parcelle, montrant l’importance de dépasser la question de la répartition du délaissement pour en explorer les mécanismes.

Le chapitre 3 présente l’étude de la géopolitique locale du délaissement, fondée sur l’identification des forces en présence et de leurs interactions (conflits, concurrence, coopération). Après avoir précisé les contours méthodologiques de l’approche relationnelle adoptée, le chapitre examine les relations entre les différents acteurs intervenant vis-à-vis des propriétés délaissées, puis aborde plus particulièrement la place assignée à l’action publique par les autres acteurs. La dernière section s’intéresse à la position des habitants au sein de ce réseau d’acteurs car ils sont confrontés quotidiennement aux propriétés délaissées.

Le chapitre 4 se tourne vers un type d’acteur particulier : les investisseurs, définis comme les multipropriétaires non occupants. Il expose la méthodologie adoptée pour cerner les pratiques d’investissement puis détaille les stratégies relatives aux propriétés dévalorisées. Celles-ci constituent un segment spécifique du marché immobilier, caractérisé notamment par la rétention foncière et le déploiement de pratiques prédatrices.

Le dernier chapitre exploite les discours institutionnels pour éclairer les formes de l’action publique face au délaissement. Il fait la démonstration que la gestion des propriétés délaissées s’inscrit dans une logique entrepreneuriale qui se caractérise par l’adoption de mesures spatialement sélectives et une privatisation croissante du foncier comme de la gestion urbaine.

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9 Ce premier chapitre vise à tracer les contours de l’objet d’étude, le délaissement résidentiel, en expliquant son rôle dans la fabrique urbaine. Le délaissement, rendu visible dans le tissu urbain par la multiplication des friches et des bâtiments vacants, a fait l’objet d’une littérature scientifique abondante en lien avec le déclin des villes-centres après la Seconde Guerre mondiale (Bradbury, Downs et Small, 1982 ; Grigsby et al., 1987 ; Sternlieb et al., 1974). Le délaissement résidentiel est traité sous l’angle du déclin urbain, à la fois symptôme du déclin démographique et socio-économique (Grigsby et al., 1987) et facteur de dévalorisation (Skogan, 1990). Cette approche, héritière de l’écologie urbaine, fait de la vacance des logements l’un des nombreux critères permettant d’étudier les évolutions urbaines, conçues selon une logique cyclique (croissance, déclin, régénération). Les travaux plus récents qui s’inscrivent dans cette filiation adoptent souvent une démarche économétrique, fondée sur la quantification des effets des propriétés abandonnées sur l’évolution du quartier où elles se situent (Downs, 2011 ; Hofe, Parent et Grabill, 2019 ; Morckel, 2013 ; Sampson, 2013). Le délaissement résidentiel est donc principalement abordé à travers l’étude des dynamiques urbaines, elles-mêmes conçues comme le produit de transformations structurelles de la population et du marché. Ce chapitre situe au contraire la réflexion dans la lignée des travaux d’économie politique, en considérant la production urbaine comme le fruit de pratiques et de stratégies menées par les acteurs qui animent, régulent et construisent le marché, liés entre eux par des relations de pouvoir.

Utiliser le délaissement comme catégorie d’analyse de la fabrique urbaine implique d’abord un ensemble de précisions terminologiques visant à distinguer le délaissement de notions voisines telles que la vacance ou l’abandon. Segment spécifique du marché immobilier, les propriétés délaissées ne se limitent pas aux propriétés abandonnées au sens juridique – lorsque le propriétaire a renoncé à son bien – et ne s’étendent pas à l’ensemble des logements vacants, c’est-à-dire pour lesquels il n’existe pas d’occupant légal. Les premières concernent en réalité un nombre restreint de propriétés et impliqueraient donc une compréhension trop étroite du phénomène. Les secondes recouvrent au contraire une grande diversité de cas de figure, qui s’étendent bien au-delà des situations de dévalorisation ou de dégradation. Le délaissement

Chapitre 1 – Vacance et délaissement résidentiel : catégories

d’analyse des dynamiques urbaines

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résidentiel désigne plus précisément l’abandon fonctionnel des logements par leur propriétaire, lorsque celui-ci cesse d’assumer les devoirs associés à sa fonction (impôt, maintenance) sans nécessairement renoncer au titre de propriété. Les propriétés délaissées se situent donc au cœur d’interactions entre différents acteurs : les propriétaires distants sans être absents, les autorités fiscales et les riverains affectés par le délabrement.

Après une première étape de définition et de discussion des données disponibles en fonction des critères retenus pour circonscrire le délaissement, l’objet d’étude sera resitué au sein des débats sur les évolutions urbaines afin de justifier le choix d’une approche relationnelle fondée sur l’étude des acteurs intervenant dans le délaissement et de leurs interactions. La fin du chapitre vise à contextualiser les deux cas d’étude, Chicago et Houston, parmi les autres métropoles des États-Unis. La troisième section proposera ainsi d’évaluer l’ampleur du phénomène au sein du système urbain états-unien : à partir d’un effort de quantification de la vacance, le propos nuancera l’impact à long terme de la crise de 2008 sur les métropoles du Sud des États-Unis et sur le sommet de la hiérarchie urbaine. Enfin, une synthèse des politiques publiques mises en place pour lutter contre l’abandon permettra de replacer les politiques de gestion du déclin menées à Chicago et Houston dans un contexte institutionnel d’austérité budgétaire et de privatisation croissante de la gestion urbaine.

1.1. Vacance, abandon, délaissement : les mots et les choses

1.1.1. Eléments de définition

Dans la plupart des travaux évoquant le délaissement, il est le plus souvent question de « vacant and abandoned properties » (Accordino et Johnson, 2000 ; Silverman, Yin et Patterson, 2013) mais aussi de « vacant, dilapidated units » ou « d’empty derelict houses » (Cohen, 2001). Les propriétés délaissées sont identifiées non seulement par leur caractère inhabité mais aussi par un ensemble de critères plus ou moins précis relatifs à l’état du bâti et souvent à la durée de la vacance. On trouve des définitions exclusivement fondées sur ce critère de durée (Accordino et Johnson, 2000, p. 301), assimilant ainsi l’abandon à une vacance à long terme qui témoignerait de la disparition du propriétaire. D’autres définitions sont plus précises, intégrant non seulement la vacance et la dégradation matérielle de la propriété mais aussi le dessein du propriétaire : « an

abandoned house is a chronically vacant and uninhabitable unit whose owner is taking no active steps to bring it back into the housing market » (Cohen, 2001, p. 417). D’autres au contraire ne se préoccupent pas du

propriétaire mais identifient les propriétés délaissées par la disparition de leur valeur d’usage : c’est le cas des TOADS (temporary obsolete abandoned derelict sites), un acronyme évocateur créé pour

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11 qualifier les « scattered, random unused parcels of land of varying size and shape. Some have abandoned

structures; others are only empty lots. They are no longer used productively, or never were » (Greenberg, Popper

et West, 1990, p. 435). Enfin, certaines propriétés vacantes sont considérées comme étant d’une nature différente selon le type de ville dans laquelle elles se situent. Silverman, Yin et Patterson (2013) qualifient par exemple de propriétés « zombies » les propriétés abandonnées – qu’ils assimilent aux propriétés vacantes à long terme sans définir de seuil précis – situées dans des villes rétrécissantes : « zombie properties are a specific type of abandoned structure. They are found in shrinking

cities where demographic and economic decline make abandonment an enduring fixture of the urban milieu » (p.

134). Ils les opposent aux propriétés vacantes situées dans des espaces « en transition » ou en croissance, où la vacance serait nécessairement un état temporaire avant réinvestissement.

La vacance est l’élément de définition le plus fréquemment mobilisé pour caractériser les logements délaissés. Au sens strict, la vacance signale un logement privé d’occupants, ou du moins d’occupants légalement autorisés à résider sur place : le code municipal de Chicago définit ainsi comme vacant « a building that has remained substantially unoccupied by persons legally entitled to occupy

the building, or at which substantially all lawful business operations have ceased, for at least three months »2. Un

bâtiment habité par des squatteurs est donc considéré comme vacant. Cependant, cette notion recouvre une grande diversité de situations parfois peu révélatrices d’un quelconque délaissement. Les variations relatives à la durée et au motif de la vacance dessinent une multitude de situations hétérogènes, de la vacance contextuelle entre deux locataires (ou d’une construction neuve avant sa première occupation) à la vacance de longue durée associée à un délabrement matériel et à des valeurs immobilières dégradées. Dans le cadre de la crise immobilière de 2008 par exemple, nombre de propriétés saisies ont été rapidement réoccupées sur des marchés locaux tendus tandis que dans d’autres contextes, la vacance des logements s’est étendue sur plusieurs années. Il s’agit donc d’un critère utile mais insuffisant pour identifier le délaissement.

Si elles sont souvent traitées conjointement comme une même catégorie (vacant and

abandoned properties), il faut distinguer les propriétés vacantes des propriétés abandonnées. Toute

propriété vacante n’est pas abandonnée car elle peut théoriquement être réoccupée à tout moment tandis qu’une propriété abandonnée se trouve hors du marché du logement. Du point de vue juridique,lorsque la législation de l’état le prévoit, l’abandon intervient seulement lorsque le propriétaire renonce à son droit de propriété, et de ce fait cesse de payer les taxes qui lui sont associées (Kraut, 1999). Une telle situation peut notamment se produire en cas de décès du propriétaire, lorsque la succession n’est pas menée à son terme. Mais il existe également une forme d’abandon « fonctionnel » lorsque le propriétaire cesse d’assumer les devoirs associés à sa

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12

fonction (paiement des taxes, entretien élémentaire) mais n’a pas l’intention de renoncer au titre de propriété (Hackworth, 2014). Les critères permettant de caractériser l’abandon varient d’un état à l’autre, mais le seuil le plus fréquemment utilisé est une durée de vacance supérieure à deux ans (Accordino et Johnson, 2000), durant lesquels l’entretien de la propriété n’a pas été assuré. Dans l’Illinois, une propriété vacante peut être déclarée abandonnée si les taxes ou les factures d’eau sont impayées depuis plus de deux ans et que le bâtiment principal est considéré comme « dangereux » (structure instable, accès non sécurisés, etc.)3. Au Texas, le concept d’abandon

n’existe pas pour les biens immobiliers (Fambrough, 1999) : une propriété peut faire l’objet d’amendes pour manque d’entretien ou être vendue aux enchères pour recouvrer des impôts ou un emprunt impayés (tax foreclosure/mortgage foreclosure4), mais elle ne sera jamais considérée

comme « abandonnée » car la propriété d’un bien immobilier est inaliénable à perpétuité. Hors des ventes aux enchères, la seule façon d’acquérir un bien délaissé est de l’occuper – illégalement donc – et de l’entretenir durant une période d’au moins trois ans, à l’issue desquels il est possible de demander le titre de propriété via « adverse possession »5.

Dans ce travail de recherche, je ne me limiterai pas à l’étude des propriétés « abandonnées » qui ne prennent pas en compte l’ensemble des réalités caractérisant le délaissement. D’une part, la durée de la vacance est très difficile à mesurer, et une propriété alternativement occupée et inhabitée peut être très similaire – en termes de dégradation matérielle et de dettes attachées au titre de propriété – à une propriété restée vacante en continu durant toute la période, bien que seule cette dernière puisse être considérée comme « abandonnée » au sens strict. S’il est souvent admis que le propriétaire est plus susceptible d’avoir disparu dans le second cas de figure, rien ne permet de l’affirmer avec certitude et certains investisseurs acquièrent des lots de propriétés vacantes sans avoir l’intention d’y loger qui que ce soit et sans pour autant renoncer à leurs droits sur ces propriétés. Or ces propriétaires distants sans être complètement absents ont un impact considérable sur les quartiers dans lesquels ils investissent. D’autre part, s’intéresser exclusivement aux propriétés abandonnées – donc aux cas où le propriétaire est décédé sans héritiers ou a disparu sans laisser d’adresse – reviendrait à se concentrer principalement sur les anciennes villes industrielles du Nord-Est marquées par le déclin démographique et l’abandon ancien des quartiers péricentraux qui explique ces situations de succession complexes. On laisserait ainsi de côté toute la dimension récente du phénomène, liée notamment à la crise immobilière de 2008, qui se caractérise par la multiplication des

3 65 ILCS 5/11-31-1 (Illinois Municipal Code)

4 Les entrées du glossaire sont indiquées en gras lors de leur première occurrence.

5 Texas Civil Practices and Remedies Code Sections 16.024 et seq. L’adverse possession est inspirée des pratiques des

premiers colons américains et de l’idée de la terra nullius selon laquelle le fait d’occuper et d’exploiter une terre permet de prétendre à son appropriation juridique.

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13 propriétés vacantes sans être abandonnées puisque leur propriétaire est – plus ou moins facilement – identifiable, qu’il s’agisse du propriétaire occupant initial ou de l’organisme de crédit qui a saisi le bien en recouvrement des dettes contractées, ou encore d’un investisseur spécialisé dans l’achat de foreclosures. Inversement, une étude de l’ensemble des propriétés vacantes sans distinction risque de diluer la problématique spécifique que pose la question du déclin de certains quartiers en intégrant à l’analyse des logements attractifs dans des quartiers qui le sont tout autant, et pour lesquels la vacance fait partie du cycle locatif ou commercial habituel. Dès lors, je m’intéresserai plutôt aux propriétés que je qualifierai de « délaissées » car concernées par une forme d’abandon fonctionnel (Hackworth, 2014), c’est-à-dire pour lesquelles le propriétaire cesse d’assumer les devoirs attachés à sa fonction et ce que la propriété soit vacante ou occupée par intermittence – la majorité étant le plus souvent vacante. Cela permet d’éviter les difficultés d’identification posées tant par la vacance que par l’abandon au sens légal du terme.

En outre, si le délaissement concerne à la fois des propriétés résidentielles, industrielles et commerciales, mon étude portera plus spécifiquement sur la vacance résidentielle, qui constitue l’immense majorité des propriétés vacantes. La grande hétérogénéité existant d’une catégorie à l’autre, à la fois en termes de contexte juridique, immobilier et d’enjeux économiques, est telle qu’il est impossible de traiter de l’ensemble des propriétés délaissées, d’autant qu’il existe très peu de données disponibles sur la vacance industrielle et commerciale et qu’il faudrait donc reconstruire une information géographique fiable. Dans l’étude du délaissement résidentiel, je ne me limiterai pas aux propriétés bâties mais considérerai aussi les friches (vacant lots) qui les environnent dans la mesure où, dans les quartiers étudiés, nombre de ces terrains vagues correspondent à l’emplacement d’anciens bâtiments après démolition. La démolition intervenant souvent en réponse à une situation d’abandon, il est nécessaire de prendre en compte ce type de propriétés dans l’analyse.

1.1.2. Indices, données et critères (in)disponibles pour saisir le délaissement

Le délaissement d’une propriété est parfois difficile à établir et il faut avoir recours à différents indices qui le suggèrent, sans que chacun suffise à lui seul à garantir l’effacement – volontaire ou non – du propriétaire. On peut par exemple se fonder sur des signes extérieurs de vacance durable (délabrement du bâti, jardin et abords non entretenus), les dettes attachées au titre de propriété (taxes, emprunt ou facture d’eau impayés, frais de démolition), ou encore la multiplication des amendes imposées par la Ville (manquement à l’obligation d’afficher l’identité du propriétaire sur un bâtiment vacant, bâtiment jugé dangereux pour la sécurité publique).

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14

La vacance est l’indice le plus fréquemment utilisé pour mesurer le délaissement, mais un indice imparfait car il existe très peu de données disponibles sur la vacance en tant que telle, notamment parce qu’elle est difficile à identifier. A l’échelle des États-Unis, les seules données disponibles sur la vacance pour l’ensemble des aires métropolitaines sont celles du recensement. La catégorie « vacant housing » du recensement américain présente une estimation – à partir d’un échantillon de logements visités sur le terrain – du nombre de logements vacants au moment du recensement. Aucune information n’est fournie sur leur statut juridique ou sur la durée de la vacance. Il peut donc s’agir de logements offerts à la vente ou à la location mais n’ayant pas encore trouvé preneur, de logements neufs recensés entre la fin des travaux de construction et l’installation des nouveaux occupants, de logements saisonniers occupés de façon régulière mais discontinue, ou encore de logements abandonnés, vacants depuis plusieurs années. Malgré ces réserves relatives à la précision des informations fournies, seul ce jeu de données permet la comparaison inter-urbaine des taux de vacance de façon à essayer de distinguer différents profils de villes au regard du délaissement.

Encadré 1 - Les catégories du recensement américain concernant les logements vacants

Les données sur la vacance sont issues des relevés des agents du recensement au moment de leur visite, à l’aide d’informations obtenues auprès des propriétaires, des voisins ou d’autres informateurs.

For Rent – Logements vacants offerts en location ou à la vente. For Sale Only – Logements vacants offerts à la vente uniquement.

Rented or Sold, Not Occupied – Logements inoccupés mais déjà vendus ou loués, vacants dans l’attente de

l’installation du nouveau locataire ou propriétaire.

For Seasonal, Recreational, or Occasional Use - Logements vacants destinés à être utilisés seulement de façon

occasionnelle, durant certaines saisons (maison de plage ou de chasse par exemple) ou le week-end. Cette catégorie comprend également les logements de travailleurs saisonniers (bergers, bûcherons) et les logements en propriété partagée (shared-ownership or time-sharing condominiums)

For Migrant Workers – Logements vacants destinés aux travailleurs migrants employés sur les exploitations

agricoles durant la saison culturale.

Other Vacant – Si un logement vacant n’appartient à aucune des catégories ci-dessus, il est classé comme "other

vacant." Cette catégorie comprend par exemple les logements destinés à un gardien/concierge, et les logements

vacants par choix du propriétaire (held for personal reasons of the owner).

Source : U.S. Census, American Community Survey (ACS) Subject Definitions. URL:

https://www2.census.gov/programs-surveys/acs/tech_docs/subject_definitions/2015_ACSSubjectDefinitions.pdf

La catégorie « other vacant » est parfois utilisée pour évaluer le nombre de propriétés abandonnées dans la mesure où ces propriétés ne sont ni offertes à la location, ni utilisées pour un usage récréatif ou saisonnier, et qu’en d’autres termes elles n’ont pas d’usage identifiable. Alan Mallach (2010a) estime à partir de ces données qu’à Buffalo, Détroit et Cleveland, un peu plus de

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15 10% des logements pouvaient être considérés comme abandonnés en 2007 (contre 21 à 25% en considérant le total des logements vacants). Si elle a le mérite d’être plus restrictive, cette sous-catégorie est en même temps très imprécise car il s’agit d’une sous-catégorie par défaut : selon les services de recensement, « a housing unit is classified as other vacant when it does not fit into any year-round

vacant category »6. Cette classification ne nous renseigne donc que peu sur la situation de la

propriété, et un simple panneau « à vendre » ou « à louer » – qui peut être affiché sans succès durant plusieurs années – placera dans une catégorie différente une maison tout aussi délabrée et délaissée que sa voisine classée comme « other vacant ». Plus encore, les services du recensement précisent : « foreclosures may appear in any of the vacant or occupied categories »7. Dans la mesure où les

saisies immobilières jouent un rôle important dans le délaissement résidentiel des quartiers étudiés et où celles-ci peuvent être comptabilisées indifféremment comme « vacant for sale » ou comme « other vacant », cette dernière catégorie est insuffisante et sera utilisée en complément des données sur l’ensemble des logements vacants.

Une seule administration dispose de données précises à l’adresse pour l’ensemble du pays : les services postaux (USPS). Ces données comprennent pour chaque propriété le statut de vacance (cf. Encadré 1), la durée de la vacance, et depuis 2008, le type de propriété (résidentielle, commerciale ou autre). Les services postaux considèrent une adresse comme vacante dès lors que le courrier n’a pas été relevé depuis plus de 90 jours. Ils se fondent sur les informations collectées par les agents chargés de la distribution du courrier pour déterminer le statut d’occupation de chaque propriété résidentielle ou commerciale, et notent également depuis novembre 2005 le nombre de jours passé dans chaque catégorie, ce qui permet d’évaluer la durée de la vacance. Parmi ces propriétés vacantes, certaines sont qualifiées de « no-stat », ce qui signifie qu’elles ne sont pas susceptibles de recevoir du courrier dans l’immédiat. Entrent dans cette catégorie les bâtiments en construction et ceux très dégradés, « identified by a carrier as not likely to be active for some

time »8, ce qui laisse donc à l’appréciation du facteur l’évaluation de l’état et de l’évolution future

de la propriété. Toutefois, pour des raisons de confidentialité, ces données sont agrégées à l’échelle du census tract9 et confiées au Department of Housing and Urban Development (HUD)10,

qui les diffuse uniquement auprès des institutions publiques et organisations à but non lucratif

6 Source : https://www.census.gov/housing/hvs/files/qtr113/PAA-poster.pdf 7 Ibid.

8 Source : présentation de la base de données USPS sur le site du Department of Housing and Urban Development

(HUD) : https://www.huduser.gov/portal/datasets/usps.html

9 Subdivision du comté dans le recensement américain, un census tract comprend entre 1 200 et 8 000 habitants. Il est

lui-même subdivisé en census block groups de 600 à 3 000 habitants.

10 HUD Aggregated USPS Administrative Data on Address Vacancies. URL:

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accréditées qui en font la demande. En l’absence d’affiliation universitaire aux États-Unis, je n’ai pas pu avoir accès à ces données directement. L’Institute for Housing Studies (IHS) à De Paul University met à disposition, sur son site internet, certaines de ces données agrégées à l’échelle du quartier (community areas) au sein de la municipalité de Chicago et à l’échelle des comtés de l’aire métropolitaine11. Ces données concernent uniquement la vacance à long-terme à travers la part

des adresses vacantes depuis plus de 24 mois, et ce par quarter, donc tous les trois mois pour chaque année. Les mêmes données ne sont pas disponibles pour Houston car aucune institution ne les met à disposition comme le fait l’IHS. En outre, le mode de collecte des données par les services postaux est relativement opaque et le département du logement publie même un avertissement relatif à leur usage : « USPS administrative data, while based on the universe of all active and

possible delivery points in the U.S., is quite "messy" compared to census and survey sample data. Data collected by the USPS is designed to facilitate the delivery of mail rather than measure socio-economic or demographic change. USPS data collection methodologies are, in general, not as uniform as one would expect from national census and

survey operations12. »

A l’échelle intra-urbaine, il n’existe aucune base de données permettant d’estimer avec certitude le nombre de propriétés délaissées dans une municipalité : outre les chiffres du recensement, le chercheur ne peut s’appuyer que sur les enquêtes et relevés issus de quelques initiatives municipales, par exemple le Philadelphia Vacancy Survey mené par le Department of Licenses and Inspections en 200013, le « Vacant House File » alimenté par la Ville de Baltimore

depuis les années 1970 et actualisé chaque mois (Han, 2014) ou plus récemment l’enquête du Western Reserve Land Conservancy pour Cleveland en 201514. Mais en plus d’être relativement

rares, car coûteuses pour les gouvernements locaux, ces enquêtes présentent un certain nombre d’insuffisances qui les rendent difficiles à exploiter. Tout d’abord, les critères d’identification visuelle et matérielle du délaissement peuvent être difficiles à définir : un bâtiment très dégradé peut être habité tandis qu’une propriété abandonnée depuis peu ne présente pas nécessairement de signes extérieurs de délaissement. J’ai moi-même été confrontée à la difficulté de définir des critères objectifs pour repérer les logements vacants lors d’une tentative de relevé de terrain dans le quartier de New City (Chicago). Si les maisons dont l’accès est condamné (board up) sont ostensiblement vacantes, d’autres cas sont plus problématiques car certains signes qui suggèrent la vacance sont simplement des signes de délabrement et ne suffisent pas à garantir que le logement

11 Source : Site institutionnel de l’IHS, https://www.housingstudies.org/dataportal

12 Source : Site institutionnel du HUD, https://www.huduser.gov/portal/datasets/metro.html

13 Données disponibles en accès restreint via la base de données ParcelBase du « Neighborhood Information

System » hébergé par le Cartographic Modeling Laboratory de l’Université de Pennsylvanie. URL :

https://www.cml.upenn.edu/nis

14 Western Reserve Land Conservancy and Loveland Technologies, “Cleveland 2015 Citywide Parcel Survey”. URL:

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17 est inoccupé : vitres brisées, rideaux déchirés, contreplaqué sur une fenêtre, boîte aux lettres ouverte, jardin en friche, etc. Des policiers accompagnés sur le terrain à Chicago en mars 2017 rassemblaient ainsi dans leur discours les bâtiments vacants et ceux qui « devraient l’être » tant l’obsolescence du bâti les signalait comme impropres à l’habitation, témoignant de l’impossibilité dans certains cas de distinguer visuellement les propriétés dégradées de celles véritablement abandonnées. Ma participation à une opération de relevé des propriétés vacantes dans le Fifth Ward à Houston m’a confrontée aux mêmes interrogations. Certaines maisons fortement dégradées (toit effondré, murs consolidés par des planches) semblaient en effet habitées comme en témoigne la présence, sur la Figure 1, d’une poubelle neuve et de vêtements qui sèchent sur la palissade.

Figure 1 – Les critères du délaissement face à la réalité du terrain : une maison très dégradée mais occupée dans le Fifth Ward (Houston)

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En outre, du fait de la variabilité des processus à l’œuvre, ces relevés deviennent rapidement obsolètes : non seulement est-il difficile de savoir à quelle date un logement est devenu vacant, mais à mesure que les bâtiments sont réhabilités, réoccupés ou démolis, la physionomie du quartier évolue et la quantification de la vacance perd de sa pertinence. Ainsi, le dénombrement des logements abandonnés à Détroit peut donner l’impression d’une amélioration car leur nombre diminue, de 30 000 en 1978 (Burchell et Listokin, 1981) à moins de 20 000 en 2000 (Mallach, 2006 ; Pagano et Bowman, 2000), mais une telle diminution s’explique en réalité par la démolition de nombreux bâtiments abandonnés15, qui ne sont plus comptabilisés comme

tels mais témoignent néanmoins d’un délaissement persistant. De la même façon, les données relatives aux saisies immobilières (foreclosures) sont peu fiables du point de vue temporel car les données disponibles fournissent généralement la date à laquelle la procédure est entamée (foreclosure filing), or celle-ci peut ne jamais aboutir16 (Mikelbank, 2008), ou aboutir selon un

calendrier très variable d’une propriété à l’autre, de quelques mois à plusieurs années dans certains cas. Les efforts de quantification du délaissement résidentiel sont donc constamment frustrés par la difficulté à produire et à exploiter des données fiables sur le sujet (Dewar et Thomas, 2012 ; Mallach, 2006). En outre, il est impossible de comparer les données issues de sources différentes car le mode de décompte diffère d’une organisation à l’autre – le bureau du recensement dénombre les logements vacants (vacant units) tandis que l’U.S. Postal Service recense les adresses inhabitées (vacant addresses) – voire d’une base de données à l’autre (par exemple entre le recensement décennal et l’American Community Survey, tous deux produits par le bureau du recensement américain). L’ensemble de ces variations dans le choix des critères et des méthodes de décompte produit des écarts considérables dans la quantification de la vacance

15 Plus de 28 000 maisons auraient été démolies à Détroit entre 1990 et 2000 d’après Jodi Wilgoren, « Detroit Urban

Renewal Without the Renewal », The New York Times, 7 juillet 2002. URL :

http://www.nytimes.com/2002/07/07/us/detroit-urban-renewal-without-the-renewal.html

16 Plusieurs méthodes permettent d’éviter la saisie, soit que le débiteur s’acquitte du montant dû, soit qu’il décide de

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Figure 2 – Comparaison des valeurs obtenues selon le mode de décompte de la vacance pour quelques villes de la Rust Belt

Source : Mallach, 2018

Les études scientifiques consacrées à la vacance ont principalement recours à ces deux catégories de données pour identifier les propriétés vacantes (Tableau 1) : les données agrégées issues soit du recensement (vacancy status et other vacant) soit des services postaux (USPS), et les données à la parcelle issues d’enquêtes municipales. Seules les données agrégées permettent la comparaison de différentes métropoles (Immergluck, 2016) puisque les critères d’identification de la vacance ne sont pas les mêmes d’une ville à l’autre. La plupart des études, qui utilisent des données produites par les municipalités, portent donc sur une seule localité. Ces bases de données sont relativement précises puisqu’elles contiennent des informations à l’échelle de la parcelle, mais elles n’existent pas dans toutes les villes et les chercheurs sont tributaires des services municipaux pour l’actualisation des données. Certaines études utilisent des indices indirects pour identifier la vacance, tel que l’accès au gaz durant l’hiver (Cui et Walsh, 2014), mais la plupart du temps la vacance est déclarée à partir d’un relevé de terrain, qu’il s’agisse des services postaux ou municipaux.

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Tableau 1 – Sources et données utilisées pour circonscrire la vacance résidentielle aux États-Unis dans les principales publications sur le sujet entre 2008 et 2018

Auteurs Périmètre d'étude Source des données Date Maille

géographique Variables utilisées concernant la vacance

City of Columbus 2006 parcelle Vacant/abandoned properties (electronic database updated annually)

Franklin County auditor 2006 parcelle Sale price, age of the house, building condition, construction quality Community Research

Partners (nonprofit ) 2006 parcelle Foreclosure filings based on court records 25 villes en déclin

du Nord-Est + municipalités de Flint (MI), Fresno (CA), Phoenix (AZ),

Orlando (FL)

U.S. Census ; Geolytics Neighborhood Change Database

1970-2000 census tract Change in occupied housing unit density

140 villes de la Sun Belt de plus de 100

000 hab.

USPS 2006-2009 code postal

(zipcode) Change in occupied housing unit density

HUD Aggregated USPS Administrative Data on Address Vacancies (USPS)

2002-2006 census block

group Vacancy status

U.S. Census 2004 census block

group Number of residential properties

HUD Aggregated USPS Administrative Data on Address Vacancies (USPS)

2008-2010 census tract Vacancy by type of address (residential, business, other), length of vacancy

American Community

Survey (ACS) 2005-2009 census tract

Housing units, occupancy status, vacancy status (other vacant)

City of Buffalo 2010 census tract

In rem properties (all residential and

commercial tax foreclosure properties owned by the City of Buffalo) Principaux fournisseurs

de gaz à Pittsburgh (3 compagnies)

2006-2009 parcelle List of addresses with no gas usage as of a specific day every December

City of Pittsburgh 2006-2009 parcelle

Foreclosure filings based on court records : date, parcel ID, borrower and lender names, current stage of filing Allegheny County’s Office

of Property Assessments 2002 parcelle

Housing characteristics : square feet, number of bedrooms and year structure was built

City of Baltimore 1991-2010 parcelle

Abandoned residential properties (based on survey) : parcel identification number, full address, date of Vacant House Notice, type of structure, tax payment status and lot size

Circuit Court of Baltimore City and Maryland Judiciary Case Search website

1991-2010 parcelle Foreclosure filings based on court records

HUD Aggregated USPS Administrative Data on Address Vacancies (USPS)

2008-2010 census tract

Addresses that have been vacant for over 12 months ; addresses that have been undeliverable (‘‘no-stat’’) for 12 months

U.S. Census 2010 census tract Total housing units

HUD Aggregated USPS Administrative Data on Address Vacancies (USPS)

2011-2014 census tract Vacancy by type of address (residential, business, other), length of vacancy

American Community

Survey (ACS) 2008–2012 census tract

Occupancy status, vacancy status (seasonal, for rent)

F. Nussbaum, 2018. Mikelbank (2008) City of Columbus

Hackworth (2014)

8 villes en déclin (Buffalo, Cleveland, Detroit, Flint, Gary,

Pittsburgh, Rochester, St Louis) Immergluck (2016) 50 premières aires métropolitaines des Etats-Unis Branas, Rubin, and

Guo (2012)

Philadelphia County (City of Philadelphia)

Cui & Walsh (2014) City of Pittsburgh Silverman, Yin &

Patterson (2013) City of Buffalo

Han (2014) City of Baltimore Hollander (2011)

Figure

Figure 1 – Les critères du délaissement face à la réalité du terrain : une maison très dégradée mais  occupée dans le Fifth Ward (Houston)
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